L'
autrisme, nouvelle maladie de l'âme, comme dirait Kristeva. Les autristes sont légion, parmi nous et même en nous. Qu'ils soient le plus souvent semblables aux soi-mêmistes n'est qu'un paradoxe apparent. Comme la force s'est dégradée en farce, l'Autre s'est grimé en Lôtre, le Grand-Tôtre, farce macabre et lugubre qui ne cesse de hanter notre surmoi affaissé, le sousmoi du souchien en lévitation sociale. On a éliminé l'absence, et cette élimination a eu pour effet collatéral d'abolir le différent : il n'y a plus rien à voir, car voir, dans l'ancienne conception du monde, consistait à voir ce qui
différait. Entre autisme et autrisme, la différence est mince. Voir de l'autre là où il n'y a plus que du même est une autre manière de se crever les yeux, de s'enfermer en soi-même, parce qu'on flirte sans cesse avec Big Mother. L'Objet s'est débarrassé du Sujet avec la complicité de la Technique, et dans ce meurtre insipide et sans odeur, le Secret douloureux est évacué au profit de la reproduction à l'identique, du simulacre en enfilade, du
da capo sans espoir.
Grand T'A et petit tas et sa clique de tous pareils sont sur le pied de gare, ça se tire dans le gras du blanc avec de la polenta dans les mirettes. Sans cesse ça veut nous faire le coup mais ils se déguisent comme des emplâtres alors on les reconnaît à leur uniforme équitable de chez TéléraMama. Moi je les hume à la voix, je suis un spécialiste de la Voix de l'Autre. Y a la manière, mélange de gnan-gnan cucul et de morale douteuse qui ne s'embarrasse pas de vérité, doublée d'une grande violence dès qu'on fait mine de ne pas vouloir obtempérer vite fait. L'autriste il suit la voie, son sabre de dingo à la main, il dévie pas, il reste agrippé à son code de la déroute qui le fait sans cesse repasser à l'endroit qu'il ne reconnaît jamais pour le même qu'il est, toujours ébahi, notre baba bobo dévot, yeux crevés et paumes ouvertes en direction du Bien. La couillonnerie sacrée et branchée. Tu peux lui montrer tout ce que tu veux, il n'en démord pas : il n'y a rien à voir en dehors de l'autrisme. Sa connaissance sacrée est parfaitement identique à ce qu'on nommait autrefois méconnaissance, aveuglement, trouille, tête dans le sable, peur du noir, obscurantisme et collaboration, mais comme il dort du sommeil du juste, on ne peut pas le réveiller sous peine de procès. Il a besoin de ses vingt ans de sommeil, l'Autriste, sinon il pique sa crise de foi. Là-haut, Pseu l'a dit et Delanoé l'a confirmé, si t'es pas comme nous t'existe pas, mets-toi bien ça dans le crâne, qu'on n'ait pas à y revenir, ce serait pas bon pour tes arrières et ta carrière.
Barbara Cassin l'a écrit : « Entrez ! » Elle veut dire : « Lampedusa est une porte d'entrée que nous devons laisser grand ouverte. » ou quelque chose comme ça. Donc, le v'là, on sait par où il arrive le Grand-Tôtre (depuis 1973, date de parution du
Camp des saints, on se demandait s'il arriverait par Saint-Trope, mais faut croire que non), c'est par une ville dont le nom se prononce Lampé Douza. Lampé Douza !!! Il arrive à la nage ou presque, notre Grand-Tôtre, et le con, même, il se noie, sous nos fenêtres ! Fait chier, quand-même ! Peut pas aller se noyer ailleurs l'abruti ? Ça manque pourtant pas, des ports où aller jeter sa barque à l'assaut des forces de l'argent, merde ! Sont vraiment cons, ces pauvres, de venir pleurnicher chez nous ; nous aussi on avait nos pauvres, et ils sont pas plus déméritants, ni plus sales, ni plus atroces ! Donc, ce qu'elle nous explique, Barbara la philosophe, c'est que
nous devons tous être des réfugiés, soyons même plus précis, que le nouveau droit fondamental pour lequel il convient de mourir aujourd'hui est celui qui consisterait à octroyer
à chaque être humain, sans aucune distinction,
un droit de séjour là où il le souhaite. Je ne sais pas si vous avez bien entendu alors je répète : « Le droit d'asile dépend de l'appréciation d'un statut dérogatoire, à quoi il faut opposer un droit fondamental, et même, avec le philosophe Achille Mbembé, quelque chose comme un droit de séjour pour tout être humain là où il le souhaite. Nous serons tous des réfugiés alors. » Je prends sur moi d'appliquer à Mme Cassin un droit d'asile immédiat et définitif, et même, si j'ose, un
devoir d'asile, bien fermé, l'asile, avec un joli pyjama qui se ferme dans le dos ! C'est plus de la flexibilité, de la circulation et de l'échange, qu'ils veulent, nos modernes, c'est l'abolition de la matière, l'abolition de l'ici et de l'ailleurs, l'abolition de l'enracinement, et bien sûr l'abolition de l'héritage et de la dette. C'est pas tout à fait rien ! L'esclavage, la peine de mort et la prostitution ne leur suffisaient pas, comme on s'en doutait un peu… C'était pas encore assez d'abolir les nations, les pays, les frontières, la patrie, il leur fallait encore abolir l'Homme, tout simplement. Parce qu'il est bien évident, pour qui n'a pas le cerveau d'un fou, que vivre dans un monde de réfugiés, dans un monde où il n'y aurait plus que des réfugiés, équivaut absolument à vouloir passer de bonnes vacances en enfer. Le mot le dit pourtant assez ! Qui se
réfugie a quelque chose à fuir, a peur, est un fuyard, est en fuite, n'est pas en repos, n'est pas en paix. Ce qu'ils veulent, ces dingues, c'est un monde où chacun sera l'ennemi de chacun et n'aura pas un lieu
à lui, ce qu'on appelle une
demeure.
Tout cela est parfaitement cohérent. Quand le sujet indépassable du temps est
l'autre, il est logique qu'il ne puisse
demeurer nulle part. "L'autre" était un concept admirable, lorsqu'il y avait un même, lorsqu'il y avait un sujet, c'est-à-dire un quidam qui avait un lieu où demeurer, une demeure où il se sentait chez lui, où il pouvait se réfugier, justement, quand les autres le fatiguaient ou l'ennuyaient.
Et merde ! Lampez tout ça !