mardi 6 janvier 2015

Première ligne (11)


Vous souvenez-vous du Minitel ? Moi je m'en souviens très bien. J'ai tout de suite accroché. Je ne crois plus à la gauche, ni à la droite, ni à l'Europe, l'informatique m'emmerde, je ne suis pas juif, je ne suis plus jeune, je suis pauvre, je ne regarde pas les infos à la télé, je ne lis pas les livres qu'il faut lire, et j'ai perdu mes cheveux lors d'une grande guerre dont personne n'a entendu parler. De plus en plus je trouve les pianos faux, Queffélec et Engerer ridicules, et que la seule activité humaine digne d'être reconduite est le rêve. L'impression que nous sommes en première ligne de notre vie est une illusion, c'est la raison pour laquelle nous recouvrons la réalité de paroles, car le silence nous prouverait immédiatement que nous n'y sommes pas, en première ligne, et nous obligerait à nous demander qui s'y trouve à notre place. Ceux qui savent qu'ils ne savent rien se sont retirés d'eux-mêmes, ça les rend insupportables : tout le monde attend que quelqu'un donne le la, bien que cela ne serve à rien, puisque tout le monde est sourd. À la santé du Capitaine ! 

Donc, grâce au Minitel, je n'ai rencontré ni Richard Millet, ni Philippe Sollers, ni Michel Houellebecq, ni Pascal Quignard, ni Samuel Beckett, mais j'ai rencontré Ambre, Nuages, Agnès, Malika, Nicole, Tuture, Valdécrocher, AspergeBrûlée, Bijou, Notaire, Mila, Lune, et Anna-Maria. J'ai appris à écrire, sur le Minitel. Discuter avec trois ou quatre filles en même temps, sans oublier leurs caractéristiques physiques ni leur âge ni leurs goûts ni leurs mensurations, trouver pour chacune d'entre elles des formules différentes adaptées à leur profil, les séduire, tout en démasquant les hommes (nombreux) qui se font passer pour des femmes, ça vous oblige à une efficacité maximale et à un renouvellement de tous les instants. Brune, blonde, rousse, petite, longue, complexée, endormie, hystérique, aphasique, le bateau, la cuisine et l'algèbre, vous voudriez pas en plus que je fasse le ménage ! 

Ça change tout, un mât, j'aurais jamais pensé ! Médine le rappeur nous dit "Don't Panic !" et tente, à l'aide de Pascal Boniface, de désamorcer la-peur-de-l'islam-en-France. Patric Jean nous explique, sur son blog, que « nous sommes nombreux et nombreuses à nous demander comment font les jeunes dits "des banlieues" pour se tenir si tranquilles malgré la violence qui leur est faite. Racisme institutionnalisé, ghettoïsation de la pauvreté, violences policières (dont les contrôles au faciès). » Houellebecq, ce con, jette de l'huile sur le couscous, et attise la France rance. Elisabeth picole. Les éditeurs, fidèles à leurs habitudes, vont au turbin et en rapportent de petites crottes sèches et désodorisées qu'ils empilent sur des assiettes neuves. Les meufs passent, reniflent, prennent un selfie ou deux, et vont se rincer l'utérus au mousseux en jurant sur le Coran. La première ligne de coke passe par elles entre leurs seins refaits et leur plan diététique semestriel. Nicole ne m'appelle plus. Hollande s'éclate. Piketty refuse la Rosette et moi l'andouillette. Bedos chiale et Vladimir rit. Dieu ne répond plus et le djihad se démocratise. Don't Panic !

Martyriser un Premier prix ? T'entendrais France-Culture ! Suzanne et la Comtesse sont dans la maison, je les entends depuis la baignoire. Ça me coule sur le ventre, lumière du son soyeux, joie du bon goût sans partage, ombres heureuses, phrases liquides comme des mains jointes dans la prière. Nous sommes dans un château de lumière, la tête dans le triangle aux odeurs, prêts pour le voyage immobile, torrents, roches, prairies, vaches, danseuses, éclats du vide qui revient par derrière, et nous nous allongeons sur l'herbe, près du grand lac, le soleil par-dessus. Je suis contre elle, elle est contre moi, ça y est, je retrouve sa voix, la chaleur de ses seins, dans le refuge du Parmelan, avec les autres, puis immédiatement au bord du Thiou, la nuit, sous un pont, on regarde l'eau, mais ce n'est plus seulement de l'eau, bien sûr, c'est le temps qui se coule en nous comme un serpent de feu, qui nous ouvre des yeux au-dedans, des yeux perdus, agrandis, sous perfusion, Terry Riley son coupé, vitamines au bout des doigts, on se touche, mais ça touche ailleurs, plus loin, plus près, bout touchant du but en expansion, le sexe dans l'iris, la parole fondue, en magma, qui vient nous surprendre quand on se tait en apnée, ah, la belle nuit, Christine, on ne sait même plus qu'on s'aime, ni qui tu suis ni que je es, on a la vie déjà passée en mémoire vipérine qui passe de l'un à l'autre comme si nos mémoires communiquaient, j'ai très soif, j'ai très peur, mais tu ris, tu ris, et je m'étouffe de rire, sans avoir ouvert la bouche, quand je tombe en toi comme une cascade remontant à la source, ah, la belle nuit interminable, courte comme la pointe d'une épée, concentrée en un cri dilaté qui dure et dure et dure, qui coule sur ton ventre et me fait débander. 1972, année merveilleuse et qui dure encore, en première ligne. C'était bien, le LSD.