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vendredi 20 mai 2022

Écrire un livre accrocheur

Bonjour Marcel, 

Et si on décidait d'écrire votre histoire ensemble ? Qui n'a jamais rêvé d'être capable d'écrire une histoire qui captive son auditoire, qui tient tous ses lecteurs en haleine, qui bouleverse, dérange, obsede son lecteur ?

Vous pensez que c'est l'apanage des seuls auteurs de talents ? 

Je me fais fort de vous démontrer le contraire ! Tout le monde a la capacité de concevoir et d'écrire une histoire d'exception. C'est une simple question de techniques, d'outils, et d'entrainement. 

Je vous invite à un défi de trois jours, pendant lesquels je vais vous dévoiler mes techniques secrètes pour créer des histoires exceptionnelles. Ces techniques qui sont utilisées par les scénaristes d'Hollywood, mais également celles qui sont directement tirées des neurosciences, de la psychologie cognitive des histoires. 

Trois jours pendant lesquels nous allons travailler ensemble à votre histoire, vous faire progresser, vous faire littéralement passer à un autre niveau dans votre chemin d'auteur. 

Rendez-vous Mardi 24, mercredi 25 et jeudi 27 mai 2022 à 14h (heure de Paris). Oui, c'est bien la semaine prochaine, vous avez bien calculé... 

Réservez vite votre place, parce qu'elles sont en nombre limité, en CLIQUANT ICI

Attention, les places en direct sont limitées, et ce mail a été envoyé à plusieurs dizaines de milliers de personnes ! Je vous encourage vivement à sécuriser votre place en vous inscrivant immédiatement !

Seules les personnes inscrites auront accès aux rediffusions, alors inscrivez-vous vite en CLIQUANT ICI

Que vous en soyez encore à vous dire "un jour, j'écrirai mon livre, c'est sûr!", ou à chercher à maximiser les ventes de votre huitième opus, j'ai décidé de vous donner tout ce que je peux pour vous aider à avancer. 

Alors, Marcel, on se retrouve mardi prochain ? Vous l'écrirez, votre À la Recherche du Temps perdu, ne perdez pas espoir !

vendredi 1 juillet 2016

30 CH



Je lis de plus en plus souvent le mot "audiophile", dans des commentaires ou même des textes sur la musique. Comment en est-on arrivé à substituer au classique "mélomane" ce terme absurde d'"audiophile" ? L'audiophile est celui qui aime le son. Le son n'est évidemment pas la musique, pas plus que les mots et les phrases ne sont la littérature.

Eh si, justement ! Aujourd'hui, la musique, c'est du son, c'est "le son". Le son c'est de la musique, si l'on veut, mais une musique d'où est absente sa composante fondamentale : la pensée. Il est donc tout à fait logique que l'on nous parle désormais des "audiophiles", en lieu et place des mélomanes qui, il faut bien le dire, se font si rares qu'ils n'ont même plus une station de radio qui leur est dévolue.

De mon temps, les "audiophiles" étaient ces gens un peu ridicules qui dépensaient des fortunes dans du matériel audio de très haute qualité. Je m'en souviens parfaitement, car un de mes frères ainés était de ceux-là. Plus ils faisaient attention à la qualité du son, ces audiophiles, moins ils écoutaient… la musique. Il s'agit là typiquement d'une perversion. On perd de vue (d'ouïe) la substance de la musique, pour n'en conserver que l'enveloppe.

Mais les choses ont tellement évolué qu'on ne doit même plus comprendre ce dont je parle. J'ai eu hier, sur Facebook, une discussion tout à fait hallucinante avec une dame qui me parlait du pianiste Polnareff, et qui voulait à tout prix me persuader que celui-ci donnait des concerts, « de la même manière qu'une Callas ou qu'une Montserrat Caballé »… Quand les mots perdent à ce point leur sens, il n'y a plus de conversation possible.

Un berger, j'imagine, aime sans doute beaucoup le son qui l'entoure, quand il mène ses bêtes dans les pâturages ; et je ne peux que lui donner raison. Les sons de la nature sont la plupart du temps très beaux, mais la musique c'est autre chose, puisqu'il s'agit d'une construction humaine. Qui dit construction dit pensée, dit composition (au sens strict : poser avec, à côté, mettre des sons en rapport les uns avec les autres, et de ces rapports, tirer un sens, un langage, des images). Qui dit composition dit donc relations. Si vous ne savez pas mettre des sons (et des sens) en relation les uns avec les autres, vous ne savez pas composer, de la même manière que si vous savez pas mettre des phrases (et des sens) en relation les unes avec les autres, vous ne savez pas écrire. Peu importe le son, peu importent les mots, dans un premier temps c'est le sens qui importe. Qu'il existe une composante hédoniste dans la musique est indéniable. On peut parfaitement prendre du plaisir, un plaisir passif, à la beauté des sons, des accords, des timbres instrumentaux, des dynamiques, mais l'on sait bien, et le compositeur le tout premier, que l'essentiel n'est pas là. Pour la beauté des sons, encore une fois, point n'est besoin d'instruments ni de compositeur, la nature pourvoit à notre bonheur. Seulement elle parle dans un langage qui n'est pas le nôtre — et c'est là son principal attrait. 

Le force de la musique, c'est qu'elle exige de nous une volonté. Être entouré de la plus belle musique du monde ne sert à rien si vous n'avez pas la volonté de l'écouter, puis de l'entendre. Elle ne se donnera pas à vous si vous ne faites pas l'effort d'aller vers elle. On dit en général qu'il faut une dizaine d'années pour faire un instrumentiste accompli (je pense qu'il faut beaucoup plus, mais peu importe), mais je suis certain qu'une vie ne suffit pas à faire de quelqu'un un écouteur de musique accompli. Heureusement, nous vivons plusieurs vies, grâce à une chose fondamentale dont tous cherchent aujourd'hui à nous débarrasser : l'héritage. Le goût et les aptitudes se déposent lentement dans la généalogie d'un individu. Ça laisse des traces… Il n'y a pas d'art possible dans un monde de la table rase. La volonté est nécessaire mais pas suffisante, il lui faut encore un terrain sur lequel s'inscrire, et ce terrain, ce sont les traces laissées par notre ascendance. 

Le son n'est donc qu'un vecteur. Il peut être vivant ou il peut être mort. La musique est l'art qui rend les sons vivants, elle s'adresse donc à des êtres vivants, qui restent vivants malgré la très puissante injonction incessante à être mort. Conduisez-vous comme des morts, aimez comme des morts, votez comme des morts, vivez comme des morts. La variété, la chanson, le rock, la pop-music, le rap, la techno sont des choses mortes qui s'adressent à des morts qui s'ignorent. Et la mort s'étend sur le paysage… Parfois, ici ou là, on en voit un qui se réveille, qui se frotte les yeux, et qui ne comprend pas ce qu'il voit. Il se sent un peu seul…

dimanche 27 décembre 2015

Danse avec l'élu — Ballade en la bémol (1)


Adage. Le reste lui était égal, l'orchestre se débrouillait bien. Arabesque. Le la bémol est évité. Assemblé. Plus d'espace, un plus haut registre. Attitude. Ma mère chantait effroyablement mal. Balancé. Un jour, tu feras autrement. Ballonné. Les chanteurs médiocres m'ont toujours intrigué, quand j'allais au concert. Basque. J'ai commencé avec des choses auxquelles je ne comprenais rien. Battement. Je me contentais de dévorer de la musique. Batterie. Mon père, assis à son bureau, composait des Singspiele. Biche. Mon frère méprisait un peu mes essais au piano. Jeté. Il me prenait pour un minus. Échappé.  Les yeux écarquillés, je fus transporté par le spectacle. Chassé. Mon père m'emmena en coulisses, où je vis le roi de près. Chat. Il était en bretelles, déjà déshabillé. Cheval. Il m'offrait du café, des gâteaux, inventait toutes sortes de prétextes pour ne pas avoir à me faire travailler. Coupé. J'étais paresseux, comme tous les enfants. Déboulé. Je suis tombé amoureux de quelques voix qui me semblaient l'idéal du chant naturel. Dégagé. Je les imitais. Détourné. Une voix limitée mais capable d'exprimer les choses de l'âme. Emboîté. En un an, nous avons travaillé toutes les cantates de Bach. Enveloppé. Nous avions tant à faire, Dieu merci ! Failli. C'était une tâche de longue haleine, qui ne se faisait pas du jour au lendemain. Fouetté. Pensez ! Glissade. Nettoyer une si grande ville et rendre ses rues circulables. Fondu. Elles étaient jonchées de débris. Menée. La grande affaire était de trouver à se nourrir. Piqué. On ne voit que des films de décombres, mais on vivait autre chose. Plié. Chacun était occupé à reconstruire, à recommencer quelque chose. Pirouette. C'était la volonté d'oublier. Retiré. Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens, qu'il fallait surmonter d'une manière ou d'une autre. Royal. Je me sentais responsable de tout. Surrection. La musique est plus que "la la la". Tour fouetté. Les pauvres Mozart, Wagner ou Verdi ne sont plus là pour se défendre. Temps de flèche.

Variation. Pointes. Soubresaut.

Le la bémol lui était égal, déjà déshabillé. Les yeux écarquillés, il me prenait pour un minus, assis à son bureau. L'orchestre se débrouillait bien. Je les imitais. Nous avions tant à faire. Je me sentais responsable de tout. Pensez ! La musique est plus que "la la la" ! C'était une tâche de longue haleine. Chacun était occupé à reconstruire. Il m'offrait du café, capable d'exprimer les choses de l'âme. C'était la volonté d'oublier. Je me contentais de dévorer de la musique. Un jour, tu feras autrement. Il était en bretelles, inventait toutes sortes de prétextes pour ne pas avoir à me faire travailler, mais on vivait autre chose. Je fus transporté par le spectacle. Je vis le roi de près, je suis tombé amoureux. J'étais paresseux, comme tous les enfants. Il était difficile de ne pas ressentir l'aversion des gens.  C'était une tâche de longue haleine.

Cavanna voulait son T-shirt, et il agitait son bocal d'une manière inquiétante. À tout prix, il le voulait. Chassé. En pointes sur son mât à trois pistons, il donnait de son orgue de barbarie comme un furieux échappé de l'asile. De la muse en cornes jusqu'au tréfonds du la bémol il secouait les brindilles de Jean-Sébastien. Je ne lis pas grand-chose je n'ai pas le temps. Et hop ! Mais on me presse : alors je fais de la musique. C'est un attrape-couillons comme un autre.

(…)

vendredi 11 septembre 2015

Accélération et sidération


« Bon, ça va faire un peu mal, mais ça ne durera pas longtemps, essayez de vous détendre. »

Ce phénomène de l'invasion migratoire est la forêt qui cache l'arbre.  (Pour cacher un arbre disgracieux, multipliez-le par cent, par mille, et il deviendra une forêt "formidable". Pour faire disparaître un indigène, plongez-le dans un bain à forte concentration hétérogène.) Comment mieux faire accepter l'immigration massive de fond qu'en la redoublant de quelque chose qui a l'air d'être indépendant de la volonté des dirigeants occidentaux, qui se désigne à nous comme une sorte de "catastrophe", alors qu'elle n'est que l'acmé en trompe l'œil d'un phénomène qui a commencé il y a quarante ans ? Comment mieux la faire passer au second plan qu'en la noyant dans la même chose mais à la puissance dix ? Cette "migration" n'est pas un événement (d'ailleurs, ce n'est pas une migration). C'est un anti-événement, c'est une anti-migration (les espèces qui migrent le font chaque année, et chaque année reviennent à leur point de départ. Ici, tout nous démontre qu'il n'y aura pas de retour possible). Elle était déjà à l'œuvre depuis longtemps mais ceux qui l'appellent de leurs vœux n'avaient pas encore trouvé la bonne présentation, le nom adéquat, la forme ultime, qui la rendrait, non pas acceptable, mais inéluctable, impossible à refuser. Immigration est devenue migration, et de ce préfixe disparu dépend la disparition d'une espèce. Comment, en deux lettres coupées, disparues du sens, désarmer un peuple, des peuples ? La réponse a lieu ici et maintenant, en temps réel.

Ils avaient à peu près tout essayé, et malgré les succès indéniables de l'entreprise, elle rencontrait encore des résistances qu'on ne pouvait négliger tout à fait. Des critiques se faisaient entendre ici ou là qui, même si elles étaient immédiatement diabolisées et criminalisées, recueillaient tout de même inexplicablement l'assentiment sourd mais entêté d'une partie de la population. Comme souvent, le nombre et la vitesse allaient tout changer, la qualité serait créée par la quantité. Puisque les Rétifs résistaient encore à une dose forte, on allait leur administrer une dose létale, ce qui aurait pour avantage de les faire disparaître et de faire disparaître avec eux leur réticence ontologique, mystérieuse aux yeux des nouveaux Médecins de l'Espèce humaine. Puisque c'était par leur seule existence que les Rétifs opposaient une résistance à la Remplacibilité générale, la solution a consisté à les noyer dans la masse. Bien sûr, la chose était en train depuis longtemps, mais la lenteur même du processus constituait un risque qu'il se retourne contre ses promoteurs, à la faveur d'un de ces événements par nature imprévisibles et paradoxaux dont l'Histoire a le secret.

Longtemps, la doctrine avait été celle de la grenouille plongée dans une marmite dont on élève insensiblement la température. La grenouille finit toujours par être ébouillantée, mais elle ne songe pas à se révolter, puisqu'elle s'habitue à son bouillon. Ils ont fini par penser que même dans ces conditions, la chose allait s'ébruiter, et puis surtout, ce sont des impatients par nature, qui s'enivrent de leur propre puissance et qui, à mesure qu'ils deviennent différents de nous, oublient qu'il est encore possible de ne pas partager tout à fait leur enthousiasme essentiel. (Le délirant ne sait pas qu'il délire ; pour lui, il faut soigner celui qui ne délire pas en chœur.) Leur patience est à bout. La propagande était pourtant sophistiquée et efficace, mais l'appétit vient en mangeant, et ils ont les yeux plus gros que le ventre. Ils parviennent de moins en moins à masquer leur fuite en avant, on en a des signes manifestes tous les jours ; la photographie du petit Aylan n'en est qu'un exemple parmi des dizaines. 

mercredi 19 août 2015

Les Synonymes


« Le moindre service qu'un auteur peut rendre à ses œuvres : balayer autour d'elles. »

Cette phrase de Kundera pose aux moins deux problèmes. Le premier problème est d'ordre linguistique. Kundera écrit : « Le moindre service » en pensant évidemment à l'expression « la moindre des choses ». Lorsqu'on dit ou écrit « c'est la moindre des choses » [de faire ceci ou cela], ça signifie que ce n'est rien du tout, qu'"on peut bien le faire !", que cela ne nous donnera pas beaucoup de travail, et qu'en somme on est tenu de le faire. Kundera veut à l'évidence signifier qu'il est du devoir de l'auteur de « balayer autour de [ses œuvres] ». Mais ce n'est pas ce qu'il dit, me semble-t-il. Écrire : « Le moindre service qu'un auteur (…) » signifie plutôt : « Le plus petit service [le plus négligeable] qu'un auteur puisse rendre à ses œuvres… » ce qui sous-entend qu'il pourrait rendre des services plus importants, plus utiles, plus essentiels, à ses œuvres. On pourrait essayer de continuer la phrase : « Le moindre service qu'un auteur peut rendre à ses œuvres : les remettre à temps à son éditeur. Le service le plus important qu'il peut leur rendre : balayer autour d'elles. » Bref, peu importe, me répondra-t-on, puisque tout le monde comprend ce qu'a voulu dire Milan Kundera. C'est vrai, tout le monde comprend. Mais ce petit détail m'invite néanmoins à me poser une question : Milan Kundera a-t-il eu raison d'écrire en français à partir des années 80 ? Il écrit très bien, son français, bien meilleur il va sans dire que celui de la plupart de nos compatriotes, lui permet bien entendu d'écrire le type de romans qu'il écrit. Il est même possible que sur le point précis soulevé plus haut, ce soit lui qui ait raison contre moi. Tout de même, il me semble qu'on ne peut pas ne pas se poser la question des écrivains qui écrivent dans une langue qui n'est pas leur langue maternelle. Même s'ils maîtrisent parfaitement la syntaxe, la grammaire et le lexique de ces langues, il me paraît évident qu'ils ne peuvent pas sentir toute l'épaisseur historique et sociale qui en fait la profondeur sémantique et le feuilleté poétique. On sait bien qu'un mot est toujours beaucoup plus qu'un mot, qu'il charrie avec lui non seulement son étymologie mais encore tous les différents sens par lesquels sa signification et son emploi sont passés au cours des siècles, toutes les résonances sémantiques et poétiques, sociales et politiques, dont il s'est chargé durant sa traversée de la littérature et de son usage commun. Tout ne se trouve pas dans les dictionnaires, et si même tout s'y trouvait, encore faudrait-il pouvoir le déchiffrer, ce qui est loin d'aller de soi.

À ce stade, un autre problème se pose, dont Kundera est très douloureusement conscient, le problème de la traduction. Kundera vit en France, depuis 1975, il parle et pense en français, et l'on imagine volontiers que la langue française, pour lui, est extrêmement importante. Elle a de plus une aura littéraire et politique bien supérieure à la langue tchèque. S'il avait continué d'écrire dans sa langue maternelle, il lui aurait fallu faire traduire ses livres en français (comme ce fut le cas de ses premiers romans) ou les traduire lui-même. Quand on lit ce qu'il écrit sur les traductions de ses romans, on comprend qu'il ait voulu éviter cela à tout prix. Et s'il avait traduit lui-même ses romans, d'autres problèmes se seraient posés. Est-il possible d'écrire dans une langue sans penser déjà à la traduction qu'on en fera dans l'autre langue ? Et, si l'on répond non à cette question, qu'en est-il, littérairement parlant, d'une langue qui ne serait finalement que le brouillon d'une autre langue ? Et puis, cette traduction en français, ne poserait-elle pas de toute façon le problème de la familiarité avec cette langue ? On comprend qu'il ait fait le choix d'écrire directement en français.

Kundera cite Jan Skacel : « Les poètes n'inventent pas les poèmes / Le poème est quelque part là-derrière / Depuis très très longtemps il est là / Le poète ne fait que le découvrir » La traduction est un acte poétique autant que la poésie est une traduction, elle ne doit pas inventer, elle doit "découvrir" ce qui se tient là, "quelque part là-derrière", qui n'est plus dans la langue originelle et pas encore dans la langue cible, quelque chose qui se trouve entre les deux et qui existe déjà, avant que le traducteur s'engage dans son travail. Réussir à découvrir ce qui se tient "là-derrière" en dégageant ce qui fait écran, fait du traducteur une sorte de poète transparent. Il doit trouver de la permanence derrière le rideau mouvant des mots, de la phrase, de la langue, quelque chose qui va résister à la transmutation, au passage, à cette sorte de rabot (ou de râpe) qui va passer sur le texte et peut-être en ôter le meilleur. Trop fin, et la langue originelle disparaît, trop épais, et les morceaux ne se laissent pas assimiler par le texte, le réglage du filtre est très difficile et relève de l'inspiration plus que de la technique. « Une traduction ne doit pas couler », sinon le style est perdu, mais une traduction ne doit pas non plus buter sur les mots, sur les expressions, sur les phrases. On voit qu'il s'agit un équilibre toujours instable, et d'une sorte de miracle.

« Les traducteurs sont fous des synonymes » écrit Kundera, et c'est sans doute sa critique la plus acerbe à l'endroit des traducteurs. Imagine-t-on un compositeur qui s'ingénierait à remplacer un accord à chaque fois qu'il revient dans la partition, par autre chose d'équivalent ? Éloge de la litanie, de la répétition (Vivant Denon), mais surtout de l'irremplaçable. Kundera note que le mot "maison" revient huit fois en six phrases dans le texte originel du commencement d'Anna Karénine, alors que dans la traduction française il n'apparaît qu'une seule fois.
 « Je récuse la notion même de synonyme. » Voilà sans doute la déclaration liminaire et fondatrice de tout vrai écrivain. Synonyme ? Que voulez-vous dire par là ? Si les synonymes existaient dans la langue littéraire, tout le monde ou presque saurait écrire, et les mots en question n'adhéreraient pas au papier sur lequel ils sont imprimés. Ils tomberaient à chaque fois qu'on ouvre un livre et seraient remplacés sans qu'on s'en rende compte par d'autres mots. Les synonymes, c'est un peu comme les peuples, aujourd'hui, qu'on déplace et qu'on remplace, à volonté, en fonction d'impératifs extrinsèques à leur histoire. Le synonyme est une invention de boutiquier, de marchand ou de professeur, ou encore de communiquant. Les synonymes, c'est la croyance que plusieurs signifiants renvoient à un même signifié, ce qui est peut-être vrai dans une langue appauvrie (administrative, quotidienne, utilitaire, machinale) mais certainement pas dans la langue enrichie de la littérature. Et ce qui enrichit la langue, c'est précisément le fait que les vocables ne soient pas interchangeables, qu'on ne puisse pas les déplacer sans déchirer l'étoffe fragile du sens. 

« L'artiste doit faire croire qu'il n'a pas vécu. », disait Flaubert. Kundera, et Musil, et Joyce, et Faulkner, et Hemingway, ne veulent pas de leur biographie. Ils font le ménage autour de leurs œuvres et de leur vie déconstruite utilisent les matériaux pour en faire le socle de leur œuvre. Il n'y a rien de plus exaspérant pour moi que ces gens qui veulent des "renseignements" sur ce que je fais. Et comment, et pourquoi, et quand, et là, vous avez utilisé de la résine, et un pinceau de putois ou de blaireau ? Et ce triangle, là, c'est bien ce que je crois, n'est-ce pas ? Il faudrait toujours mentir. Mais sans doute que la meilleure façon de mentir est encore de dire la vérité, comme la meilleure manière de se cacher est de se montrer sous toutes les coutures. Dès qu'on se montre, les gens détournent le regard. Quelqu'un qui regarde ce qu'on lui montre est une exception, quelqu'un qui écoute ce qu'on lui dit est encore plus rare. Les gens préfèrent traduire ce que vous leur dites. Ils préfèrent mettre leurs mots à la place des vôtres. Ils préfèrent les synonymes. De vos réponses, ils ne retiennent que celles qui leur conviennent. Ils sont dans le faux et dès qu'un peu de vrai montre le bout de son nez, ils trouvent que ça détonne (et c'est vrai !), que ça sent mauvais, que c'est déplacé, incongru, "provocant". Ils sont sérieux comme des enfants. Ils sont comme Michel Onfray : Ah, si vous avez dit ça, peint ça, composé ça, c'est parce que, dans votre vie, avec votre petite amie, avec votre banquier, avec François Hollande… Je comprends ! Tout s'explique ! (Ils aiment les inférences, les donc.) C'est la raison pour laquelle "faire le ménage autour de ses œuvres" est très mal vu. Comment ? Vous auriez la prétention de vous appartenir ? L'artiste appartient à son public, à la société qui le tolère, c'est bien connu, il n'a pas à faire le tri, à jeter, à cacher, il nous DOIT une transparence totale, elle fait partie du contrat. Il est un producteur parmi les autres, et, comme tel, n'a à se charger ni de la distribution, ni du jugement sur son travail. L'artiste, selon ce nouveau pouvoir, ne saurait séparer son geste de ceux qui sont censés le reconnaître, l'évaluer, le justifier, et, par-dessus tout, l'authentifier.

Il ne faut jamais sous-estimer la misomusie du public, même et surtout du public qui se presse aux expositions et aux concerts. (« Il existe une misomusie populaire comme il existe un antisémitisme populaire. Les régimes fascistes et communistes savaient en profiter quand ils donnaient la chasse à l'art moderne. » Qui l'eût cru ? Cette misomusie-là refait surface aujourd'hui, mais elle a bien sûr évolué. Elle se croit plus intelligente que son aînée, et en cela elle est aussi moderne que ceux qu'elle pense combattre.) En réalité, ils viennent réclamer. Réclamer leur dû, et réclamer tout court. Une de ces misomusiennes sort d'ici. Elle m'a fait comprendre que "si elle voulait, elle pourrait faire la même chose que [moi]", que la place que j'occupe, je l'occupe en fait indûment, un peu par hasard (ce qui est la pure vérité), et qu'il ne faudrait pas que j'en abuse (je n'ai pas cette impression). Il existe plusieurs sortes de misomusiens, mais, parmi eux, une race très virulente est celle des pseudo-artistes, ces artistes qui seraient artistes s'ils-le-voulaient, et qui sont l'exact pendant de ceux qui se déclarent artistes sans l'être le moins du monde. Qu'est-ce qui les retient ? Je crois le savoir mais je préfère ne pas le dire ici. Ces deux catégories ont beaucoup en commun. Elles pensent toutes deux que l'art est une décision, qu'on veut faire œuvre d'art, et qu'il suffit ensuite d'y mettre les moyens adéquats. Les "artistes contemporains" en sont issus. D'ailleurs, dans les "écoles" d'art, aujourd'hui, on apprend plutôt à devenir artiste que des techniques, qu'un savoir ou des connaissances. L'art est devenu un métier comme un autre, à l'instar de la prostitution. On a désormais, à côté de "la filière porc", la filière porno, la filière art contemporain. À tous ces gens, on a envie de dire : « Mais, vous savez, l'art n'est en rien obligatoire. Vous pouvez parfaitement vivre heureux sans lui. Il ne vous en voudra pas de le laisser en paix. » Et en effet, on peut très bien vivre en paix sans Kafka, sans Proust, sans Beethoven, sans Manet et sans Musset. Il faut absolument arrêter de vouloir forcer les gens à fréquenter les salles de concert, les musées, les expositions, il faut arrêter de leur faire croire qu'on peut lire de la poésie dans le métro, qu'on peut écouter de la musique dans les ascenseurs, qu'on peut voir de la peinture sans un minimum de connaissances, il faut absolument faire payer, et payer cher !, les entrées des spectacles, des concerts, il faut bannir absolument la gratuité, qui a fait tant de mal à la culture en général et à l'art en particulier, il faut dissuader ceux qui veulent se lancer dans la carrière, il faut rendre les choses encore plus difficiles, et il faut surtout, mais je sais bien que je rêve, remettre l'élitisme au goût du jour ! Il est absolument normal que l'art soit réservé à une élite, une vraie élite. Kundera dit quelque part que l'Européen est celui qui a la nostalgie de l'Europe, eh bien je crois que l'artiste est celui qui a la nostalgie de l'art. Les nouvelles "élites" (c'est-à-dire les élites mass-médiatiques et financières (c'est-à-dire les élites petites-bourgeoises)) n'ont aucune nostalgie, elles se complaisent au contraire dans ce qui les fait tenir : la fuite en avant perpétuelle dans un présent éternel. Il faut absolument se rappeler que "l'élitisme" a une histoire (le terme apparaît en France en 1967) : c'est la première fois dans l'histoire que la langue jette un éclairage négatif sur cette notion. Il faut également se rappeler que les pays communistes, à la même époque, ont persécuté leurs élites culturelles. Nous payons aujourd'hui le prix de cinquante années de dénigrement systématique envers ce qui a permis à la culture de se développer, et je peux témoigner, personnellement, de la violence de cette chasse à l'élitisme. Comme Éric Zemmour, je crois que la révolution de 68 a réussi, contrairement à ce qu'on répète sans cesse. Nous avons changé de régime depuis lors, mais sans que nous en ayons conscience. C'est une révolution qui n'a pas pris la forme de la grande Révolution, certes, mais c'est une révolution tout de même. Celle de 1789 avait amené la bourgeoisie au pouvoir, celle de 68 a amené la petite-bourgeoisie au pouvoir, et les conséquences de ce changement sont aujourd'hui encore incalculables, car la petite-bourgeoisie a été sans doute plus intelligente que la classe qu'elle a remplacée, elle n'a exclu personne, elle a au contraire voulu inclure tout le monde. En cela, la société qu'elle a fabriquée est une société sans classes, donc une société communiste


Si Milan Kundera avait continué d'écrire en tchèque, en plus de toutes les difficultés déjà évoquées, il aurait eu beaucoup plus de mal à "faire le ménage autour de ses œuvres", du moins dans le pays qu'il avait élu comme sa nouvelle patrie, et, comme il le dit lui-même, cela lui aurait demandé beaucoup plus de travail encore. Nous autres Français nous avons donc la chance inouïe, parce qu'entre deux maux il a choisi le moindre, de pouvoir lire un auteur tchèque parfaitement traduit en français par celui-là même qui trouve tous les traducteurs mauvais.

À Madame Sophie Bastide-Foltz

mardi 1 avril 2014

La Fuite dans les idées, c'est maintenant !



Après la philosophie dans le boudoir, nous voici au temps de la philosophie avec le boudin.


samedi 17 août 2013

Les Dossiers de l'écran total



Les journalistes français sont épatants ! Ils ont un truc. Comme ils ne peuvent pas — et ne veulent pas — parler de ce qui intéresse la France et les Français, c'est-à-dire la France et les Français, ils ont inventé une sorte de pot commun où ils puisent leurs "sujets". Nous appellerons ce pot commun la Bourse

Voyons voir ce que nous avons ce soir à la Bourse. Alors, en tête de gondole, on a les printemps arabes (increvable, ça, et ça se décline dans toutes les saisons, un must !), la Syrie, un dérivé, mais qui se vend très bien, l'Afrique (ça aussi, c'est inépuisable, l'Afrique, c'est le sujet qui ne dort jamais, toujours frais, toujours dispo et qu'on peut accommoder de mille manières !). Au rayon produits de fête, vous avez l'Iran et la bombe, Poutine pas gentil, Chine & économie, Obama et les agents secrets. Évidemment, je ne vous parle pas d'Israël et Palestine, mais ça c'est du hors-catégorie, ça cartonne depuis cinquante ans que c'est presque une honte pour les autres ! Dans les intemporels, on a les salaires des patrons et des ministres, le trou de la Sécu (ça, c'est du classique, bien français, indémodable), la rentrée des classes, les défilés de mode, Johnny, les alertes sanitaires, le nucléaire, les violences faites aux femmes. Sinon, plus fun, vous avez les-sujets-de-société (gays, trans, piercings, échangisme, cellules-souches, clonage, animaux de compagnie, chirurgie esthétique, télé-réalité), le marché de l'art, les krachs boursiers, les marches silencieuses, les immatriculations, la courbe-du-chômage, les stars de la télé, l'antiracisme, les suicides dans l'entreprise, et, mais il ne faut pas en abuser, la recherche des criminels nazis. 

Écoutant régulièrement la radio, une radio du servispublik, je constate, et ce depuis vingt ans au moins, que nos journalistes français sont bien rodés, très bien, même. On nous les envie ! Ils ne dérapent quasi jamais, c'est des pros ! Manient le novlangue avec une virtuosité d'apparatchik élevé sous la mère, et n'abordent les sujets glissants qu'avec leurs patins anti-dérapant et leurs lunettes roses, comme on leur a appris à l'école de journalisme qui fait atelier d'écriture les jours impairs. Participent à tous les stages de citoyenneté citoyenne, mettent leurs enfants dans les écoles certifiées conformes, prennent leurs vacances ensemble, regardent les mêmes télévisions, écoutent les mêmes émissions, lisent les mêmes journaux, les mêmes livres, invitent les mêmes invités, cognent en rythme sur les mêmes sozis*, votent tous pareil. Non, rien à dire, ils ne risquent à peu près rien. Le journalisme-à-la-française, c'est exactement comme aux sports d'hiver. Tout le monde sur la même piste, on descend, et arrivé en bas, on remonte, puis on redescend, etc. Pas dans la poudreuse, Mimile, ça fait combien de fois qu'on te le dit ! Tu restes dans les traces, bordel !

Chaque jour la Syrie, chaque jour l'Afrique, chaque jour l'Égypte, et on recommence, chaque jour, chaque jour, et on recommence, et chaque recommence on jour et la Syrie et l'Égypte et chaque jour l'Afrique, là-bas, là-bas, les autres, on recommence, les autres là-bas, DaCapo. C'est le rap(t) de l'info. On a steevereichisé l'info, on l'a philglassisé, on l'a terryryleysé ! FeedBack in the USSR, comme auraient dit les Beatles. Da Capo sur mon bidet ! C'est la grande Chaconne qui n'en finit plus de chaconner ! Au secours, lâchez-nous un peu la grappe, on n'en peut plus de vos zinfos !

Je me dis de plus en plus qu'on supprimerait — du jour au lendemain, sans prévenir, sans s'excuser, sans pleurnicher, paf ! — la télé et la radio, et quelques journaux (le Monde, Libération, l'Express, le Nouvel Observateur, ça suffit…), les Français seraient dans la rue demain matin. Ils se frotteraient un peu les yeux (le réel, ça pique !), ils tousseraient bien un peu quelques jours, ils auraient un peu d'eczéma, certains auraient des insomnies, d'autres des douleurs en allant aux toilettes, d'autres encore des crises de larmes inexplicables, il y aurait quelques suicides (mais pas tellement plus que d'habitude), mais je vous jure qu'ils seraient dans la rue la semaine prochaine et que les journalistes seraient déjà loin, accompagnés de leurs copains les-politiques. Le parti dévot prendrait l'avion en masse, comme si quelqu'un de très important leur avait payé à tous des vacances de rêve, très loin, au soleil, et qu'ils ne pouvaient décidément pas rater une occasion pareille ! Ce serait le Grand Déplacement. 

On parle de "la charge du réel", mais on oublie de parler de "la décharge du réel". Pas besoin de grands meetings, de grands colloques, de grande campagne de France, de réseaux sociaux en ébullition, de distributions de tracts et de porte-à-porte militant, non, croyez-moi, coupez, coupons le robinet du journalisme-à-la-française, et vous allez voir les Français se réveiller d'un coup comme d'une trop longue sieste un peu comateuse ! Le Réel va décharger un bon coup, sans déconner ! Here comes everybody ! C'est par où la brioche ?

(*) Pour l'explication de ce mot de "sozi", allez lire un peu Robert Redeker, plutôt que de vous jeter sur Wikipedia, ça ne vous fera pas de mal. 

mardi 25 juin 2013

Sons et brioches…


Charles Lamoureux (1881-1899)
Camille Chevillard (1897-1923)
Paul Paray (1923-1928)
Albert Wolff (1928-1934)
Eugène Bigot (1935-1950)
Jean Martinon (1951-1957)
Igor Markevitch (1957-1961)
Jean-Baptiste Mari (1961-1979)
Jean-Claude Bernède (1979–1991)
Valentin Kojin (1991–1993)
Yutaka Sado (1993–2011)
Fayçal Karoui (2011-...)


« Fayçal Karoui obtient un premier prix de piano au conservatoire à rayonnement régional de Saint-Maur-des-Fossés dans la classe de Catherine Collard et un premier prix de direction d'orchestre au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il est lauréat du Concours international de jeunes chefs d'orchestre de Besançon et a été l’assistant de Michel Plasson à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Depuis 2001, il dirige l'orchestre de Pau Pays de Béarn. Il s’efforce de populariser la musique classique au-delà de son auditoire traditionnel : concerts « sons et brioches » pour les enfants, concerts à l’université, en prison, à la foire-exposition, soutenus par la municipalité via une politique tarifaire attractive. L'orchestre de Pau Pays de Béarn compte, pour la saison 2008-2009, 1400 abonnés. L'orchestre propose également une saison de musique de chambre. Il a enregistré en 2004 une version « dépoussiérée » de Pierre et le loup de Serge Prokofiev, avec Smaïn en récitant. En 2006 et 2007, il est directeur musical de l'opérette Le Chanteur de Mexico de Francis Lopez, montée au théâtre du Châtelet à Paris, où il dirige l'Orchestre national de France puis l'Orchestre national d'Île-de-France. En juillet 2006, Fayçal Karoui a été choisi pour devenir le cinquième directeur musical du New York City Ballet. Il y a commencé son mandat le 1er décembre 2006. Une annonce de février 2012 indique que son contrat prendra fin en juin 2012. En janvier 2011, il est nommé directeur musical de l'Orchestre Lamoureux. En juin 2011, il a créé avec Thierry Malandain, l'Orchestre de Pau Pays de Béarn et le Malandain Ballet Biarritz, le ballet Lucifer de Guillaume Connesson, dont il est dédicataire. En janvier 2013, il est fait Chevalier des Arts et Lettres par Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication. »

(…)

jeudi 4 avril 2013

La Secte heureuse



« "Je commence avec la liberté absolue et j’aboutis à la dictature parfaite." »

« Nous n’assistons plus au déroulement d’un jeu politique ordinaire. Le Peuple n’est pas même en face d’un coup d’Etat permanent. Il fait face à une entreprise d’usurpation visant à lui imposer une autre constitution – plus encore, une autre constitution anthropologique. »

« Car il n’y a pas de réponse, pour qui n’a pas de question. »

« Le Peuple découvre avec stupeur que la laïcité aux mains des totalitaires s’est muée en fanatisme idéologique. »

mercredi 12 septembre 2012

Lecteur fantôme


L'inflation livresque et ses lecteurs fantômes, pour ne pas parler de l'alliance nouvelle entre la page et l'écran, la page devenue écran et le livre démultiplié, dématérialisé en image infinie, ne doivent pas faire illusion : la temporalité subjective donnée par la lecture, cette victoire sur le temps aussi puissante que l'amour, ce questionnement du monde à partir d'une position quasi autistique, la lecture comme art du temps et musicalité de la solitude, tout cela est aujourd'hui à peu près moribond ; et c'est à partir du moment où, pour une somme modique, sinon gratuitement, la totalité de la bibliothèque et de l'art est immédiatement accessible, que son universalité nous apparaît dans une extraordinaire fragilité qui fait peser sur elle un soupçon d'obsolescence et dont la googuelisation, comme la wikipédisation, ne donne plus, pour s'en tenir à la littérature, qu'une pratique citationnelle : quelque chose de découpé et recollé de manière plus ou moins ludique dans un corpus aussi flasque qu'illimité, confié à une mémoire artificielle — une totalité électronique désormais perceptible comme accomplissement historique et fin de civilisation, avec tous les signes d'une décadence : illettrisme, analphabétisme, déculturation, haine du savoir, de la pureté, de la grandeur, de l'unité, de l'autorité, selon cette évidence paradoxale que plus la civilisation est avancée, plus se multiplient les signes de sa décadence, seule demeurant l'idée de transcendance ; une transcendance néanmoins tributaire de la transparence obscurantiste du Spectacle, et dont la littérature porte la trace en son défaut de langue : sa dès-historisation, sa paupérisation, son insignifiance, probablement sa fin. 
(Richard Millet, Langue fantôme, suivi de Éloge littéraire d'Anders Breivik) 

Il y a beaucoup plus que cela dans ce livre passionnant, mais rien que ce passage suffirait à renvoyer nos andouilles pressées de monter sur leurs bidets au silence dont ils n'auraient jamais dû sortir.  Je l'ai déjà écrit ici-même à de nombreuses reprises : nous sommes à un moment charnière, celui où, pour ceux qui écrivent, le temps de l'écriture est désormais infiniment plus important que celui de la lecture. Je ne sais si cette bascule est sans retour, mais elle porte à l'évidence un sens très profond, dont les conséquences seront gigantesques, et sans doute durables : ce divorce d'entre lecture et écriture produit une famille humaine recomposée selon un paradigme entièrement neuf, la garde du Monde étant dorénavant laissée aux enfants. C'est de cette manière que je comprends la phrase célèbre de Jaime Semprun : « La question n'est pas de savoir quel monde nous allons laisser à nos enfants, mais à quels enfants nous allons laisser le monde. » 


samedi 21 juillet 2012

Abolition, abolition, abolition


On a bien aboli l'esclavage, les races, la peine de mort, on est en train d'abolir le sexe et la sexualité, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas enfin abolir la musique ! Je milite ardemment pour l'abolition pure et simple de la musique. Rejoignez-moi ! Vous aussi, entrez en militance, la cause en vaut la peine. La musique est de toutes les occupations humaines celle qui aujourd'hui cause le plus de souffrances, le plus de dégâts, celle qui apporte le malheur partout où elle sévit, celle qui corrompt, celle qui sème la désolation et l'effroi, celle qui glace le sang et détruit le cerveau. Il est plus que temps de se débarrasser de cette plaie, de cet animal furieux et apostolique qui est en train d'anéantir l'espèce humaine comme le cancer déchaîné et sans aucune mesure qu'il est.

S'il se révélait qu'il est trop tard, qu'il nous est malheureusement impossible de nous débarrasser de ce fléau diabolique, il conviendrait d'obturer toutes les oreilles humaines, d'immobiliser définitivement tous les tympans, et ce, dès la naissance, et sans possibilité de retour. Après tout, l'homme est aujourd'hui en mesure de communiquer par de tout autres moyens, et le sens de l'ouïe n'est indispensable que dans les sociétés dangereuses. Étant donné que la nôtre est la plus sûre qui ait existé dans l'histoire de l'humanité, ainsi que le prouvent tous les jours nos équipes de sociologues assermentés, nous pouvons aisément nous passer du sens qui transmet l'alerte. Bien vite, le nerf auditif, déjà considérablement atrophié, tombera de lui-même, et l'ouïe ne sera plus qu'un mauvais souvenir. Mais surtout, nous serons enfin débarrassés de la musique !

Mes Chers Concitoyens, il est grand temps d'agir, le temps presse. Croyez-moi, et prenons ensemble la décision qui nous sauvera, et qui sauvera notre monde. Je sais que vous me rejoindrez, je sais que je peux compter sur vous.

Bien vôtre,

Georges de la Fuly

NB. Merci d'adresser vos chèques à l'Association Le Sacrifice du Tympan, 11 Chemin de la Clochée, 11574 Oto-sur-Aude

vendredi 20 juillet 2012

Eyes wide shut



J'ai trouvé cette photographie sur un blog, je ne sais plus lequel. Il y a des photos qui parlent, extraordinairement. Celle-là en fait partie. Je n'ai aucune idée de la scène* à laquelle ces gens sont en train d'assister, mais je trouve ces deux personnages absolument parfaits. Je remercie très profondément l'auteur du cliché, qui à mon avis touche là quelque chose de l'ordre du mythe. Ce photographe est un grand ethnologue qui me donne à voir une réalité extrêmement prégnante mais qui ne se laisse que difficilement décrire et représenter, sauf peut-être par un Philippe Muray (on attend toujours le photographe de talent de ce début de siècle, un Doisneau d'aujourd'hui). J'imagine qu'elle fera partie d'un fort volume encore consulté dans un siècle ou plus, quand les survivants de notre apocalypse joyeuse voudront tenter de comprendre ce qui s'est passé au commencement du XXIe siècle en occident. 

Je ne connais évidemment pas ces deux personnes, mais je les connais tout de même très bien. J'ai l'impression d'en avoir rencontrées des dizaines, des centaines, et l'une des raisons qui m'ont poussé à fuir Paris il y a une dizaine d'années est qu'il était devenu impossible de les ignorer. Une deuxième raison est qu'une partie non négligeable des jolies filles se recrut(ai)ent malheureusement au sein de cette population. 

On les appelle souvent des bobos, mais ce terme a désormais perdu toute sa sève, comme la plupart des vocables utilisés abondamment dans la Bloge. Je dois reconnaître que je n'ai rien à proposer, aucun vocable qui serait à même de dire ce que je vois quand je regarde cette photographie qui aurait eu, j'en suis certain, une place de choix dans les Mythologies de Roland Barthes, s'il les avaient écrites aujourd'hui. Qui sont-ils ? Je n'ai pas besoin de répondre à cette question. Vous en connaissez tous. Ils sont partout. On a l'impression qu'ils naissent ainsi, que les conditions d'existence, que l'éducation qu'ils reçoivent, que les événements de l'époque n'ont aucune importance, que rien n'a de prise sur eux, qu'ils sont en quelque sorte ignifugés, imperméables au réel, insensibles aux leçons de l'histoire et de la géographie. Ce sont bien des rebelles, mais des rebelles à l'autre, que cet autre soit une personne, une manière de vivre, une idée. Ils sont nés dans une époque dont a dit et répété qu'elle était celle de "la fin des idéologies", alors que bien entendu elle était celle du triomphe de l'idéologie, et ils sont d'une certaine manière le résultat parfait, effrayant parce que parfait, de l'idéologie tellement intériorisée qu'elle a disparu des écrans radar. À force d'en manger, à force de la respirer, il ne leur reste plus rien qui en soit indemne. Ils sont des êtres chimiquement purs, des êtres réellement nouveaux, qui nous ressemblent, certes, mais qui sont radicalement et définitivement différents de nous. 

Nous sommes quelques uns, quelques David Vincent, très peu, à essayer de dire ce que nous voyons, ce que nous entendons, mais le problème est de savoir à qui s'adresser, puisque ces Nouveaux Venus sont l'immense majorité, occupent tous les postes, toutes les places, jouent tous les rôles dans le néo-monde, et n'ont par définition aucun souvenir susceptible de les faire ciller. Je pense que le monde de la Camelote (la fin du XXe) a favorisé l'avènement du monde du Simulacre (le nôtre). Dix générations élevées au plastique (cette matière qui a rendu possible le passage du noble à l'ignoble) ont certainement contribué à préparer l'humain à l'Écran. Passer de la civilisation de la fenêtre à celle de l'écran ne pouvait que provoquer d'immenses dégâts, et pas seulement dans le regard. Le monde de la fenêtre nous faisait cligner des yeux, faisait naître le doute (pas le soupçon, mais le doute), et laissait libre cours à la libido sciendi, alors que le monde de l'écran obture la réalité et nous enferme dans un crâne. Comme par hasard, les crâniens écranophiles ne supportent plus les frontières, qui seules permettent d'aller voir au-delà à quoi ça ressemble, de quoi on a l'air. Ils savent à l'avance de quoi ils ont l'air, puisque leur monde est à leur image, et ce n'est pas un hasard non plus si ces néo-humains n'ont que les mots autre et étranger à la bouche. Il s'agit de mantras qui, par leur répétition incessante, hallucinée, permettent la disparition sensible des réalités qu'ils prétendent nommer. 

Ces nouveaux venus sont des énervés, au sens propre. Leur corps a été creusé, fouillé, débarrassé de tout ce qui permettait à l'homme de sentir, d'entendre, de voir, de comprendre ce qui lui arrive. Ils ne sont pas cools du tout, ils sont terrifiants. Les détenteurs du pouvoir, aujourd'hui, c'est-à-dire en gros les médias, pratiquent un art appelé thanato-kéropraxie. Tout le monde est censé y passer, à brève échéance. C'est ce qui rend les quelques heures qui restent si précieuses.


(*) Tout de même, le plus plausible est qu'ils soient en train d'assister à ce qu'ils appellent "l'art de rue". L'œil pétillant du crétin barbichu est typiquement le regard qu'ont les bobos lorsqu'ils assistent à des manifestations de rue, le regard qui frétille, qui jouit en direct live de la créativité insondable et festive de ses concitoyens sympas aux nez rouges, qui prend son pied à écouter la millième fanfare tonitruante et obscène déversant ses milliers de clichés faussement joyeux à la minute, ressassés jusqu'à la nausée. J'apprends d'ailleurs, en cherchant un peu sur la Toile, qu'il existe une "Fédération nationale des Arts de la rue", ce qui ne m'étonne pas le moins du monde. J'imagine qu'il s'agit sans doute là de la partie la plus active de la merveilleuse "scène contemporaine" qui réjouit tant les extatiques écranophiles et qui, en passant, se fait une gloire de réclamer toujours plus de subventions au ministre de la Culture, trop heureux de leur témoigner son affectueuse reconnaissance, car c'est bien de ça qu'il s'agit : ils se reconnaissent entre eux. 

(À ma mère, qui faisait partie du monde des vivants)

samedi 9 juin 2012

L'Arme absolue ou la violence du sucré


Le flux actuel des immigrés clandestins — au demeurant fort peu clandestins : on ne voit qu'eux — aurait tous les caractères de la farce s'il n'était si lourd de menaces pour notre civilisation, ou ce qu'il en reste. Nous avons eu pendant trente ans les réfugiés de la dictature (nous disait-on), voici les réfugiés de la liberté (la plupart viennent de Tunisie, ces temps-ci). Toute référence au droit d'asile est à peu près abandonnée, comme un vieux prétexte devenu inutile. Les nouveaux arrivants quittent leur pays à la faveur des progrès démocratiques qui y ont cours, ils profitent du désordre entraîné par l'effondrement des anciens pouvoirs pour gagner des terres plus rémunératrices, et voilà tout. Leur patrie n'est pourtant pas misérable et il semble que ce serait le moment où jamais, pour eux, de contribuer à son développement historique, économique, institutionnel. Non, ils préfèrent venir jouir ici de notre développement à nous, quitte à le compromettre et à le paralyser par leur afflux et par leur mécompréhension des exigences de son bon fonctionnement (au premier rang desquelles le fameux moins pour le plus du pacte d'in-nocence : eux rêvent plutôt d'unplus pour le plus qui ne s'est jamais traduit, où qu'il ait sévi, que par un plus pour le moins).

Quand les Barbaresques se présentaient tout armés devant nos anciens parapets, sur leurs vaisseaux de course ou leurs chevaux arabes, on les repoussait tant bien que mal, en y mettant parfois sept ou huit siècles. Leurs descendants ont trouvé dans notre aberration idéologique le moyen de réussir là où leurs ancêtres avaient échoué. La condition est simple, quoique inattendue et paradoxale : il leur suffit d'aborder nos côtes et nos frontières non plus dans leur agressive splendeur, avec leurs oriflammes, leurs cimeterres et leurs arcs, mais dans leur misère à mains nues, au contraire, en partie jouée s'il le faut. Les mêmes qu'on accueillerait à coups de canon s'ils nous attaquaient pour nous conquérir nous conquièrent bien plus sûrement en faisant appel à notre bon cœur, à nos invraisemblables lois, à notre sentiment de culpabilité (qui leur est totalement inconnu), à la trahison enthousiaste et empressée de nos amis du Désastre. Ils n'en croient leurs yeux ni leur jambes. Oui, c'est bien comme on leur avait dit, si invraisemblable que cela leur ait paru : l'Europe n'oppose aucune résistance sérieuse à l'invasion qu'ils lui font subir. Tout au contraire, malgré quelques simagrées de surface, destinées aux plus ronchons, vieux-jeu et dépourvus d'humour de ses citoyens électeurs, elle accueille à bras ouverts ses humbles colonisateurs, elle met à leur disposition des autobus, des avions et des trains, afin qu'ils puissent s'avancer plus vite jusqu'à son cœur le plus désirable. Elle leur distribue des laissez-passer, elle les loge, elle les nourrit, elle leur alloue des allocations, des pensions, des indemnités pour le dérangement qu'ils ont pris en violant ses lois — des lois dont elle s'excuse en mettant en avant d'autres lois, qui réduisent à néant les premières et servent à les tourner en dérision.

Les bénéficiaires d'un si surprenant accueil savent qu'ils ne doivent surtout pas remercier, ni se montrer étonnés même s'ils le sont, et reconnaissants encore bien moins : cela pourrait réveiller le dormeur, faire naître la suspicion dans l'esprit du colonisé ravi. Les conquérants désarmés doivent au contraire se plaindre bien haut d'être reçus comme des chiens, c'est très important, on le leur a bien répété : il leur faut s'indigner que rien ne soit prêt pour les accueillir, même s'ils débarquent ininvités sur un rocher dénudé, et en appeler au droit des gens, eux qui n'ont jamais levé le petit doigt en sa faveur dans leur pays. Ils ont bien appris leur leçon : ils savent qu'aussi longtemps qu'ils se présenteront en mendiants atrabilaires et revendicatifs le pays leur sera soumis, par on ne sait quel charme inexplicable. Après le fantastique succès de leurs revendications de miséreux il sera toujours temps pour eux, plus tard, un peu plus tard, bien vite, lorsqu'ils seront les maîtres, de présenter des exigences de maîtres.


Renaud Camus, Journal 2011, Septembre absolu, p. 176 et 177

lundi 30 avril 2012

Le Devoir accompli

Je suis pieds nus, en pyjama. Je jette le gros livre par terre. Je le piétine, je monte dessus, je saute, mes talons frappent le livre, violemment. Au bout de quelques secondes, des phrases commencent à s'échapper des pages, d'abord furtivement, puis sans complexe, en désordre, elles glissent à terre, roulant les unes sur les autres, sans aucun ménagement. Je les vois qui disparaissent sous le tapis, qui frémit, qui est soulevé par endroits d'une sorte de houle, tout s'accélère, je manque de tomber à la renverse, et bientôt un grand silence s'installe… Ce qui était il y a quelques instants un fort volume de plus de mille pages n'est plus maintenant qu'une mince couverture froissée et sale à ras du sol. Vingt siècles d'histoires, de légendes, de poésie, des centaines et des centaines de noms propres, de généalogies, des milliers de récits, il a suffi de quelques secondes de rage pour que tout cela ne soit plus rien, n'ait même jamais existé. 

Quand je pense que certains redoutaient cela !

On est tranquille désormais. On va pouvoir tout recommencer, calmement, de zéro, sans ce fardeau de la culture, de la religion, de la morale, des traditions. Le rêve de toute une génération, je l'ai réalisé. Cet immense service rendu aux hommes, j'ai allumé la télé, et j'ai regardé 24h chrono

samedi 17 mars 2012

L'affreux (suite française)

Les légumes sont damnés, disait Glenn Gould.

mardi 29 novembre 2011

Coup de folie à France-Culture


Mon ami Laurent Sur-le-fil Goumarre prononce le mot "Gers" sans faire siffler le "s" final, c'est ce qu'il annoncé publiquement ce soir à la radio. À la pauvre journaliste interloquée par cette inexplicable audace, il a affirmé le faire à l'exemple de Renaud Camus. Ce n'est plus de l'audace, c'est de la rébellion caractérisée ! On attend l'annonce de la décapitation d'une minute à l'autre.

Même si ton inconsciente mutinerie n'est annoncée que par Georges, il faut que tu saches, Laurent, que nous sommes de tout cœur avec toi, et que lorsque ton chef insolent roulera dans la sciure virtuelle, nous fermerons le blog un petit quart d'heure pour saluer cette seconde de folie qui a illuminé notre souper.

mardi 4 octobre 2011

XP déclare


« Moi, je suis un vrai lecteur de Muray. » Pas une faute, ni de frappe, ni d'orthographe, ni de grammaire, ni de syntaxe, ni de français, dans cette phrase de "XP". Vous ne connaissez pas "XP" ? Un pote à Didier Goux. Le rédacteur d'un "magazine informatique", le mec, si j'ai bien suivi. Un jeune. Un moderne. Un dans le coup. Un technophile. Un Ilysien.

Il prend deux mots, XP, "démocratie" et "atomique", et il les colle l'un à côté de l'autre. Pour voir. Il regarde. Il voit, et il se dit : "Cela est bon." XP est debout devant son établi immaculé. Il cligne de l'œil, cadre le concept entre quatre de ses doigts, et il est satisfait. "Yesss !" Suce un glaçon.

Je sais, je sais, vous allez encore me dire que je perds mon temps à défoncer des chatières ouvertes, qu'un "XP" est à peu près aussi intéressant à étudier qu'un Quark orphelin roulant à 30 km/h sur la bande d'arrêt d'urgence de la voie sucrée, et vous aurez raison. J'aime les causes perdues, j'ai de la tendresse pour ces minables plastifiés qui roulent les mécaniques, parce qu'ils ont trouvé un public à leur dimension, je suis comme ça.

J'en ai rencontré beaucoup, de ces minus qui pensent accéder au langage parce qu'il ont "manié du code". Ayant beaucoup utilisé l'informatique, dans mon métier, j'ai dû côtoyer ces zozos plus d'une fois, ces sortes d'amibes affolées qui se cognent aux murs de la pensée comme la boule du flipper une fois lancée dans la courte éjaculation qui lui tient lieue de vie. Comme ils ont l'esprit aussi vide qu'un adolescent en train de se polir le chinois, ils croient que la vitesse de leur main sur leur membre est synonyme d'intelligence, et ils prennent les étincelles que fait leur cortex raclant les parois de l'aquarium pour des éclairs de génie, et les zigzags incohérents de leurs idées pour des chemins de traverse. Ils sont toujours extrêmement arrogants, mais ce n'est pas vraiment de leur faute, c'est seulement qu'ils n'ont rencontré que d'autres amibes dans leur genre, et ne jugent qu'à l'aune de cette race qui ne connaît qu'un âge, l'enfance. Comme les mouches qui changent de direction selon un plan peut-être mystérieux mais certainement exaspérant, ils découragent toute velléité de les écouter, de les saisir, par leur constante et inutile agitation dont le labeur extrêmement apparent semble sans objet.

À leur échelle, il faut reconnaître que ce sont des dieux. Sur le territoire de silicone invisible à l'œil nu qui leur est attribué, ils règnent en maîtres absolus, avec le despotisme jaloux et intransigeant de ceux qui savent que moins on possède plus il convient de défendre ce peu avec l'énergie du désespoir, tous crocs et griffes dehors, même par le calme plat et désespérant qui règne en général à leurs frontières, que nul ne songe réellement à leur disputer.

« Moi, je suis un vrai lecteur de Muray. » La virgule après le "moi" n'est pas anodine. Il y a le moi, et il y a, ensuite, la phrase, l'affirmation, la déclaration. Est-ce que le je de la phrase désigne le même sujet que ce moi envirgulé, décalotté en son commencement turgescent ? Rien n'est moins sûr. Les sujets de ces contrées opaques sont des mutants, et s'ils n'ont pas un petit doigt qui les désigne comme tels, leur sexe, en quelque sorte encapsulé dans le morne calculateur à deux dimensions qui leur sert de cerveau, trône là comme un terrible et inutile appendice, héritier mort-né abandonné, atrophié et desséché. Si cet attribut morbide n'a plus de fonction, il lui reste pourtant une mémoire, et cette mémoire pèse de toute sa tristesse sur les prérogatives détimbrées de nos rois-nains. Donc, l'un d'entre eux, le Roi XP, est vrai lecteur de Muray, si l'on veut le croire, et l'on aimerait tant. Un "vrai lecteur de Muray" illustrerait-il les articles de sa Grande Revue (Ilys) par ces photographies, toutes plus tristes les unes que les autres, de "nudité féminine" ? Je pose la question par pure forme, bien entendu. Leur "nudité féminine" est à peu près à la femme et à l'érotisme (ne parlons même pas du sexe) ce que les Lettres sont à la littérature, ce que la sociologie est au réel, ce que les Beatles sont à la musique, ou ce que Villepin est à De Gaulle. (On notera d'ailleurs que leurs goûts musicaux sont en plein accord avec leurs vues sur la beauté féminine.) Je disais donc que la phrase vient après l'énoncé de la tautologie sans issue : Moi. Il ne savent pas s'y inclure, dans cette phrase, ils restent à l'extérieur, ils tournent autour comme des vautours énervés par l'odeur de la viande pas encore congelée dans le Frigidaire. Muray peut (mais Muray mort, car Muray vivant les aurait éloignés d'un rire), comme d'autres noms aux fragrances fortes, les énerver ainsi, de ne savoir être ni dedans ni dehors. Alors on les entend taper du pied au sommets de leurs dunes lunaires, et cette musique les enivre tant et si bien qu'ils pensent un instant exister parmi nous, et que si la Terre tourne, c'est à cette danse obstinée qu'elle le doit. Comme des enfants impatients et affamés auxquels on aurait arraché toutes les dents, ils croient mordre dans la tétine, mais la mère infâme se pâme ou se tord de rire. Ces sont des petits singes édentés, des chameaux sans bosses, des petits pains sans levain et sans sel, des humains blanchâtres sans matière, sans logos, sans poils. Plus ils s'énervent, moins on les remarque. Alors ils font ce que les hommes ont toujours fait dans ces cas-là, ils écrivent une légende dans laquelle ils se représentent vivants, innervés, pensants, vibrants, bandants, mordants… Ils écrivent l'histoire des vaincus du point de vue des vaincus qui ont vaincu. (Je me comprends.)

Seulement, toutes les légendes ont leurs limites, et, confrontées aux scènes de la vie quotidienne, montrent leurs muscles en ficelle et leur cœur en chiffon. C'est tellement triste, alors, de les voir dévoiler la machine et la tringlerie sous l'habit, et de continuer la geste grandiose alors que le pantin se défait, part en quenouille, qu'on en viendrait presque à les serrer contre nos cœurs pour leur raconter une belle histoire, une de plus. Le Roi XP, quand il sort de son royaume, en est certainement le plus poignant représentant : et lorsqu'on lui fait doucement remarquer qu'il ne sait pas écrire trois mots sans faire quatre fautes, il monte sur son tréteau branlant pour vitupérer contre ceux qui voudraient essayer de faire croire que le roi est nu comme un vermisseau, alors que, et qu'il le fait exprès, et qu'il n'a pas le temps de s'attarder à faire attention aux fautes de frappe, et que ce ne sont pas des fautes — comme si quelqu'un sachant écrire en français avait deux vies, l'une où il écrit bien (dans la légende) et l'autre où il n'a que faire de cette science des ânes (la vie trop vraie, trop cruelle, trop plate, trop agrippée à sa pauvre orthographe (qui n'est qu'un habit qu'on met quand on sort dans le monde)), alors que l'Esprit souffle, et que les trolls (son mot favori, son mot magique) devraient s'estimer bien heureux d'avoir ne serait-ce que des fautes d'orthographe, quand excrétées par un XP. D'ailleurs, il parle comme les enfants : « Moi, je suis un vrai lecteur de Muray, et je cherche pour de vrai à comprendre le monde qui m’entoure. » Si ça ne vous touche pas, ça, c'est vraiment que vous êtes des monstres ! Le monde qui l'entoure… Le Roi XP est entouré par le monde, encerclé, et le monde est vilain, effrayant, sans pitié pour les rois qui se promènent tout nus. Lui, XP, pourtant, il sait que l'habit qu'il porte est le plus beau, le plus riche, le plus seyant, mais on n'a pas traité le monde, qui croit voir ce qu'il voit, c'est à dire rien. Le monde est malade, aliéné, aveugle, et XP souffre, mais il ne peut pas le reconnaître, car le reconnaître le dénuderait à ses propres yeux. Non, XP doit passer, en coup de vent, et emporter un peu de sable sous ses semelles de plomb… De vent, pardon !

Quand on a l'habitude d'aller nu, on s'habille d'un rien. La pensée du Roi XP est à l'image de sa vêture : elle rappelle ces lofts des années 80 où deux poufs blancs et un matelas posé à-même le sol constituaient tout l'ameublement, avec le poster de 2001. Le Roi XP dispose ses poufs blancs (le pouf démocratie et le pouf atomique) sur son sol blanc laqué, s'asseoit entre les deux, une main sur chacun, et il se trouve bien. C'est un genre de Sam Suffit de la pensée nomade et hors sol, qui n'a d'attaches avec le monde que sous la forme du réseau, de la connexion. Il croit en un seul Dieu, le Cerveau global, l'intelligence connexe, les bits croisant les bits en de joyeuses partouzes numériques. Des livres ??? Quoi, ces machins, tous différents, qui jaunissent, qui se tachent, qui s'empilent en tas, véritables nids à poussière ? Et puis quoi encore ! Quoi, des disques, quoi, des auteurs, quoi, des siècles ??? Ah, comme tout cela sent le renfermé, le vieux, la tremblante et le papier d'Arménie ! Misère de l'étude, de la page cornée, du coup de crayon qui n'abolira jamais la distraction et la transe de ceux qui croient que le monde a été méchant avant eux, méchant et imbécile, imbécile et désinvolte avec ces nouveaux venus, les dépositaires naturels du Royaume, pour qui il aurait fallu faire place nette. Las, les écuries sont crasseuses, les femmes n'ont plus envie de faire l'amour, et les fleuves charrient des déchets pestilentiels. Rien n'est neuf. Sauf eux. Sauf l'atome, à jamais, sauf l'Individu, libéré du surmoi social. Ils vont devoir retrousser leurs manches, mais nous ne serons plus là pour les voir se salir les mains en s'enlevant la merde qu'ils ont dans les yeux. Même le roi XP ne verra pas les grands travaux, car dans quelques mois il aura oublié ses deux poufs et se sera meublé ailleurs, et tout cela ne le concernera plus. C'est du moins ce qu'on peut lui souhaiter, car ne jamais vieillir est la pire des malédictions, la plus sinistre des farces que le Temps joue à l'Homme.