samedi 31 mars 2012

Freaks


Il y a six ans que je n'avais pas mis le nez dehors. Quand je dis dehors, je veux dire dans la rue, en ville, là où on croise des humains, ou ce qu'il en reste. Bien sûr j'allume la télé de temps en temps, mais ce n'est pas la même chose, ou alors c'est que je la regarde distraitement. 

 Ç'a été un choc. Je ne parviens pas à comprendre comment les choses ont pu aller si vite. Je me souviens encore parfaitement de l'été 1977, à Paris. Du printemps, plutôt. Je venais de m'y installer. J'avais une petite chambre, à la Nation. Juste la place pour le piano, au premier étage. Entre deux séances de travail, je sortais me promener à pied, je marchais beaucoup. Partout, je ne croisais que jeunes filles magnifiques, fraîches, souriantes, blondes ou brunes, qui me rendaient mes sourires, dont les cheveux n'étaient qu'invitation à une intimité rieuse, amicale ou amoureuse. Il y en avait bien sûr des moches, mais moches, vilaines, ternes, tristes, un peu ratées, abîmées, floues, cabossées, fatiguées, désabusées, usées, apeurées, dissymétriques, oui, tout cela existait, comme cela a toujours existé. Elles faisaient partie du paysage, comme les jolies, et ce paysage était harmonieux, équilibré, fluide. Ce n'est pas d'elles que je parle. 

 Ce que j'ai vu hier, durant les quelques heures que j'ai passées en ville, c'était bien autre chose. C'était même tout le contraire. Oh, bien sûr, j'ai croisé une ou deux belles jeunes femmes, mais même celles-là, je n'ai pris aucun plaisir à les regarder, je n'avais même pas envie de les observer. Le sentiment général était à la peur, à l'horreur, à l'incommensurable tristesse de voir un monde où la laideur a pris ses quartiers, a pignon sur rue, et quand je dis la laideur, je veux dire la monstruosité, la difformité, l'anormal devenu norme. Mais que s'est-il passé, Mon Dieu ? Quelle catastrophe, nucléaire, chimique, bactériologique, génétique, a eu lieu, pour que la face des humains change à ce point en quelques années ? Quelle malédiction s'est abattue sur Terre, sans bruit, sans aucune annonce, sans qu'aucun prophète n'en ait parlé, sans qu'aucun dingue frappant sur son gong ne vous en fasse la réclame ? Je n'ai vu que femmes difformes, obèses, avec des fesses tombant comme de la cire fondue, des adolescentes de cent kilos moulées dans leur jogging informe, toutes ayant soit la moitié soit le double de la taille ou du poids d'un être humain normal, avec des ventres dont celles qui en étaient affublées restaient naguère à la maison, trop honteuses de devoir imposer cette vision à autrui, avec des cheveux teints de couleurs hideuses, et avec des morceaux de métal dans le nez, dans les joues, dans les lèvres, les oreilles. Je me suis pourtant tenu au courant de la marche du monde, et jamais, jamais je n'ai entendu parler de cette catastrophe ! Comment se fait-il que personne n'en parle ? Est-ce parce qu'au-delà d'un certain degré dans l'horreur l'humain préfère se taire, comme les bêtes se cachent pour mourir ? Peut-être que la pudeur humaine a relégué la nouvelle dans des publications spécialisées auxquelles je n'ai pas eu accès, c'est possible, mais alors comment expliquer que cette même pudeur semble avoir complètement disparu de nos rues, de nos villes, et que tous ces monstres s'y étalent avec une indécence proprement démoniaque ? On me parle de nourriture, on me parle de terribles capitalistes qui ajoutent du sucre dans tous les aliments, on essaie de me faire croire que ces pauvres gens sont des victimes, qu'il faut les plaindre, qu'il faut les accueillir, qu'il faut leur faire une place parmi nous, en leur parlant gentiment. Je ne suis pas fou. Ces monstres sont des monstres, et ils colonisent la ville, la rue, la campagne, les places, les quartiers où il faisait bon vivre, imposant à tous leur laideur sans la moindre vergogne. Non seulement ils n'ont pas honte de leur laideur monstrueuse, mais ils veulent en imposer la norme, ils désirent que cette laideur prenne la place de l'antique beauté : ils appellent ça la "pride". Qu'il ait fallu emprunter à l'anglais un mot pour désigner cette maladie ne m'étonne pas. Il ne pouvait rien se trouver en la langue française pour nommer cette nouveauté diabolique, et pour la réalité qu'elle désigne, qui va entraîner à sa suite l'effondrement de tout le monde que Dieu nous avait laissé en héritage. C'est comme un immense trou noir qui va absorber tout ce que nous connaissions, tout ce que nous aimions, tout ce qui faisait la joie de nos sens, et qui nous faisait lever le matin avec de l'appétit dans les yeux, dans les narines, qui nous donnait envie d'ouvrir la fenêtre, la porte, d'aller marcher en ville, parce que la beauté y avait établi une présence qu'on croyait définitive et intangible. Quelle erreur, quelle funeste erreur !


mardi 27 mars 2012

Et pourtant ils parlent !



« Quelques animaux, dont un illettré. » (Max Ernst)


J'aimerais oser parler du silence des bêtes, pour reprendre ce magnifique titre d'Elisabeth de Fontenay. Ce silence tellement fascinant, tellement "humain d'inhumanité", tellement reposant, tellement intimidant. Ma vie, malheureusement, me conduit aux endroits où la noise ne laisse que peu de place à une si bienheureuse absence. Plus je me retire du monde réel, plus j'entends son fracas inepte et furieux. J'en viens à croire que l'île déserte n'a été inventée qu'à la seule fin de représenter la pointe toujours absente d'un désir aussi vain que commun, qu'elle n'est que la reproduction un peu décolorée d'une réclame désuète mais pourtant indépassable.

Disons les choses un peu brutalement. En-deçà d'un certain seuil d'intelligence, ou au-delà d'un certain niveau de sottise, il devient impossible de se faire comprendre de ces bestiaux-là (les "ils" qui pourtant parlent). Plus on essaie, plus on fait l'effort de traduction nécessaire à cette entreprise grandiose qui est de parler à l'Homme, et plus vite la sanction tombe, majestueuse dans sa simplicité indifférente : on ne passe pas. On tintine, on gringotte, on gruine, on rougnonne, on roume, on baronne, on grillotte, on chicotte, on trinsotte, on pulpette, on croasse, on frigulote, on pipie, comme dirait l'abbé de Marolle, mais on ne passe pas ! Je ne peux même pas dire, comme le spectateur des Mariés de la Tour Eiffel : « Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants. » D'abord je n'ai pas d'enfants, Dieu merci, et surtout je n'aurais pas su les amener. Quels sont ces lieux où les hommes croient pouvoir se comporter plus mal que des hyènes, quelle carte géographique aurait le culot et l'impudeur d'en indiquer les coordonnées ? Là se trouvent les véritables déserts, ceux qu'on n'ose pas même nommer de peur d'y être aspiré par une force maléfique et sans volonté. Et puis les animaux, les vrais, ceux qui ont une âme, n'aiment pas ces trous noirs maudits où l'indéchiffrable destinée humaine se consume sur elle-même. Ils les fuient comme la Peste qu'ils sont en vérité, la peste d'une langue qui se mord la queue et avale ses propres enfants, où les âmes sont dispersées aux quatre coins de l'univers par un typhon placide. L'ennui est qu'on manque de mots, ou plus exactement de catégories. Si l'on veut caractériser la langue qui se parle, là, la chose qui se dit, le geste qui se fait, l'action dont on est le témoin, il nous vient par habitude et paresse les qualificatifs qu'on applique d'ordinaire aux bêtes, aux animaux, aux êtres sauvages, incivilisés, incultes, inurbains qui peuplaient la Terre avant nous. Se nourrir et se reproduire était leur seule morale, et personne ne saurait leur reprocher cette stricte adaptation aux besoins sans tomber dans la fable ou la légende. Pas de plus heureuse cohérence que celle qui fait persister à être.

Mais ce n'est pas ça. Il faut oser se ridiculiser en affirmant que la pire des bêtes est moins inhumaine que les humains qu'on rencontre dans ces lieux qui prétendent figurer le sommet du triangle de la civilisation : je parle des lieux culturels. Nul besoin de GPS pour trouver "les lieux culturels" ! Suivez votre instinct : là où la goujaterie le dispute à la muflerie, là où la grossièreté est la règle d'or, là où la stupidité atteint son comble et fait fuir les reliquats timides de ce qu'on nommait jadis la Beauté, là se trouve désormais la Culture. Là elle a fait son nid, de là elle diffuse, là elle attire tout ce que les cités comportent de déchets, de papiers gras et collants, d'êtres fétides et patibulaires, dans un mouvement à la fois centripète et centrifuge, car non contente d'attirer en son sein l'humanité désœuvrée et radio-passive, elle la renvoie ensuite infecter la cité. Elle est la nouvelle religion, la religion de ces humains dont le progressisme emphatique et hystérique cache mal un conservatisme désespéré et flatulent, qui ne fait que ressasser (depuis quarante ans) indéfiniment les reliefs désarticulés d'une sous-culture décadente. Les petits robots lobotomisés et tristes qui fréquentent (comme on le disait autrefois pour les relations sexuelles des jeunes gens), vont par la ville, ressort remonté par une main invisible, infatigables soldats de la Cause. La Bonne Cause. Plus ils sont vitrifiés, lubrifiés, programmés à faire leur éternel petit sermon bancal en nov'langue, plus ils ont de succès. La Cause les remercie, leur trouve des filles, des places, des emplois, des statuts. Ils sont les notables d'aujourd'hui, sans la culture et les lectures de ceux de naguère. Leurs sorties (car ils sortent beaucoup) ressemblent à s'y méprendre aux allers et venues des bigots d'autrefois. Ils ont des abonnements de toutes sortes, comme leurs ancêtres allaient à toutes les messes, ils vont à toutes les "manifestations", ils sont de tous les "événements". Comme on reconnaissait leurs pères à leur vêture et à leur parlure, on les reconnaît à ce qu'ils ne s'habillent jamais ni ne savent parler. Ils viennent comme ils sont, et c'est déjà énorme, et c'est déjà tout. S'ils sont musiciens, ils ne saluent pas le public, ils veulent en tout point lui ressembler : et comme celui-ci ressemble à tout, c'est-à-dire à rien, plus rien ne distingue le musicien de son public, ce qui ma foi me semble tout à fait dans l'ordre des choses, puisque ni les uns ni les autres n'ont à leur disposition quelque chose qui ressemblerait à un savoir, à une connaissance, à une technique, disons-le d'un mot, à un art. La dette est exclue une fois pour toutes du circuit symbolique qui réunit le producteur du consommateur ; je ne vous dois rien, vous ne me devez rien, nous sommes à égalité. Dès lors en effet que "l'artiste" n'a à sa disposition aucune réelle expertise, aucun langage propre, aucune langue travaillée jusqu'à la corde (c'est-à-dire jusqu'au cœur), comment pourrait-il se différencier du vulgaire venu "participer" à la messe dont le vin est mauvais et le pain rance d'avoir tant servi ? Le postulat étant : « je ne suis pas plus artiste que vous », comment pourrait-il y avoir quelque chose, ne serait-ce qu'un je ne sais quoi, qui passe de l'un à l'autre ? Comment donner lorsqu'on on n'a rien à donner ? La chose, ou l'absence de chose, passe de main en main comme un furet visqueux et réfléchissant où chacun ne fait que se regarder et se trouver tout à fait comme il faut. En général, à ce type de production correspond très naturellement le verdict : sympa. Comment pourrait-il en être autrement ? "Sympa", cela signifie qu'on est ensemble, que c'est convivial (comme si l'art pouvait être convivial !), qu'on va passer une bonne soirée (ah, comme on l'entend, ça, le fameux « bonne soirée » !), et cela signifie surtout et en fin de compte qu'il se produit du "on". La Culture (celle qui a remplacé l'art), désormais, sert avant tout à produire du "on". Le "nous" n'existe plus dans la société et le "je" n'existe plus dans l'art, ou plus exactement le "je" est naturellement exclu d'une société dont l'art a été chassé, et remplacé par La-Culture, sans que personne ne voit la moindre différence là où pourtant il n'y a qu'une grossière contrefaçon, du genre des photos retouchées du Stalinisme anté-Photoshop. Il y aurait beaucoup à dire, d'ailleurs, de la chronicité qui a pu produire le goulag et le Numérique, la manipulation sans fin des symboles et des vivants, la mise au même niveau du simulacre et de la production réelle. Comme si la "démocratie radicale" n'était que la fille naturelle du communisme et de la Technique. Il aura fallu des siècles et des siècles pour que l'homme s'aperçoive que la Terre était ronde, qu'elle était en mouvement, mais il aura suffi de quelques décennies pour la rendre plate à nouveau. Notre prodigieuse époque a réalisé l'exploit de faire que la Terre ne tourne plus, l'a arrêtée dans sa course ; il est toujours midi, désormais, où qu'on soit, quelque langue qu'on parle. Midi, l'heure où le soleil est à la perpendiculaire de l'homme couché dans son tombeau, où les ombres s'enfuient avec la mémoire, où tout est aplati par la lumière impitoyable du présent indépassable… Il y a deux sortes de morts : la mort qui est associée à la nuit, à la disparition, à l'ombre, au vide, au manque, à la perte, au froid, à l'unique, celle qu'on n'ose plus nommer ; et il y a la mort moderne, enchâssée dans la reproductibilité sans fin de la Technique, la mort en plein soleil, sans pourriture, sans hurlements, sans larmes, cette mort bien plus terrible, qui n'ôte rien, qui ne referme pas la phrase d'une vraie ponctuation, cette mort qui se signe des trois points (bref arrêt sur image) n'appelant qu'un remplacement, que l'image d'un autre corps, d'un autre être, pas plus vivant que le précédent, dans la grande horizontalité morne du présent arrêté.

Francus était là. Il est traducteur. Il me dit qu'il doit traduire des textes qui, n'ayant pas le moindre sens dans la langue dans laquelle ils ont été rédigés, doivent être inventés de toute pièce. Bien sûr, personne ne s'aperçoit de rien, ce qui est bien naturel, puisque le scripteur lui-même ne sait pas ce qu'il a voulu écrire. Cet "écrivant" produit donc des textes dont il attend (peut-être) un sens par le biais de la traduction. Il y a là quelque chose qui nous plonge dans une sombre angoisse métaphysique. Mais à la réflexion, il n'y a pas de raison. La traduction est désormais le fait des machines. Les machines ne pensant pas, elles peuvent en toute bonne foi inventer un sens qui n'était pas là, qui n'a jamais été là. Leur absence de scrupules les délivre du doute, et du désir qui fait qu'un homme veut toujours s'approcher d'un autre homme, quitte à le tuer. Dans une des pièces de mon disque ("Double silence plein la bouche"), intitulée « Richard Travaille ! », je raconte "la journée d'un compositeur". On l'entend qui tape à la machine (oui, les compositeurs utilisent des machines, dorénavant), après avoir écouté des enregistrements de voix qui parlent. Il traduit. Seulement, il traduit des langues qui n'existent pas, des mots qui n'ont pas le moindre sens. Ce sont des robots qui parlent, et l'homme est donc là pour donner un sens à ce qui n'a aucun sens. On pourrait penser, à première vue, qu'il s'agit bien là du travail du compositeur, puisqu'il est censé inventer une langue. C'est tout le malentendu. Un vrai compositeur, me semble-t-il, doit traduire ce qu'il entend intérieurement, ce qui le traverse. Il n'invente rien, au sens où l'on entend ordinairement ce terme. Il n'y a que les sourds qui ont besoin d'inventer. Depuis que tout le monde est artiste, les sourds ont envahi le monde des compositeurs, on s'en doute. Ceux-là (les sourds) n'ont de cesse d'"inventer", d'"avoir des idées", de produire des concepts (ou de s'y adosser). Le même phénomène exactement est à l'œuvre en littérature. Depuis ce moment-là, on entend les mêmes connasses qui prennent la pose et vous disent, parlant d'un livre : « C'est bien écrit. » Bien écrit ? J'aimerais bien un jour qu'on m'explique ce que cela signifie, exactement. Quand j'entends ce syntagme figé, j'ai toujours dans l'oreille les mots d'Albert Cohen, dans le Livre de ma mère : « Ce rouge, comme il est sensuel ! — Et ta sœur, elle est sensuelle ? » Tous ces livres sans le moindre style qui sont paraît-il "bien écrits", toutes ces musiques sans musique qui seraient paraît-il bien écrites ? Foutaises ! Oh, je sais bien que je parle de moi aussi, soyez sans crainte. Depuis que je suis enfant, j'ai la conscience très développée de la nullité absolue de ce qui n'est que médiocre. En art, la médiocrité est plus mortelle encore que la nullité, je le sais depuis toujours. Mon père m'a au moins transmis cela. Il y a bien longtemps que les artistes médiocres ont cessé de se suicider, et c'est sans doute cette absence de suicides qui a fait le plus de mal à l'art. Désormais, nos non-suicidés sont "intermittents". Ceux qui se suicident aujourd'hui sont gardiens de prison ou "profs". On les comprend. Combien de fois me suis-je dit que me suicider me priverait de Bach, de Strauss ? Ces pauvres "profs" n'aiment de toute façon ni Bach, ni Strauss, que leur reste-t-il alors à regretter ? Vont-ils réellement regretter le RAP ? Quand-même pas.

Je ne sais plus qui disait : « Pour maîtriser une langue, il faut en parler au moins deux. » À l'heure où plus personne ne parle une seule langue, on ne s'étonnera guère que la maîtrise d'un langage (d'une techne) soit devenu aussi courant que la courtoisie et la délicatesse de sentiments. Si l'on mesure ces aptitudes à l'aide d'un thermomètre, je pense qu'on approche du zéro absolu, qu'on devrait atteindre, au train où vont les choses, avant même que je sois en terre. De même que l'homme a mis des siècles à comprendre (partiellement) où il avait l'honneur d'avoir pris racine, il a mis des siècles à se séparer de la sauvagerie qui était naturellement en lui. Je crois qu'aujourd'hui, et cela en quelques années, s'est opéré un retournement spectaculaire : l'homme est désormais à l'écoute de la bête, dont le silence nous interroge plus que jamais sur ce qui fait (ou défait) notre humanité. La gratitude n'est pas le propre de l'homme, on le sait, alors que les animaux nous disent sans cesse "merci !". J'ai la chance de vivre auprès d'un être qui sait me dire "merci" en toutes les langues, et cela cinquante fois par jour. Cela me console un peu de la sauvagerie fruste des humains que j'ai croisés durant les quelques jours où j'ai dû sortir de ma demeure. Ma chienne n'est jamais grossière. C'est un privilège dont je mesure le prix à chaque instant.

Comment en est-on arrivé là ? L'autre jour, presqu'innocemment, je dis à l'un de mes amis que le site d'une connaissance commune est à mes yeux insupportable. Pourquoi insupportable ? Insupportable de prétention, gonflé d'une boursouflure à la fois naïve et retorse, bardé de citations mal comprises — mal comprises dans le meilleur des cas. Je dois prononcer ces mots : « Tout ce que je déteste ». Que n'avais-je pas dit là ! Interruption instantanée de l'image et du son, pour une grosse semaine, alors que nous nous écrivions quotidiennement, d'ordinaire. Réponse du genre : « Je me fiche de ce qu'il écrit ; je l'aime ! » [C'est moi qui rétablis la ponctuation et les signes syntaxiques.] Il faut donc comprendre que ce que l'on écrit n'a aucune importance, que ce n'est écrit que pour… Pour quoi, en définitive ? Comme on choisit une cravate, une paire de chaussettes, un slip ? Comme un chien marque son territoire en pissant sur le trottoir ? Oui, je pense que la comparaison n'est pas si mauvaise. D'ailleurs combien de gens disent "c'est marqué", pour "c'est écrit" ?! Allons-y pour Levinas, Deleuze (non, pas possible ???), et toute la caravane habituelle… Il y a des philosophes-écrivains, comme ça, qu'on peut acheter en gros au marché aux puces de la "pensée", semble-t-il. « Tiens, je vais vous prendre un kilo de Derrida, cette semaine, je vais beaucoup sortir. Allez, mettez-moi cinq cents grammes de Foucault, ça peut toujours servir, je vais dans le XIIe. Ah mais je vois que le Barthes est en soldes ? On peut avoir un prix de gros ? J'me fais un site, vous comprenez ! » Aucune importance, ce qu'on écrit, ce qu'on dit, et en prime, il est interdit d'avoir la moindre discussion sur ce qu'on avance. Après une entrée en matière pareille, on se demande un peu de quoi est faite l'amitié en question, haut proclamée. Si au moins ils baisaient ensemble, mais non, ce sont juste des "amis". Cette peur panique de la discussion, ou le mépris en lequel elle est tenue, si ce n'est pas un signe de la barbarie, alors je ne comprends plus rien à rien.

Et de fait, je peux, quelques jours seulement après cette non-explication, prendre toute la mesure du non-prix de la Parole, écrite ou donnée. Le "musicien" en question, ayant beaucoup insisté pour jouer avec nous, alors qu'il n'en était pas question au départ, décide de ne pas avoir à donner la moindre explication, le jour-même du concert prévu depuis six mois, quand il décide d'être malade et donc de ne pas se présenter pour le concert. Je sais, la chose paraît tellement invraisemblable qu'il faut que je la relate dans le détail. Le matin du concert, comme cela se fait fréquemment, je téléphone à la personne qui organise la chose, pour "prendre la température" et incidemment lui dire que tout est normal, de mon côté. Ce gentil garçon me dit que le percussionniste en question est "malade". Je reçois l'information sans trop d'émoi, je l'avoue. En effet, en quarante ans de "carrière", j'ai eu le temps d'en voir, des musiciens malades (y compris moi). Je dis deux mots, du genre : « Ah, c'est dommage, il ne sera pas en forme. » Mais j'appelle tout de même le troisième larron. Là, j'apprends que la "maladie" du percussionniste (que j'ai croisé à mon vernissage l'avant-veille, et qui m'avait l'air tout ce qu'il y a de plus en forme) va « l'empêcher de jouer ». On s'attend, vous vous attendez tous, j'imagine, à ce que la maladie en question l'ait cloué sur une table d'opération, ou qu'il soit à l'article de la mort… Las, il s'agit d'une "grippe", nous dit-on. J'avoue que je vois rouge. Jamais, je dis bien jamais, pas une seule fois, je n'ai vu un musicien ne pas jouer parce qu'il avait de la fièvre. Tous ceux qui sont montés sur scène vous le diront : le meilleur médicament est encore la décharge d'adrénaline qu'on reçoit quand on doit se produire en public. Ce médicament n'est que provisoire, certes, car c'est pire après, mais il est incroyablement efficace. On n'imagine pas le nombre de concerts qui devraient être annulés si l'adrénaline n'existait pas ! Bon, on n'a jamais vu ça, mais après tout, il faut bien un début à tout, et la Haute-Savoie semble-t-il est généreuse en surprises en tout genre. Je fais donc contre mauvaise fortune bon cœur, et m'étonne simplement que personne n'ait songé a remplacé le grand malade, ce qui, encore une fois, se fait, dans ces cas-là. A-t-on jamais vu un siège vide, dans un quatuor, même en cas de mort subite ? Mais l'affaire ne s'arrête pas là. J'apprends, dans la même conversation, et là je dois dire que la bile commence à envahir dangereusement mon cerveau, que le grand-malade en question, à qui l'on disait gentiment : « Tu pourrais quand-même téléphoner [à quelques heures du concert] pour dire que tu ne peux pas jouer ce soir » répond tout benoîtement : « Ils vont bien s'en apercevoir, que je ne suis pas là ! » Je ne sais pas si vous entendez bien la phrase que je viens d'écrire, alors je vais la recopier : « Ils vont bien s'apercevoir que je ne suis pas là. » "S'apercevoir", verbe pronominal du troisième groupe. Genre : « Ben quoi, chuis malade, c'est comme ça ! » Je suis comme je suis, il faut me prendre comme je suis, je viens (ou je ne viens pas) comme je suis, etc. On a là une forme particulièrement aboutie du soi-mêmisme contemporain, le soi-mêmisme dans toute sa splendeur, presqu'un diamant, dans le genre. Non seulement la parole donnée n'a aucune, mais alors aucune importance, mais en plus il n'y a même pas besoin de s'excuser d'y manquer, ce qui est somme toute très logique, pour une parole tellement dévaluée. Rien à fout', comme dirait Papa. « J'ai oublié j'ai oublié ! » me répondait la secrétaire d'une petite entrepreprise qui venait de manquer gravement à sa parole – me mettant dans une situation très ennuyeuse —, voulant sans aucun doute me signifier par là qu'on n'allait quand-même pas en faire un fromage, quoi ! Je n'allais tout de même pas avoir le mauvais goût de lui faire le moindre reproche, à cette brave dame, et tant pis si les vingt-cinq tableaux commandés (et payés…) n'étaient pas prêts à temps pour l'exposition ! J'ai oublié j'ai oublié… Chuis malade chuis malade… Voilà… Il vous faut comprendre que si vous persistez à trouver cela anormal, c'est que VOUS êtes anormal, que VOUS êtes un chieur, que VOUS êtes trop "à cheval sur les principes". Dégagez, y a rien à voir. En résumé, si l'on vous manque de respect, c'est que vous êtes, vous à qui on a manqué de respect, dans votre tort. Si l'on manque à la plus élémentaire politesse, je dirais même à la plus élémentaire décence, il faut traduire ça par : à la bonne franquette, j'veux dire. Tu voulais un percussionniste, t'en n'as pas, c'est comme ça et pis c'est tout. On peut tirer de cette petite mésaventure une autre conclusion, parmi beaucoup d'autres, toutes aussi édifiantes : le type qui se gargarise de Levinas sur son site est capable de se comporter de cette façon-là. Levinas, le philosophe qui, parlant de l'impératif de la politesse, nous dit qu'il s'agit de dire "après vous", de toujours en quelque sorte faire passer l'autre AVANT SOI. On peut donc à la fois citer Levinas à tour de bras et se comporter comme le dernier des mufles, comme le plus minable des "racailles" de banlieue. Cet "à la fois" est vraiment très intéressant. Cela ne peut pas ne pas signifier que la parole n'a effectivement plus aucune valeur, et plus encore, que le principe de non-contradiction est désormais aboli une bonne fois pour toutes. Il n'est même pas question de chercher à se justifier. Le "c'est comme ça" est une clef qui coupe court à toute discussion, à toute justification, à tout remords, à toute vergogne, à tout souci (de l'autre, mais aussi de soi). On conçoit qu'avec de tels humains il ne soit guère facile de "faire de la musique", et je dois donc m'estimer heureux de cette maladie inopinée et providentielle. Je ne m'étonne donc pas non plus que la prose d'un type pareil soit absolument imbitable, sans queue ni tête, sans aucun respect pour la langue qui nous constitue et participe de notre être le plus profond. Ces gens-là n'ayant aucun respect pour eux-même, comment pourraient-ils en avoir pour la langue ? En revanche, ce sont bien les mêmes qui vous feront des leçons de morale à tout propos, vous expliquant qu'ils sont des résistants-par-nature, eux, et qu'en conséquence ils ne sauraient que se trouver toujours et à jamais du bon côté de la barrière ! Les Justes sont déliés par nature de toute justification à apporter à leurs actes… puisque justes ils sont ! Ils n'hésiteront pas, ces courageux hommes de bien, à dénoncer (ils adorent dénoncer) les méchants coupables d'antan, les Karajan, les Furtwängler, les Schwarzkopf, tous ces horribles et sombres personnages qui ont fait, bien sûr, le malheur de l'humanité, pendant que nos doux bambins ne songeaient, eux, qu'à nous rendre la vie douce et facile, nous berçant de leur sublime musique et de leurs bons conseils d'hommes du Bien. Ces Gentils-par-nature auraient été des héros pendant la guerre, des résistants à toutes les oppressions, et ils ont, nous le constatons chaque jour, grandement œuvré à faire de l'art contemporain la sublime et passionnante chose qu'elle est devenue. Rendons grâce, mes frères, à ces artistes hors pair ! Sans eux, je n'ose même pas imaginer dans quel monde nous vivrions… Ils ont vaincu, c'est un fait. La langue est par terre, la syntaxe est détruite, la ponctuation est sens dessus dessous, plus personne ne se comprend (ce qui devrait tout de même les alerter un peu, s'il leur restait un fond d'intelligence), l'art est ridiculisé chaque jour, le RAP est l'égal de Wagner (que dis-je, il lui est bien supérieur !), nous nous débrouillons avec quelques dizaines de pauvres mots défigurés, mais le Grand Bénéfice est atteint : il n'y a plus ni frontières ni genres ni styles ni catégories ni hiérarchies. Hourra ! Hosanna ! Tout le monde voit bien, tout le monde peut constater que le bénéfice est immense, sans commune mesure avec les sacrifices auxquels il a fallu consentir ; "On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs", disait-on déjà du temps où nous étions tous éperdus d'admiration pour le Grand Timonier ou les sympathiques progressistes amis du genre humain, au pouvoir en URSS. Les œufs, ce sont la beauté, l'honnêteté, le travail, l'artisanat, le savoir-faire, la lente maturation d'un langage original qui se cherche durant une vie entière, le respect de ceux à qui l'on s'adresse, le Surmoi (le Surmoi étant "déconstruit", ne reste que le Moi, le tout puissant Moi du Soi-mêmisme…). L'omelette, je n'ai pas besoin de la décrire, vous en mangez chaque jour…

Marguerite Yourcenar disait que « la musique est discrète, elle ne se plaint pas, et quand elle se plaint, elle ne dit pas pourquoi ». J'ai déjà écrit à plusieurs reprises que « la musique a peur », et qu'elle se cache. Je voudrais que la musique se plaigne, qu'elle ose se plaindre, qu'elle puisse dire pourquoi elle se plaint, mais je sais que Yourcenar a raison, qu'elle ne le fera jamais, car telle n'est pas sa fonction, telle n'est pas sa morale. La pudeur est encore un de ses attributs véritables. Au moins se cache-t-elle, et j'espère de tout mon cœur qu'elle restera cachée jusqu'à des temps meilleurs, si le Temps lui-même ne décide pas de se dérober sous nos pas de rhinocéros.

Comme Chantecler, le coq d'Edmond Rostand qui croit que c'est lui qui fait lever le soleil grâce à son chant matinal, les animaux de cette basse-cour moderne se payent de mots, et croient qu'on peut convoquer l'art à coups de cris vermeils lancés d'une trompette éraillée. Dans cette même pièce, le chien Patou dit de lui-même qu'il n'est qu'un bâtard, un horrible mélange, mais il tire gloire de cette condition, et lance : « Mon âme est une meute assise en rond, qui songe ! »

Total respect !

(Texte du 26 avril 2009 ressuscité par décret princier pour cause de crachat dans l'oreille)

dimanche 25 mars 2012

Devoir citoyen : Mouloud


K'est-ce i m'veut, çui-là, tu veux que j'téclate la face ?

Bonjour Mouloud, non, bien sûr, attendez un peu, on veut seulement savoir…

C koua ton blème, t une tarlouze ?

Euh, écoutez, là n'est pas la question, voyez-vous, nous voudrions savoir si vous allez voter et pour qui.

P'tain mè t grave toua ! Pour ki j'vote, moua, non mè tu m'as vu ou koua? Pour Monsieur Renaud Camus c hévident, tafiole !

Ah oui, c'est intéressant, ça, et qui est ce Renaud Camus, Mouloud ? Un copain à vous ? Il veut se présenter aux élections présidentielles, c'est ça ?

Face de crabe, r'tourn' lire Du Sens, avant k'j m'énerv', sérieux, g la rage, là !

vendredi 23 mars 2012

Deux phrases suffisent amplement.


À quoi reconnaît-on à coup sûr la réalité ? C'est bien simple : elle est toujours pire que ce qu'on avait pu imaginer dans nos pires cauchemars. Vous voulez des preuves ? Je les donnerai, peut-être, si Dieu me prête (encore) vie, mais comme j'ai déjà emprunté beaucoup, ce n'est pas certain du tout.

jeudi 22 mars 2012

Les Questions


Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? Qu'est-ce que l'homme ?

À ces quatre questions traditionnelles, je réponds, sans la moindre hésitation :

RIEN.

Et j'ajoute que l'homme qui se surnomme Georges est précisément celui qui ne peut répondre que RIEN à ces quatre questions, à ces questions que personne ne lui pose, puisque Georges est personne. Ne se les posant pas, il y répond pourtant, c'est le propre de l'étant Georges. Si en plus de ça on lui posait la question : qu'est-ce que l'être ? il répondrait sûrement au questionneur d'aller se faire foutre. Répondre à quatre questions non posées : très bien, on en a vu d'autres. Répondre à une cinquième question après avoir répondu "rien" aux quatre premières : non ! Il y a des limites à ne pas franchir, surtout lorsqu'on revient du garage et qu'on a dépensé 750 euros à réparer un train arrière à qui l'on n'avait rien fait, et que tous les gens ayant assisté à la scène ont fait mine de la trouver parfaitement normale, banale, évidente, même. Aurait-il fallu que je sorte mon 11,45 (ou 11,43 ?) pour qu'ils daignent avoir l'amabilité de prendre un air consterné, qu'ils fusillent (du regard) la secrétaire qui m'annonçait la nouvelle avec le ton de qui vous apprend que l'année est bissextile, que le printemps est légèrement en retard, ou encore qui vous demande de quelle race est votre chien ?

« De quelle race est votre chien ?

— 750 euros ! »

J'ai toujours aimé écrire des dialogues.

Les aventures d'HyperMac (épisode 2)


Alors Neptune parla ainsi :

Si tu veux mettre ton pare-feu à toutes les sauces, moi je dis OK, mais bon, après faut pas venir te plaindre que le réseau y soye un peu largué, quoi.

Calypso, couchée sur le côté, une grappe de raisin en main, les couilles de Mentor en bouche, fit les gros yeux, et l'on vit onduler sa croupe d'est en ouest, ce qui était toujours signe d'ironie, chez la déesse.

HyperMac n'était pas très à l'aise. Il fit mine de déboucher une nouvelle bouteille pour Eucharis, occupée à lire un mode d'emploi traduit du grec ancien en corse. Le ciel était clair, les ombres fatiguées d'attendre, et le chien Richard, en rut, comme toujours, voulait à toute force chanter le dernier acte de Farsipal en Mésopotamie, qu'il venait d'achever. Neptune lui fit signe que ce n'était vraiment pas le moment.

Face à eux, le lac profond et froid, plein de poissons d'or en contrepoint des astres cuivrés. On sentait là comme un grand secret qui n'avait rien à prouver. Vie paradoxale.



mercredi 21 mars 2012

Au théâtre ce soir


Grand spectacle en Belgique, grand spectacle en France. On est gâtés ce soir. "Une journée évidemment très chargée en émotion", nous zozote Lolo Ferrari de toute la grâce de son ministère maternel. Un instant auparavant, elle avait rappelé à l'ordre les deux clowns des-deux-communautés-religieuses qui avaient la prétention de vouloir dire quelque chose sur son plateau de bruits de mère. Ici, on ne dit rien, Messieurs ! leur a-t-elle asséné de toute la hauteur de son quatrième et ultime pouvoir, ce qui se traduisait à peu près par : "L'heure est à l'émotion."

L'heure est à l'émotion, dormez, bonnes gens, il ne se passe rien dans le beau royaume de France, et me parlez même pas de l'Europe ! Émotionnez-vous ce soir, demain soir, après-demain soir, et pour tout le reste de votre vie, chialez un bon coup mais si possible en cadence : il n'y a ni problèmes, ni choc des civilisations, ni rien de que vous croyez voir chaque jour, tout cela n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais que dans les cerveaux malades de ceux que nous allons nous occuper de rééduquer, de soigner, et plus si affinités. L'heure est à l'émotion, c'est l'printemps, ya d'la joie, bonjour bonjour les Salafistes, Patrick Sébastien vous demande de reprendre en chœur et Dijon Bourdier nous rappelle qu'il l'avait bien dit, que ses équations étaient parfaitement justes, et ce depuis mille ans (Charles Martel, c'était lui, la Pucelle, c'était lui, De Gaulle c'était lui, Paco Rabanne aussi !) ! C'est le Grand Ceci c'est le Grand Cela, prenez tous vos responsabilités, y'en aura pas pour tout le monde ! Même Didier Goux se met à envoyer des lettres d'amour à Georges, c'est dire que l'heure est à l'émotion !

De toutes parts, ce soir, les signatures affluent, j'en ai déjà 501 sur mon bureau mais je ne sais plus à quoi elles devaient me servir. Peut-être une pétition de soutien à Jean-Michel Ribes, ce colossal artiste sans qui les valeurs de la République vacilleraient sur leur socle ? 501 signatures qui demandent la fermeture du blog de Georges ? 501 dénonciations pour homophobie ? Peu importe. Le tout est qu'elles soient là, nombreuses, joyeuses, ludiques, citoyennes, festives, graves, républicaines, tolérantes, vivrensemblistes, progressistes, diversitaires, humanistes, démocrates, branchées. Ce soir, I have a vision : je vois tous les Français, du Vieux Port à Montfermeil, habillés de la chemise blanche de BHL, le regard sombre, le poitrail offert et la tempe moite. Ils errent dans les rues à la recherche de leur flash-mob, entre Toulouse et Bruxelles, ils veulent étreindre le réel, l'investir de leur confiance en un avenir où tous les mots-méchants auront été éradiqués (bip, bip, bip), saloperies de mots, un futur où le cool coulera dans les veines de chaque adoyen débarrassé enfin de son cerveau reptilien, de son genre, du sexe, de la clope, des poils et du passé.

Encore un effort, Adoyen, la comédie est un art difficile ! Je ne sais pas pourquoi je pense aux Bouddhas de Bâmiyân, explosant là-bas, loin de chez nous, très loin. Les Talibans, ça c'est des gars qui savent s'amuser, on va dire. Ça c'était de la fête, Coco ! Le grand Magic Circus qui se tient ici jusqu'au 6 mai va avoir un peu de mal à rivaliser, mais grâce à la blogosphère, on aura tout de même l'impression qu'il se passe quelque chose en France, et que l'heure est à l'émotion, encore et toujours.

Heureuses années


Il faut toujours écouter attentivement les mélodies françaises. Il faut écouter attentivement les poèmes des mélodies françaises, surtout lorsque leurs vers sont chantés par des musiciens français qui aiment et connaissent leur langue. Paul Bourget n'est pas en odeur de sainteté chez nos critiques modernes et c'est une raison de plus pour écouter Les Cloches, de Debussy, chantées par Gabriel Bacquier.

Rhythmique et fervent comme une antienne,
ce lointain appel
me remémorait la blancheur chrétienne
des fleurs de l’autel.
Il m'aura fallu attendre ma cinquante-sixième année pour apprendre qu'on prononçait antienne comme ça s'écrit, avec un "t", et non pas "ancienne", comme je l'ai toujours fait, ce qui fait, en outre, que la rime du poème s'en trouve changée.


Ces cloches parlaient d’heureuses années,
et, dans le grand bois,
semblaient reverdir les feuilles fanées,
des jours d’autrefois.
Quelle merveille que la mélodie française qui nous fait entendre la poésie, qui nous la fait entendre non pas mieux, ou plus, mais tout simplement entendre.

mardi 20 mars 2012

Espace courbe


Depuis quelque temps, j'ai l'impression d'être atteint d'un problème d'audition assez banal (Richter, entre autre, était touché par ce mal) mais terrifiant pour un musicien : il me semble parfois entendre les notes aiguës plus basses qu'elles ne sont en réalité. La première alerte a eu lieu en entendant Oïstrakh par hasard à la radio il y a quelques semaines, et, depuis, j'ai eu plusieurs fois la même impression. Encore hier après-midi en entendant Rita Streich chanter un peu bas sur une note tenue dans l'aigu. D'un autre côté, je ne comprends pas comment il est possible, alors, que j'entende d'autres notes de la même Rita Streich, dans la même tessiture, chantées absolument justes… Est-ce que ces notes-là seraient en réalité trop hautes, et seraient en conséquence "corrigées" par ma déficience ?

Bien entendu, il est fort possible que mon ouïe se porte comme un charme et qu'Oïstrakh comme Streich aient eu de petites défaillances en terme de justesse, bien compréhensibles et somme toute banales. Mais alors pourquoi est-ce que j'ai pensé que mon ouïe seule était en cause ? C'est très mystérieux, et très angoissant.

Les notes litigieuses (notes tenues) ne me semblaient pas devoir (pouvoir) être fausses, en la circonstance, et compte tenu du musicien qui les produisaient. Mais tout cela est tellement singulier, tellement dépendant de multiples facteurs, qu'il est assez difficile de se prononcer avec certitude.

Avec mon père, le jeu favori était de poser des questions du genre : est-ce que tu préférerais être sourd ou aveugle ? Évidemment, on se dit immédiatement qu'un musicien préfère être aveugle que sourd. Mais rien n'est moins sûr en réalité. Nous avons toujours notre oreille interne qui, si elle ne remplace pas le sens de l'ouïe, donne tout de même de grandes satisfactions, pour qui a passé sa vie à écouter et à entendre la musique. Et puis, mon Dieu, ne plus voir les femmes, ne plus pouvoir regarder le corps de la femme qu'on aime, comment est-ce ? D'un autre côté, là aussi, le toucher (et l'on peut dire que de ce côté-là je suis plutôt gâté) peut en grande partie palier le défaut du regard. Mais que signifie "en grande partie", là est toute la question ! À cela il faut ajouter la nature. Ne plus pouvoir voir la nature doit être une atroce souffrance, j'imagine. Ne plus ouvrir une fenêtre sur le monde… Brrr !

(Je reçois à l'instant un coup de téléphone de quelqu'un qui charitablement me rappelle que "je fais de la peinture". J'avais complètement oublié ce détail ! Évidemment, c'est sans doute un point à prendre en compte…)

Mais comme j'entends à l'instant Vadim Repin qui joue le concerto de Brahms, mon opinion est faite : je préfère l'ouïe à la vue, cela ne fait aucun doute. Allons donc nous faire crever les yeux de ce pas. D'autant plus que ses notes aiguës sont justes !

(Il ne manquerait plus que j'apprenne en cours de route que les deux fléaux sont en promotion en ce moment…)

samedi 17 mars 2012

L'affreux (suite française)

Les légumes sont damnés, disait Glenn Gould.

vendredi 16 mars 2012

Devoir citoyen : Nicole


Nicole, vous vous apprêtez à voter, dans quelques semaines. Peut-on savoir vers qui vous allez vous tourner ?

Vers le mur, comme d'habitude.

Je ne suis pas certain de vous comprendre. De qui parlez-vous ?

Mon Doudou il aime bien faire ça par derrière.

Ah oui, euh, bon, très bien, mais question politique, je veux dire, vous avez bien une préférence ?

Non, je les aime bien tous, en fait. Sarko je le trouve sympa, mais il aime peut-être trop les belles femmes. Hollande, il est bien, oui, je dis pas, mais depuis que Ségo l'a quitté, je le trouve un peu maigrichon. Enfin y en faut pour tous les goûts, je dis pas. Marine, elle est vraiment classe, c'est sûr, mais une femme, non, c'est pas possible, quand même. Le Bayrou, je lui fais pas confiance, moi, il est pas net, cet homme-là, moi je vous le dis. Il veut pas choisir, quoi, c'est pas sain, cette affaire. Mélenchon, y m'épate lui, alors ! Je passerais bien un samedi avec lui et mon Doudou, devant la télé. Enfin, non, quoi, c'est vrai que je pourrais voter pour n'importe lequel les yeux fermés. D'ailleurs je n'irai pas voter.

Ah bon, mais enfin, c'est un devoir, c'est votre devoir de citoyen, il me semble ! Des gens sont morts pour le droit de vote, je ne sais pas si vous le saviez ?

Non, je ne le savais pas. Mais comme je dis toujours : mon Doudou il vote pour deux, lui ça le connaît, la politique, alors il fait ce qu'il faut, si vous voyez ce que je veux dire. C'est bien les hommes qui mettent leur bulletin dans l'urne, non ? (rires)

Nicole, vous êtes drôle, mais vous n'êtes pas sérieuse !

Ah si, je suis très sérieuse. Faut pas plaisanter avec ces choses-là. C'est comme que si Louis XIV il avait demandé son avis à Marie-Antoinette pour savoir pour la campagne de Russie, genre. Chacun son métier, comme je dis toujours. Nous les femmes, on s'asseoit sur la lunette pour faire pipi, et les hommes ils font debout. C'est normal qu'ils votent. Et puis votre devoir mitoyen, là, vous voulez que je vous dise, c'est un truc de communistes. J'en connais, vous savez. J'ai des amies qui ont même voté Lajoignie, une fois, pour faire une blague. Mais pas moi. J'ai le sens des droits, moi, je ne suis pas une bagasse de la dernière pluie. Le communisme, c'est dans les pays où qui fait trop chaud pour travailler, là j'veux bien.

Pourtant vous semblez avoir un faible pour Mélenchon !

Pourquoi, il est pas communiste, Mélenchon ! Essayez pas de m'embrouiller. Je lis pas les médias tous les jours mais je me tiens au courant. C'est Poutine, le communiste, alors oui, celui-là, c'est un danger, ça d'accord ! Et mon Doudou, il dit toujours comme ça : Tant que Poutine, on l'embête pas, ça va. Faut pas aller le chercher, c'est tout. Chacun son métier.

jeudi 15 mars 2012

Vernissage



La première belle personne passant devant le buffet, elle va droit à la deuxième belle personne, sans l'ombre d'une hésitation. La deuxième belle personne est en conversation avec la troisième belle personne, chacune ayant un verre en plastique à la main. Elles parlent très fort car le bruit alentour est assourdissant, ou bien le bruit alentour est assourdissant parce que chacun parle très fort, on ne sait pas. La première belle personne, arrivant au groupe formé par la deuxième et la troisième belles personnes, agrippe d'une main très assurée l'épaule de la deuxième belle personne, coupant — en deux morceaux inégaux – de ce geste la phrase de celle-ci, qui se retourne, renversant un peu du contenu de son verre en plastique sur la troisième belle personne qui continue à sourire, cependant. Bisous. Présentations. Ah oui ! La troisième belle personne pense à son pull-over en cachemire, tout neuf, qui vient d'être taché par le jus d'ananas. Zut, ça colle. Elle n'ose pas sortir un mouchoir en papier de son sac pour essuyer son pull-over en cachemire tout neuf, elle a peur, ce faisant, d'être trop appuyée, de sembler vouloir démontrer à la deuxième belle personne qu'elle a indéniablement commis une bévue, qu'elle est maladroite, ou, pis encore, de vouloir faire reproche à la première belle personne d'avoir, de son geste inconsidéré et cavalier, amené la deuxième belle personne à commettre cette maladresse. Comme elle ne connaît pas la première belle personne, qui elle a l'air de bien connaître la deuxième belle personne, elle aurait l'impression de vouloir semer la zizanie entre elles, ce dont bien entendu il est hors de question qu'on la pense capable. Tant pis, se dit-elle, qu'est-ce qu'un pull-over en cachemire, même neuf, en regard de la sensibilité des belles personnes ? Elle ne voudrait pas passer pour quelqu'un de mesquin, de terre-à-terre, quelqu'un d'indifférent aux relations humaines en train de se tisser, là, devant elle, quelqu'un qui fait passer un pull-over en cachemire avant le ressenti et l'émotionnel de deux belles personnes qui sont venues admirer des œuvres d'art en présence de leur créateur ! "Le tissu humain", pense-t-elle, sans très bien savoir ce qu'elle veut dire par là, mais en ressentant nettement un échauffement au niveau du plexus solaire. Pendant qu'elle se fait ces réflexions, en essayant de ne pas penser à son pull-over en cachemire neuf, taché et collant, et en continuant à sourire, elle se dit qu'elle doit prêter attention à ce que se disent la première et la deuxième belle personne, qui échangent des propos terriblement pertinents sur l'artiste qui expose ses œuvres ce soir dans cette salle surchauffée et bruyante. Elle est vaguement inquiète de se rendre compte que malgré l'intérêt évident des échanges qui se tiennent à portée de son oreille elle parvient de moins en moins à prendre connaissance du sens de ces paroles et que ces dernières modulent peu à peu mais irrémédiablement en une langue étrangère qu'elle s'étonne de ne pas connaître car il est de notoriété publique qu'elle possède ce qu'on appelle le don des langues. Plus la conversation de la première et de la deuxième belles personnes sombre dans cette sorte de langue étrangement étrangère plus elle sourit, tentant par là de compenser la disparition du sens par une empathie visible et enthousiaste. Elle sent bien que l'un ne peut tout à fait remplacer l'autre, mais quelle autre solution a-t-elle, si elle veut continuer d'appartenir au cercle des belles personnes qui se rencontrent au vernissage d'une exposition de province, que de prouver sa bonne volonté et son désir de s'insérer dans le tissu humain, ce tissu humain si fragile qu'il ne résiste même pas à un peu de jus d'ananas renversé sur un pull-over en cachemire ?

C'est à moment précis qu'elle aperçoit Albert Camus, seul, errant, légèrement hagard, un verre en plastique à la main.

(…)

mardi 13 mars 2012

Soleil jaune


Un titre : les courbes se croisent et je croise les doigts. (On voit que la libido de Nico Loin du Clavier n'effraierait pas une écolière de dix ans… on ne peut que s'en féliciter.)

Mais qu'est-ce qu'on en a à battre que Sarkozy repasse devant Hollande ou le contraire ! Quand je pense que la moitié de la France est penchée sur les courbes des sondages au lieu de suivre des yeux les belles paires de fesses qui passent dans la rue à chaque heure du jour, j'en ai des sueurs froides et le vertigo. On va encore nous bassiner un bon mois avec le "devoir citoyen", c'est déjà assez pénible comme ça ! J'ai toujours aimé le jus de pamplemousse frais le matin et, même dans un pays au bord de la disparition, on trouve des pamplemousses et des paires de fesses, c'est vérifiable.

Sur la belle photographie que j'ai la bonté de vous offrir plus haut, on voit pourtant qu'on peut croiser (et même ployer sous) d'autres courbes, autrement inspirantes, et que les arts ménagers sont propices à des rêveries que ni Hollande ni Sarkozy ni Marine Le Pen ne pourraient susciter en moi même en se donnant beaucoup de mal. Ne parlons même pas de Mélenchon.

Ce sera la contribution de Georges au grand-débat-citoyen-autour-des-élections-présidentielles et au rétablissement de la double-peine droite/gauche.

Merci. Bonsoir.

lundi 12 mars 2012

À celle qui entend tout



Une vie entière à essayer de discriminer le fantasme de l'icône, le simulacre du réel, à trier, à séparer, à distinguer ? À voir, à entendre, à percevoir ? Est-ce bien raisonnable ? Mais peut-on faire autrement sans mourir immédiatement ?

Sur une partition, Stravinski avait noté, en guise de dédicace à Nadia Boulanger : « À celle qui entend tout. »

dimanche 11 mars 2012

Ils sont tous protestants !


Le christianisme est la religion de l'Europe : ce sol lui convient plus même que son pays natal ; il y a poussé des racines profondes ; il s'y est mêlé à toutes nos institutions : pour toutes les nations du Nord de l'Europe et pour toutes celles qui, dans le Midi de cette partie du monde, se sont substituées aux Romains, le christianisme est aussi ancien que la civilisation. C'est la main de cette religion qui façonna ces nations neuves ; la croix est sur toutes les couronnes ; tous les codes commencent par le symbole : les rois sont des oints, la religion est civile ; les deux puissances se confondent ; chacune emprunte de l'autre une partie de sa force, et, malgré les querelles qui ont divisé ces deux sœurs, elles ne peuvent vivre séparées.

L'homme le plus hardi ne saurait rien imaginer qu'on puisse substituer à ce système religieux. Tous nos Érostrastes ont détruit ; aucun n'a substitué, aucun même n'a osé proposer quelque chose à la place de ce qu'il voulait faire disparaître ; en sorte qu'il faut toujours être chrétien ou rien.

Mais le principe fondamental de cette religion, l'axiome primitif sur lequel reposait tout l'univers avant les novateurs du XVIe siècle, c'était l'infaillibilité de l'enseignement d'où résulte le respect aveugle pour l'autorité, l'abnégation de tout raisonnement individuel, et par conséquent l'universalité de croyance.

Or ces novateurs sapèrent cette base : ils substituèrent le jugement particulier au jugement catholique ; ils substituèrent follement l'autorité exclusive d'un tiers à celle du ministère enseignant plus ancien que le livre et chargé de nous l'expliquer.

De là vient le caractère particulier de l'hérésie du XVIe siècle. Elle n'est point seulement une hérésie religieuse, mais une hérésie civile, parce qu'en affranchissant le peuple du joug de l'obéissance et lui accordant la souveraineté religieuse, elle déchaîne l'orgueil général contre l'autorité, et met la discussion à la place de l'obéissance.

De là ce caractère terrible que le protestantisme déployé dès son berceau : il est né rebelle, et l'insurrection est son état habituel.
(…)
Hommes des tous les pays et de tous les cultes, observateurs de tous les systèmes, remarquez bien et ne l'oubliez pas : L'évangile enseigné par l'église protestante n'a jamais fait peur à Robespierre.
(…)
Certains Indiens disent que la terre repose sur un grand éléphant ; et si on leur demande sur quoi s'appuie l'éléphant, ils répondent : sur une grande tortue. Jusque là tout va bien, et la terre ne court pas le moindre risque ; mais si on les presse et qu'on leur demande encore quel est le soutien de la grande tortue, ils se taisent et la laissent en l'air.
La théologie protestante ressemble tout à fait à cette physique indienne. Elle appuie le salut sur la foi, et la foi sur le livre : quant au livre, c'est la grande tortue.
(…)
Le grand ennemi de l'Europe qu'il importe d'étouffer par tous les moyens qui ne sont pas des crimes, l'ulcère funeste qui s'attache à toutes les souverainetés et qui les ronge sans relâche ; le fils de l'orgueil, le père de l'anarchie, le dissolvant universel, c'est le protestantisme.

Envie de recopier tout Joseph de Maistre, ce matin… Que nos laïcards tocards le lisent un peu, et peut-être même, à la lumière de notre temps funeste, le comprennent, voilà qui serait une grâce ! Pour le dire à la manière maistrienne, il faut être "catholique ou rien". Le protestantisme, ce n'est rien, l'islamisme, ce n'est rien. J'ai entendu Kristeva hier à la radio qui parlait, avec une gâteuse gourmandise, des "multivers" ; le multivers / l'univers, bien sûr, comme preuve de l'erreur profonde du catholicisme. Encore un gadget pour amuser les enfants… Comment peut-on être aussi bête ?

samedi 10 mars 2012

Sur…



Les paradoxes de nos chers amis du désastre sont constants, amusants, troublants, désespérants, déconcertants, démoralisants, à pleurer, à pisser de rire.

Dans le catalogue des horreurs langagières du moment, j'ai une dent particulièrement acérée contre la préposition "sur", quand elle prétend remplacer "à". C'est bête, je sais, car il y a bien plus grave. C'est bête mais c'est comme ça ; j'entends tellement de vulgarité dans cet emploi, je vois si rapidement toute une population, sa vêture, ses opinions, ses modes de pensée — ses goûts, surtout — quand j'entends quelqu'un dire "j'habite sur Lyon", que c'en est fini instantanément : je ne peux plus ensuite écouter sereinement ce qu'il a à me dire. S'il habite "sur Marseille", ou "sur Nînes", je l'y laisse, et je me recroqueville en moi-même à la vitesse de l'éclair, mes antennes se rétractent comme si elles avaient effleuré une substance dangereuse — ou repoussante, c'est le cas de le dire. D'ailleurs, cette préposition ne remplace pas seulement le "à", elle est en passe de se généraliser, comme un petit cancer qui ne supporte pas la [leur trop fameuse] diversité. Je l'ai vu tout récemment encore faire une OPA agressive sur le "en", au-niveau-du-pays-j'ai-envie-de-dire. Et en bien d'autres occurrences que je passerai pour cette fois sous silence, car tel n'est pas mon propos, on-va-dire.

Lors de ce très court séjour dans une belle région française, j'ai eu l'occasion de rencontrer des échantillons assez représentatifs — bien que divers — des amis du désastre. Rien de bien étonnant, me direz-vous, rien de très neuf à raconter, rien même d'intéressant, peut-être. Vous avez raison. Cependant, mon cher petit cancer prépositionnel est venu me jouer un petit tour que je n'avais pas prévu, et c'est de cela que je veux parler ici.

Les dîners en ville ont quelque chose de fastidieux, car l'on sait à l'avance, avec très peu de chance de se tromper, ce qu'on va y entendre. Et s'il est un domaine dans lequel le discours est déjà empaqueté, rodé, prêt à l'emploi, et rébarbatif dans son insipide ressassement, c'est bien celui où il est question de la langue, car les petits-bourgeois aiment paradoxalement montrer qu'ils ont quelques idées sur la question, même si précisément ces idées ne sont pas les leurs, mais celles de leur classe sociale, ou celles du moment, ce qui revient au même à l'époque où j'écris ces lignes. On varie les angles d'attaque, on met quelques couleurs pimpantes sur les vieilles conclusions mille fois tirées, on convoque des anecdotes qui ont le parfum de l'événement, la silhouette de l'unique, les contours du neuf, mais c'est pour toujours retomber sur les vieilles pattes de la grosse bêbête conformiste. Le Petit-bourgeois n'est guère aventureux, on le sait. Il aime s'entourer des mêmes, qu'il nomme drôlement "l'Autre", et penser de manière conforme (ce qu'il appelle "être rebelle"). Ainsi, on le verra pourfendre les lieux communs, sabre au clair, terrasser les dragons morts depuis des siècles, et défendre son temps avec l'ardeur cocasse d'un tirailleur au flan.

On l'aura compris, le Petit-bourgeois défend l'idée extrêmement audacieuse que "la-langue-évolue". Je mets des tirets car ces trois mots, pris séparément, ont du sens, ont un sens, des sens… Dès que vous les employez sous forme de syntagme, de ce syntagme-là, vous faites autre chose que d'énoncer une thèse, vous mettez les deux pieds dans les bottes droites et bien cirées de l'habit de l'honnête homme contemporain. Votre assertion en devient aussitôt indiscutable, vous vous trouvez immédiatement (c'est bien le cas de le dire) dans l'absolu du langage dans ce qu'il a de plus coercitif et de plus éloigné de la pensée.

C'est ce paradoxe qui m'intéresse. Le Petit-bourgeois aime la Liberté. Il aime en tout cas la "défendre", la proclamer, en faire son totem, ou son doudou. Il en suce le lait le soir en s'endormant. Comme pour le vocable de Culture, il lui adjoint facilement une majuscule, pour en souligner le prix, la force. Le Petit-bourgeois pense par postulats, dont il pense, (car) il l'entend répéter soir et matin à la radio, qu'ils sont une conquête magnifique du genre humain sur la barbarie (je parle bien entendu des postulats chéris du Petit-bourgeois, pas des autres). On voit bien le processus : si l'on aime "la-liberté", on ne peut que "défendre" l'idée que la-langue-évolue, qu'il y a quelque chose comme un libre-arbitre qui octroie à l'homme la possibilité et le devoir de transformer la langue (on en constate chaque jour les brillants résultats, calembours à l'appui). Je vais peut-être vous étonner, mais Georges pense la même chose. Georges est un être fruste, caractériel, bougon, désuet, mal-embouché, assez-limité-on-va-dire, mais Georges pense aussi que la langue évolue. Il s'est aperçu, Georges, depuis sa caverne sombre et moisie qui n'entretient avec l'époque que des rapports épisodiques et capricieux, que les phrases, le lexique, le style, la grammaire, la syntaxe, la prononciation, et jusqu'au sens des mots, avaient quelque peu varié au cours des siècles. Eh oui, la Vérité est d'une telle force qu'elle a mis un point d'honneur à ne pas négliger les pauvres anté-humains qui persistent encore, çà et là, cachés soigneusement dans leurs tristes demeures.

Bon alors il est où le problème si tout le monde il est d'accord si tout le monde il aime la liberté ? Ça va, ça va, on y vient.

Donc, à table, entre Dolto et reblochon, on se fait expliquer pour la millième fois comment c'est cool que la langue évolue, avec toutes ces "inventions", toutes ces "transgressions", tous ces "détournements", toutes ces "créations", etc. Bon, bon, on a l'habitude, on se met en mode "furtif", genre sous-marin nucléaire russe qui vous frôle de ses 25 000 tonnes d'acier et de feu sans faire bouger un poil de vos mollets. « My name is Typhoon. » On sait se tenir. Sur nos flancs imperturbables viennent glisser les arguments en aggloméré light, tout ça n'est pas plus alarmant qu'un urinoir non signé abandonné dans une étable du Larzac. Georges est déjà en ondes alpha, il produit sans même en avoir conscience ses quelques grammes de 2-Amino-4-(ethylcarbamoyl) butyric acid, autrement nommée la théanine, son esprit flotte paisiblement quelque part du côté de Gyokuro… Quand, tout à coup, il voit, juste en face de lui, un personnage qui porte le beau prénom de Nancy faire un geste de la main, qu'elle agite avec un léger trémolo à hauteur du cou. Le geste s'accompagne d'un mouvement des yeux qui montent et descendent circulairement, et comme la bouche elle aussi participe de l'ensemble, Georges repasse brièvement en mode "communication urbaine". Et là, il entend, et je vous jure qu'il n'invente rien, il entend, donc :

« Oui, parce que ces gens qui disent "sur Annecy" pour "à Annecy", hein… »

C'est là que le geste plus haut décrit, qui se poursuit au moment où ces mots sont prononcés, prend toute son importance. Notre Nancy est en train de nous dire qu'elle est en quelque sorte très agacée, mais alors quoi, presque ulcérée on va dire, par ce que, à aucun moment, nous n'aurions eu le culot, ce soir-là, d'appeler une "faute de français". Nancy est en train d'exprimer tranquillement, en public !, une opinion (appelons ça ainsi, pour l'instant) qui aurait suffi à faire ranger Georges (si d'aventure il avait été assez fou pour se livrer ainsi pieds et poings liés à la vindicte socialo-morale) dans les salopards de réactionnaires qui ne savent pas que la langue évolue.

Notre Nancy, le plus innocemment du monde, est en train de contester l'usage ! Je ne sais pas si vous vous rendez compte. J'ai même pensé avoir rêvé, mais comme elle a ensuite réitéré son jugement, quelques secondes seulement après mon atterrissage de fortune sur la rivière étroite de la citoyenneté petite-bourgeoise, j'ai bien dû me rendre à l'évidence. Elle l'a dit. Elle a osé, en public, alors que rien ni personne ne l'y contraignait par la force, contester l'Usage ! Elle a donc émis tacitement l'hypothèse qu'il pouvait exister une norme, une "correction", un canon, un "bon" usage. Et donc, par voie de conséquence rétroactive, un "mauvais" usage, des "incorrections", allez savoir, peut-être même, j'ose à peine l'écrire, des ""fautes de français"" ??? Ouf ! On voit par là qu'il y a des fous, des inconscients, sur terre. J'étais témoin ce soir-là d'une sorte d'apocalypse en chambre. Rien de moins. (Je fais une petite parenthèse pour dire que dans les lieux d'aisance de la demeure où ces graves événements se déroulaient se trouve un petit livre, mis là bien en évidence, qui s'intitule si je me souviens bien « Les Fautes de français existent-elles ? » On se doute de la réponse qui est apportée à sa propre question par la "spécialiste"… (On se demande d'ailleurs à quoi bon écrire tout un livre pour démontrer ce que tout le monde sait, admet, prêche autour de lui, comme vérité d'évidence ?))

L'impensable s'était donc produit. Nous nous serions attendu, vous comme moi j'imagine, après pareil improbable événement, à ce que quelque chose se passât. Nancy allait-elle être sur le champ chassée de la maison, excommuniée, lynchée, lapidée, tournée en dérision, envoyée se coucher sans dessert ? Car de deux choses l'une : soit il existe "un bon usage", soit il n'existe pas. Malgré toute ma bonne volonté, je ne parviens pas à trouver un troisième terme à l'équation. Si le bon usage n'existe pas, comme le proclame la sainte loi de notre Dieu Doxa Festivus, je ne vois pas pour quelle raison l'on ne pourrait pas dire "sur Annecy", en lieu et place de l'antique "à Annecy". En vertu de quoi ? Ou, pour parler comme les Jeunes, qui, à l'instar des petits-bourgeois, sont légion, « pourquoi pas ? »

Why not, Nancy ? Évidemment, Georges n'est pas fou. Ou pas tout à fait. Il s'est donc abstenu de faire remarquer qu'il y avait là comme un défaut dans la logique, ou, comme je le disais hier, une entorse au principe de non-contradiction qui a tout de même fondé toute une civilisation, et quelle civilisation ! Il a rentré son périscope, Georges, et il est reparti en eaux profondes, avec ses amis les poissons qui, eux, quand ils ouvrent la bouche, n'en profitent pas pour dire trois stupidités en deux secondes. Eh bien, vous n'allez peut-être pas me croire, mais il ne se passa rien. Rien du tout ! Nous avions là, sous nos yeux, prise en flagrant délit de contestation d'usage (sans doute ce qui se fait de pire, dans la morale festive), une citoyenne qui aurait dû, en toute logique, être passée par les armes absolues de langage et soumise à un questionnaire précis et exhaustif qui aurait permis soit de la disculper (elle était saoule, atteinte de la maladie d'Alzheimer, son fils était pris en otage par le Ku-Klux-Klan et l'obligeait à tenir des propos contraire à sa foi), ou bien condamnée séance tenante par un tribunal spécial. Non, on fit comme si de rien n'était, à ma grande stupéfaction.


Nos amis du désastre n'aiment tant la Liberté que lorsqu'ils la réduisent à peu de choses. Comment ne pas voir, en effet, que lorsqu'ils parlent, ils n'ont aucune liberté, pris comme ils le sont dans les raies d'une langue qui parle toute seule, qui bégaie, qui accroche, qui piétine, qui reste bien sagement dans la portée pauvre et aride de leurs semblables. Plus ils réduisent les moyens avec lesquels ils s'expriment et plus ils chantent leur liberté. Imaginez un oiseau, un merle, qui ne ferait plus qu'une seule note, et qui la "pousserait" à tue-tête jour et nuit. Le plaindrait-on, ce pauvre chanteur estropié ! Imaginez un violoniste dont le violon aurait perdu trois de ses cordes, un piano à quinze touches, une femme sans cheveux, un pot-au-feu sans légumes, un jardin sans fleurs ; voudriez-vous vivre dans ce monde-là ? Ne répondez pas non, car c'est déjà le cas ! Seulement, nos amis du désastre vont plus loin : non contents de supprimer jour après jour des cordes à nos instruments, des couleurs à notre monde, ils nous demandent en outre de le trouver plus beau, meilleur, plus riche, inventif ! Si l'invention, si la "créativité" consiste à appauvrir le monde et à réduire ses moyens de description et nos moyens d'expression, si l'enrichissement consiste en un rétrécissement des biens, et du bien, alors oui, ce monde-là est bien celui des "créatifs", c'est-à-dire, pour être tout à fait concret et précis, celui des publicitaires et des créateurs de mode.


(Ce billet était daté du 28 avril 2009, à 10 heures et demie du matin, mais comme je fais ce que je veux, j'ai eu envie de le refourguer ici en douce, et j'en profite pour le dédier à mon frère Sylvain.)

vendredi 9 mars 2012

Jet d'eau



Ô toi, que la nuit rend si belle,
Qu'il m'est doux, penché vers tes seins,
D'écouter la plainte éternelle
Qui sanglote dans les bassins !
Lune, eau sonore, nuit bénie,
Arbres qui frissonnez autour,
Votre pure mélancolie
Est le miroir de mon amour.

Message personnel n°16


Il n'est pas de silence auquel l'écho à voix entière ne réponde.

(Luis de Góngora y Argote)

jeudi 8 mars 2012

Explosition universelle !



Merde d'artiste, merde d'artiste ! Mais c'est trop facile ! Manzoni, petit, si petit. La boîte est fermée hermétiquement, même si certaines se sont ouvertes, dit-on. Le concept, le ready made, quelle barbe ! Moi je vais chier sur la toile, et on enfermera les visiteurs dans la salle, sans possibilité de sortir avant deux bonnes heures. Odeurs, odeurs, odeurs… Ah, mes salauds, vous vouliez de la culture, vous vouliez remplir les salles des musées ! Eh bien, je vous prends au mot : Je vais remplir le cadre, chier sur la toile, ça c'est de la culture. Auto-focus sur le déchet. Marron, couleur discriminée, le brun d'atelier doit être réhabilité ! Il s'agit de métissage moral et fécal. Chauds les marrons, 2012 sera brun ou ne sera pas ! Michel Pastoureau a un gros pain sur la planche. Le bleu, le noir, le rouge, tout ça c'est de la couleur de pédé.

Mais qu'avait donc mangé l'artiste, la veille ? Telle est l'une des questions que devront se poser les nouveaux amateurs d'art, les nouveaux remplisseurs de musée. Le niveau monte, paraît-il, les salles sont pleines, les tuyaux aussi. On se bouscule devant le Concept. Pas assez de confessionnaux. Poussez-vous, poussez-vous, je veux respirer la culture, moi aussi ! Ah, la bonne odeur de merde ! Pas besoin de faire du trekking au Népal, l'exotisme est ringard, on a des idées et de la merde chez nous aussi. Produisons français ! Imaginez une ville comme Paris, tous ces gens en train de chier, le matin, quelle symphonie ! Et on nous le cache ! Scandale ! Tous au musée d'Orsay, arrondissement après arrondissement, de quatre heures du matin à minuit. Calmez-vous, votre tour viendra. Vous aussi, vous pouvez être un artiste, vous aussi, vous aurez votre quart d'heure de gloire assise. Tant pis pour les constipés, il seront autorisés à faire semblant. Permettra-t-on la burqua ? Mais oui ! Imaginez le tableau, cent-onze femmes en burqua en train de pousser de concert, en se tenant les mains. Oh, religieux de toutes les nations, gays, infirmes en chaises roulantes, minorités agissantes, la grande flash-mob fécale c'est pour demain matin, haut les cœurs !

Je vous jure que les élections présidentielles en seront transformées, purifiées en quelque sorte, débarrassées de toutes ces heures sombres qui traînent encore dans les coins de quelques têtes. On remet les compteurs à zéro, au printemps des peuples, égalité, fraternité, caca. Pas de liberté pour les ennemis de la merde. On fera entrer le Bel Étron au Panthéon, on trouvera un nouveau Malraux pour le discours, j'ai déjà quelques idées. Debussy avait eu son Exposition universelle, il y avait découvert le gamelan javanais. Je veux la mienne. On construira une nouvelle tour, la Tour de l'Étron Suprême, à Saint-Denis, près des sépultures royales, une tour en forme de néant mou. France, terre d'asile, patrie du vin, du fromage, de la CGT et du Caca. La boucle est bouclée. On mange, on chie. Entre les deux, pas grand-chose, quand on y pense. On rêve un peu, soit, on s'endort devant la télé, on marie les homos, on pourchasse l'élitiste et l'on constate que les-inégalités-se-creusent et que les zakisocios se font la malle, que les-marchés-financiers n'en font qu'à leur tête, tout ça ne va pas très loin et n'est pas digne d'un grand pays comme la France. Je ne vise rien de moins que le Prix Nobel des Fèces, afin de confondre tous les petits prix-nobel-de-la-morale qui nous crachent dans les oreilles toute la journée à la radio et dans les journaux. Les Écuries d'Augias, il ne faut pas les nettoyer, il faut les inonder de caca, il faut les exposer, il faut y habiter, il faut y demeurer, il faut les investir, et je suis l'Hercule de l'art. Je vous inscris au GR 20 du Caca, Mademoiselle ? Ah, vous êtes anorexique ? Revenez plus tard, quand vous aurez pris un peu de brioche. Nous ne faisons pas de la dentelle, notre œuvre au noir tient au corps. Donnez-nous votre caca de chaque jour, le fruit de vos entrailles. Nous sommes au four et au moulin, et aux toilettes, suivez-nous, et vous serez rassasiés. L'avenir vous attend, les cuvettes vous tendent leurs jolis bras immaculés, le papier parfumé à la rose a faim de votre encre boueuse, aucune angoisse de la page blanche, l'éternité est là, dans sa gloire brunie et fétide. Il n'y a pas de crise : tout le monde est dans la merde. Je vous le prouve. Égalité, fraternité, caca. Halte aux paradis fiscaux, bienvenue au Paradis fécal. Faites donner le Te Deum et qu'on n'en parle plus.

Quels sont les anagrammes d'étron ? Noter, trône, ténor. Notez qu'il faut monter sur le trône, pour y chanter d'une voix de ténor la gloire de l'excrément. C'est sur le trône qu'on fait des listes, occupation des rois. La liste (la théorie) est le chant des chants (voyez la Bible) : je naîtrai, je chierai, je mourrai. Voilà le programme. Les noms, les actions, les sons, les couleurs, les formes, les parties du corps, celles du violon, les gammes, la mathématique lyrique ne fait jamais grève, on ne la prend pas en défaut. Et tout finit par la chanson brune. Dans "étron", on entend l'être et le on. Le ça universel, en somme. Quand je pense qu'il y en a qui en sont encore à la pulsion de mort ou de vie… Même la psychologie est une sous-catégorie de la mathématique lyrique : vous qui entrez ici, laissez votre forme et vos espérances à l'entrée, car vous ne pouvez les emporter avec vous. La dépouille se parfume au désastre et s'habille chez Caca. Au terme du défilé : Rien (la paix).

Deux grands mystères humains m'ont toujours obsédé : où sont passés tous les morts, et où passe toute la merde accumulée depuis la nuit des temps ? Et ne me dites pas que c'est la même chose ! Faites un rapide calcul et vous vous apercevrez que depuis Adam et Ève ça fait un volume considérable. À côté de ça, le problème des déchets radioactifs et l'absence de gouvernement en Belgique, c'est de la gnognote. La Porte est étroite, le monde est de plus en plus petit, et nous sommes de plus ne plus nombreux. Ni Pascal Ory, ni Edgar Morin, ni Stéphane Hessel, ni Frédéric Martel, ni Emmanuelle Béard n'ont l'air de s'alarmer de la situation, et pourtant il y a péril en la demeure. C'est pourquoi Georges, une fois de plus, se dévoue, et exige la création d'un grand ministère du Caca, qu'il conviendrait de fusionner avec celui de la Culture. Il est temps de vider l'abcès. L'art sert à ça.

Il faut absolument éclaircir la situation.