mercredi 20 mai 2015

Breaking bad


Et ça je ne peux rien y faire. J'ai essayé de lutter. Mais après, il y a eu El Paso ! Et ça n'a fait qu'empirer. Ce que j'ai fait à Pinkman, ça me ressemble pas, c'est pas moi. Je te jure, Marie, je crois que l'Univers veut me faire passer un message… que je suis enfin prêt à écouter. Je ne suis pas celui que je croyais être. J'adore ce carrelage. Et la température est réglable, vraiment ? Avant on disait possom, pas opossom, pourquoi faut-il toujours qu'ils changent tout ? On a appris que le cancer s'était emparé du cerveau, c'est pour ça. Oui, il y a un bouton, je crois, enfin un thermostat, c'est comme ça qu'ils disent.  Est-ce que cette histoire va finir par aller quelque part ? Je suis de plus en plus convaincu que nous vivons plusieurs vies parallèles, en même temps. Les syndicats ? Un ramassis de salopards toujours prêts à faire chier le monde dès qu'un truc ne va pas. Elle ressemble à Mme Abitbol de Marseille. Mme Abitbol de Marseille veut me faire passer un message, c'est comme ça que je vois les choses. On survolait l'île Saint-Louis, je tenais Anne, contre mon ventre, j'étais derrière, et, à un moment donné, j'ai plongé le bras par-dessus ses hanches, vers son sexe, et c'était chaud et humide. J'ai compris qu'elle venait de jouir. Je me suis réveillé dans un état de bien-être incroyable. Pinkman était assis au bout du lit, une tasse de café à la main, et il racontait l'histoire de sa grand-mère qui tapait contre le plancher avec son parapluie en appelant le rat "Scrabble". Ça m'a fait penser à ma cousine Rose-Lilla et son mari Jérôme qui m'avaient invité à déjeuner. Ils devaient avoir aussi un chauffage par le sol, j'en suis presque certain. Pourquoi est-ce que le visage de Rose-Lilla a complètement disparu de ma mémoire ? Françoise était si jolie, elle avait des yeux si extraordinaires. Patricio aussi était tout émoustillé. Il y avait Céline, on avait déjeuné place des Vosges tous les quatre, et Françoise m'avait demandé qui était Céline, pour moi, ou plutôt, ce qu'elle était pour moi.

À ce moment-là, c'est devenu très clair. Il m'avait fallu toute une vie pour en arriver là, après être descendu, descendu toujours plus bas, vers une sorte de zéro absolu. Je me suis réveillé en sursaut, et j'ai su très clairement que ça y était, que j'y étais. J'avais enfin tout effacé, il ne restait rien. J'étais seul, sans personne qui m'aimait, sans personne à aimer, sans projet, sans famille, sans rien qui me retenait. J'avais compris que les visages étaient des visages et rien d'autre, et qu'on pouvait toujours creuser et creuser encore, que ça ne servait à rien. Aimer n'est rien d'autre que de fermer les yeux très fort sur ce qu'on a devant soi. Madame Abitbol de Marseille… Elle a un nom, une raison sociale, une profession, une maison, une piscine, un amant, une voiture, des enfants, un ex-mari, des loisirs. Des loisirs… Mais pas le chauffage par le sol. Ça lui fait encore un but dans la vie. Je l'ai aimée quand elle avait perdu ses cheveux. Pas de fin à l'horizon. Il y avait un moment parfait, et il m'est passé sous le nez. Comme tout le reste. L'argent, les filles, le talent, la santé… Savez-vous qu'on vit toujours au passé, avec 80 millièmes de seconde de retard sur la réalité ? Huit centièmes de seconde c'est peu, d'accord, mais ça peut permettre de gagner un cent-mètres. Mme Abitbol de Marseille, je crois qu'elle vit avec un retard beaucoup plus important, je dirais au pif quelques années. Quand je pense à elle, je pense toujours à cette nuit où je m'étais rendu chez elle, pendant qu'elle était à la fête du Lac avec Marie, et que j'avais pissé longuement sur la baie vitrée de sa maison. Drôle de souvenir… J'ai vécu trop longtemps. J'ai passé le cap. J'ai franchi la limite. Je suis de l'autre côté.