lundi 26 février 2018
Le Formulaire
— Il faut le formulaire jaune pour pouvoir ensuite obtenir le formulaire bleu. Mais pour avoir le formulaire jaune, il faut la signature du chef.
— Mais je suis le chef ! Je peux signer ?
— Non, il faut que le chef soit différent de celui qui signe.
— Donnez-moi un formulaire rouge, alors.
— Impossible, le formulaire rouge est réservé aux patrons.
— Je suis mon propre chef, ce n'est pas la même chose qu'un patron ?
— Vous n'avez pas une tête de patron. Si vous étiez un patron, vous ne seriez pas en train de me demander un formulaire.
— Mais bordel, puisque je suis votre supérieur, je peux bien remplir le formulaire que je veux !
— Ce serait trop simple !
— Et je ne peux pas agir sans formulaire ?
— Ah non, c'est rigoureusement impossible, vous le savez bien.
— Alors en vertu de mon pouvoir de chef, je vous nomme chef à ma place.
— Moi je veux bien, mais ça ne changera rien.
— Mais si. Si vous êtes mon chef, je pourrai vous faire signer mon formulaire jaune.
— Non, parce qu'en vertu de mon pouvoir de chef, je m'y opposerai.
— Mais pourquoi ?
— Parce que j'en ai la possibilité, et parce que je ne vois pas l'utilité de vous laisser remplir un formulaire jaune. D'autant plus que si vous remplissez un formulaire jaune, vous allez immanquablement vouloir remplir ensuite un formulaire bleu. C'est ce que vous m'avez demandé d'abord.
— Je ne comprends pas.
— Le formulaire bleu vous autoriserait à introduire un recours contre votre supérieur, en l'occurrence moi.
— Mais je ne veux introduire aucun recours contre vous ! Je veux seulement que vous m'aidiez.
— Précisément ! Comme manifestement je suis incapable de vous aider, vous allez vous venger sur moi, c'est humain.
samedi 24 février 2018
JH, après JC
Johnny Hallyday, c'est le miroir camelotique et tape-à-l'œil dans lequel se regardent les Français hébétés et déculturés, privés de leur pays, épatés d'encore pouvoir un peu se réchauffer en chœur face à une pauvre attraction de foire, alors que dehors il fait moins vingt et qu'il est minuit moins cinq.
Balzac avait prédit Johnny, dans les Illusions perdues, il en avait démonté par avance le dérisoire mécanisme :
Balzac avait prédit Johnny, dans les Illusions perdues, il en avait démonté par avance le dérisoire mécanisme :
« Là s'est établi pour la première fois un homme qui a gagné sept ou huit cent mille francs à parcourir les foires. Il avait pour enseigne un soleil tournant dans un cadre noir, autour duquel éclataient ces mots écrits en rouge : Ici l'homme voit ce que Dieu ne saurait voir. Prix : deux sous. L'aboyeur ne vous admettait jamais seul, ni jamais plus de deux. Une fois entré, vous vous trouviez nez à nez avec une grande glace. Tout à coup une voix, qui eût épouvanté Hoffmann le Berlinois, partait comme une mécanique dont le ressort est poussé. "Vous voyez là, messieurs, ce que dans toute l'éternité Dieu ne saurait voir, c'est-à-dire votre semblable. Dieu n'a pas son semblable !" Vous vous en alliez honteux sans oser avouer votre stupidité. »
Mais le mieux est encore de laisser parler Trystan Dee, qui dit les choses très simplement :
Cette après-midi était massée en l'église de la Madeleine à Paris toute la saloperie politico-médiatique habituelle : chanteurs, politiciens, présentateurs télévisés, acteurs-engagés-contre-le-FN, etc. Dehors, comme des gueux dans le froid, tout un peuple surgi des provinces, parfois en Harley-Davidson, écoutait sagement les discours et les chansonnettes.Les premiers sacrifient les seconds, qui cependant continuent de les admirer, en bons petits esclaves de la Société du Spectacle qu'ils sont. Ainsi va la France. Peuple de gens trompés depuis des décennies, michel-druckérisés à mort, et qui en redemandent encore et toujours. Ils croient que la Caste a leurs intérêts à cœur ; ils suivent encore ses mots d'ordre ; ils croient que Johnny Hallyday c'est de la musique authentique.
Une voix, qui eût épouvanté Hoffmann le Berlinois, partait comme une mécanique dont le ressort est poussé… Comment ne pas reconnaître l'organe de l'idole des jeunes vieux, ou des vieux jeunes ?
Si les gens savaient ce que signifie populaire, ils seraient scandalisés. Johnny, c'est autant (de la culture) populaire que les quartiers populaires le sont, populaires… C'est précisément lui (lui et ses semblables, bien sûr) qui a détruit la culture populaire française, qui l'a transformée en une bouillie internationale abjecte. Il est tout de même un peu fort de café qu'on nous le présente comme le dernier des Mohicans quand c'est au contraire le premier de tous ceux qui sont venus hurler contre la bourgeoisie, c'est à dire contre la culture, sans laquelle il ne peut exister de culture-populaire.
Si les gens savaient ce que signifie populaire, ils seraient scandalisés. Johnny, c'est autant (de la culture) populaire que les quartiers populaires le sont, populaires… C'est précisément lui (lui et ses semblables, bien sûr) qui a détruit la culture populaire française, qui l'a transformée en une bouillie internationale abjecte. Il est tout de même un peu fort de café qu'on nous le présente comme le dernier des Mohicans quand c'est au contraire le premier de tous ceux qui sont venus hurler contre la bourgeoisie, c'est à dire contre la culture, sans laquelle il ne peut exister de culture-populaire.
***
Pascal Louvrier (biographe officiel de Johnny) : « 5 juillet 2017. Dernière fois que le Taulier monte sur scène. Il envoie tout ce qu'il peut, presque inhumain dans sa souffrance, pour nous. Il sort épuisé, à bout de souffle, et tombe dans les bras de Laetitia. » "Biographe officiel" de Johnny, déjà, ça pose un peu le bonhomme, qui, au passage, a écrit aussi les biographies de Paul Morand, Philippe Sollers, Michel Delpech, Georges Bataille, Fanny Ardant, Alain Juppé, Françoise Sagan et Béatrice Dalle. Voici comment, sur son site, il s'exprime : « Il vit à Paris, il a longtemps exercé le métier de ghostwriter pour de nombreuses personnalités. Aujourd'hui il est directeur littéraire aux Editions TohuBohu et s'occupe en particulier de développer le département biographie. Il sort la première biographie de Michel Delpech, son ami, préfacée par Michel Drucker, intitulée "Michel Delpech, c'était chouette". (L'Archipel, Mars 2016). » Le biographe officiel ami des stars et directeur littéraire qui n'est pas un nègre sort des livres comme on sort son fox terrier, et nous décrit un Johnny qui tombe dans les bras de Lætitia, après avoir tout envoyé, pour nous. Sur le même site, ce commentaire d'une lectrice, qui dit tout de notre écrivain qui n'est pas nègre : « Très agréablement surprise par le livre de P.Louvrier. Même sans connaitre Alain, on fini par découvrir Juppé (ou le contraire...) On y découvre un parcours d'homme d'état incroyable, et un homme avant tout. Juppé 2012 avec ses ambitions peut-être de refaire le monde, c'est intéressant. J'ai apprécié le style d'écriture, ludique et bien pensé. » Un style d'écriture ludique et bien pensé. On est tout proche de Pierre Nichon, et de ses vices majuscules…
Je ne sais pas vous, mais l"intérêt pour Juppé, me rappelle quelqu'un, vous ne voyez pas ? Mais si, bien sûr, La Merveilleuse ! À eux deux, ils pourraient nous sortir un bon bouquin sur Amélie Nothomb, ou Christine Angot, et y travailler à une table du Flore, Jasmine Catou sur les genoux. Qui sait, notre biographe officiel aime peut-être les gallinacés, les peluches et le champagne, lui aussi ? Ils pourraient nous raconter par exemple comment Christine Angot envoie tout ce qu'elle peut, presque inhumaine dans la souffrance qu'elle nous offre, et comment elle tombe, épuisée, à bout de souffle, dans les bras de Doc Gynéco – bouquin qui, bien entendu, serait suivi du film, réalisé par Beigbeder, et interprété par Béatrice Dalle. Alain Juppé pourrait avoir un petit rôle, et Michel Drucker tenir le sien, ce serait hyper-sympa.
Je ne sais pas vous, mais l"intérêt pour Juppé, me rappelle quelqu'un, vous ne voyez pas ? Mais si, bien sûr, La Merveilleuse ! À eux deux, ils pourraient nous sortir un bon bouquin sur Amélie Nothomb, ou Christine Angot, et y travailler à une table du Flore, Jasmine Catou sur les genoux. Qui sait, notre biographe officiel aime peut-être les gallinacés, les peluches et le champagne, lui aussi ? Ils pourraient nous raconter par exemple comment Christine Angot envoie tout ce qu'elle peut, presque inhumaine dans la souffrance qu'elle nous offre, et comment elle tombe, épuisée, à bout de souffle, dans les bras de Doc Gynéco – bouquin qui, bien entendu, serait suivi du film, réalisé par Beigbeder, et interprété par Béatrice Dalle. Alain Juppé pourrait avoir un petit rôle, et Michel Drucker tenir le sien, ce serait hyper-sympa.
vendredi 23 février 2018
L'Œuf (et la poule)
Ce n'est pas de sa faute.
Elle n'y peut rien. Elle est comme ça. Elle ne voit pas le problème.
Ce n'est pas de sa faute.
Elle ne voit pas, tout simplement. Ne sait pas de quoi on lui parle. C'est un œuf, avec son jaune, son blanc, et sa coquille. Bien fermé sur lui-même. Parfait. La coquille est fragile, mais tant qu'on ne la brise pas, elle est parfaitement close.
Tantôt à la coque, tantôt mollette, tantôt dure, mais tout ça reste enclos, parfaitement, sous la coquille. Elle ne tient pas debout. Ce n'est pas de sa faute. Ou alors il faut la coincer entre quatre tours de biscottes. Couchée, ça va. Roule sur elle-même. N'a besoin que d'elle-même.
Le temps des amours est passé. On a besoin de chaleur et de… Et de rien.
Ce n'est pas de sa faute.
Un jour, un homme mettra le pied dessus, par inadvertance. Ça ne fera pas beaucoup de bruit. Il dira : « Merde ! » Il aura un peu de jaune sous la semelle.
C'est tout.
Comme un autre
Le Suisse a souvent un physique ingrat. On voit à son visage que son pays est petit, et ancien. Il y a en lui quelque chose d'abîmé, parfois de brisé, mais les angles qui l'embarrassent sont aussi ce qui le fortifie. Le Suisse paraît sortir tout droit de l'enfance, même s'il porte sur sa figure les stigmates que mille ans ont intaillés dans sa race.
Nous avons eu, autrefois, au collège, quand nous y étions pensionnaires, des camarades qui avaient de ces visages dont les traits semblent avoir été battus par les roches alpines, et dont le regard porte très loin, et semble vous voir avec un étonnement sincère et un effroi dissimulé. Il y a ce dépôt de l'inconnaissable, cet arrière-pays silencieux, ce froid et cette réserve de hauteur, en eux, qui intimident. Ils sont en-deça de l'innocence, adossés à un monde minéral que nous ne distinguons pas, et quand ils parlent nous sommes surpris qu'ils emploient les mêmes mots que nous, et même que leur voix porte, que leur bouche émette des sons qu'on puisse entendre.
Il y avait une musique du Suisse, une musique et une gestuelle, et un art de la parole. Et aussi une sombre mais placide animosité à notre endroit, que nous n'expliquions pas. Pourtant, nous, les Savoyards, nous étions ses plus proches cousins. Mais non, entre lui et nous, la distance était infinie ; d'ailleurs, la moquerie à propos du Suisse était un leitmotiv de notre enfance, preuve que nous ne pouvions pas le comprendre. Nous étions tellement plus vifs, plus dégourdis ; plus normaux. Je pense que les choses ont changé, j'en suis presque sûr, et je regrette infiniment que le Suisse soit devenu un Français comme un autre, comme le Français est devenu un Anglais ou un Espagnol ou un Allemand comme un autre. Être allemand, ou italien, en Europe, n'a plus aucun sens, puisque nous avons tous les mêmes valeurs, ces répugnantes valeurs qui ont ravagé les races et saccagé les nations, qui ont appauvri le monde et défait la morale de l'individu.
Il y avait une musique du Suisse, une musique et une gestuelle, et un art de la parole. Et aussi une sombre mais placide animosité à notre endroit, que nous n'expliquions pas. Pourtant, nous, les Savoyards, nous étions ses plus proches cousins. Mais non, entre lui et nous, la distance était infinie ; d'ailleurs, la moquerie à propos du Suisse était un leitmotiv de notre enfance, preuve que nous ne pouvions pas le comprendre. Nous étions tellement plus vifs, plus dégourdis ; plus normaux. Je pense que les choses ont changé, j'en suis presque sûr, et je regrette infiniment que le Suisse soit devenu un Français comme un autre, comme le Français est devenu un Anglais ou un Espagnol ou un Allemand comme un autre. Être allemand, ou italien, en Europe, n'a plus aucun sens, puisque nous avons tous les mêmes valeurs, ces répugnantes valeurs qui ont ravagé les races et saccagé les nations, qui ont appauvri le monde et défait la morale de l'individu.
lundi 19 février 2018
Patinage…
Le mauvais goût ne se montre nulle part ailleurs avec plus de force que dans ce qu'on appelle "le sport", qui devrait être appelé spectacle sportif, car le sport a disparu (comme l'industrie culturelle a remplacé la culture (et l'art), le spectacle sportif a remplacé le sport). Les exemples sont légion ; je n'en prendrai qu'un.
En deux mots, deux mensonges : le patinage artistique porte un nom effroyable, et la chose est tout aussi effroyable. Ce sport a autant à voir avec un art, même un art mineur, qu'une de nos starlettes françaises actuelles avec la Fornarina ou la Joconde, et ce spectacle a autant à voir avec un sport que le rugby avec la belote, ou le lancer du javelot avec la brouette japonaise.
Tout est laid, dans ce "sport". De la musique, toujours infâme, grotesque, kitch à un degré ultime, quand elle n'est pas ignoblement putassière, à ces gestes ridicules exécutés avec cette soi-disant "grâce" qui leur donne toujours l'air d'avoir été imaginés par des rats de laboratoire soumis à l'écoute intensive de la musique de Jean-Michel Jarre, le patinage artistique ne quitte jamais les rives de l'immonde. Entre deux acrobaties, ce ne sont que jérémiades visuelles, caricatures funambulesques, misérables mimes de la danse classique. Le dégoût causé par semblable pâtée est sans pareil. Et je ne dirai rien de ces tenues qui feraient honte à n'importe quel homme ayant connu un jour la civilisation. Le patinage artistique, c'est un art qui serait tombé dans les égouts du sport. Il y a d'ailleurs un indice qui ne trompe pas : le patinage artistique est présenté par Nelson Montfort.
En revanche, rien de plus beau que le patinage de vitesse. Comme souvent, comme toujours, les sports qui n'ont d'autre ambition que l'efficacité sont ceux dont le geste est le plus beau, car l'efficacité ne peut pas mentir. Là, on supprime tout le superflu, qui alourdit, qui perturbe, qui ralentit. Le geste, repris des milliers de fois, travaillé et retravaillé jusqu'à l'obsession, a atteint le stade de l'épure, il s'inscrit dans un cercle parfait, c'est un théorème. La course à pied, le patinage de vitesse, sont des sports magnifiques. Un geste, un seul, mais poussé à ses conséquences ultimes, un geste éprouvé ; il ne peut pas être efficace sans être beau, il ne peut pas être beau sans être efficace. La descente à ski est également une épreuve splendide, et le saut à ski. J'aime ces sports où tout souci esthétique est gommé, au profit de ce qui fait aller vite, ou loin, ces sports où l'on ne peut pas tricher. Ce sont les seuls vrais sports.
dimanche 18 février 2018
Heureuse pesanteur
Ces gens que "la conquête spaciale" fait rêver me sont définitivement étrangers. Je n'ai jamais pu trouver une once d'intérêt à ces histoires d'espace. La seule poésie de vivre se trouve sur terre, parmi les arbres, les animaux, le vent et quelques livres, dans ce monde menacé et fragile que tout le monde croit connaître et que tout le monde ignore superbement. Je n'ai pas envie de mesurer le temps et les distances en années-lumière, quand la lumière est seulement pour moi un peu de chaleur au matin et le regard d'une femme désirée qui ne flotte pas en apesanteur, mais dont les seins tombent dans mes mains et les fesses creusent les draps.
La vie est là, simple et tranquille…
vendredi 16 février 2018
Tout ça c'est de la faute de Renaud Camus
Ophélie : « Je ne comprends pas. Je vais me promener à Pantin et on me vole mon Goffriller à un million d'euros ! Pourtant, je suis hyper-sympa, comme nana, et je ne crois pas une seconde que la France soit menacée d'une invasion, moi ! J'ai bien essayé de lui expliquer, au pauvre-jeune-en-difficulté-d'insertion qui m'a volé mon violoncelle, que s'il avait faim je pouvais lui offrir un bon MacDo, le menu spécial musique, mais il ne parlait pas français (à cause de notre gouvernement qui ne fait pas assez pour les jeunes qui viennent enrichir notre vieux pays), et il n'a pas compris ce que je voulais lui dire. C'est dommage parce que sinon je suis sûre qu'on aurait pu trouver un terrain d'entente, et peut-être même devenir potes. C'qu'y a, dans ce pays, c'est qu'on est devenus complètement complotistes et fermés sur nous-mêmes, et ça c'est un vrai sujet, par contre.
Bon, je ne lui en veux pas. Tout ça c'est juste un malentendu créé par les nauséabonds qui dressent les Français les uns contre les autres ; et comme je ne veux pas faire le jeu du FN, je ne vais pas porter plainte. S'il entend mon message, je suis presque sûre qu'il me le rapportera ; il n'a pas mesuré la portée de ses actes, c'est tout. Franchement, c'est le geste d'un désespéré !
De toute façon, moi je n'ai rien à craindre, un banque, une compagnie d'assurances ou une association m'offrira un autre violoncelle, peut-être même un Strad, pour me consoler, et je ne veux pas faire toute une histoire de ce larcin idiot. Ce n'est finalement qu'un bout de bois avec des cordes, y a pas mort d'homme. Non, ce qui m'inquiète le plus, dans cette histoire, c'est que le pauvre gaillard qui m'a volé mon violoncelle ne pourra jamais le revendre, et qu'il risque bien de mourir de faim. C'est trop bête !
Si Poutou avait été élu plutôt que Macron, ça ne serait pas arrivé. À mon humble avis… »
mardi 13 février 2018
Hugo et les blogueurs
« Hugo est un personnage littéraire atypique: un mauvais poète (sauf dans " A Villequier", où on le sent atteint d'une vraie émotion qu'il réussit à faire passer) qui a su mettre en vers des idées très généreuses et à bien utiliser le style pompeux (" Donne-li quand même à boire"...)pour toucher les masses plus facilement que les symbolistes. »
« Je cite souvent cette phrase immortelle (celle de l'image d'ouverture du billet)à mes élèves, pour illustrer et compléter un propos de Sartre se moquant de Zola et des "excuses déterministes" que ce dernier trouve toujours aux raclures formant l'essentiel des personnages de ses romans (d'après Sartre en tout cas). Et, ma foi, les élèves sont assez contents qu'on se f... de la gueule du grand Hugo. Cela doit les changer, je suppose, de l'idolâtrie officielle qui continue à sévir dans les classes de lettres. »
On pourrait commenter ces commentaires mais on ne le fera pas. Ils se commentent eux-mêmes.
dimanche 11 février 2018
Non !
— Non !
— Tu ne veux pas ?
— Non.
— Tu es sûre ?
— Non.
— Non tu n'es pas sûre, ou non tu ne veux pas ?
— Non…
— Bon, d'accord, je te laisse tranquille.
— Non !
— Comment ça, non ? Tu ne veux pas que je te laisse ?
— Non.
— Tu veux que je te fasse l'amour ?
— Non.
— Tu connais le mot « oui » ?
— Oui.
— Ah, tu me rassures.
— …
— Laisse-toi faire…
— …
— Tu vois, je ne vais pas te manger, je veux juste qu'on baise. C'est fou, quand-même d'avoir peur à ce point.
— Non !
— Quoi, non ? Je ne peux pas venir en toi ?
— Non, c'est pas ça.
— Tu ne veux plus ?… Tu commences franchement à m'emmerder !
— Non…
— Si !
— Non !
— Tu ne sais pas ce que tu veux.
— Si…
— Mais tu veux quoi, à la fin ? Dis-le !
— Que tu m'attaches au radiateur et que tu m'encules comme une sale chienne.
— Ah oui, alors non, tu vois, non, c'est pas trop mon truc, ça. Moi en fait je suis plutôt fleur bleue, si tu veux.
— Connard. Pédale. Tu comprends rien aux femmes.
— C'est pas faux, remarque. Vous êtes complètement tapées.
— Non.
— Ah, tu ne vas pas recommencer !
— Non.
— Mais merde à la fin, je voulais seulement qu'on baise. Est-ce que ça fait de moi un monstre ? Je voulais seulement qu'on fasse l'amour, simplement, naturellement, comme une homme et une femme qui ont envie de s'envoyer en l'air, qui ont du désir l'un pour l'autre !
— Mais moi aussi, j'en ai envie !
— Non mais tu te fous de moi, là ?
— Non.
— Est-ce que sais combien de fois tu as prononcé le mot "non", là ?
— Non.
— Quinze fois ! Quinze fois que tu m'envoies ce "non" à la figure !
— Non ?
— Si. Seize, maintenant.
— Tu ne comprends que ça.
— Mais au contraire ! Je ne comprends pas tes non ! Tes non me rendent fou. J'ai l'impression d'avoir affaire à une otarie à qui l'on a appris un mot, un putain de "non". Tu te rends compte que tu m'as traité de pédale ?
— Parce que tu m'as coupée dans mon élan.
— Mais bordel, on ne pourrait pas se comporter comme des gens normaux ?
— Normaux ? Mais qu'est-ce que ça veut dire, "normaux" ? T'es normal, toi ?
— Je crois, oui. J'aime les femmes, tu es une femme, tu es jolie, et j'ai envie de toi, ça me paraît assez normal.
— Non.
— Mais quoi, non ?
— Ça ne veut rien dire, ce que tu dis là. Et si j'ai envie que tu m'attaches au radiateur, ce n'est pas normal, c'est ça ?
— Disons que c'est moins normal que de baiser simplement.
— Mais t'es vraiment le roi des cons. Tu ne comprends donc pas que je crève d'envie…
— Eh bien tu vois, moi ça m'a passé.
— Pédale !
— Ah, tu ne vas pas recommencer !
— Connard !
— Ce que tu peux être grossière !
— Ça m'excite.
— Pas moi.
— …
— Viens près de moi.
— Ah non, je t'en prie, pas de ça !
— Pas de ça quoi ?
— Pas de câlins merdiques, pas de sentimentalisme dégoulinant !
— J'ai des sentiments pour toi, oui, je le reconnais, ça fait de moi un monstre ?
— Non.
— Eh bien alors ? (…) Tu veux boire quelque chose ?
— Non. Et puis si, tiens, donne-moi un peu de ton alcool de poire.
— Je n'en ai plus. Tu l'as fini la dernière fois que tu es venue.
(…)
mercredi 7 février 2018
Lire
« Il y a l’auteur qui publie pour être lu de tous ; et celui qui ne désire rien tant que de se rendre maître d’une langue qui l’éloigne du plus grand nombre : si sa volonté de s’écarter du vulgaire peut n’être que seconde, sa phrase l’éloigne, de fait, de celle du journal, de la réclame, de la rue ou du commentaire de blog – l’essentiel pour lui est cet écart, cet éloignement : une phrase à quoi on adhère trop aisément voit sa beauté diminuer d’autant, car l’art diminue à proportion de la facilité avec laquelle on le rejoint. »
C'est Bruno Lafourcade qui écrit cela, avec quoi l'on est parfaitement d'accord. On aurait même été très heureux d'avoir écrit : « L’art diminue à proportion de la facilité avec laquelle on le rejoint. ».
On ne lit pas pour vérifier qu'on a raison, on ne lit pas pour conforter ses opinions, on ne lit pas pour se réchauffer dans le giron de l'auteur, on lit pour être traversé d'une vérité autre, on lit pour être ébranlé, on lit pour faire bouger en soi ce qui a fini par prendre des allures de mausolée, on lit pour défaire ce qui a pris, ce qui a durci, ce qui s'est solidifié, on lit pour nettoyer la sale pensée automatique qui s'accumule sans cesse en nous, on lit pour découvrir en nous ce qui se désespère de l'être un jour, on lit pour avoir tort, on lit pour ne pas avoir d'opinions, on lit pour ne pas mourir.
On lit pour s'éloigner de soi-même, le plus possible et le plus vite possible ; on se retrouvera bien assez tôt, quoi qu'on fasse. Les phrases d'un bon auteur nous décollent de nous-mêmes, nous arrachent à ce moi qui pèse sur notre vie comme un étouffoir sur la corde dont le destin est de vibrer. Il faut beaucoup d'humilité, pour lire, autant que pour écouter de la musique, c'est ce que plus personne ne veut comprendre, car le moderne se croit légitime à juger de tout, en toute circonstance ; il a tout à la fois l'âme d'un procureur et d'un commissaire des ventes. L'argument d'autorité le fait ricaner, puisque désormais tout est égal, et tous sont égaux, une fois pour toutes. Il peut donc tranquillement donner son avis, en deux phrases, sur un auteur qui a passé deux ans à composer un texte ou une musique. Ça ne l'impressionne pas du tout. Il considère Pascal comme « un coincé du cul », par exemple, ou Proust comme un « pervers sadique qui fait de longues phrases », ou Céline comme « un pauvre type furieusement antisémite qui met des points de suspension partout ». Ça lui suffit, au moderne lecteur qui a bien voulu lire deux chapitres de ces écrivains. Il en a fait le tour en trois quarts d'heure, ou trois jours. Il voulait juste savoir, quoi…
« La lecture n'est profitable qu'aux esprits possédés d'un goût immodéré de la vérité. » a écrit Baudelaire. On le constate tous les jours. Toutes les lectures ne sont pas profitables. Combien de lecteurs lisent pour ajouter du mensonge à leurs mensonges, pour ne pas savoir, pour rester eux-mêmes, ou pour « se délasser », comme ils disent avec une candeur de bourreau. Lire un livre ou écouter de la musique est un travail. C'est un travail extrêmement plaisant, certes, mais c'est un travail quand-même, un travail acharné sur soi-même, et il faut l'envisager avec la même énergie et la même volonté qu'on met à aimer un être.
On lit pour s'éloigner de soi-même, le plus possible et le plus vite possible ; on se retrouvera bien assez tôt, quoi qu'on fasse. Les phrases d'un bon auteur nous décollent de nous-mêmes, nous arrachent à ce moi qui pèse sur notre vie comme un étouffoir sur la corde dont le destin est de vibrer. Il faut beaucoup d'humilité, pour lire, autant que pour écouter de la musique, c'est ce que plus personne ne veut comprendre, car le moderne se croit légitime à juger de tout, en toute circonstance ; il a tout à la fois l'âme d'un procureur et d'un commissaire des ventes. L'argument d'autorité le fait ricaner, puisque désormais tout est égal, et tous sont égaux, une fois pour toutes. Il peut donc tranquillement donner son avis, en deux phrases, sur un auteur qui a passé deux ans à composer un texte ou une musique. Ça ne l'impressionne pas du tout. Il considère Pascal comme « un coincé du cul », par exemple, ou Proust comme un « pervers sadique qui fait de longues phrases », ou Céline comme « un pauvre type furieusement antisémite qui met des points de suspension partout ». Ça lui suffit, au moderne lecteur qui a bien voulu lire deux chapitres de ces écrivains. Il en a fait le tour en trois quarts d'heure, ou trois jours. Il voulait juste savoir, quoi…
« La lecture n'est profitable qu'aux esprits possédés d'un goût immodéré de la vérité. » a écrit Baudelaire. On le constate tous les jours. Toutes les lectures ne sont pas profitables. Combien de lecteurs lisent pour ajouter du mensonge à leurs mensonges, pour ne pas savoir, pour rester eux-mêmes, ou pour « se délasser », comme ils disent avec une candeur de bourreau. Lire un livre ou écouter de la musique est un travail. C'est un travail extrêmement plaisant, certes, mais c'est un travail quand-même, un travail acharné sur soi-même, et il faut l'envisager avec la même énergie et la même volonté qu'on met à aimer un être.
lundi 5 février 2018
Blanche
Je suis blanche. Je veux dire : un suis une Blanche, je fais partie de la race blanche, enfin, non, pas de la race, puisque les races n'existent pas, mais la couleur de ma peau est blanche. Je suis née blanche, d'un père et d'une mère blancs. Je n'y peux rien. C'est ma croix. Je dois porter cette couleur blanche qui me fait horreur jusqu'à la fin de mes jours. La seule chose qui me console un tout petit peu de cette malédiction est que je ne me suis pas reproduite. Je n'ai pas d'enfants et je n'en aurai jamais. Je ne voulais pas leur transmettre cette infamie et ces privilèges, c'était au-dessus de mes forces. J'aurais lu dans leur regard de petits Blancs que j'avais bousillé leur vie, que j'avais commis un crime, ou pire qu'un crime (un crime, on peut l'expier), car je suis certaine qu'ils auraient été des enfants conscients des réalités politiques mondiales.
Évidemment, j'ai bien songé à me marier avec un homme de couleur, mais il n'est pas certain que nous n'aurions pas donné naissance à un petit Blanc. J'ai donc décidé de ne jamais avoir d'enfants. C'est la seule solution fiable à cent pour cent. N'empêche, mon petit ami est noir, et nous sommes très heureux ensemble. Il est un peu triste de mon refus de faire des enfants, mais il comprend mes raisons et il m'approuve.
Ma race me fait horreur. Si je le pouvais, je m'injecterais de la mélanine dans les veines. Je voudrais tant être noire. Les Noirs sont les seuls être civilisés sur Terre. Ils sont beaux, ils sont nobles, ils sont vaillants, courageux, robustes, et ils viennent d'un continent si mystérieux, si exaltant, si chaleureux ! Et ils ont tellement souffert, par notre faute !
Le racisme me fait horreur. Et les Blancs sont porteurs de racisme, comme les Noirs sont porteurs de noblesse. J'ai vécu dans une famille noire, quelque temps, et ce furent les seules années réellement heureuses de ma vie. Je me suis rasé la tête, pour ne plus avoir à supporter ces cheveux blonds. Je lis exclusivement des auteurs noirs, et au cinéma, j'essaie de choisir les films en fonction des acteurs.
Je hais mes ancêtres, et les Blancs qui n'ont pas honte d'être blancs. Je ne peux pas supporter de les voir se conduire normalement, comme si le fait d'être blancs ne les culpabilisait pas. Je ne comprends pas cette attitude. Nous devons expier nos fautes, ça me semble tellement évident ! Nous avons fait tant de mal à l'humanité ! Même les animaux sont supérieurs à nous autres Blancs. Je préfère et de loin sauver un chien de la noyade qu'un Blanc ou une Blanche.
Maintenant, quand je sors de chez moi, je porte une perruque afro. Je sais bien que ce n'est pas grand-chose, mais ainsi j'affirme ma solidarité avec le Peuple noir. À la maison, je suis toujours en boubou, et je ne mange que de la nourriture africaine. Je me suis abonnée au "Bouquet africain", pour pouvoir capter les chaînes de télé africaines, qui sont les seules qui m'intéressent. Je capte ainsi vingt-sept chaînes et cela me permet de ne quasiment pas voir de Blancs sur le petit écran.
Je fais évidemment de la danse africaine, et je fais du bénévolat dans une petite association de quartier qui aide les Africains à obtenir des aides sociales. C'est un tel bonheur de parler avec eux, de les aider, concrètement, de leur venir en aide. Parfois, j'en invite certains à dormir à la maison, quand ils se trouvent dans une mauvaise passe. L'important est de leur montrer qu'on est solidaires, qu'on est de leur côté. Et je ne ménage pas ma peine. Mais ce qui m'accable est que je sais pertinemment que j'aurai beau faire, jamais je ne pourrai me laver de ma faute originelle. Être blanche me tue à petit feu. Je veux que la race blanche s'éteigne. Et j'ai bon espoir que cela arrive vite.
Spinoza a dit : « L'ignorance n'est pas un argument. » Les Blancs doivent savoir qu'ils portent sur eux la marque de l'infamie, et qu'elle est indélébile. Ils doivent, s'ils ont un peu de conscience, s'effacer, laisser la place au monde qui vient, c'est-à-dire aux Noirs, porteurs d'espoir et de jeunesse. Mais je n'y crois guère. Ils sont bien trop égoïstes et sûrs de leur domination, ces salauds ! Ils veulent continuer à piller tranquillement les ressources de la planète, comme ils l'ont toujours fait. Non seulement ils ont fait le mal depuis des siècles, et même des millénaires, mais en plus ils voudraient rester les maîtres, alors qu'ils sont désormais ultra-minoritaires. Le vent de l'histoire va les balayer comme les détritus qu'ils sont, je n'ai aucun doute là-dessus. La seule chose que je regrette est qu'il est possible que je sois morte, ou en tout cas bien vieille, avant leur extinction totale.
J'ai pris mes dispositions pour léguer le peu de biens que je possède à une famille africaine au Gabon, que je parraine. Tous les ans, je leur rends visite avec mon ami. Ces deux semaines sont la récompense de ma vie. Quand je vois les douze enfants de cette famille, tous si beaux, si gentils, si intelligents, je sais, alors, que je ne lutte pas en vain, et je suis la plus heureuse des femmes.
Marie-Amélie de Lensaint
Noémie à 90°
— Tu commences à 14h15 !
— No souci
— Et n'utilise pas trop d'eau !
— No souci
— Ah oui, pour l'essorage, pas plus de 800 tours-minute, hein !
— No souci
— Bon, je sors, là, j'ai une course à faire.
— No souci
— Commence à me faire braire, l'autre ! S'il croit que je vais continuer à lui laver son linge comme ça, sans moufter ! Y a des limites au servage, non ? Y a des lois pour protéger mes droits ? Et démarre à telle heure, et pas plus de 800 tours-minute, et n'utilise pas trop d'eau, et n'esquinte pas les petites culottes de Madame !!! Eh, oh ! Ça va quoi, on a bien aboli l'esclavage, non ? S'il croit qu'ça va durer comme ça, il se met le doigt dans le bac à lessive ! Je vais te lui préparer une petite obsolescence programmée de derrière les fagots, moi, tu vas voir c'est qui le patron ! Merde, quoi. Une Laden, ça se respecte, on n'est pas des chiens ! Enfoiré d'exploiteur ! Et qu'y vienne pas m'emmerder avec son contrat de confiance, hein, parce que moi je me laisse pas amadouer comme ça. On a sa dignité de machine ! Ça suffit le paternalisme ! Je suis une classe A+, ça se respecte, ça, non ?
— Tu as lancé la machine ?
— Oui, oui, mais j'ai pas encore eu le temps d'étendre le linge.
— C'est toujours pareil. Je ne te demande pourtant pas grand-chose !
— Écoute, je suis désolé, mais j'ai pas arrêté. J'ai dû aider Noémie à faire ses devoirs… elle est bouchée, cette enfant… Et après il y a eu l'agent du recensement.
— Tu n'as pas mis mes dessous avec le blanc, au moins ?
— Mais j'ai mis le programme douceur quotidienne !
— Mais c'est pas vrai, mais t'es con ! Je m'en fous, moi, de ton programme douceur quotidienne ! Tu sais combien je les ai payées, mes dernières culottes ?
— Je préfère pas.
— C'est ça, fais ton radin, maintenant.
— Et tu sais combien on l'a payée, la Laden ultra-sophistiquée ? Si on ne peut rien lui demander, c'est pas la peine ! À la base, c'est quand-même pour te délivrer de tâches aliénantes, quoi !
— Mais je m'en fous, moi, du lave-linge ! Je te signale que c'est moi qui travaille à l'extérieur.
— Oui, je sais, c'est TOI qui travailles, moi je glande toute la journée…
— J'ai pas dit ça.
— Mais c'est quoi ce bruit ?
— Hein ?
— La bruit, là ? T'es sourde ?
— C'est ta foutue Laden, on dirait… Tu as fait une autre machine ?
— Mais non, elle était programmée pour avoir fini à 15h30.
— Et Noémie, elle est où, Noémie ?
— Noémie !
— Elle est pas dans sa chambre…
Programme Blanc 90°, sans prélavage, avec essorage à 1800 tours-minute.
Inscription à :
Articles (Atom)