jeudi 7 mars 2013

Cause Monde : orage magnétique



Il était temps ! L'autre de Jean-marie Le Pen, Jean-Marie Le Guen, sauve l'honneur. Quand on pense que personne n'avait encore eu cette idée, on en frémit d'horreur rétrospective. Et si Jean-Marie Le Guen n'était pas né, et si Jean-Marie Le Guen n'était pas "un élu socialiste", et si Jean-Marie Le Guen n'était pas progressiste, et si Jean-Marie Le Guen n'était pas suffisamment moderne pour avoir eu l'idée d'un Carnaval de la Diversité ? Et si Jean-Marie Le Guen s'appelait Modeste Albirun ? Je ne crois pas que Modeste Albirun aurait eu spontanément une idée si géniale. Je peux me tromper mais je ne crois pas. S'appeler Jean-Marie Le Guen, quand le Grand Autre de la politique s'appelle Jean-Marie Le Pen, ça aide à avoir des idées qui sauvent l'honneur, ça aide à sentir le vent de l'histoire, ça aide à regarder dans la bonne direction, la direction utile, comme disent les comiques croupiers issus de la Couveuse Mondiale, ceux qui ont le droit de s'asseoir dans le Fauteuil de Ruquier. 

Mais je crois qu'on peut faire mieux. Imaginons un instant une femme de notre temps qui s'appellerait Marine Le Guen, ou mieux encore Marine Le Ben. Imaginons que cette femme, moderne, progressiste, bien sous tout rapport, donc, encore jeune et suffisamment ambitieuse pour faire don de sa personne à la Raie publique, se demande de quelle manière elle pourrait bien frapper les esprits, de quelle façon elle pourrait réveiller l'ouïe endormie des négligents qui gisent à Paris-Plage ou à Boboland, de ceux qui n'entendent plus la différence entre le P et le B, par exemple, ayant leur tympan prématurément usé par des décennies d'extase citoyenne. D'accord, elle peut se lancer dans le rap, un rap qui n'utiliserait que des consonnes labiales, mais il est à craindre qu'un art aussi subtil et finalement élitiste soit de nature à ne pas rassembler plus de quelques milliers d'individus déjà acquis à la cause labiale. Une Marine Le Ben ne peut pas en rester à une logique groupusculaire, aussi séduisante soit-elle, elle doit viser le million, voire la dizaine de millions, si elle veut que son nom sonne enfin comme le cor enchanté du Bien, la trompe sacrée du Contemporain. C'est par l'écart infime que très souvent l'original se révèle comme le singulier absolu. C'est la porte étroite de la Renommée : L'événement qui révèle l'évènement. Vaincre ou mourir, exister ou disparaître, quand la destinée vous a offert pareil patronyme, est une axiomatique sans alternative. 

L'Évidence est toujours cachée, comme la lettre du même nom, au milieu de la figure médiatique. Ce sont pourtant les découvreurs d'Évidence qui font l'Histoire. Aujourd'hui, l'Évidence est grosse de concepts à retournements simultanés et multidirectionnels qui sont, en outre, sujets à déconstruction automatique et permanente, ce qui constitue bien sûr une chance pour la France mais surtout une Chance Pour les Journalistes. Les concepts à CPJ interne sont en vogue chez nos celles-et-ceux politiques, qui les rendent enrobés de salive républicaine quelques jours après, sous la forme de ce qu'on nomme "petites phrases". La Diversité est un des concepts à CPJ interne qui a le plus gros rendement, en terme de petites ou grandes phrases. Nous nous sommes renseignés auprès de l'Institut national chargé de la traçabilité des principaux concepts à CPJ interne, qui nous a aimablement fourni une carte lumineuse à fort coefficient de radio-conformité, un peu à l'image de ces plans de métro munis d'un clavier qui nous fascinaient tant, enfants. (Vous cherchiez une destination, vous appuyiez sur le bouton correspondant, et le trajet s'affichait sous la forme d'un serpent coloré qui vous guidait vers la sortie du labyrinthe.) Nous enfonçâmes le bouton Diversité et ce fut Noël en plein mois de mars ! Bien entendu, son trajet croisait celui de Carnaval, avec un changement à la station Assemblée nationale, comme on pouvait s'y attendre. Mais le plus important est que le sentier lumineux de la fée Diversité croisait beaucoup d'autres sites qui, eux-mêmes, appartenaient à des titres divers à la grande famille des aisselles rasées et des Hessel rasant, des Caroniens aux crocs aigus, des Batteurs de coulpe à votre place, des Pleneliens de choc, des Badiou de Vaindiou, des Caramels Hollande, des Morand de Meurés, des Bourmaliens supérieurs, des Delanoé Soulépavé, des Bourdieu de Morin et des Attali des Serres chaudes, toutes dynasties délocalisées dans un Ailleurs sans papiers mais à bifetons. Les prophètes et les procureurs du Vivrensemble obligatoire pour tous s'étant engrossés mutuellement, il n'est plus question d'y retrouver la moindre diversion ni la moindre divergence, mais qu'importe la réalité puisque nous avons la CPJ en perfusion gratuite administrée dans la salle de shoot municipale située juste à côté de la salle polyvalente, qu'importe le divers puisque nous avons la diversité.

C'est dans cette économie parfaitement réglée et d'une efficacité aux normes européennes qu'une Marine Le Ben pourra et voudra venir déposer et proposer son tube à réussite à l'admiration citoyenne des résolus sociaux.

Ça a débuté comme ça :

Marine Le Ben est assise sur son canapé en coton bio équitable acheté à la Camif, elle feuillette les pages culture de Télérama. Tout à coup, elle s'immobilise, le front moite, l'œil enflammé. Elle prend une feuille de papier recyclé. Sur la page blanc écru, elle écrit :

— Racisme (c'est fait)
— Inégalités sociales (c'est fait)
— Discrimination (c'est fait)
— Stigmatisation (c'est fait)
— Antifascisme (c'est fait)
— Vivrensemble (c'est fait)
— Festif, fête, festivités, ludique (c'est fait)
— Citoyen, citoyenne, citoyenneté (c'est fait)
— Cités, quartiers, politique de la ville, moyens (c'est fait)
— Réseaux sociaux (c'est fait)
— Fraternité, solidarité (c'est fait)
— Accueil, étranger, sans papiers (c'est fait)
— Alphabétisation, restos du cœur, DAL (c'est fait)
— Paris-Plage, Nuits blanches, etc. (c'est fait)
— École, lieu de vie, convivialité (c'est fait)
— Fêtes des voisins (c'est fait)
— Mamans, mamies, seniors (c'est fait)
— Dialogue inter-religieux (c'est fait)
— Légalisation du cannabis (c'est fait)
— Lutte contre l'homophobie (c'est fait)
— Social au sens large (c'est fait, au sens large)
— Assosses (c'est fait)
— Prisons (c'est fait)
— Culture (c'est fait, oh là là, c'est fait !)
— Rythmes scolaires (c'est fait)
— Tabac (c'est fait)
— Lutte contre l'industrie pharmaceutique (c'est fait)
— Pédophilie (c'est fait)
— Indignation (c'est fait)
— Féminisme (c'est fait)
— Genre (c'est fait)
— Care (c'est fait)
— Nucléaire (c'est fait)
— Exil fiscal (c'est fait)
— Vocabulaire, lexique, expressions (c'est fait)
— Sexisme (c'est fait)
— Nouvelles technologies (c'est fait)

(…)

Long silence, durant lequel Marine Le Ben transpire abondamment. Son pouls est à 100. Sa tension à 9,5 / 14,5. Le bout des doigts picotent. Bref accès de découragement. Mais c'est pas possible, tout ne peut pas avoir été fait ! Il y a sûrement quelque chose à quoi personne n'avait pensé jusque là ! C'est là, je le sens, c'est au bout de mon stylo, c'est pour moi, ce sera mon idée, à moi, rien qu'à moi. Je dois trouver ! Elle a la vessie pleine, mais elle se dit qu'elle n'ira pas aux toilettes tant qu'elle n'aura pas trouvé, quitte à faire dans sa culotte. Marine Le Ben a du caractère. On a toujours dit, autour d'elle : Marine, c'est quelqu'un ! Quand elle une idée dans la tête, elle l'a pas ailleurs ! Nous sommes mercredi soir, les enfants sont couchés, Jean-Marie, le mari, est en formation-stage d'entreprise (synergie-trans-énergétique de groupe), il ne rentre que samedi. Elle est donc seule avec sa feuille de papier. Il fait 19 degrés dans la salle de séjour, la table est débarrassée, la vaisselle est faite. Tout va bien, Marine, tout va bien. Réfléchis, respire et réfléchis ! Le ventre, respire avec le ventre. Inspire le bonheur, expire le malheur. Lâcher-prise. Ondes alpha. Coolitude cool. (…) Rien, le vide total. Elle n'arrive plus à penser, c'est comme si son cerveau était en arrêt de travail. Droit de retrait. Cortex en réunion syndicale. Neuromédiateurs à la plage. Hypothalamus en RTT. Synapses en congé maternité. Putain, Marine ! Les doigts dans la prise ? Non, trop douloureux. Une petite branlette ? Les enfants pourraient se lever pour boire un verre d'eau. L'horloge parlante ? Existe plus ! Lire les commentaires sur son blog ? S'y laisserait prendre, comme d'hab. Elle essaie d'arrêter ses jambes de danser sur place, contracte ses sphincters. Un peu de volonté, quoi, merde ! La pendule sonne dix heures.

Reprenons. Une cause. Une cause nationale. Une cause nationale et consensuelle. Une cause nationale, consensuelle et moderne. Une cause nationale, consensuelle, moderne et sympa. Une cause nationale, consensuelle, moderne, sympa et utile. Une cause nationale, consensuelle, moderne, sympa, utile et… Non, nationale, on s'en tape. Faut voir plus grand. Donc, une cause internationale, sans frontières, consensuelle, moderne, sympa, utile, de gauche (pléonasme). Une image lui passe par la tête : Jean-Paul Sartre sur son tonneau, à Billancourt. La Cause du Peuple. La Cause du Citoyen. Elle n'a pas connu mai 68, mais son père lui a raconté. Révolte, rébellion, indignation, cause, soulèvement, résistance, entraide, solidarité, modernité, histoire, révolution, droits, commune, front populaire, congés payés, avortement, droit de vote, pilule, échangisme, partouze, non, stop ! Elle a trop envie de faire pipi. Elle court aux toilettes, mais trop tard, elle a mouillé sa culotte et ses collants. Elle pisse. Ah que c'est bon. Elle ôte ses collants, sa culotte, reste assise aux toilettes, le regard vague, le visage entre ses mains. Citoyen du monde. Elle se répète ces trois mots comme un mantra. Citoyen du monde. Elle pense aux multinationales, au nucléaire, à la guerre, aux armes en vente libre, à George Bush, au Tibet, au Sous-commandant Marcos, à Louis XIV, aux éoliennes, aux Incas. Les Incas… Les Incas…

Elle se lève, tire la chasse, se précipite sur l'ordinateur, dans la chambre. Internet, Dailymotion, Google, Wikipedia… Les Incas… Le soleil. L'éclipse de soleil. Tintin. Re-Google. MCE. Éjection de masse coronale. Mai 2013. Voilà, j'y suis. NASA, Canada, magnétosphère, vents solaires, tempêtes, cycles, taches solaires, alignement, 1859, Carrington, réveil, catastrophe, secret, silence, complot…

Bon dieu mais c'est bien sûr ! Mai 2013, mais c'est dans deux mois ! Deux mois, deux petits mois à peine ! Comment se fait-il que personne n'en parle ? On sait depuis longtemps que se prépare sans doute la plus grande catastrophe de tous les temps, et on nous parle d'insécurité ? Ah les salauds ! On sera peut-être morts dans trois mois et on invite Laurent Obertone à la télévision ? Ah les ordures ! L'Actu, c'est pas Orange mécanique, c'est ORAGE MAGNÉTIQUE ! Quand je passerai chez Ruquier, j'exigerai d'être la seule invitée ! On sera en prime-time, pas à minuit moins dix ! Ah les cons ! Évidemment, les Puissants se sont certainement déjà préparés à la Chose, il doit exister des solutions, mais on se garde bien d'en parler, parce qu'on sait qu'il n'y en aura pas pour tout le monde ! Israël doit être dans le coup. On ne les entend plus trop en ce moment. Ils ont autre chose à foutre que de balancer une bombe sur l'Iran, tu parles ! Pas besoin de bombe, pour les Iraniens. Suffit d'attendre, planqué trois cents mètres sous terre, avec des réserves pour deux ans. La voilà l'Insécurité du millénaire, le voilà l'ensauvagement du monde à l'échelle planétaire ! La soleil va nous chier dessus, et on n'a aucun parapluie en état de marche. 90 secondes pour revenir à l'âge de pierre, et Jean-Marie qui fait son stage d'entreprise… J'y crois pas ! Mai, le mois de Marie ? Le mois de Marine, oui ! Ça va tweeter dur, dans les jours qui viennent, c'est moi qui vous le dis ! C'est pas la Trierweiler qui va me faire de l'ombre, à moi ! La voilà, ma Cause internationale, hyper-moderne, consensuelle, et utile ! Peut-être pas aussi sympa que j'aurais souhaité, mais on ne va pas faire la fine bouche. Plus moderne qu'une tempête solaire à donf, tu meurs ! Surgissent quelques questions non dénuées d'importance : la Tempête solaire est-elle de droite ? La Tempête solaire fait-elle le jeu du Front national ? La Tempête solaire a-t-elle partie liée avec les Marchés financiers ? La Tempête solaire pourrait-elle favoriser le retour de Sarko ? La Tempête solaire est-elle anti-républicaine ? La Tempête solaire stigmatise-t-elle les quartiers sensibles ? À toutes ces questions, Marine répond : Oui, oui et oui ! Dans les jours qui viennent, elle aurait le temps de justifier ces affirmations, mais pour l'heure, il y a urgence ! Il convient de résister, de faire front commun, de s'indigner contre ces vents solaires et cette masse coronale qui va frapper les plus démunis, les exploités, les damnés de la Terre, les Sans-papiers, les immigrés. À la masse coronale qui menace les peuples de la Terre, Marine Le Ben, dès ce soir, décide de dire, contre vents solaires et marées rouges :

NO PASARAN ! Touche pas à ma magnétosphère !