« Il en passait, du beau monde, à la boutique : Georges Braque, Max Ernst, Henri Matisse, André Derain, Pablo Picasso, Fernand Léger, Constantin Brancusi, et tant d'autres ! »
vendredi 28 octobre 2011
Apprendre l'analphabétisme
Les Français ne peuvent plus supporter leurs enfants. Ils les envoient à l’école dès trois ans, et au moins jusqu’à seize, pour apprendre l’analphabétisme.
Guy Debord
Je ne développerai pas, parce que je manque de temps, mais ces derniers jours ont été l'occasion pour moi d'apprendre quelque chose de fort intéressant, grâce à la FIAC et aux comptes rendus et tables rondes qui étaient consacrés à cet événement capital de la vie artistique. Les écoles d'art, en France, sont d'extraordinaires endroits où l'on apprend… à devenir-un-artiste-contemporain. On n'apprend pas à dessiner, à peindre, à sculpter, ni le maniements des pigments, des médiums, des colles, des siccatifs, des diluants, des charges, des enduits, et des supports, non, on apprend à fabriquer sa petite carrière d'artiste contemporain. J'aurais dû m'en douter, bien sûr : on est toujours en retard sur la réalité. Jusqu'à présent, l'analphabétisme dont parle Debord ne s'apprenait qu'à l'école (et dans l'entreprise), mais sans doute que cela ne suffisait pas. Dorénavant, ce sera à l'école, dans l'entreprise, à la télévision, dans la fonction publique, dans les partis politiques… et dans les écoles d'art.
samedi 22 octobre 2011
Promenade
Je ne sors jamais de chez moi. On me livre mes courses, je n'ai pas de voiture, je déteste marcher. Je vote par correspondance (bien que n'ayant aucune opinion politique). J'ai d'ailleurs fait sceller le portail de la maison et installer une sorte de trappe par laquelle le livreur peut faire passer les colis de victuailles.
Hier, pourtant, j'ai été obligé de me rendre en ville. J'ai escaladé le portail devant le taxi. Le conducteur n'a pas eu l'air surpris.
Je n'avais pas vu de ville depuis une bonne dizaine d'années. Celle dans laquelle je me suis rendu hier est une ville modeste où doivent habiter environ une petite vingtaine de milliers de Français. Ça ne ressemble pas du tout à la ville que j'ai connue naguère. Une ville d'aujourd'hui est constituée d'une litanie de magasins de vêtements, de boutiques où l'on vend des téléphones portables, et de pharmacies. J'oubliais les trois McDonald's, sans lesquels il serait impossible de se repérer, si j'en crois les quelques réponses aux questions que j'ai dû poser afin de trouver mon chemin. Jadis, les églises, les postes, les mairies, et plus généralement les bâtiments administratifs, les noms de rues, donc les hommes connus du passé, servaient à se repérer dans les communes de ce pays ; il semble que cela ne soit plus vrai. Mes contemporains doivent faire comme moi, j'imagine, commander leur nourriture sur Internet, et je les comprends, mais alors pourquoi continuent-ils en hommes du passé à aller acheter leurs vêtements dans ces rues laides et bruyantes ? Mystère ! J'ai cherché un bistrot car la marche m'avait donné soif. Pas trouvé. À la pharmacie on a accepté gentiment de me désaltérer car la tête me tournait. Je n'ai posé aucune question à la pharmacienne, parce que je commençais à comprendre que ce monde-ci, s'il ressemblait par certains traits à celui que j'avais connu, était en réalité devenu tout autre, et que j'y étais un parfait étranger. J'avais fui un monde que je n'aimais plus, mais qui était pourtant encore le mien, quoi que j'en pense, et il avait suffi de quelques années pour que le monde me prenne au mot, et m'exclue complètement de lui.
Je suis rentré chez moi sans demander mon reste. Comme je l'avais vu faire à de nombreuses reprises, durant la petite heure que j'ai passée en ville, j'ai craché par terre, juste avant de monter dans le taxi. À Rome, fais comme les Romains.
mardi 18 octobre 2011
jeudi 13 octobre 2011
Paraphrase sur la sodomie
Il s'appelle Fredi Maque, mais il pourrait s'appeler Jules-Ahmed Dupont. Toutes les onze minutes (ou parfois dix-sept) je le vois passer sur ce blog. J'ai peur. J'ai peur des fous. Ça fait des mois que ça dure, il passe ses journées sur mon blog. Ce type est dingue, c'est sûr. Un jour, quelqu'un d'intelligent écrit sur son blog : « J'aimerais bien écrire quelque chose d'intelligent sur mon blog. » Fredi Maque commente : « Vous en êtes tout à fait capable. » Soit c'est un con fini, soit c'est un fou pas fini. Mais il paraît que je suis injurieux. Je ne supporte plus ceux qui parlent de "ce jour" (pour aujourd'hui) ou de "ce vendredi" (pour vendredi prochain). J'ai envie de les injurier. Intelligemment. Quand nous sommes samedi, ils parlent aussi de "ce vendredi", et l'on ne sait pas s'ils veulent dire "vendredi dernier" ou bien "vendredi prochain". Vous êtes des cons. Ou des fous, je ne sais plus très bien. Vous en êtes tout à fait capables : d'être fous et cons à la fois, je veux dire. Mais si. De toute façon, c'est assez simple, les blogueurs dans leur totalité sont des cons. Pas d'exception. Et une importante proportion de ceux-là sont fous, en plus. J'ai peur. La vieillesse fait peur, la jeunesse aussi, sans parler de l'âge que j'ai, qui change sans arrêt. La rumeur dit qu'on va bientôt payer pour envoyer des emails : je pense que c'est la meilleure nouvelle qu'on ait entendue depuis très longtemps. Il y a vraiment des femmes qui disent à leurs mecs : "tu mets ton gros boudin entre mes cuisses" ? Sûrement. Écoutez, ça donne : "Fredi, mets-moi ton gros boudin entre les cuisses." Entre les cuisses ? Ah, ce mot ! La cuisse, la coulisse, le cul, ho-hisse ! La messe. Ses cuisses, dimanche, à la messe… Fredi met son gros boudin entre les cuisses de mon blog, toute la journée, trente fois par jour, mon Père ! Mon blog commence à avoir l'entrecuisses irrité. Que faire ? Y a-t-il des pommades pour les blogs irrités ? Ça doit exister, mon fils, il n'y a aucune raison que ça n'existe pas. Tout existe, désormais, même Dieu. Ce qui n'existait pas la veille existe aujourd'hui, ou demain, au plus tard. Ce jeudi, ce midi, sur mon blog, tout doit exister, les vieilleries comme les péripéties innovantes et attractives. L'âge d'or est devant nous. Il nous a doublé. Personne ne l'a entendu klaxonner, il n'a pas fait d'appels de phares, mais il conduit un bolide : le "No souci". Pourquoi est-ce que je pense à cette femme qui, chaque jour, sur France-Culture, annonce les programmes de la soirée : "À vingteuh-deux heures, Ceci, à vingteuh-trois heures, Cela." Ils l'ont virée. Bien fait, mais ils l'ont remplacée par une autre qui dit la même chose, en pire, bien sûr. Je me demande si elle s'épilait le minou. C'est Brel qui voulait être "beau et con à la fois", il n'a pas vécu assez, le veinard, pour avoir connu les blogs. Ça l'aurait calmé. Que permettent les blogs ? La disparition de la rumeur. La rumeur ne peut exister quand tout est rumeur. La finance ? Un gros blog. Les marchés financiers ? Un super gros blog, un cartel de blogs. Ce samedi, Monsieur Les Marchés Financiers va prendre pour épouse Mademoiselle Rumeur de La Bloge, encore vierge (une vieillerie). La vieillerie Rumeur de La Bloge en a dans le pantalon, enfin, tout ça est placé, bien entendu, au meilleur taux, et son futur époux n'est pas fou. Il aurait d'ailleurs pu s'appeler Fredi Maque, mais non, il porte un patronyme vé-ri-ta-ble-ment (comme dirait Laurent Dramaturgie Goumarre) hype, et nous ne fréquentons pas la même bloge, moi qui suis du Grand Horion de la Transe, alors qu'il est de la Glue, nettement plus internationaliste. Le genre qui vous donne rendez-vous à dix-sept heures ce vendredi. Le genre gros-maçon qui roule de Porsche en Porsche, toujours en phrase avec l'âge d'or, sans casque. Le genre qui a toujours l'air d'avoir un hymen collé sur le pif tellement il déflore le réel toute la journée, et plutôt deux fois qu'une. Bref, pas un glandu qui tend l'oreille pour voir si le rapide de 20h12 est en train de lui foncer dessus, parce que le rapide de 20h12, c'est lui. Ruisselant, sortant de la douche, bandant comme un gorille, ayant oublié qu'Euridice l'attend au bar, il en remet une couche, c'est un peintre né qui jamais ne se retourne sur sa couleur, il tire sur le fil d'Ariane et son jet traverse la couche d'ozone, sa glu est son paraphe de nacre. Very attractive, le paraphe. Mais c'est toujours pas ça qui me débarrasse du Fredi Maque.
Le progrès n'a pas besoin d'être un progrès pour attirer les cons.
Boudin
samedi 8 octobre 2011
Pour ou contre la théorie du genre
mardi 4 octobre 2011
XP déclare
« Moi, je suis un vrai lecteur de Muray. » Pas une faute, ni de frappe, ni d'orthographe, ni de grammaire, ni de syntaxe, ni de français, dans cette phrase de "XP". Vous ne connaissez pas "XP" ? Un pote à Didier Goux. Le rédacteur d'un "magazine informatique", le mec, si j'ai bien suivi. Un jeune. Un moderne. Un dans le coup. Un technophile. Un Ilysien.
Il prend deux mots, XP, "démocratie" et "atomique", et il les colle l'un à côté de l'autre. Pour voir. Il regarde. Il voit, et il se dit : "Cela est bon." XP est debout devant son établi immaculé. Il cligne de l'œil, cadre le concept entre quatre de ses doigts, et il est satisfait. "Yesss !" Suce un glaçon.
Je sais, je sais, vous allez encore me dire que je perds mon temps à défoncer des chatières ouvertes, qu'un "XP" est à peu près aussi intéressant à étudier qu'un Quark orphelin roulant à 30 km/h sur la bande d'arrêt d'urgence de la voie sucrée, et vous aurez raison. J'aime les causes perdues, j'ai de la tendresse pour ces minables plastifiés qui roulent les mécaniques, parce qu'ils ont trouvé un public à leur dimension, je suis comme ça.
J'en ai rencontré beaucoup, de ces minus qui pensent accéder au langage parce qu'il ont "manié du code". Ayant beaucoup utilisé l'informatique, dans mon métier, j'ai dû côtoyer ces zozos plus d'une fois, ces sortes d'amibes affolées qui se cognent aux murs de la pensée comme la boule du flipper une fois lancée dans la courte éjaculation qui lui tient lieue de vie. Comme ils ont l'esprit aussi vide qu'un adolescent en train de se polir le chinois, ils croient que la vitesse de leur main sur leur membre est synonyme d'intelligence, et ils prennent les étincelles que fait leur cortex raclant les parois de l'aquarium pour des éclairs de génie, et les zigzags incohérents de leurs idées pour des chemins de traverse. Ils sont toujours extrêmement arrogants, mais ce n'est pas vraiment de leur faute, c'est seulement qu'ils n'ont rencontré que d'autres amibes dans leur genre, et ne jugent qu'à l'aune de cette race qui ne connaît qu'un âge, l'enfance. Comme les mouches qui changent de direction selon un plan peut-être mystérieux mais certainement exaspérant, ils découragent toute velléité de les écouter, de les saisir, par leur constante et inutile agitation dont le labeur extrêmement apparent semble sans objet.
À leur échelle, il faut reconnaître que ce sont des dieux. Sur le territoire de silicone invisible à l'œil nu qui leur est attribué, ils règnent en maîtres absolus, avec le despotisme jaloux et intransigeant de ceux qui savent que moins on possède plus il convient de défendre ce peu avec l'énergie du désespoir, tous crocs et griffes dehors, même par le calme plat et désespérant qui règne en général à leurs frontières, que nul ne songe réellement à leur disputer.
« Moi, je suis un vrai lecteur de Muray. » La virgule après le "moi" n'est pas anodine. Il y a le moi, et il y a, ensuite, la phrase, l'affirmation, la déclaration. Est-ce que le je de la phrase désigne le même sujet que ce moi envirgulé, décalotté en son commencement turgescent ? Rien n'est moins sûr. Les sujets de ces contrées opaques sont des mutants, et s'ils n'ont pas un petit doigt qui les désigne comme tels, leur sexe, en quelque sorte encapsulé dans le morne calculateur à deux dimensions qui leur sert de cerveau, trône là comme un terrible et inutile appendice, héritier mort-né abandonné, atrophié et desséché. Si cet attribut morbide n'a plus de fonction, il lui reste pourtant une mémoire, et cette mémoire pèse de toute sa tristesse sur les prérogatives détimbrées de nos rois-nains. Donc, l'un d'entre eux, le Roi XP, est vrai lecteur de Muray, si l'on veut le croire, et l'on aimerait tant. Un "vrai lecteur de Muray" illustrerait-il les articles de sa Grande Revue (Ilys) par ces photographies, toutes plus tristes les unes que les autres, de "nudité féminine" ? Je pose la question par pure forme, bien entendu. Leur "nudité féminine" est à peu près à la femme et à l'érotisme (ne parlons même pas du sexe) ce que les Lettres sont à la littérature, ce que la sociologie est au réel, ce que les Beatles sont à la musique, ou ce que Villepin est à De Gaulle. (On notera d'ailleurs que leurs goûts musicaux sont en plein accord avec leurs vues sur la beauté féminine.) Je disais donc que la phrase vient après l'énoncé de la tautologie sans issue : Moi. Il ne savent pas s'y inclure, dans cette phrase, ils restent à l'extérieur, ils tournent autour comme des vautours énervés par l'odeur de la viande pas encore congelée dans le Frigidaire. Muray peut (mais Muray mort, car Muray vivant les aurait éloignés d'un rire), comme d'autres noms aux fragrances fortes, les énerver ainsi, de ne savoir être ni dedans ni dehors. Alors on les entend taper du pied au sommets de leurs dunes lunaires, et cette musique les enivre tant et si bien qu'ils pensent un instant exister parmi nous, et que si la Terre tourne, c'est à cette danse obstinée qu'elle le doit. Comme des enfants impatients et affamés auxquels on aurait arraché toutes les dents, ils croient mordre dans la tétine, mais la mère infâme se pâme ou se tord de rire. Ces sont des petits singes édentés, des chameaux sans bosses, des petits pains sans levain et sans sel, des humains blanchâtres sans matière, sans logos, sans poils. Plus ils s'énervent, moins on les remarque. Alors ils font ce que les hommes ont toujours fait dans ces cas-là, ils écrivent une légende dans laquelle ils se représentent vivants, innervés, pensants, vibrants, bandants, mordants… Ils écrivent l'histoire des vaincus du point de vue des vaincus qui ont vaincu. (Je me comprends.)
Seulement, toutes les légendes ont leurs limites, et, confrontées aux scènes de la vie quotidienne, montrent leurs muscles en ficelle et leur cœur en chiffon. C'est tellement triste, alors, de les voir dévoiler la machine et la tringlerie sous l'habit, et de continuer la geste grandiose alors que le pantin se défait, part en quenouille, qu'on en viendrait presque à les serrer contre nos cœurs pour leur raconter une belle histoire, une de plus. Le Roi XP, quand il sort de son royaume, en est certainement le plus poignant représentant : et lorsqu'on lui fait doucement remarquer qu'il ne sait pas écrire trois mots sans faire quatre fautes, il monte sur son tréteau branlant pour vitupérer contre ceux qui voudraient essayer de faire croire que le roi est nu comme un vermisseau, alors que, et qu'il le fait exprès, et qu'il n'a pas le temps de s'attarder à faire attention aux fautes de frappe, et que ce ne sont pas des fautes — comme si quelqu'un sachant écrire en français avait deux vies, l'une où il écrit bien (dans la légende) et l'autre où il n'a que faire de cette science des ânes (la vie trop vraie, trop cruelle, trop plate, trop agrippée à sa pauvre orthographe (qui n'est qu'un habit qu'on met quand on sort dans le monde)), alors que l'Esprit souffle, et que les trolls (son mot favori, son mot magique) devraient s'estimer bien heureux d'avoir ne serait-ce que des fautes d'orthographe, quand excrétées par un XP. D'ailleurs, il parle comme les enfants : « Moi, je suis un vrai lecteur de Muray, et je cherche pour de vrai à comprendre le monde qui m’entoure. » Si ça ne vous touche pas, ça, c'est vraiment que vous êtes des monstres ! Le monde qui l'entoure… Le Roi XP est entouré par le monde, encerclé, et le monde est vilain, effrayant, sans pitié pour les rois qui se promènent tout nus. Lui, XP, pourtant, il sait que l'habit qu'il porte est le plus beau, le plus riche, le plus seyant, mais on n'a pas traité le monde, qui croit voir ce qu'il voit, c'est à dire rien. Le monde est malade, aliéné, aveugle, et XP souffre, mais il ne peut pas le reconnaître, car le reconnaître le dénuderait à ses propres yeux. Non, XP doit passer, en coup de vent, et emporter un peu de sable sous ses semelles de plomb… De vent, pardon !
Quand on a l'habitude d'aller nu, on s'habille d'un rien. La pensée du Roi XP est à l'image de sa vêture : elle rappelle ces lofts des années 80 où deux poufs blancs et un matelas posé à-même le sol constituaient tout l'ameublement, avec le poster de 2001. Le Roi XP dispose ses poufs blancs (le pouf démocratie et le pouf atomique) sur son sol blanc laqué, s'asseoit entre les deux, une main sur chacun, et il se trouve bien. C'est un genre de Sam Suffit de la pensée nomade et hors sol, qui n'a d'attaches avec le monde que sous la forme du réseau, de la connexion. Il croit en un seul Dieu, le Cerveau global, l'intelligence connexe, les bits croisant les bits en de joyeuses partouzes numériques. Des livres ??? Quoi, ces machins, tous différents, qui jaunissent, qui se tachent, qui s'empilent en tas, véritables nids à poussière ? Et puis quoi encore ! Quoi, des disques, quoi, des auteurs, quoi, des siècles ??? Ah, comme tout cela sent le renfermé, le vieux, la tremblante et le papier d'Arménie ! Misère de l'étude, de la page cornée, du coup de crayon qui n'abolira jamais la distraction et la transe de ceux qui croient que le monde a été méchant avant eux, méchant et imbécile, imbécile et désinvolte avec ces nouveaux venus, les dépositaires naturels du Royaume, pour qui il aurait fallu faire place nette. Las, les écuries sont crasseuses, les femmes n'ont plus envie de faire l'amour, et les fleuves charrient des déchets pestilentiels. Rien n'est neuf. Sauf eux. Sauf l'atome, à jamais, sauf l'Individu, libéré du surmoi social. Ils vont devoir retrousser leurs manches, mais nous ne serons plus là pour les voir se salir les mains en s'enlevant la merde qu'ils ont dans les yeux. Même le roi XP ne verra pas les grands travaux, car dans quelques mois il aura oublié ses deux poufs et se sera meublé ailleurs, et tout cela ne le concernera plus. C'est du moins ce qu'on peut lui souhaiter, car ne jamais vieillir est la pire des malédictions, la plus sinistre des farces que le Temps joue à l'Homme.
dimanche 2 octobre 2011
Réclame
— T'as l'air en forme, ce matin, Georges ! Tu t'es mis au grec ancien, t'as passé la nuit avec Adjani ?
— Non, j'ai lu le blog de Didier Goux.
— Didier Goux, celui qui passe son temps à dire une chose et son contraire ? Celui qui annule en commentaire ce qu'il a écrit dans un billet, celui qui n'a aucune parole, qui oublie régulièrement ce qu'il a dit, ou fait (ou pas fait) ? Celui qui ne vit que par procuration ? Cette girouette, ce colporteur de ragots ? Celui qui efface ce qu'il écrit, ou qui écrit des secrets… sur le web ? Ce menteur professionnel, l'expert en martyrologie appliquée, qui n'est jamais responsable de rien, qui ne comprend jamais pourquoi on lui en veut, comment on peut lui reprocher quoi que ce soit ?
— Lui-même.
— Comprends pas.
— Je m'entraîne pour mon nouveau travail. Je suis dans la pub, maintenant.
— Je ne pige toujours pas.
— Il y a des barils de lessive qu'on préférerait ne pas vendre, mais on a quand-même une machine à laver et du linge sale.
— Ça me fait penser à un collègue que j'avais, dans une vie antérieure. Quand il prenait la parole, il commençait toujours par "Je sais que je vais encore dire une connerie, mais…" et j'avais immanquablement envie de lui rétorquer qu'il pouvait fermer sa gueule, alors. Ces types sont les incarnations vivantes de ce que Papa appelle "la figure belle", ce sont des experts en contre-discours, ils ne cessent de se rabaisser pour qu'on les admire, parce qu'ils n'ont jamais le cran et la simplicité d'affirmer ce qu'ils pensent en dehors d'une quelconque justification tierce. Il faut toujours qu'il y ait une autorité dans les parages, pour qu'ils puissent oser penser ce qu'ils pensent, faire ce qu'ils font, dire ce qu'ils disent. Tout en affirmant, bien entendu, qu'ils n'ont strictement aucun amour propre et qu'on peut très bien penser le contraire de ce qu'ils pensent sans que cela les émeuve ni ne les dérange. Le genre grand-seigneur qui mouille son froc si l'Autorité esquisse une caresse ou éternue dans la bonne direction. C'est du grandiloquentisme qui se cache derrière son majeur…
— Je ne suis pas certain d'avoir bien fait de te répondre.
— Ah, tu ne vas pas t'y mettre, toi aussi !
— L'épigonerie est une maladie qu'il faut prendre au sérieux. Il y a des tonnes de mecs qui passent leur vie à croire qu'ils parlent, alors qu'ils ventriloquisent. Ils passent leur temps à délayer le suc qu'ils chipent sur les ailes des autres, et qu'ils rapportent laborieusement à la maison, la nuit, sur des chemins sans lune, pour s'essayer au soluté, à la distillation, à l'enfleurage. Le drame de l'épigone est qu'il est pris entre deux attitudes antagoniques en apparence mais à peu près équivalentes dans leurs conséquences. Il peut épaissir le signifiant qu'il a découvert (un des traits du maître, qui l'ont saisi), et il sombre immédiatement dans le ridicule car plus rien ne se voit que cela. Lorsque l'épigone est plus âgé, ou plus intelligent, il fait le contraire, et c'est à effacer les traces des pas de celui qui lui montre la voie qu'il va s'appliquer, les diluant en un idiome qu'il croit synthétiser par sa rumination laborieuse. Si cette opération est moins sujette au ridicule que la première, elle a le grave inconvénient, gommant les aspérités irréductibles de l'original, d'en faire une solution au goût insipide, et dont c'est la banalité alors, et l'inutilité, qui sautent aux yeux de tous.
Il est toujours difficile de croiser la route d'esprits forts sans y laisser plus de force vitale que de cette bienfaisante nourriture qu'on trouve en eux. Ce qu'on appelle le bon goût n'est peut-être rien d'autre que l'équilibre, équilibre toujours momentané et incertain (et dangereux, en un sens) qu'un individu trouve dans l'économie des entrées/sorties culturelles et intimes qui le façonnent, et le font avancer dans la spirale toujours plus aiguë de l'exigence. Plus la nourriture est consistante (et fortifiante), plus le déchet est riche, c'est ainsi que l'abandon et le rejet font partie de la culture, contrairement à l'idée reçue et ressassée jusqu'à la nausée, aujourd'hui, qui voudrait que plus on aime plus on s'enrichit. Renaud Camus le dit en une formule condensée que je cite de mémoire : la culture d'un homme se voit au moins autant dans les livres qu'il ne possède pas que dans ceux qu'il possède. Ne pas posséder, ne pas écouter, ne pas voir, ne pas savoir, je veux dire "ne pas avoir la possibilité de" est devenu impossible, à l'heure d'Internet. La possibilité, tu l'as désormais toujours, quoi que tu fasses ou quoi que tu ne fasses pas. Virtuellement, tu as donc tout, ici et maintenant. Tout, c'est-à-dire le bon, le très bon, le mauvais, le très mauvais, mais aussi et surtout, l'insignifiant. Comme le dit l'enfant dans je ne sais plus quel film de Woody Allen : « À quoi bon étudier, si la fuite des galaxies est une chose avérée ? » À quoi bon apprendre, s'il suffit de prendre ? La culture, c'est choisir, c'est discriminer, ranger, ordonner, hiérarchiser, pour pouvoir ensuite faire des liens et des raccourcis (et aussi beaucoup de détours, mais c'est la même chose) ; c'est donc en premier lieu laisser. Si tu as ce tout, là, sous la main, à disposition perpétuelle, gratuitement, je crois que c'est fichu. La connaissance est née d'un désir et d'un manque, pas d'un trop plein. Mieux vaut le désert que l'inondation.
— Oui, bon, très bien, mais le rapport avec Didier Goux ?
— Non, tu as raison, aucun rapport, bien sûr… Et puis je noie le poisson, qui n'a besoin de personne pour se noyer.
— Écoute, je te propose d'ouvrir une porte derrière nous.
— Ça me va parfaitement.
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