mercredi 15 juillet 2020

Lettres et temps


Je tiens un blog qui s'intitule "Mauvaises pensées". Si jamais il venait (par mégarde, à cause d'un incident technique, ou sur un coup de tête) à être rendu public, je me demande ce qui se passerait, dans ma petite vie.

Le plus probable est qu'il ne se passe strictement rien. C'est là qu'on voit qu'il vaut mieux annoncer publiquement quelque texte secret que de croire l'avoir écrit.

Plutôt qu'écrire, dire qu'on écrit. Plutôt que de montrer, laisser entendre qu'on cache. Les lettres consistent à jeter des ponts entre le dicible et l'indicible — quitte à ce que personne jamais n'emprunte ces ponts.

Des mauvaises pensées, qu'est-ce que c'est ? Les mauvaises pensées ne sont pas (forcément) des pensées négatives. Seulement des pensées qu'on ne signerait pas, ou pas tout de suite. Pourquoi nous en retirer alors que nous les avons pensées ? Pourquoi pensons-nous que penser ainsi serait incompréhensible à ceux qui pensent que nous sommes nous-mêmes en pensant ce que nous pensons ?

Les choses indicibles finissent toujours par devenir dicibles — plus tard. Il faut que du temps ait passé entre elles et elles. Il faut que le temps les ait séparées d'elles-mêmes, pour qu'on puisse les destiner à l'autre, c'est-à-dire à celui qui pense que nous existons tel qu'en nous-mêmes. Peut-on s'adresser à autrui seulement, ou a-t-on besoin d'un tiers qui authentifie, qui médiatise, qui donne à la parole sa valeur-or, son versant admissible, partageable. Si je lui disais ce que je ne peux dire à personne, m'entendrait-elle ?

Et voilà. Maintenant, il me faut nier que je tiens un blog intitulé Mauvaises pensées. Mais c'est trop tard. Nier serait le faire exister plus encore. Comment arriver à la clarté sans traverser l'obscurité, me demande l'animal silencieux qui se tient près de ma joue ? Il fume une cigarette. 

Je verse dans le rêve. La présence se diffuse en tout point de l'espace et du temps. 

C'est perpétuellement une guerre avec soi-même, que nous devons mener sans espoir de la remporter, alors qu'aux yeux de l'autre nous sommes invaincus : il pense que nous sommes, absolument, alors que notre être n'est qu'une hypothèse parmi d'autres. Nous pensons mal simplement parce que nous pensons. Ou parce que nous sommes une somme de non-êtres désirant être.