vendredi 25 janvier 2013

Yaka m'appeler Ygor !



On sait que la blogosphère regorge d'imbéciles, d'abrutis, de crétins, de débiles, d'attardés en tout genre et de précieuses ridicules dont il est très facile de se moquer. Georges a toujours préféré s'en prendre à ceux qui avaient réussi à prendre la posture des intelligents, ceux qui avaient un pédigrée, ceux qui tiennent des blogs ou des forums, auxquels les bitophiles bêlants s'abonnent aujourd'hui comme autrefois on allait à confesse. On en a connu des sacrés, des précieux, des hyperboliques, des sous-tendus, des pluridisciplinaires, des dilatés du foie, des flasques, des amphigouriques, des dorés sur branche, des hystériques et des flamboyants, des trombosés du logos,  des cataleptiques de l'induction, des nervurés de l'anamnèse, des perforés de la vergogne, des spasmodiques du colon, mais il me semble, je crois, j'en suis presque sûr, qu'il ne nous avait pas encore été donné d'atteindre à ces rivages, à ces sommets vierges, à ces altitudes où ne soufflent que des vents sublimes et la pensée la plus cristalline, où l'esprit peut se mettre à dériver sans crainte de toucher les bords du gouffre sans dimension et sans fin auquel il aspirait depuis l'origine de l'origine. Si improbable que cela semble, jamais nous n'avions été lire du Yanka dans le texte, sans doute secrètement affolés par la puissance de ce qui là est mis en branle*, et nous avions bien raison. "Bonheur de lecture", "être réceptif aux vibrations", "Ce qui doit être exceptionnel ou sublime, c'est le regard que l'écrivain porte sur les choses, non les choses en elles-mêmes.", "Écrire est toute une alchimie, un processus très complexe", "ce que vous lisez de ma plume sur mes blogs n'est que la crème fraîche de mon gâteau, la partie visible de mon iceberg", "ce n'est pas tant de moi que je parle que de ma sensibilité, de mon ressenti", "Question vocabulaire, je suis paré", … Le processus très complexe du ressenti des vibrations de l'iceberg… Parés pour le départ, Captain, Zoby Dick en vue ! 

Tout à l'heure, sans que rien ne laisse prévoir l'événement, nous nous sommes retrouvés ici. Si vous avez eu le toupet insensé de suivre le lien que je vous propose, vous êtes sans doute, comme nous le sommes, sonnés, interdits, pétrifiés, vidés, exténués par le rire ou terrassés par l'effroi, vous vous êtes peut-être précipités à l'église pour prier, aux toilettes pour vomir, à l'hôpital voisin pour vous faire examiner, toutes choses que personne ne songera à vous reprocher. Nous aussi nous sommes restés sans voix un petit moment, hésitants, titubants, perplexes, la rate en état de choc. Nous croyons pourtant avoir trouvé la solution pour supporter ce coup formidable et nous voudrions en partager avec vous le bénéfice, comme nous le ferions d'un remède contre une maladie infectieuse et contagieuse. Contrairement à ce que des racontars malveillants laissent entendre, Georges a toujours été empli de compassion pour ses semblables. 

Relisez tranquillement le texte (les textes) de Yanka, mais en les plaçant mentalement dans la bouche de Didier Bourdon, mais si, vous savez bien, Didier Bourdon, le premier des Inconnus, le plus drôle. Faites-le ventriloquer du Yanka, mettez-lui par exemple en bouche les phrases qui suivent : « Qu'entendons-nous d'abord par "écrivain" ? Qu'entends-je, moi, par "écrivain" ? Toute personne tenant une plume et publiant n'est pas forcément un écrivain. Je ne dissocie pas l'écriture et l'art. L'écrivain, pour moi, est d'abord un artiste, mais il n'est pas que cela. » Vous entendez ? Vous commencez à comprendre ? Encore un peu, si ce n'est pas tout à fait limpide : « Je n'ai tout de même pas vécu tant que ça de situations extrêmes. Je me méfie d'ailleurs de mes propres perceptions. Quand tout s'effondre autour de moi, c'est la plupart du temps une impression ou une interprétation dramatique. La vérité, c'est que tout s'effondre en moi, que je perds pied et coule — du fait, c'est vrai, d'événements extérieurs plus ou moins identifiés ou de malveillances émanées d'individus cherchant à m'éprouver, à me nuire, à me détruire. Deux choses. La première, c'est que je suis fragile par excès de sensibilité ; la seconde, c'est que je suis fort de ma fragilité. Par là je veux dire que je suis très lucide sur moi-même, que j'ai une conscience aiguë de ma fragilité et que j'ai appris à me protéger. (…) Tout m'abîme, rien ne me détruit. (…) Les coups que l'on me porte au moral sont durement ressentis, ils m'ébranlent, me font vaciller, mais je parviens à demeurer plus ou moins coi, à la fois par orgueil et volonté de ne pas montrer à l'adversaire à quel point je suis fichu déjà. » Vous voyez ? Ce talent, cet humour, la petite moue lipidique de celui qui se rengorge sur le divan de la belle famille, un verre à la main, ça y est, vous visualisez la scène, vous y êtes ? Il n'y a que Lui pour savoir faire une chose pareille. Didier Bourdon se faisant passer pour un blogueur qui pète les plombs, dont le slip craque sous la pression, avouez que c'est génial ! Depuis que j'ai compris, je chante à tue-tête la Grande Fugue, j'ai retrouvé l'appétit et je suis d'une bonne humeur que rien ne saurait dissiper, même Luna pouffe avec moi, on s'en étouffe de joie, ah, je vous jure, ça fait du bien. Quel talent, ce Bourdon ! Quand je pense que certains prétendent  que nos comiques n'ont plus d'humour (on apprend incidemment que l'auteur a mis "trente ans" à en arriver là, à écrire comme ça, et ce trait ultime (et définitif) nous semble le sommet absolu d'un art consommé de la drôlerie, dans ce qu'il peut avoir de plus… consommé) ! Je m'étais régalé jadis du Jeu des perles de verre, et je découvre sur le tard de ma vie qu'on peut jouer avec autant de bonheur en utilisant des crottes de nez, qui sont gratuites et disponibles à profusion sur Internet. Pour pauvre comme Job, et comme moi, il s'agit d'une nouvelle fort réjouissante.

Didier — si vous permettez que je vous appelle par votre prénom —, je vous serre dans mes bras, je vous embrasse, je vous bénis, je vous adore, vous êtes le Sauveur de la Bloge, vous êtes celui qui tend la main au pestiféré, celui dont la générosité sans bornes éclaire désormais nos journées, celui qui nous fait oublier nos peines, nos tracas, nos dettes, et la masse de papiers sur la table du salon. Cher Didier, Cher Ygor, Cher "Adrénaline 1431" (quelle trouvaille, quelle puissance, cet intitulé !), dès ce soir, j'irai vous allumer un cierge à la cathédrale d'Alès. Laissez-moi une fois encore vous remercier et vous embrasser de toute la force (forcément fragile) de ma gratitude sans limite.


(*) 1. ... il était seul et paraissait soucieux. Avant de stopper, il regarda son frère, et branla plusieurs fois la tête. R. Martin du Gard, Les Thibault, L'Été 1914, 1936, p. 334 

 2. Chacun d'eux mange en diable (...) Il faut voir leur vitesse À branler le menton. Leclair, Les Méditations d'un hussard, 1809, p. 56 

 Fam., forme interr. Qu'est-ce qu'il branle ? Que fait-il ? 

 7. Mais le vieux les terrorise. Ils n'osent pas branler devant lui. A. Arnoux, Roi d'un jour, 1956, p. 314 

Trivial. Masturber : 4. C'est là qu'il a rencontré la peintresse Jacquemin, qu'il n'a pas baisée, dit-il, mais qu'il a branlée... E. et J. de Goncourt, Journal, 1894, p. 603 

 5. L'opinion du mitan sur mon compte, avec la mentalité qui y régnait maintenant, je m'en branlais éperdument. A. Simonin, Touchez pas au grisbi, 1953, p. 77