jeudi 23 juillet 2020

La bite et la bite



On a toujours un peu de mal à se décider à écrire sur ces choses, qui nous paraissent si sales qu'on a l'impression de se souiller rien qu'en en parlant. Il faut se forcer, car elles font partie du paysage, et se répètent à intervalles réguliers. Je le disais hier, à un ami, il est frappant de constater que ce sont toujours un peu les mêmes personnages dont on se fait des ennemis. Il faudrait tenter une bonne fois de les décrire.

Les faits, d'abord. Un facebookien notoire est entré en crise, il y a quelques jours. Une crise spectaculaire, et fascinante, à bien des égards. (Comme le dit drôlement un ami : « Hôpital Saint-Anne, Bonsoir ! ») En l'espace de quelques minutes, il a déposé une trentaine de commentaires furieux, à mon encontre. Le désir et le délire étaient manifestes. Mais voyons les choses calmement. Pour quelle raison cet individu a-t-il laissé libre cours à sa fureur vengeresse ? Parce que j'ai écrit, dans un statut évidemment humoristique, que porter un T-Shirt à l'effigie de Nietzsche (ce qu'il fait) était kitsch. Kitsch… On n'a proféré aucune injure ; on a estimé que cet accoutrement nous semblait kitsch. Le blasphème est énorme, prodigieux, cosmique. 

Que disaient les commentaires de cet individu aux nerfs fragiles ? Essentiellement que j'avais « une petite bite ».  En effet, mon sexe est plutôt dans la moyenne basse des Français, autant que je puisse en juger par moi-même et par ce qu'on m'en dit. Quelle nouvelle ! Quelle révélation ! Quelle honte ! Et comme je dois en souffrir, surtout ! Eh bien non, pas du tout. Comme il y a plus de cinquante ans que je connais la nouvelle, j'ai eu le temps de m'y habituer un peu, et même, je dois le confesser ici, jamais je n'ai souffert de complexes dans ce domaine. J'ai bien d'autres complexes, ça oui, mais, étrangement, de ce côté-là, ça va. 

Pour être tout à fait complet, le Prof (puisqu'il semblerait qu'il soit professeur) a aussi écrit ce que je montre ici en illustration. On est toujours un peu étonné par ces gens qui révèlent ainsi publiquement leur âme sale. N'ont-ils donc aucun amour-propre ? Comment est-il possible de mettre ainsi en pleine lumière ce que la plupart des gens cacheraient soigneusement, car ils mourraient de honte, à l'idée que les autres sachent. La seule question intéressante, finalement, est celle-ci : comment se fait-il que le genre de personnages dont il est question ici fassent autant d'efforts, tiennent si fort, semble-t-il, à s'humilier eux-mêmes, à présenter au monde leur face la plus basse, la plus hideuse ? Ça c'est un vrai mystère.




Mais essayons tout de même de comprendre de quoi ça parle. La bite, donc, en premier lieu. Bien. Ensuite l'art, et le fait d'avoir réalisé un "autoportrait à la bite". Nous aurions dû, si l'on en croit notre Prof, prendre notre visage en photo "plutôt que [notre] bite". Évidemment, le visage, on l'a portraituré mille fois déjà, mais quand nous faisons UN autoportrait "à la bite", et un seul, nous ne faisons que ça. On voit par là la grande objectivité, et la petite obsession maladive du Prof. Mon Dieu, qu'un artiste ait envie de représenter son sexe est un bien grand Malheur, et nous T'en demandons pardon ! Il nous parle de "classicisme" Prof, et on voit tout de suite qu'il sait de quoi il parle. En effet, ce n'est pas comme s'il avait étudié la musique classique durant cinquante ans, très par exemple. Mais passons. Ces mots, qui ne veulent rien dire, lui auront sans doute échappé. Quand on a la rage aux babines, on ne sait plus tellement ce qu'on dit, c'est bien naturel. Il a dû écrire ça en pensant que par là il pouvait blesser. Les petites choses fragiles croient toujours que les autres sont comme eux. Je conçois très bien que l'ennui et la déréliction peuvent pousser à se répandre en invectives. Ça peut soulager un instant, et donner l'impression de se libérer d'une forme d'oppression imaginaire, mais si l'on veut en tirer partie, il y faut un talent que tout le monde ne possède pas.  

Ensuite viennent les pathétiques appels du pied (lourd, le pied) à mes "amis Facebook" à me "désaimer". Je vous aime, mais à condition que vous disiez que Vallet est une salope, une crapule, un raté, un minable, une-petite-bite ! On est presque tenté de le consoler, le pauvre homme. Après les injures et les crachats, les fines allusions sexuelles, la main tendue aux amis qui pourraient devenir des ennemis, et les attitudes de petit maître chanteur, bien entendu, ils ne faut rien omettre, dans ces cas-là. Il m'écrit en privé pour me prévenir : attention, hein, j'ai parlé avec des gens qui vous détestent, et nous allons vous détester en meute ! Ouh là là ! Quelle horreur ! Être injurié par des cons qui s'assemblent pour communier dans leur connerie et lancer leurs anathèmes vers l'Antéchrist à la turgescence modeste, je me demande si je ne vais pas en reprendre une louche. 

Et puis, enfin, ç'aurait manqué au tableau, le magnifique : « Pas étonnant qu'il soutienne la tapette qui criait en 1984… » (On est même étonné qu'il ne nous traite pas de pédé. Ça va sans doute venir…) Mais bien sûr ! Le soutien à Renaud Camus devait inévitablement être de la partie. L'éructance très connotée qu'on reconnaît à mille lieux à la ronde… La veine asencienne et falevardienne, mais en tout petit, le type qui monte sur une poubelle pour avoir l'air menaçant. Il a trop lu Bloy et les psalmodieurs à postillons, ce pauvre garçon, il s'en met partout, même sur son joli T-shirt kietzsche. 

La seule chose que je pourrais éventuellement me reprocher est de ne pas avoir effacé ses messages. En cela j'ai manqué de charité chrétienne. D'autant plus que le brave homme s'ingénie à me faire de la publicité gratuite, pour le petit livre érotique que j'avais publié il y a quelques années. Mais les manières de petit délateur numérique anonyme et de maître chanteur amateur, vulgaire, au verbe de racaille, au tutoiement si prévisible, qui au surplus croit révéler des choses que tout le monde sait depuis quinze ans puisqu'on ne les a jamais cachées, me répugnent tellement que je n'arrive pas à me sentir coupable. 

« Je suis en train de partager la photo de votre petite bite à plein de tes contacts. J'essaie d'expliquer quelle arnarque perverse et décadente vous êtes. Vous pouvez me bloquer. J'ai plein d'avatars. Bientôt je révèlerai les vôtres. Je dirai comment Jérôme Vallet vient à la rescousse de Georges de la Fuly dans certains fils de discussion. Car je l'ai vécu. C'est tellement pathétique. Vous n'auriez jamais dû vous attaquer à moi. Je sais plein de choses sur vous... » 

Mais quel imbécile ! Cette photographie, dont je suis il est vrai assez content (pas fier, mais content, heureux !), très naïvement, montre avant tout la joie, un moment de joie et d'amour partagés. Je le trouve drôle et touchant, ce cliché. J'ai de la reconnaissance pour le moment montré là, et j'emmerde tous ceux qui y voient quelque chose de sale ou d'obscène. Qu'y a-t-il de plus beau que de bander pour une femme qu'on aime et qui nous aime ? Je n'ai jamais compris les fausses pudeurs de ces punaises asphyxiantes qui placent la morale là où elle n'a rien à faire. J'aime cette photographie, et je la montre, comme je montre d'autres photographies que j'aime. C'est aussi simple que ça. Je continuerai à le faire aussi longtemps que je serai en vie. Quant au « Jérôme Vallet qui vient à la rescousse de Georges de La Fuly », c'est complètement faux. Je ne fais JAMAIS ça. J'ai horreur des gens qui se cachent derrière des pseudonymes, moi, contrairement à lui, dont je ne connais même pas le nom, et qui se vante d'avoir « plein d'avatars ». Georges de La Fuly est le nom de plume que j'utilise depuis plus de quinze ans, et tout le monde connaît mon nom d'état civil. Et pour ce qui est de « révéler des choses sur moi », le pauvre aurait du mal, puisque je le fais depuis très longtemps moi-même, sans m'épargner. Ce que ne comprendront jamais ces gens-là, justement, c'est que se montrer tel qu'on est est avant tout un exercice d'humilité. L'obscénité n'est évidemment pas là. L'obscénité est dans le regard malsain de celui qui ne supporte pas qu'on montre les choses telles qu'elles sont, sans honte, et qui s'acharne à les salir, hissé sur son petit tas de fumier qui n'a rien de moral, contrairement à ce qu'il aimerait qu'on pense.

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Les quelques amis à qui j'ai fait lire le texte ci-dessus m'ont dissuadé de le publier, jugeant d'une part que ce personnage s'était discrédité et ridiculisé tout seul, et, d'autre part, que j'aurais tort de lui accorder la moindre importance. Je comprends et je ne suis pas loin d'acquiescer à l'argument. Si je décide tout de même de publier, c'est parce que le personnage en question est représentatif, je crois, d'une catégorie d'individus que nous croisons quelquefois sur les réseaux sociaux. Ce sont eux, dont je parle ici, plus que de lui. Et puis, tous les sujets sont intéressants…