mercredi 30 décembre 2015

La Nuit dans la lumière éternelle


Je ne me lasse pas de cette anecdote merveilleuse : Kathleen Ferrier, avant d'être la grande Kathleen Ferrier, était une "demoiselle du téléphone".  « Ma plus grande chance a été de travailler avec Bruno Walter. » … et l'expression de son visage donne immédiatement le ton. Chant de la terreKathleen, contrairement à ce que j'avais toujours pensé, était quelqu'un de très gai, de très drôle, qui aimait plaisanter, qui était amoureuse de Rick, qui était rabelaisienne, et pas du tout bégueule. 

Excellente pianiste, elle était capable de s'accompagner elle-même. Morte à quarante et un an, d'un cancer. Elle s'est fait remarquer en chantant des chants populaires admirables, comme seuls les Britanniques en possèdent.

Le Chant de la terre, en 1947, à Edimbourg, avec le Philharmonique de Vienne et Bruno Walter… Imagine-t-on l'ambiance d'un tel concert ? Walter avait quitté l'Autriche à cause des Nazis. Certains des musiciens de l'orchestre étaient morts dans les camps. J'erre dans les montagnes, je cherche le repos pour mon cœur solitaire

Quand on compare Kathleen Ferrier et Jacqueline Dupré, on est frappé de la ressemblance de leurs âmes. « L'Adieu [du Chant de la terre], c'est trop pour elle, elle n'a pas pu retenir ses larmes. Elle s'est écroulée. » Elles sont gaies, d'une gaieté irrésistible, comme seuls les êtres d'une extrême sensibilité le sont, parfois, quand ils essaient de vivre avec les humains. Mais la vie s'écoule trop vite de leur corps. Leur vie même est un adieu déchirant à la beauté du monde. 

Quand elle a voulu chanter dans la chorale du lycée, son professeur l'a acceptée de justesse, en lui recommandant de ne pas chanter trop fort, parce qu'elle n'avait pas un jolie voix

Dans les Kindertotenlieder, sa voix fait merveille, à tel point qu'on se demande si Mahler n'a pas composé cette œuvre pour elle. La beauté souvent fait peur. « A présent le soleil radieux va se lever comme si, la nuit, nul malheur n'avait frappé. Le malheur n'a frappé que moi seul, tandis que le soleil brille à la ronde. N'enferme pas la nuit en ton coeur, plonge-la dans la lumière éternelle. Une lampe s'est éteinte en ma demeure, gloire à la lumière, joie du monde ! »

N'enferme pas la nuit en ton cœur, plonge-la dans la lumière éternelle. La voix de Kathleen Ferrier, c'est exactement ça, c'est la nuit plongée dans la lumière éternelle. Comme si le malheur n'avait frappé qu'elle seule… Tous les enfants morts, dans une poitrine de femme qui ne connaîtra pas la maternité, et qui ne consommera même pas son mariage. Son professeur de chant, Roy Henderson, explique la qualité de sa voix par son caractère. Sa gorge, vaste, profonde, pouvait contenir toute l'enfance du monde. 


Le monde de Kathleen Ferrier, c'est le monde dans lequel on se réunit près du poste de TSF pour écouter un concert. Autant dire un monde qui a complètement disparu, et qui n'est même plus envisageable, ni compréhensible. On lui dit qu'un de ses concerts a été écouté par "vingt millions de personnes" (un Américain sur sept)… « C'est effrayant ! », répond-elle. Bruno Walter à sa chanteuse : « Vous avez écrit une page de l'histoire de la musique ! » Walter devait entendre cette voix comme une des lignes vivantes, sortant de l'orchestre, qui venaient en droite ligne de son maître. 

Kathleen Ferrier, c'est la rencontre d'une voix anglaise avec la musique allemande. Il est évident que Schubert a été une source d'inspiration phénoménale pour la contralto. Mais John Barbirolli lui a fait travailler le Poème de l'amour et de la mer, de Chausson, pour que sa voix ne tombe pas dans une profondeur mortelle et qu'elle retrouve un peu les couleurs des mezzos. C'est lui aussi qui disait : « Plus une artiste s'épanouit plus elle devient belle. » Elle était sublimement belle en 1950. 

« Le lendemain, le téléphone a sonné, vers neuf heures et demie, c'était le Dr Walter. Il avait assisté au récital, et il était fier de moi. J'étais aux anges. Il m'a aussi parlé de choses à améliorer dans le son ou l'interprétation. Je ne cesse de remercier le Destin pour la chance que j'ai eue dans ma courte carrière. » Après sa première tournée en Amérique, elle est rentrée chez elle sans avoir gagné un penny. 

Elle buvait de la bière, elle fumait des cigarettes. 21 juin 1050, Zurich. « C'est un endroit délirant ! Nous nageons et faisons du golf tous les jours. T'ai-je raconté ? J'ai commencé mes premières vocalises au second trou. Arrivée au sixième, je fredonnais déjà : 
Rick envoie ses amitiés. Il est plein d'énergie, et on se sent bien, tous les deux. » Mais elle ajoute : « Je le veux bien comme compagnon pendant deux jours, puis j'en ai assez. Je veux me retirer derrière un rideau de fer pour ne plus avoir à écouter et à faire la conversation. Quelle inconstante je fais ! »

Dans la Messe en si, de Bach, elle fait pleurer Karajan. C'est elle, l'agneau de Dieu à la jambe brisée par le cancer en plein opéra, Orphée immobile mais continuant de chanter jusqu'à la fin. 


lundi 28 décembre 2015

Danse avec l'élu — Ballade en la bémol (2)



Variation. Pointes. Soubresaut.

Le la bémol lui était égal, déjà déshabillé. Les yeux écarquillés, il me prenait pour un minus, assis à son bureau. L'orchestre se débrouillait bien. Je les imitais. Nous avions tant à faire. Je me sentais responsable de tout. Pensez ! La musique est plus que "la la la" ! C'était une tâche de longue haleine. Chacun était occupé à reconstruire. Il m'offrait du café, capable d'exprimer les choses de l'âme. C'était la volonté d'oublier. Je me contentais de dévorer de la musique. Un jour, tu feras autrement. Il était en bretelles, inventait toutes sortes de prétextes pour ne pas avoir à me faire travailler, mais on vivait autre chose. Je fus transporté par le spectacle. Je vis le roi de près, je suis tombé amoureux. J'étais paresseux, comme tous les enfants. Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens.  C'était une tâche de longue haleine.

Cavanna voulait son T-shirt, et il agitait son bocal d'une manière inquiétante. À tout prix, il le voulait. Chassé. En pointes sur son mât à trois pistons, il donnait de son orgue de barbarie comme un furieux échappé de l'asile. De la muse en cornes jusqu'au tréfonds du la bémol il secouait les brindilles de Jean-Sébastien. Je ne lis pas grand-chose je n'ai pas le temps. Et hop ! Mais on me presse : alors je fais de la musique. C'est un attrape-couillons comme un autre.

Ça trombone en gros coups de cymbales astiquées au mirror. Je n'ai pas le temps. Jean-Baptiste Sartre a perdu trop d'années déjà à pasticher Simone, rien de bien grave, bien sûr. Demi-sangsues, progéniture de l'ombre, page 462, il m'interloque, payé par les Nazis ? Remettez-moi un peu de cornemuse chromatique, à peine sorti de mon cacao. Au bocal, au bocal, au bocal ! Ils chantent tous en même temps, dans mon cul où ils se trouvent. Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent, bourriques à lunettes, il a délivré Paris à bicyclette, les Maures et la mer montent jusques au port. C'est trop, cette obscure clarté qui tombe des étoiles, la prison, l'expiation, le bâton, la morve, l'épouvante les prend à demi descendus, il ne se possède plus, assassin et génial, il fait joujou, à l'accordéon, lattes de cartilage onctueuses et dérapantes, tape sur les clefs, gratte la vocalise, coup de pompes en triolets, il veut commettre l'irréparable. Textuel ! Il court après les épreuves, les vraies épreuves, faux tétard, la maladie d'être maudit, ténia joueur de flûte catapultant l'accord parfait et voulant s'applaudir lui-même de mille raisons foireuses, il mène le diatonisme au blasphème, comme un cancre mou, mouchard mouché de ses mouches à huit-clos sur une tenue à tirettes. La la la, sans oublier la chair, bien sûr, tondue, échevelée, livide, menottée, grandes filles à l'orchestre absolument nues et mortes, ambiance de procès, sang d'hymen, fusil sifflé agité défilé renfilé attifé à la farandole en exil de Londres sur Seine, sous la botte du chef agité 3/4 de trompette débouchée au massacre de barbarie. La bémol à Nuremberg, au poteau le la bémol, écarquillé, comme à son cul torché en exil, tâche de longue haleine que voir le roi de si près sans nausée ni mains sales sul ponticello, hécatombe d’apothéose, l'alchimie a ses lois ! Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens. L'orchestre se débrouillait bien, grande partouze des fantômes (en bretelles) à son illustre apogée. Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang, ostinato à glandes, la maladie, l'âme, le tréfonds du stupre, l'horizon écarlate en tierces giclantes, cela ne suffit pas, il faut danser en plus, jeté, pointes, soubresaut, chat au pas, pas cobra du tout, en tutu Simone

dimanche 27 décembre 2015

Danse avec l'élu — Ballade en la bémol (1)


Adage. Le reste lui était égal, l'orchestre se débrouillait bien. Arabesque. Le la bémol est évité. Assemblé. Plus d'espace, un plus haut registre. Attitude. Ma mère chantait effroyablement mal. Balancé. Un jour, tu feras autrement. Ballonné. Les chanteurs médiocres m'ont toujours intrigué, quand j'allais au concert. Basque. J'ai commencé avec des choses auxquelles je ne comprenais rien. Battement. Je me contentais de dévorer de la musique. Batterie. Mon père, assis à son bureau, composait des Singspiele. Biche. Mon frère méprisait un peu mes essais au piano. Jeté. Il me prenait pour un minus. Échappé.  Les yeux écarquillés, je fus transporté par le spectacle. Chassé. Mon père m'emmena en coulisses, où je vis le roi de près. Chat. Il était en bretelles, déjà déshabillé. Cheval. Il m'offrait du café, des gâteaux, inventait toutes sortes de prétextes pour ne pas avoir à me faire travailler. Coupé. J'étais paresseux, comme tous les enfants. Déboulé. Je suis tombé amoureux de quelques voix qui me semblaient l'idéal du chant naturel. Dégagé. Je les imitais. Détourné. Une voix limitée mais capable d'exprimer les choses de l'âme. Emboîté. En un an, nous avons travaillé toutes les cantates de Bach. Enveloppé. Nous avions tant à faire, Dieu merci ! Failli. C'était une tâche de longue haleine, qui ne se faisait pas du jour au lendemain. Fouetté. Pensez ! Glissade. Nettoyer une si grande ville et rendre ses rues circulables. Fondu. Elles étaient jonchées de débris. Menée. La grande affaire était de trouver à se nourrir. Piqué. On ne voit que des films de décombres, mais on vivait autre chose. Plié. Chacun était occupé à reconstruire, à recommencer quelque chose. Pirouette. C'était la volonté d'oublier. Retiré. Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens, qu'il fallait surmonter d'une manière ou d'une autre. Royal. Je me sentais responsable de tout. Surrection. La musique est plus que "la la la". Tour fouetté. Les pauvres Mozart, Wagner ou Verdi ne sont plus là pour se défendre. Temps de flèche.

Variation. Pointes. Soubresaut.

Le la bémol lui était égal, déjà déshabillé. Les yeux écarquillés, il me prenait pour un minus, assis à son bureau. L'orchestre se débrouillait bien. Je les imitais. Nous avions tant à faire. Je me sentais responsable de tout. Pensez ! La musique est plus que "la la la" ! C'était une tâche de longue haleine. Chacun était occupé à reconstruire. Il m'offrait du café, capable d'exprimer les choses de l'âme. C'était la volonté d'oublier. Je me contentais de dévorer de la musique. Un jour, tu feras autrement. Il était en bretelles, inventait toutes sortes de prétextes pour ne pas avoir à me faire travailler, mais on vivait autre chose. Je fus transporté par le spectacle. Je vis le roi de près, je suis tombé amoureux. J'étais paresseux, comme tous les enfants. Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens.  C'était une tâche de longue haleine.

Cavanna voulait son T-shirt, et il agitait son bocal d'une manière inquiétante. À tout prix, il le voulait. Chassé. En pointes sur son mât à trois pistons, il donnait de son orgue de barbarie comme un furieux échappé de l'asile. De la muse en cornes jusqu'au tréfonds du la bémol il secouait les brindilles de Jean-Sébastien. Je ne lis pas grand-chose je n'ai pas le temps. Et hop ! Mais on me presse : alors je fais de la musique. C'est un attrape-couillons comme un autre.

(…)

vendredi 11 décembre 2015

Pourquoi se contenter d’être terroriste quand on peut être musicien ?


Je parlerais volontiers de la Sonate de César Auguste Jean Guillaume Hubert Franck, né il y a 193 ans exactement, mais on va encore me reprocher de faire le jeu du Front national.

Qu'est-ce qu'on rigole, depuis une petite semaine ! Mamma mia ! La vie politique française est de plus en plus cocasse, il faut bien l'avouer, et ce, malgré les attentats. Les contorsions des "acteurs politiques" (sic) sont merveilleuses de drôlerie, mais pas seulement. Les amis, les connaissances, les relations, les "amis facebook", toute cette triperie sociale est en émoi et en ébullition grâce à notre Front national si french. Les pauvres. On les sent tellement mal à l'aise, cherchant désespérément à se "positionner" correctement, à placer le curseur au bon endroit, avec une précision suisse. J'ai eu beaucoup de discussions, privées et publiques, sur Facebook, à ce sujet, et je m'amuse énormément. Ce FN est décidément le grand révélateur humain d'une France qui surnage avec de grosses bouées autour du cou, de grosses bouées qui tantôt portent les couleurs de la Palestine et tantôt (fugitivement) sont tricolores. De plus en plus, en privé bien entendu, m'avouent leur vote à mots plus moins couverts, mais se feraient plutôt tuer sur place que de révéler au grand jour qu'ils donnent leur voix à la Poissonnière populiste. Ils ont tous évidemment de très bonnes raisons à cela. Il n'existe plus qu'une seule alternative en France, en 2015, qui est : Faire barrage au FN ou faire le jeu du FN. Selon que vous êtes plutôt faire le jeu ou plutôt faire barrage, vous appartenez à deux Frances différentes. Surtout que pour compliquer la chose, on peut très bien faire le jeu en faisant barrage et faire barrage en faisant le jeu. Je me demande s'il y a encore quelque chose qui tient lieu de ciment à la nation française, en dehors de cette intense problématique, et je n'en suis pas certain. On attend avec impatience les élections qui vont nous permettre, à chaque fois, de remettre le couvert : alors, FN ou pas FN ? Contre, tout-contre, très-contre, à l'intérieur de l'extérieur ou à l'extérieur de l'intérieur ? Chacun prend et tient sa place avec un soin jaloux. Nous autres Français sommes très fiers de notre papier-tournesol, on ne se le laisserait voler pour rien au monde. En 2079, les Français, ou ce qu'il en restera, en seront toujours à se positionner avec un soin maniaque par rapport à cette indestructible boussole socialo-morale. Les Américains ont inventé le GPS, nous avons inventé le FN : à chacun son pied à coulisse. Le FN est notre Pacifique intérieur, et, dans ce miroir sans bords se regardent indéfiniment les Français qui s'y trouvent et très beaux et très moches. 

Où va se nicher la mauvaise foi ! On est capable de tous les mensonges, quand on veut se justifier absolument, quand on sent qu'il y va de sa survie esthético-morale. L'obscénité moralineuse est sans doute la plus puante des obscénités et les blanches mains ne laissent pas de doute sur leurs obscures relations avec l'ordure qui tient le manche du compas social, celui qui trace le cercle à l'extérieur duquel il convient de ne pas s'aventurer. Tout cette mollesse mentale qu'on sent partout a quelque chose de répugnant, surtout lorsqu'elle entend se parer d'atours qui lui vont très mal, mais elle est surtout désespérante. On peut tout de même attendre un peu plus des élans humains ; faut-il se résoudre à se désaltérer à l'eau tiède ? J'en reviens toujours à mon dada, mais si les hommes écoutaient un peu Beethoven, ou de la musique de cette trempe, ils auraient immanquablement une autre morale, une autre colonne vertébrale esthético-éthique. On parle toujours de la morale, mais justement, on en parle beaucoup trop ; il faut l'absorber, la morale, il faut vivre dans ses sonorités, et un quatuor de Beethoven ou une sonate de Haydn ont plus d'efficacité en ce domaine que des heures de parlote. Nous vivons à l'ère de la morale de la chansonnette et du rap, que nous le voulions ou non, c'est dans ces sonorités et ce sens que les enfants grandissent.

Là-bas c'est la guerre ! devrait-on se dire tous les matins en se levant, avant de se demander comment tortiller du cul devant les voisins, ou alors il faut délibérément cracher à la figure de la France et partir se cacher au soleil en attendant des jours meilleurs.

Le complexe politico-médiatique est responsable de la radicalisation des pauvres islamistes dont les actes sincères ne sont pas reconnus à leur juste valeur. Il faut faire barrage au Front national qui, parce qu'il a très vite et depuis longtemps pris la mesure des choses, a obligé le pouvoir et ses assistants (journalistes, artistes, juges) à réagir en niant cette même réalité, afin de ne pas faire son jeu.

Je viens de regarder une vidéo d'Aldo Sterone, et, comme la plupart du temps, je l'ai trouvée passionnante. Il y parle de la mémoire, de deux formes antagonistes de mémoire. La mémoire "occidentale" et la mémoire "arabo-musulmane". Et au même moment, je tombe sur une nouvelle absolument merveilleuse : ce type qui veut intenter un procès au Metropolitan Museum de New-York, au motif que dans ce musée se trouvent des peintures représentant l'enfant Jésus, ou le Christ, sous la forme, tenez-vous bien, d'un blanc à la chevelure blonde ! On me soumet un article rédigé en anglais, dans lequel, le plaignant est donc désigné par le vocable anglais : "plaintif", et je me dis que c'est ça, que c'est exactement ça, qu'il ne faut absolument pas traduire ce substantif de "plaintif" en français, qu'il faut le garder tel quel (à la manière de journalistes d'aujourd'hui (ou à la manière de cette internaute qui me lance, furieuse : « Je ne vois vraiment pas ce qu'il fait d'élogieux pour connaître un tel succès. »)) : ce type est exactement "un plaintif", comme le sont tous les modernes dont l'envie de pénal les tenaille nuit et jour, c'est même la dernière chose qui les maintient un peu en vie. C'est précisément ce dont parle Aldo Sterone dans son intervention. Les arabo-musulmans archaïques sont à cet égard très proches des modernes plaintifs. Ils n'existent plus que dans la plainte incessante, dans cette forme de mémoire perverse et malade qui réactive sans cesse l'émotion et oublie constamment les faits, l'Histoire. Les modernes plaintifs et les arabo-musulmans archaïques ont en commun une forme de mémoire malade, qui fait du surplace, ne se réactivant que dans et par l'émotion, jamais dans les faits et par l'histoire. Ils sont si proches les uns des autres que ce sont les mêmes, souvent. Il va falloir reconstruire les palais de justice. On les fera désormais en forme de spirale, ou d'anneau de Mœbius, ou de dédale, au centre duquel se cachera (très mal) l'émotion. Quand on enterre les pères, la filiation et la verticalité, c'est tout à fait normal ; on ne peut pas s'attendre à récolter des prunes si l'on fait pousser des courgettes.

Les Incomptables… Il me semble que ce serait un bon titre pour un essai sur les connes. J'ai déposé hier sur Facebook une merveilleuse citation du grand Ortega y Gasset qui a évidemment fait s'évanouir toutes les dindes qui se trouvaient là. « La femme ne collabore pas au perfectionnement de l'espèce par ses préférences sentimentales, du moins dans le sens que les hommes attribuent à ce perfectionnement. Elle tend bien plutôt à éliminer les meilleurs, selon le point de vue masculin, ceux qui innovent et se lancent dans de hautes entreprises, et elle manifeste une passion décidée pour la médiocrité. Quand on a passé une bonne partie de sa vie, l'œil bien ouvert, à observer les mouvements de la femme, il n'est pas facile de se faire des illusions sur la norme de ses préférences (sentimentales). » (…) « Le fait est qu'à prendre la question dans son horizon le plus large, et zoologiquement en quelque sorte, la tendance générale des ardeurs féminines semble décidée à maintenir l'espèce à l'intérieur de limites médiocres, à éviter la sélection dans le sens de l'excellence, à interdire à jamais à l'homme d'être un demi-dieu ou un archange. » qu'il faut rapprocher de : « Il y a des situations, des instants de la vie où, sans y prendre garde, l'être humain avoue de grandes portions de son intimité décisive, de ce qu'il est authentiquement. L'une de ces situations est l'amour. Dans le choix de l'aimée, l'homme révèle son fond secret ; la femme, dans le choix de l'homme qu'elle aime. » Le tout est extrait de ses merveilleuses Études sur l'amour, que je recommande vivement à tous les honnêtes hommes. Comme chez tout bon auteur, tout serait à citer, donc je vous laisse faire votre choix.

Je découvre, ce matin, que France-Musique, c'est désormais, à 50/50 : Frank Sinatra et Jean Sibélius. Aplatir, toujours. C'est la seule injonction qui vaille. Prouver par l'exemple que rien ne dépasse. L'équipe du Rendez-vous, de Laurent Goumarre, avait merveilleusement préparé le terrain, durant des années. Il est d'ailleurs très significatif que l'émission qui a succédé au Rendez-vous, de sept à huit, le soir, "Ping-Pong", ait remplacé le funeste Mathieu Conquet par l'effroyable Zoé Sfez. Mathieu Conquet, c'était Sinatra/ Sibélius à 50/50 pendant des années. Zoé Sfez, c'est Sinatra 100%. Le procédé est toujours le même. On commence par dire qu'il n'y a pas de hiérarchies entre les arts, entre les genres, on commence par mettre l'éclectisme au pinacle, on commence par dire qu'il n'y a « que de la bonne et de la mauvaise musique », on commence par dire que la musique et la musique c'est la même chose, on commence par dire qu'Andy Warhol et Marcel Duchamp c'est pareil, ou que Phil Glass et John Cage, et, une fois que la leçon est bien enfoncée dans les oreilles, on peut passer à la deuxième partie du plan. La deuxième partie du plan fait évidemment sortir Jean Sibélius et Pierre Boulez du cercle enchanté, et on se retrouve à écouter du Yannick Noah toute la journée. À ce propos, je crois que j'ai trouvé le nouveau slogan de Georges de La Fuly : « Pourquoi se contenter d’être terroriste quand on peut être musicien ? »

Quand-même, je me demande bien ce que Proust aurait pensé de la Sonate de Franck jouée par Thibaud et Cortot en 1929.

dimanche 29 novembre 2015

Comment je suis devenu un sale Français, blanc, hétéro et catholique


Oh et puis zut, vous ne le saurez pas. J'ai autre chose à foutre.

dimanche 22 novembre 2015

France


On prenait le volant, dans ces années-là (celles de ma jeunesse) — ou on croyait le prendre. On dirait bien que le volant nous revient en pleine figure, après un petit détour par Médine. « La France réelle moins la France imaginaire, c'est le camembert. » La métamorphose (ou sa force invisible) agit sans cesse, peut-être surtout dans les temps où nous la croyons endormie. Ce ne sont pas des voyous drogués au Captagon, qui ont massacré il y a quelques jours à Paris. Ce sont des soldats qui ont trouvé un volant. Le récit palpitant de notre pays les laisse complètement froids parce qu'ils ne font pas partie de ce pays-là. Ils sont donc allé chercher un véhicule ailleurs, comme il est tout à fait normal de le faire dans ces cas-là, parce qu'on ne se nourrit pas exclusivement de camembert et d'iPhone. Les éternels attardés de la politique voudront évidemment traiter le problème avec les cautères fabriqués dans les guerres précédentes, qui seront comme de juste inopérants. Qui est l'ennemi ? Voilà la seule question à laquelle il faudrait dans un premier temps s'atteler. Et pour comprendre quel est cet ennemi, il faut d'abord retrouver pour nous-mêmes la puissance imaginaire de la France. La France réellement réelle est complète ou n'est pas. 

samedi 21 novembre 2015

Kiss Kiss Bougie


La Bonne Image ou le crime d'excès


Le rideau de la méduse s'est déchiré. Oh, un peu, hein, n'allez tout de même pas croire qu'on a désormais une vue complète sur le paysage d'après la tempête. Mais enfin le progrès est sensible. Regardez sur cette photographie comme notre merveilleuse "touriste-blonde" en pleine extase festiviste prend la main que lui tend avec une mansuétude de pape la tendant au Lépreux le Musulman venu répandre la bonne parole. « Moi chuis là pour donner la bonne image de l'islam. » nous dit-il avec une candeur étonnante. Je vous le dis, mes amis, cette image restera dans les livres d'histoire comme le symbole indépassable d'une étrange période, celle où les Français ont accueilli avec gratitude ceux qui allaient les décapiter. C'est pas tous les jours qu'on voit ça. Mon Cher Musulman, tu ne donnes pas seulement "la bonne image" de l'islam, tu donnes aussi la bonne image, l'image exacte, précise, impitoyable, de notre civilisation, cette civilisation dont "les idées chrétiennes devenues folles" comme dirait Chesterton, ne sont même plus combattues par le catholicisme. Ce que vous voyez là pourrait s'appeler une image haute définition de la Décadence. Ou : La République interdite — par ses célibataires.

Saviez-vous que le groupe de rock du Bataclan était en train de chanter "Kiss The Devil", au moment où nos chers amis les djihadistes ont commencé à canarder, dans ce que tout le monde s'accorde à appeler "un concert" ?


L'image, oui, l'image. Tout est désormais dans l'image, à côté de l'image, derrière l'image, par-dessus l'image. Le faux et le vrai s'y mêlent en un ballet furieux, et il faut aiguiser sa vue, prendre une loupe, se frotter les yeux et s'astiquer le cristallin, c'est-à-dire encore et toujours nettoyer les mots qu'on emploie pour voir, pour entendre, pour comprendre. Car les mots trompent autant que les images, bien sûr. Georges de La Fuly avait décidé de ne plus écrire de billet politique, mais on ne peut pas échapper à ce qui se passe, et qui va peut-être nous emporter tous. L'histoire est de retour et ça va faire mal ; nous le disions depuis longtemps mais même quelques crétins confits commencent à le croire.

Tout est là, sous nos yeux, depuis des années et des années, tout est là, écrit noir sur blanc, montré, entendu, reproduit, repris, commenté, décrit par le menu, et pourtant on ne voit rien. Même aujourd'hui que le rideau est déchiré, la plupart s'obstinent à regarder ailleurs. Le rideau est déchiré et toute une armée de petites mains agiles le reprisent, le reconstruisent à l'identique, plus épais, plus solide encore qu'auparavant. Ceux d'en face n'en reviennent pas. Pour un peu ils seraient déçus. On savait l'occident mou, fragile, instable, perclus de rhumatismes et la vue basse, mais tout de même, on n'imaginait pas être fêtés et accueillis en libérateurs ! Les Raspail, les Powell, les Renan, les de Gaulle, les Lévi-Strauss, les Maurras, les Naipaul, les Flaubert, les Malraux, mais à quoi ça sert qu'ils se soient décarcassés à nous dire ce qu'ils voyaient, ce qu'ils avaient vu, vécu, lu, entendu et compris ? Pourquoi tant de mépris pour ceux qui voient ? Pourquoi tant de haine pour ceux qui alertent ? Pourquoi tant de hargne pour ceux qui sont courageux ? Pourquoi les aveugles sont-ils toujours aussi féroces avec les voyants ? Pourquoi les cul-de-jatte sont-ils si vindicatifs avec les sprinters ? Pourquoi les sourds sont-ils aussi brutaux avec les entendants ? Les faibles mordent les forts et les forts se laissent mordre avec une espèce de plaisir mauvais qui leur procure sans doute une haute image d'eux-mêmes, dans le miroir déformant d'une culpabilité complaisamment entretenue. « Le conquérant trop attentif à la foi du conquis est un conquérant qui ne dure guère. » Il n'y a pas de justice, dans la loi de la conquête, il n'y a qu'un soumis et un conquérant, un vainqueur et un vaincu, et nos conquérants l'ont instinctivement compris. « Nous venons de transgresser les justes bornes de la tolérance, du respect et de l'amitié. Nous venons de commettre le crime d'excès. Fasse le ciel que nous n'ayons pas à le payer avant peu » écrivait Maurras dans le même article du 13 juillet 1926. Et encore : « Mais, s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où tous les plus grands docteurs de la chrétienté enseignèrent contre l’Islam représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. On pouvait accorder à l’Islam, chez lui, toutes les garanties et tous les respects. Bonaparte pouvait se déchausser dans la mosquée, et le maréchal Lyautey user des plus éloquentes figures pour affirmer la fraternité de tous les croyants : c’étaient choses lointaines, affaires d’Afrique ou d’Asie. Mais en France, chez les Protecteurs et chez les Vainqueurs, du simple point de vue politique, la construction officielle de la mosquée et surtout son inauguration en grande pompe républicaine, exprime quelque chose qui ressemble à une pénétration de notre pays et à sa prise de possession par nos sujets ou nos protégés. Ceux-ci la tiendront immanquablement pour un obscur aveu de faiblesse. Quelqu’un me disait hier : – Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ? » Un siècle après on se pose encore la question. Est-ce le pénétrant, ou le pénétré, qui a l'avantage ? On sait que pour l'islam toute mosquée est littéralement "terre d'islam", donc une avancée sur le sol de l'ennemi, prise territoriale. Une mosquée sert plus à marquer le territoire qu'à prier. Dar al-Islam ou Dar al-Harb, c'est l'un ou l'autre. Dans la théologie islamique et les interprétations légales, la finalité de l'islam est d'être porté au monde entier. Il ne peut exister de moyen terme. Ce qui n'est pas "terre d'islam", pour un musulman, n'est pas encore terre d'islam.

Les événements historiques viennent toujours de loin, et parfois de très loin, même si cela ne les empêche pas de prendre des visages tout à fait neufs et de posséder un moteur propre qui s'alimente aux sources contemporaines, toujours indiscernables, réversibles, amphibologiques, du conflit dans ce qu'il a d'éternel. La Grande mosquée de Paris, la première mosquée implantée en France, a presque un siècle, et, à ce moment-là, les colonisateurs étaient nos aïeux, qui pouvaient légitimement penser qu'ils devaient se montrer magnanimes et accueillants, en sus d'un appétit exotique et curieux qui ne s'appelait pas encore culturel. La mosquée était aussi grande que petite cette religion dans nos contrées ; l'un compensait l'autre. Depuis, le paysage et les mentalités ont complètement changé (c'est peu de le dire), et quand Alain Juppé veut fait construire à Bordeaux une immense mosquée, son geste a une portée immense qui le dépasse complètement. Voilà un "Kiss The Devil" que les générations suivantes ne pourront pas oublier.


Pour conclure provisoirement ce bref billet sur "la fin de la fin de l'histoire", je citerai le dernier paragraphe de la dernière chronique de Richard Millet : « Je pleure la mort des Français qui viennent de mourir dans cette guerre qui est donc avant tout civile, puisque la plupart des terroristes sont officiellement français. Qu’on me permette cependant de voir dans la rencontre entre les djihadistes et le groupe de sous-musique rock qui jouait ce soir-là, au Bataclan, un signe du nihilisme qui ronge l’Occident : les Eagles of Death Metal ont en quelque sorte justifié leur nom. » 

mercredi 4 novembre 2015

Souscription


Si vous voulez faire quelque chose pour ce blog, c'est le moment. Georges de La Fuly est en vente. Au moins son slogan : Plutôt mort que sympa, imprimé sur un T-Shirt, que vous pouvez vous procurer ici, au prix de 16 euros. Si nous en vendons 60 (au minimum), nous empochons les bénéfices. Sinon, ils iront dans la poche de Teezily. La souscription prend fin le 15 novembre prochain à minuit. 

Avec le T-shirt Georges de La Fuly, draguez les filles ! Résultats garantis. Avec le T-shirt Georges de La Fuly, vous êtes satisfaits ou remboursés. Avec le T-shirt Georges de La Fuly, faites tomber le gouvernement ! Avec le T-shirt Georges de La Fuly, ne passez plus jamais inaperçus ! Avec le T-shirt Georges de La Fuly, soyez enfin heureux ! 


dimanche 1 novembre 2015

Sous l'église (2)


Tout ceci pourrait être vrai. Tout cela également. C'est une guerre de variables et d'inconnues, et nous ne pouvons qu'observer, déduire et réagir, ce qui signifie que rien n'est assuré, jamais, ni les prémisses, ni les raisons, ni les conséquences, ni même les faits. Les raisons sont parfois aussi éloignées de la raison que la vertu de la virtuosité, mais il n'est bien sûr pas exclu non plus qu'elles en soient très proches. Tout ce qui est écrit est écrit, tout ce qui récit est récit, l'énonciation ne fait donc pas qu'énoncer — encore que j'aie tort d'écrire "donc" —, tout ce qui est écrit peut être effacé, et même barré, rayé, effacé, recouvert d'écrit, l'écrit peut avoir été lu, récité, il suffit d'une lecture, séparée d'un vécu sans coup de sonnette. « Driiing ! C'est moi, le réel, l'événement, la vie, l'imprévu, la nouvelle, ouvrez-moi la porte, faites place ! Je suis un corps, un paquet, une lettre, une femme, un passant, un facteur, une facture, une injonction, une menace, une insulte, une publicité, une annonce, un décès, une naissance, des bonbons, des fleurs, une balle. »

Tout peut arriver à chaque instant. À chaque seconde, votre vie peut "basculer". Cancer, infarctus, accident vasculaire cérébral, coup de foudre, diarrhée, bombardement, assassinat, torture gratuite, enlèvement, tête à claque, folie subite, déséquilibrage, chute, assomption. Gardons un œil sur lui, Capitaine, on ne sait jamais. Les voitures, dans ce "village", tombent du troisième étage. Elles sont prévues pour ça, rembourrées sur le devant. Au début ça surprend mais on s'y fait. 

La famille Giguet. Il y avait là au moins cinq générations. Et puis je retrouvais ma mobylette, qui avait été recyclée en objet d'art. Cheveux longs, filasses, visage émacié, blondeur suspecte. Ils viennent m'embrasser à tour de rôle. On se connaît. On se connaît ? Oui, souviens-toi ! Tout est vrai, là-dedans. C'est un coup de sonnette du passé. Les décès et les naissances, tout en même temps, comme amoncellement de futilités, en vrac, en désordre. Je sens bien qu'ils vont me lâcher leur paquet, je m'y attends, je suis au bord, toujours. Ah, Rumilly, Rumilly, cette ville où le rien prend le visage du tout. Basculons ensemble. Les noyers, au bord de la route, les vaches, les vélos. Le rugby. La rivière. La drague. On se roulait dans la boue. Variables, inconnues, secrets, histoires, chuchotements, messes, confessions, désirs. Le chemin de l'école, rouge et bleu. Coup de sonnette des gendarmes, durant le déjeuner. C'est votre fils qui a semé du bleu de méthylène et du rouge d'éosine dans toutes les flaques d'eau ? Heureusement, je m'envole. Ils ne m'attraperont pas. Je regarde d'en haut, mon père, les gendarmes, M. Kurt, et je me retrouve à l'église, en train de jouer de l'orgue. Ils sont assis en bas, je les assomme de plain-chant, à fond les tuyaux, j'arrache leurs couvre-chefs, ils n'en mènent pas large et je me laisse tomber à plat ventre sur le pédalier. Le curé me fait de grands signes, il va trépasser. Je bascule dans le Tout-est-vrai. Sur l'autel, je vois Martine qui ôte son pull noir. 

(…)

vendredi 30 octobre 2015

Voulez-vous jouer avec moi ?


C'est une guerre de variables et d'inconnues, et nous ne pouvons qu'observer, déduire et réagir. Grande table, murs insonorisés, secrétaire silencieuse. Après l'histoire de la danseuse chinoise, que pouvons-nous faire ? Gardez un œil sur lui, parlez-lui, essayez de savoir ce qui se passe dans cet ancien brillant cerveau. Nous devons nous tourner vers l'avenir. Pourquoi l'appelez-vous Daddy ? Je ne suis pas impressionné. Dieu soit loué ! Je n'ai aucun lien avec elle depuis des années. Gaspard et Sam revient, c'est couru de fil blanc… Saucisson, souffle, mégère, crampon, serpent. Les ordres sont d'aller là-bas et de louer l'appartement. Nichon, pantoufle, étagère, coupon, dépens. Et c'est tout ? C'est tout. Vous lui donnerez les clefs. Flonflon, moufle, exagère, crépon, tympan ? Faites comme si de rien n'était. Je croyais que vous étiez là pour m'aider… Je l'ai fait pour elle. Neuf heures précises, n'oubliez pas ! Je n'y arriverai pas, je vais craquer, je le sais. À ce soir.

Fiche-moi la paix. Il allume deux cigarettes à la fois, en donne une à la femme. Elle a un fort accent russe. C'est tout ce que j'ai. Tu dois être prudent. Tu es beaucoup trop beau pour mourir. J'ai failli apporter de la vodka mais je me suis dit que c'était un peu téléphoné. Dans peu de temps, tout deviendra très clair. Ils sont au milieu des auto-tamponneuses. Ils le retrouvent égorgé, encore assis sur la chaise. Les oies volent vers le sud en hiver. Goudron, maroufle, bergère, chapon, sampan. Je voudrais avoir une conversation. Un homme est mort ce soir. Escadron, écoufle, fougères, fripon, égipan. À quelques mètres de toi les gens parlent de nous. Fil blanc, ce serait assez logique, dans le meilleur des cas. La secrétaire porte un pull-over fait main. Il faut prendre une décision. Nous allons supposer qu'il n'y a pas de taupe. Entrez. Je dois faire confiance à quelqu'un. Des cartons, beaucoup de cartons. Qui était la fille ? Fais-moi confiance.

La ville est un labyrinthe. Rues, ruelles, impasses, passages, intersections, tunnels, ponts, escaliers, j'ai peine à retrouver le chemin du retour. Il connaît tout le monde, je ne connais personne. Et ce chien indiscipliné que je dois ramener à bon port… Finalement, je me retrouve rue Saint-Antoine, près du métro Saint-Paul, où avec Anne nous baisouillons plus ou moins en pleine rue, à demi cachés sous un vieux carton. Deux faux policiers roumains nous aperçoivent et dressent une contravention. Je marchande, je bluffe, je donne une fausse adresse, et ils m'intiment l'ordre de mettre le chèque (250 euros) à l'ordre de "Rose-Bonbon". La pauvre a dû régler une amende de 900 euros, et ils connaissent son adresse, maintenant. Saucisson, pantoufle, exagère, chapon, égipan. Tu es un traître !

Réagir, réagir, c'est facile à dire !

lundi 26 octobre 2015

Sous l'église (1)

Il s'appelait Patrick. Je l'ai revu, il y a quelques années, dans sa pharmacie, celle du haut. À l'époque,  je veux dire, à l'époque de nos enfances, son père en possédait deux. Celle qui se trouvait sous l'église, dans le bas Rumilly, près des deux autres pharmacies, et, coup de génie, celle qu'il avait ouverte dans le haut Rumilly, près du Cheval blanc, partie de la ville où il n'y avait pas d'autres pharmacies. Même si elles étaient modestes, les pharmacies Pellas avaient une clientèle importante, précisément parce qu'il y en avait deux. Je ne me souviens pas du père Pellas mais je souviens du fils. Nous étions dans les mêmes classes, au collège. Son père était le concurrent de mon père. Le troisième pharmacien de la ville, celui de la place Grenette, n'était pas de taille ; sa pharmacie était un peu anecdotique, décorative, folklorique. Comme ma sœur avait repris la pharmacie paternelle et que nous étions fâchés, elle et moi, j'allais dans les autres officines, quand il fallait que j'aille chercher des médicaments pour ma mère. Patrick Pellas tenait donc l'officine du haut, qui se trouvait plus près de la maison, et j'étais allé chez lui, ce jour-là. J'avais complètement oublié Patrick, et je n'avais nullement pensé le revoir en allant dans sa pharmacie, tellement habitué à ce que les pharmaciens, désormais, je parle des propriétaires, ne soient que très rarement dans leurs officines. Je crois bien que c'est mon père qui avait lancé cette mode, lui qui à la fin de sa vie ne passait que peu de temps à la pharmacie. Quand j'ai vu qu'il se tenait derrière le comptoir, j'ai eu un mouvement de recul (allait-il me reconnaître ?), mais je n'ai pas osé tourner les talons. Manque de chance, c'est lui qui a pris mon ordonnance. Nous ne nous sommes pas dit un mot, alors qu'il savait pertinemment qui j'étais, bien sûr. Nous avons fait comme si nous ne nous reconnaissions pas. Il m'a servi très gentiment, et je ne parvenais pas à savoir si l'esquisse de sourire que je voyais sur son visage était ou non un sourire (légèrement) moqueur, un sourire amical (mais retenu), ou seulement le sourire professionnel dont il gratifiait tous ses clients. Et ça m'est revenu.

Patrick était plutôt joli garçon. Je ne sais pas s'il avait du succès, je ne me rappelle pas, et puis nous étions trop jeunes pour que ce genre de question se pose ouvertement, mais il avait indéniablement quelque chose. Un visage fin, comme aiguisé en son centre, et pourtant très doux, comme plié sur lui-même, sur une nervure qu'on sentait frémir doucement. Intelligent et réservé mais ne cherchant pas à s'effacer. Le genre de type qui n'est jamais directement dans l'angle de vision, mais qu'on distingue, peut-être justement parce qu'il sait d'instinct se mettre légèrement en retrait, qu'il n'est pas plein cadre comme le lourdaud qu'on entend toujours un peu trop. 

Enfant, j'étais atteint d'une sorte de mal qui m'a poursuivi jusque dans les commencements de l'âge adulte, une maladie très agréable mais dont je n'ai jamais osé parler à personne. Une sorte de péché véniel, une sorte de gourmandise vibratoire, dont j'avais un peu honte mais dont je chérissais les effets. Certaines personnes, par leur seule présence, me procuraient un plaisir indicible et très prononcé. Il suffisait que je me trouve dans leurs parages immédiats pour tomber subitement dans une sorte d'extase fébrile. Je perdais aussitôt toute notion de ce qu'on me disait, de la raison pour laquelle j'étais là, et tombais en un évanouissement nerveux qui me faisait trembler des pieds à la tête. Ça ne se voyait pas, je continuais ce que j'étais en train de faire (le moins possible, toutefois), tout en prenant bien soin de ne pas briser la membrane ténue qui me retenait à l'intérieur du monde qui venait de m'absorber, je continuais à entendre les paroles de ceux qui étaient présents  avec moi, mais comme au travers d'une gaze légère et invisible. Je sentais les poils de mes bras et jambes frissonner et une absence merveilleuse se loger au bas de ma colonne vertébrale, je ne voulais plus que cela cesse. Peu importât que ceux qui avaient provoqué cet état aient été beaux, moches, de sexe masculin ou féminin, jeunes ou vieux, intelligents ou bêtes, amènes ou rébarbatifs, la chose pouvait arriver n'importe quand et me prenait en général au dépourvu, bien qu'avec le temps, j'eus appris à la prévoir et même à en favoriser l'apparition dans un certain nombre de cas. Je ne sais pas du tout de quoi il s'agissait, je ne l'ai jamais su, mais c'était une des manifestations du plaisir qui m'étaient la plus étrangement familière, et qui, non seulement m'était familière, mais dont j'avais la certitude d'être le seul à la connaître. J'étais toujours le premier surpris de ceux qui avaient l'air de provoquer une telle réaction. Je me souviens en particulier d'un plombier, jeune chef d'entreprise, comme on ne disait pas encore, qui nous avait installé le chauffage central au fuel, grand événement et source inépuisable d'émerveillement, pour moi qui regardais travailler les ouvriers pendant des heures. En général, ces moments survenaient quand je me trouvais en présence de quelqu'un qui était actif, mais dont l'action ne faisait aucune place à la parole. Étais-je l'émetteur, ou seulement le récepteur, ou bien les deux parties étaient-elles autant actives et nécessaires à la survenue de cette stase frémissante, je n'en sais rien. Mon cerveau s'arrêtait de fonctionner, je n'étais plus que vibrations, contemplation, résonance. J'imagine que je devais avoir l'air d'un parfait ahuri, ce qui en somme était l'exacte vérité. C'est aussi, je m'en avise maintenant, ce qui me donnait la faculté de me trouver la plupart du temps très à l'aise avec les paysans. Je pouvais les accompagner dans leur silence actif, très simplement, sans avoir à forcer ma nature. J'ai été un enfant idiot, au sens propre du terme, et pour mon plus grand bonheur. On me disait souvent, quand j'eus atteint l'âge de l'adolescence, que "je savais écouter". En réalité il n'en était rien. Je n'écoutais pas, j'étais traversé de la réalité, d'une toute petite réalité intime et privée qui me mettait en transe et me faisait trembler comme une feuille. J'ai d'ailleurs très longtemps été persuadé que je n'avais aucune oreille, que je n'entendais rien, ou que je ne comprenais pas ce que le sens de l'ouïe me donnait à entendre.

(…)

jeudi 22 octobre 2015

Au suicide nul n'est tenu


La vie est si surprenante, surtout quand elle ne l'est pas, quand elle semble se conformer à des vues bien établies et déjà anciennes que nous avons sur elle. On dirait que, justement dans ces cas-là, elle est d'une ingéniosité qui surprend même les plus blasés d'entre les mois qui nous habitent. Comment le concerto (le deuxième) de Chopin pourrait-il encore nous surprendre, par exemple ? Et pourtant, il suffit d'un jeune pianiste polonais pour nous redonner l'illusion, trop vraie hélas, que nous ne connaissons rien ni à la vie ni à la musique (mais cela nous le savions déjà un peu). 

Je notais hier sur Facebook qu'il ne fallait négliger aucune occasion de se brouiller avec ses contemporains. Je le crois vraiment. Il n'y a finalement que dans les brouilles qu'un peu de vérité affleure, et que nous parvient (comme) un écho d'écho de la réalité qui fait de plus en plus défaut, effrayée qu'elle est elle-même par l'absence d'attention dont elle semble l'objet. Parlons de ce blog, par exemple. C'est après tout un sujet d'étude comme un autre, et je ne suis pas le plus mal placé pour en parler.

Il y a quelques mois, j'ai décidé de le rendre "privé", ce qui était une autre manière de le fermer, mais cela je ne le savais pas encore. Le côté amusant de la chose est qu'il suffit que vous rendiez un blog "privé" pour qu'aussitôt tous vos lecteurs (c'est-à-dire quatre ou cinq personnes) se récrient en chœur. Pour les uns, c'est une idiotie (et en effet…). Pour les autres, il est scandaleux que vous n'ayez pas songé à les "inviter", c'est d'une grossièreté impardonnable. Nous aurions naïvement pensé quant à nous qu'il leur revenait après tout de faire le minuscule effort de vous demander à être invités comme lecteurs, demande à laquelle nous donnons très volontiers une réponse positive — après tout, quand on veut lire quelqu'un, on bouge au moins le petit doigt, sinon la main en entier. Non, il faudrait, en plus d'écrire gratuitement, aller tirer les lecteurs par la manche, les supplier de bien vouloir venir lire les fadaises qui vous passent par la tête. Toujours est-il que quelques uns se sont manifestés, à qui nous avons très simplement donné la combinaison de la porte blindée. Et c'est là que ça devient intéressant, puisque nous avons pu constater que ces mêmes lecteurs, à deux ou trois exceptions près, un peu froissés d'avoir dû demander la permission d'entrer, peut-être, ne venaient jamais, ou quasiment jamais, sur le blog en question. Tout doit être disponible, ouvert, gratuit, offert, depuis qu'Internet existe. Si vous avez la plus petite prétention à garder un tant soit peu de pouvoir (tu parles !) sur ce que vous produisez, vous êtes aussitôt ignoré, banni, laissé pour compte. Vous devenez invisible. Vous ne jouez pas le jeu. Vous ne parlez pas à l'époque avec sa langue, avec ses codes, avec ses réflexes de publicitaire, vous êtes out, à l'ouest de l'ouest. 

Bon, de toute manière, me direz-vous, pourquoi parler de ce blog qui n'intéresse personne et dont même l'auteur se désintéresse très souvent durant de longues semaines, ce qui, là aussi, constitue une entorse aux règlements édictés par le nouveau clergé ? En effet, la question se pose. C'est peut-être, allez savoir, parce que, comme me l'a fait remarquer récemment un correspondant sur Facebook, il m'arrive plus souvent qu'à mon tour de « tergiverser des plombes durant, à la Finkielkraut [sic], de valses-hésitations en valses-hésitations pour ne rien dire du tout ou presque ». Rien dire du tout, certes, mais il faut tout de même des mots, pour ne rien dire du tout… Ce n'est pas si simple, de ne rien dire du tout, c'est un idéal difficile à atteindre, et il faut parfois des montagnes de lettres ou de phrases pour y parvenir. D'ailleurs, on peut facilement soutenir, en ce domaine comme en bien d'autres, que je suis un débutant, ce qui devrait m'autoriser à accumuler les essais manqués et les silences tohu-bohuïques.

Je disais en commençant que les occasions de se fâcher avec nos contemporains et amis ne manquent pas, à commencer par la musique. Il y a quelques années déjà, j'ai décidé de ne plus toucher un piano, de ne plus le toucher professionnellement, je veux dire, ou sérieusement. Les raisons de cette décision me regardent, et surtout elles seraient trop longues (ou trop difficiles) à expliquer ici, même si je le voulais. Je croyais naïvement que j'avais le droit de la prendre, cette décision, et plus encore de m'y tenir, mais je m'aperçois qu'au contraire de ce que j'aurais pu penser, plus le temps passe et plus il est difficile de faire comprendre autour de moi mon "refus" de jouer (en réalité, je n'ai rien à refuser, mais les autres se chargent par leurs demandes parfois très insistantes de me mettre en situation de le faire). Je sens monter un reproche, souvent implicite, et parfois même très explicite. En réalité, il aurait fallu que je cache le fait de savoir (un peu) jouer du piano, car personne ne veut comprendre qu'on le puisse et qu'en même temps on décide de NE PAS LE FAIRE. C'est suspect. Il y a peu, j'ai vécu un moment très désagréable, où quelqu'un s'est cru autorisé, m'a-t-il semblé, à me faire passer une sorte d'examen. Oh, c'était bien sûr fait sur le ton de la plaisanterie, mais on sait bien que les plaisanteries servent le plus souvent à débusquer la vérité. J'en suis donc arrivé à un point où, pour avoir la paix, il faudrait que je mente, que je prétende ne jamais avoir fait de piano. Ce serait assez compliqué, car d'une part ce serait occulter toute une part relativement importante de ma vie, et, d'autre part, parce que, pour survivre, je donne des cours de piano, tout de même, et que je peux difficilement le cacher, cela. Mais c'est sans doute de ma faute : je manque certainement d'imagination, et n'ai pas réussi à trouver la langue qui convient pour parler de musique (car cette passion-là j'y tiens fort) sans parler de piano. La chose est difficile, certes, car l'instrument, comme son nom l'indique, est le meilleur moyen d'entrer dans la musique (je n'ai peut-être pas la forme d'esprit qui convient, car tout ce que j'ai appris, dans ma vie, je l'ai plus appris avec les doigts et avec les oreilles qu'avec mon cerveau bien déficient), mais elle ne doit pas être impossible. Ce qui rend les choses si difficiles, on l'aura compris, c'est que tout est lié, tout est relié, la musique, la littérature, la politique, la vie en société, les mœurs, la langue, les amours, les amitiés, les inimitiés, les désamours, le ressentiment, la jalousie, les principes, l'éducation, la mémoire, l'enfance, la dette, et même le désespoir. Ce qui rend le monde passionnant le rend détestable et effroyable. On n'a pas le choix : si l'on veut comprendre, ou à tout le moins essayer, il faut en passer par l'horreur, le malentendu et la trahison. Là où le sens se dresse croît la malédiction

Je suis bien placé pour le savoir. Entre ce qu'on écrit et ce qui est écrit, quel est l'écart, le jeu, l'articulation ? Une amie américaine souffre beaucoup de ce qu'elle a lu dans le journal de son amant. Elle n'aurait jamais dû le lire, ce journal, me direz-vous. Je l'avais prévenue, aussi, mais ça ne change rien. Le journaux intimes sont comme des nuages fantasques et élégants, vus de loin ; ils passent dans le ciel, au-dessus de notre tête, nous les trouvons beaux, majestueux et d'une imagination débordante, mais la pluie qu'ils délivrent est parfois glacée, acide, voire mortelle, quand c'est sur nous qu'elle tombe. Peut-on aimer en toute connaissance de cause ? C'est la question des questions. J'ai voulu croire que oui, et ça ne m'a pas réussi. Il m'est arrivé d'écrire des choses terribles sur celle que j'aimais. Ce qu'on écrit, pour soi, ou ce qu'on écrit pour tenter avec des mots d'y voir plus clair, n'est presque jamais lisible, compréhensible, pour la personne dont il est question. J'avais beau le savoir, je m'acharnais, je m'agrippais à ce désir de faire advenir un amour délivré du mensonge, un amour sachant, un amour volonté, un amour les yeux ouverts, un amour qui devrait tout à une forme de lucidité créatrice, mais ce jeu-là demande une intrépidité et une foi gigantesque, qui manque à tout le monde, ou presque. Qui déclenche les orages, qui crève les nuages, qui prend véritablement l'initiative de tirer sur le fil du visage qui immanquablement se défait alors — et c'est tout le désir qui vient avec lui, qui a tôt fait de se transformer en dégoût ? On ne sait jamais. Il y a toujours un antécédent, quelque chose qui a entamé le cycle maudit, qui l'a mis en train, et c'est toujours avant, en-deçà du geste qui paraît fatal, et plus on remonte dans l'enchaînement des gestes de la défaite plus on s'aperçoit que le commencement était le début même de l'amour. Ne jamais commencer ? Mais l'amour est précisément un commencement éternel. 

Dès qu'on écrit on écrit plus que ce qu'on pense, sinon ce n'est pas la peine d'écrire. On n'écrit pas pour les procureurs du réel, et pourtant, c'est bien la vérité qu'on cherche. On sait que cette vérité est au-delà des mots, sans doute, mais ce sont pourtant les mots seuls qui peuvent la faire sortir du bois et nous observer un instant de son masque grimaçant — parce que ce n'est pas nous qui observons la vérité, c'est elle qui nous contemple.

Peut-être qu'il s'agit d'une manie qui m'est propre, c'est possible, mais la brouille et la trahison sont pour moi parmi les instruments les plus efficaces de l'affection active. Je ne sais pas me contenter d'avoir des sentiments ou des affections, qui sont des choses qui nous arrivent, qu'on subit, comme des maladies, comme des états, je veux que ces affects aient une forme, une vie, qu'ils soient des créatures dont l'intelligence et l'imagination nous permettent de jouer comme on le fait avec des instruments de musique, pour aller plus loin dans la connaissance de l'autre, pour parvenir à une fidélité plus haute, plus exigeante, plus spirituelle, mieux accordée. C'est en ce sens que j'ai toujours compris la fameuse formule de Paul Morand : « L'amour n'est pas un sentiment, l'amour est un art. » Tristan et Isolde qui boivent le philtre de l'amour et Ève qui croque dans la pomme ne sont pas pour moi des gestes contradictoires mais les deux figures d'une même structure active : la connaissance. Il y a une sagesse de l'amour, mais elle semble réservée à bien peu. On peut la voir, l'entendre, et presque la toucher, dans la musique, et c'est ce qui rend cet art si précieux entre tous, et Chopin indispensable. 

Qu'est-ce donc qu'un blog, et celui-ci en particulier ? Un journal, un journal intime, un cahier de brouillons, une réserve d'amorces, une boîte à fiches électronique, une encyclopédie d'humeurs, un tiroir profond comme le néant, la chronique désespérée de la vie qui fuit par tous les bouts, des phrases sans queue ni tête, des paragraphes recomposés comme des familles post-modernes, la dénonciation de soi-même d'après l'ère du soupçon, un pense-bête intelligent, une escroquerie banale, un masque, une lettre d'amour qui ne sera jamais lue, et si par extraordinaire lue, jamais comprise, l'alibi qu'on se donne à ne pas faire ce qu'on a à faire, un écran posé sur le regard vide d'un squelette numérique, la preuve de notre bêtise, un crime sans cadavre et sans mobile, une déclaration de guerre, l'illusion qu'on se donne gentiment d'avoir la possibilité de parler de choses qui n'intéressent personne à des gens qu'on n'intéresse pas ? Peut-être dans le fond que c'est seulement la preuve en mots qu'on a tout raté et qu'on entend bien le faire savoir, mais ça c'est l'hypothèse optimiste.

Les histoires d'argent ont ceci d'intéressant qu'elles sont immédiatement éducatrices et permettent de partager facilement l'humanité sensible : d'un côté les généreux, de l'autre les pingres, qui trouvent toujours mille excellentes raisons à leur pingrerie. C'est une histoire vieille comme le monde dont nous aurions tous cent exemples à donner. Mes parents étaient des gens extrêmement généreux, trop sans doute, et qui, comme tous ceux-là, en ont été bien mal récompensés. Cette configuration familiale a sans doute joué un grand rôle dans ma vie. Puisque j'ai commencé ce petit texte en parlant de brouille, je ne peux pas, rouvrant ce blog, ne pas parler de l'expérience formidable qu'aura été pour moi mon "appel à l'aide" d'il y a quelques mois. Je m'étais réveillé un matin avec le coup de sonnette de mon propriétaire qui s'était déplacé (ce qu'il ne fait jamais, heureusement) car il devait avoir senti l'odeur du sang. En effet, la banque avait refusé d'honorer deux de mes chèques pour le loyer, et le brave homme devait commencer à s'inquiéter. Ce coup de sonnette, ou plutôt ces coups de sonnettes, car j'ai bien cru qu'il allait passer là toute la journée à attendre que je veuille bien lui ouvrir la porte, m'ont traumatisé, je le reconnais, d'autant qu'évidemment ils n'ont été que le prélude à un concert assourdissant de mauvaises nouvelles sur le front de la pécune. Ce n'était pas l'Or du Rhin, mais l'or du Rien, qui me faisait son grand prologue tonitruant. Comme l'amour (et ils sont presque toujours liés), l'argent est un instrument de connaissance, j'ai trop tardé à le comprendre. Il a fallu, devant le constat que les caisses n'allaient pas se remplir en claquant des doigts, ni même du bec, se résoudre à demander l'aumône, ce qui fut très pénible. Mais dans mon malheur est entré beaucoup de satisfactions, comme souvent. J'ai donc écrit à une quinzaine de personnes que je connaissais un peu ou beaucoup selon les cas, à certaines que je n'avais jamais rencontrées mais qui m'avaient montré de la sympathie et même de l'amitié en diverses occurrences. J'ai été soufflé de la grande générosité de certains qui me connaissaient très peu mais qui n'ont pas hésité à me prêter ou même à me donner de l'argent, comme ça, sur ma bonne gueule. Je ne m'y attendais pas et ce fut une très bonne surprise. La revers de la médaille, ce fut la réaction de trois personnes, dont deux que je connaissais assez bien. (Il va sans dire que parmi mes correspondants, beaucoup m'ont opposé une fin de non recevoir (si l'on peut dire), assortie ou non d'explications, et que l'affaire s'est arrêtée là, que nous sommes restés en très bons termes et que je ne leur en veux pas le moins du monde. D'autres n'ont pas répondu, ce qui est assez désagréable mais qui, étant prévisible et prévu, n'a donné lieu chez moi à aucune acrimonie particulière.) Les trois personnes dont je fais mention plus haut m'ont répondu, elles, et ce sont ces réponses, ou plutôt ces parodies de réponses, qui m'ont révulsé. Deux d'entre eux ont eu cette réplique que je trouve admirable : « Mais enfin, qu'est-ce qui te fait croire que je suis riche ? » Je dois préciser à ce point de mon récit que j'avais bien précisé dans mon appel au secours qu'on pouvait (évidemment !) me donner ou me prêter ce qu'on voulait (le contraire prouverait seulement que je suis fou), ce que tout le monde a parfaitement compris, sauf eux. Certains m'ont envoyé une petite somme, correspondant à ce qu'ils pouvaient, ou voulaient me donner, et j'ai trouvé ça très gentil. Une des deux personnes citées plus haut m'a en outre fait la morale comme à un vilain garnement qui passe son temps à se tourner les pouces, car il est bien entendu que faire de la peinture est un hobby pour rentier décadent qui ne sait pas comment tuer le temps… mais passons. Le cas de la troisième personne est encore plus intéressant. Dans un premier temps, il a répondu favorablement à ma demande, et m'a annoncé qu'il m'enverrait cent euros, ce dont je l'ai évidemment remercié. Puis, ne voyant rien venir, j'ai dû lui écrire pour lui demander s'il comptait toujours m'envoyer cette somme, car j'étais malheureusement dans l'obligation de prévoir un peu les choses, la banque ne me laissant pas beaucoup de temps pour réagir. C'est alors que cette personne m'a fait une véritable scène, m'accusant d'avoir voulu lui extorquer de l'argent (de, je le cite « l'avoir pris pour un tiroir-caisse »), et de l'avoir mis « dans une situation détestable » (sic) et l'obligeant par la même occasion à « se désinscrire de Facebook » (resic) ! Je n'ai évidemment rien répondu à ce délire, et j'ai tourné les talons. Furieux de voir que je ne répondais pas, sans doute, que je refusais d'entrer dans ses divagations, il s'est mis à faire dans le sarcasme moral et à insinuer que notre "amitié" n'avait « valu que cent euros ». Devant une telle preuve de saleté mentale, je l'ai supprimé de mes "amis" (c'était bien la moindre des choses), ce qu'il a bien sûr très mal pris et ce qui l'a autorisé à faire état, à sa façon, de ma démarche, dans des cercles d'où une réponse de l'intéressé était tout à fait exclue, bien entendu, puisque sans certains amis je ne l'aurais même pas su. Finalement, après réflexion, je me suis dit que cette aventure, ou mésaventure, m'avait apporté beaucoup : d'une part, elle m'a permis de rencontrer des gens généreux, et qui, sans cette "démarche", comme dit l'autre, seraient restés pour moi plus ou moins anonymes, et d'autre part elle m'a permis de mettre fin à des relations qui, et cela je l'avais deviné depuis un certain temps déjà, faisaient partie de ces relations que nous traînons comme des boulets. Le pire est sans doute ces gens qui, quand vous avez la tête sous l'eau, vous disent, en maîtres d'école soudain très sûrs de leur belle et bonne morale, que vous sortir la tête de l'eau « ne réglera rien sur le fond ». Comme si nous les avions attendus pour savoir que recevoir un peu d'argent de la part de bienfaiteurs ne règle jamais "le problème sur le fond", mais permet seulement d'espérer durer encore un peu, envers et contre toute raison. Comme toujours, ou comme 98 fois sur 100, nous savons toujours à quoi nous en tenir dès le début d'une relation sur celui ou celle qui se trouve en face de nous, mais, comme 98 fois sur 100, nous pondérons notre jugement par des considérations intellectuelles qui ont finalement peu à voir avec la réalité tangible et efficiente. C'est la raison pour laquelle je ne comprendrai jamais ceux qui ne veulent pas qu'on "juge sur le physique". Cette expression, "juger sur le physique", ou "critiquer le physique", est trompeuse, car le "physique" n'est pas (seulement) le physique, il est, dans 98% des cas, l'être tout entier, car l'être ne peut pas se dissimuler, contrairement à ce que l'on dit souvent. Il suffit d'ouvrir les yeux pour le voir. On peut bien entendu amender l'être, le travailler, le perfectionner, le modeler, le redresser, mais il émet toujours les signes de ce qu'il est et du travail en cours, quoi qu'on fasse. Nous ne sommes pas autrui, et nous n'avons qu'un pouvoir restreint sur notre figure — encore une mauvaise nouvelle. D'ailleurs, pour quelle raison le visage aurait-il pris ce statut si particulier, si sacré, s'il n'était porteur d'autre chose qu'un masque pour l'être ?

Mon amie est bien malheureuse et je suis malheureux avec elle. Elle se sent prise dans une nasse ; j'ai connu ce sentiment terrible. Elle me demande si elle est vraiment moche. Nous sommes tous pris sous le regard des autres, moi comme elle, c'est un jeu terriblement cruel que d'avoir un visage et un corps, et j'en ai souffert plus souvent qu'à mon tour. "Pris sous le regard de l'autre" dit tout à fait ce dont il s'agit. Comprendre l'autre c'est justement faire échange de regards (et les regards peuvent être aussi des paroles, des écrits) pour le garder dans une proximité qui ait du sens. « Ne sommes-nous que cela ? » se désolent ceux qui n'ont qu'une image spéculaire à opposer à l'autre. C'est très curieux, tout de même, cette hantise de la mocheté. Je me suis trouvé moche toute mon enfance, et aujourd'hui que je regarde des photographies de ce temps-là, je me trouve plutôt joli garçon. On pourrait résumer la chose en disant qu'au présent on se trouve toujours moche, quand il s'agit de soi-même, mais il se pourrait bien que ce soit l'inverse en ce qui concerne les autres. J'ai pris l'habitude, depuis quelques années, de ne jamais voir une jolie fille sans l'imaginer avec dix ou vingt ans de plus. Il ne s'agit pas du tout de se consoler à bon prix de ne pas être en mesure "de l'avoir", non, cela m'est complètement égal et il s'agit de bien autre chose. J'ai enfin réalisé (il était temps !) que même le désir est pris dans une histoire, et qu'être amoureux consiste (aussi) à gérer, tant bien que mal, cette durée. J'ai d'autant moins d'excuses que la musique est par excellence un art du temps que l'on pourrait définir par la manière dont le son distribue le désir dans la durée. "Construit", plutôt que "distribue", car le désir n'est pas une chose donnée une fois pour toutes, justement. Je crois décidément de plus en plus que la musique et l'amour sont un seul et même phénomène qui a pris des formes différentes à cause de la surdité "naturelle" de la grande majorité des hommes. Comme l'amour, la musique m'aura brouillé avec tout le monde ou presque. Est-ce que je ne devrais pas plutôt parler du goût ? Ah non, ça suffit comme ça, on a fait assez de dégâts pour aujourd'hui. À chaque jour suffit sa brouille.


Tout le monde n'est pas Sarah. De retour à la maison, après une visite au médecin de ma mère, je l'avais trouvée confortablement installée dans mon bureau, en train de lire mon journal intime. Même si j'en ai eu envie, je n'ai pas réussi à me fâcher. Nous avons éclaté de rire tous les deux. Lire est toujours un risque, comme vivre. Elle avait (et a toujours, j'imagine) vingt ans de moins que moi, j'étais donc celui qui est exposé, du point de vue de l'âge, à la critique, au dégoût, à la moquerie. Je crois que cette habitude que j'ai prise d'imaginer une femme avec un ou deux cycles de vie en plus date de cette époque-là. Sarah a été un modèle irremplaçable, pour moi. La demande étant venue d'elle, je n'ai pas eu à exiger quoi que ce soit. Comme j'ai pu réaliser grâce à sa bonne volonté une grande quantité d'images d'elle, j'ai constaté qu'il était possible de faire sortir d'un corps d'autres corps, et parfois en très grand nombre. Tous ces corps sont déjà , bien sûr, on ne les invente pas, on ne fait que les amener au jour, et très souvent le modèle est le premier surpris, qui croyait être unique ou à peu près. Certaines personnes possèdent un ou deux corps de rechange, d'autres en ont des centaines. Et lorsqu'on met petit à petit en lumière ces corps, il devient assez simple d'imaginer les formes que prendront ces figures latentes, dans un avenir plus ou moins proche. Les femmes veulent très souvent, le plus souvent, que vous fassiez d'elles des portraits qui les rendent belles, ou plutôt qui les montrent belles, et l'expression "aimer ses modèles" (comme "aimer ses acteurs" pour un metteur en scène, ou "aimer ses personnages", pour un auteur) est devenu une des scies les plus pénibles : « On sent que vous aimez votre modèle, Brandon-Alphonse Bachardi ! » J'avoue que je ne vois pas très bien ce que ça peut vouloir dire, de montrer quelqu'un sous son meilleur jour. Comment quelqu'un qui se regarde dans la glace pourrait-il savoir quel est "son meilleur jour", puisqu'il ne voit qu'un reflet de l'image qu'il tente de faire coïncider avec ce qui en lui regarde cette image ? Un photographe, un peintre, un portraitiste serait censé lui aussi coïncider avec cette chimère ? Il ne peut au mieux que tenter de se conformer à ce qu'il croit comprendre du désir de celui qu'il représente. Est-ce vraiment le but d'un portrait ? Est-ce qu'un portrait peut aussi nous brouiller avec le sujet de celui-là ? « Tu n'aimes pas ton modèle, tu ne m'aimes pas ! C'est comme ça que tu me vois ? Alors je préfère que tu ne me regardes plus. » À chaque fois que j'ai tenté un portrait de Raphaële, elle l'a très mal pris. Pourtant je l'ai aimée, infiniment plus que j'ai aimé Sarah. Et je la trouvais belle, sur ces portraits qu'elle détestait, sur ces portraits où elle se détestait. Ce que les modèles détestent, je crois, c'est surtout un certain rapport à la vérité. Ils ont tellement peur que notre regard échappe à leur emprise, à leur regard, ou plutôt à ce non-regard dont ils veulent conserver précieusement le pouvoir, comme un trophée durement acquis, qu'ils prennent toujours très mal le fait qu'un autre s'autorise à montrer une figure qu'eux-mêmes ne voient pas. Les photographies sont très liées au journaux intimes, je l'ai souvent constaté, et pas seulement les photos de nu. On sait bien, même si c'est confusément, que se laisser photographier (ou portraiturer) c'est, qu'on le veuille ou non, une plongée dans notre intimité. Qu'est-ce qui est dehors, et qu'est-ce qui est dedans, on ne le sait jamais avant de voir le résultat. Ce qu'on croit cacher on le laisse voir et ce qu'on pense montrer on le dissimule, c'est précisément cela qu'on voit, sur un portrait réussi, cette image à front renversé, brouillée et surprenante qui n'appartient que très peu à celui qui est mis dans le cadre.