lundi 23 octobre 2017

Soulève ta paupière close…


On devient fou, à ne pouvoir ni avancer ni reculer.

Quand pas un visage féminin n'émeut, quand tous ils paraissent vulgaires, ou bêtes, ou factices, et que pas un ne trouve grâce à nos yeux, alors on se tourne vers la fugue du Tombeau de Couperin, de Maurice Ravel, pour y chercher cet angle singulier, à la fois doux et mordant, qui nous rappelle les enchantements de jadis et surtout de naguère. 

Ce sont les moments les plus difficiles d'une vie, ceux où les plus belles choses, les plus précieuses, ont perdu leur saveur. Et ce n'est pas qu'elles ont perdu leur saveur, ce qui serait encore supportable, c'est, beaucoup plus cruel, qu'elles mettent entre elles et nous un monstre, un monstre glacé qui se tient là, lourd et impassible comme un gardien sourd et buté. Sans savoir ce qu'il garde, sans le comprendre, ce monstre nous interdit le passage car il prend toute la place : imbécile et inflexible monument. Leur saveur est intact, se dit-on, et c'est bien le plus douloureux, qu'elle soit encore, alors que nous ne sommes plus en droit d'en être le légitime légataire. 

On ne sait pas se tenir sur cette crête inhospitalière et désolée, là où il est impossible de renoncer tout à fait à ce qu'on venait de découvrir, là où il est tout aussi impossible de continuer à aimer, à désirer, comme si de rien n'était, comme si l'affreuse indifférence qui nous est opposée pouvait être ignorée, ou méprisée, et encore moins acceptée.

Je ne sais pas si le mot de renoncement peut convenir en pareil cas. Je ne le comprends pas. Il me semble que le renoncement est un acte positif, qu'il doit être l'expression d'une volonté, qu'il est le signe d'une exigence, et pas du tout d'une capitulation, d'une défaite. Or il n'y a aucune résolution, dans la situation que je décris. Aucun problème n'est résolu, et il n'entre aucune intention positive dans le repli et la déroute.

Les fruits les plus doux sont aussi les plus amers, quand ils sont passés.