dimanche 26 avril 2020

Les Épouvantails du Net (information et récepteurs)


Celle-là, il y avait un petit moment que je l'avais repérée. J'avais déjà bloqué ses messages privés — elle m'envoyait régulièrement des vidéos et des articles qui étaient censés corroborer ses multiples colères-et-indignations-légitimes — mais je continuais à la suivre, à moitié par joie perverse de voir une authentique cinglée se prélasser dans sa folitude, à moitié pour me tenir au courant des embardées printanières des complotantes amateuresses.

Elle est vraiment gratinée, dans le genre. Le plus drôle est qu'il y a peu, j'ai déposé sur Facebook un tweet qui parlait d'elle, et qu'elle l'a liké. Le tweet en question parlait de ces gens qui sont en état d'indignation permanente, et qui ne se rendent pas compte que plus personne ne fait attention à eux, comme ces épouvantails, dans les champs, sur lesquels les oiseaux viennent se poser tranquillement, après avoir becqueté tout ce qu'ils pouvaient aux alentours. On ne les remarque même plus, ils font partie du paysage ; on a pris l'habitude de leur petite musique un peu rasoir, mais qui ne dérange pas plus que ça. Je ne sais plus qui, l'autre jour, à la radio, a fait ce lapsus absolument merveilleux, en parlant de Stéphane Hessel et de son livre qu'il a renommé : « Résignez-vous ! ». Ah oui, ça me revient, il s'agit de Denis Podalydès, le comédien. On a vraiment envie de lui dire, à cette pauvre fille : « Résigne-toi ! » Tout va bien. 

L'autre jour, elle a déposé un statut Facebook invraisemblable dans lequel elle affirmait de manière extrêmement péremptoire qu'il n'y avait vraiment pas de quoi faire une histoire de ce coronavirus, puisque « la grippe saisonnière tuait 20 fois plus ». À l'appui de ses dires, elle avançait des chiffres ; des chiffres mirobolants, incohérents, délirants, absurdes, loufoques. Et quand je lui ai fait remarquer qu'elle écrivait des bêtises, elle s'est mise en colère et m'a accusé… de ne pas savoir compter ! L'erreur était si énorme, pourtant, si manifeste, si aveuglante, qu'après quelques heures de refroidissement du système cognitif, elle a bien dû en convenir : elle avait tout simplement mélangé les chiffres du monde et ceux de la France. Mais il a fallu insister très lourdement pour qu'elle accepte de revenir sur ces chiffres qu'elle brandissait comme des évidences. Et elle n'a accepté que du bout des lèvres (« il n'y a pas mort d'hommes ») de reconnaître qu'elle avait, encore une fois, écrit des bêtises. Tout cela pour effacer son statut, en catimini, quelques heures plus tard. Pas un mot d'excuses, de repentir, pas de mea culpa, rien. Ce n'est pas grave, c'est juste des chiffres ! Oui, mais alors si ce ne sont "que des chiffres", pourquoi les utiliser afin de prouver ce qu'on veut prouver ? 

Ces gens-là partent toujours d'une idée, ou d'un postulat, qu'ils veulent faire admettre comme vrai, comme indiscutable, plutôt, et ils vont ensuite à la pêche aux "informations" susceptibles de "prouver" qu'ils ont raison. Mais ils sont tellement convaincus d'avoir raison a priori qu'ils lisent très mal, ou écoutent très mal. Tout est bon pour les conforter dans leurs croyances. Ils survolent ce qu'ils lisent, ils écoutent un mot sur quatre, une phrase sur deux, et dès qu'ils lisent ou entendent les mots qu'ils espéraient, ils cessent de lire ou d'écouter. On en arrive évidemment à des contresens extravagants, à des aberrations baroques, et le fait même qu'ils énoncent de telles énormités semble leur paraître prouver, paradoxalement, qu'ils disent bien la vérité.

Le récent épisode Luc Montagnier, à cet égard, a été très révélateur. Il a fait une déclaration très mesurée, assez précise, qui immédiatement a été "entendue" de manière extensive (soyons charitables). Vous dites par exemple : « Il arrive parfois que certains X ressemblent à des Y » et les gens dont je parle entendent : « X et Y, c'est pareil ». Ou alors, comme Didier Raoult il y a quelques jours : « Oui, c'est une hypothèse : il se pourrait que le COVID-19 disparaisse dans quelques semaines », ce qui devient : « L'épidémie vit ses derniers instants. » Tout se passe comme si les cerveaux censuraient une partie de l'explication, ou de la démonstration, ou bien la perdaient en chemin — cette partie de l'information ne les intéresse pas, donc ils la barrent. Je suppose que les cellules du corps humain se comportent de la même manière : si la "clef" du virus n'est pas adaptée aux serrures dont elles sont pourvues, celui-ci ne les pénètre pas. L'information n'est pas tout, il faut encore que l'esprit de celui qui entre en contact avec elle soit pourvu des bonnes serrures, des bonnes ouïes. Cela tendrait à prouver que l'attention n'est pas tout, ou plutôt, que l'attention n'est jamais neutre. À quoi est-on attentif, tout est là.

Bien entendu, la pauvre fille dont je parle plus haut est complètement cinglée, mais il n'y a pas que des cinglés qui se comportent comme ça. C'est même une tendance de fond. D'un autre côté, il y a des gens intelligents sages, placides, qui sont tellement intelligents, sages et placides, qu'on a parfois envie de les secouer comme prunier. Il y a un conformisme et une paresse de la dinguerie, c'est entendu, mais il y a aussi un conformisme et une paresse de la sagesse. On peut être intelligent sans avoir d'esprit, on le sait depuis longtemps. La colère et l'indignation sont en général de mauvaises conseillères, mais la sagesse et l'esprit de sérieux empêchent aussi de voir clairement (Finkielkraut en a donné tout récemment un bon exemple), il est donc assez compliqué de s'y reconnaître, dans ce foutoir paradoxal qu'est le monde de l'information. On peut toujours accéder à un niveau supérieur du sens, il ne faut jamais cesser d'être en mouvement, surtout lorsqu'on est sûr d'avoir raison. 

mercredi 22 avril 2020

Paradigme


Ça se passait en 1978, à Paris, dans le 18e arrondissement. Je jouais alors en duo avec un guitariste, que j'avais en partie converti à la musique contemporaine (lui venait du rock, moi du jazz). Une après-midi, il sonne à la porte de l'appartement, au 62 de la rue Joseph de Maistre, et il me montre deux partitions encore chaudes et bien bariolées. Avant même de jeter un œil sur la musique, j'ai compris qu'il se passait un truc. Les deux partitions portaient des titres bizarres. L'une s'intitulait "Paradigme", et l'autre "Syntagme". 

J'ai rien demandé, j'ai posé la musique sur le pupitre. Et là, nom de dieu, c'était pas croyable ! Il y avait des notes à chier partout et le mec avait bouffé de la septième majeure et de la neuvième mineure à s'en foutre une courante de printemps, ça zigzaguait dans tous les sens, c'était hérissé de partout comme un virus devant un festin de pancréas ! On voyait tout de suite qu'il avait composé ça dans une sorte de transe sans entendre une demi-mesure, juste pour le plaisir d'aligner de la dissonance au kilomètre, et de briser toutes les attentes du dingue qui aurait eu l'idée saugrenue d'écouter ça sans se protéger. Malgré tout, je dois reconnaître qu'il y avait quelque chose, dans cette exaspération jaculatoire. Le type était complètement barge et sa musique était un fameux autoportrait, on pouvait pas lui enlever ça. 

On a joué ses saucissons, et après je lui ai posé la question qui me brûlait les lèvres : ça veut dire quoi, "paradigme" ? Et "syntagme" ? Évidemment qu'il n'en avait pas la plus petite idée. Il avait dû ouvrir un livre de linguistique et trouver ça joli. Enfin, joli, je m'entends… Il avait dû trouver surtout que personne ne saurait ce que ça voulait dire, et c'est bien ça qui lui plaisait. Ça allait foutrement bien avec la musique, si tu vois ce que je veux dire… D'un seul coup, le mec découvre la septième majeure, la neuvième mineure ET deux mots parfaitement imbittables ! C'était Noël en plein été. Il en faut peu pour être heureux, quand on sort de sa grotte, encore tout couvert de morve. 

Là, je dois vous avouer que moi non plus, je ne connaissais pas ces mots. Dès que mon guitariste fou est parti, j'ai demandé à ma copine si elle savait ce que ça signifiait, mais comme je n'ai rien compris à ses explications (contrairement à nous, elle était allée à l'école), j'ai bien été obligé d'ouvrir un dico — ce qui ne m'a pas vraiment renseigné. Bon, pour le "syntagme", encore, ça allait, même si je trouvais l'explication un peu simple, et donc un peu louche. Mais pour "paradigme", alors, non, vraiment, j'ai rien compris du tout. Ce mot m'a trotté longtemps dans la tête. Paradis, digue, zeugme, j'entendais les aiguilles d'une trotteuse hystérique qui se serait cognée contre les bords d'une montre, des bouts de granit, un truc hirsute et un peu espagnol sur les bords, mais le mot restait complètement muet ; il voulait pas partager. J'ai fini par l'associer aux septièmes majeures et le ranger dans un coin de ma tête, jusqu'au jour où je l'ai retrouvé dans un texte de Barthes. 

Si on m'avait dit, alors, qu'un beau jour, tout le monde emploierait ce mot, sans le comprendre plus que les deux couillons que nous étions en ce temps-là ! Ils veulent tous absolument, toutes les deux minutes, qu'on change de paradigme, ces cons ! Enfin, il y a ceux qui veulent que tu changes de logiciel, et ceux qui veulent que tu changes de paradigme. Dans tous les cas, t'as intérêt à en changer… Sans doute que les logiciels et les paradigmes étaient assez crades aux entournures, et que ça commençait à sentir par en-dessous. C'est la seule explication que je vois. Mais bordel, commencez donc par changer de culotte ! Moi, mon paradigme, je n'en change pas. J'y tiens !

mardi 21 avril 2020

Le Mal en patience (4)


Le COVID, c'est d'abord un attentat contre les malades, contre tous ceux qui étaient malades avant son arrivée sur le marché, les cardiaques, les cancéreux, les sclérosés en plaque, les malades orphelins, les malades au long cours, les malades ordinaires, les handicapés sévères, les brûlés, les énervés, les écorchés, les écervelés, les trépanés, les aliénés, les aveuglés, les paralysés, les accidentés, les martyrisés, les oubliés, les esseulés, tout ce peuple meurtri et fragile qui, juste avant la survenue de COVID Ier, emplissait les chambres d'hôpital et les mouroirs cachés, les hospices des pauvres et les cliniques des riches.

Sa majesté COVID les a fait disparaître, tous ces malades et toutes ces maladies. Une maladie majuscule a relégué les maladies ordinaires dans les souterrains du réel. Comme elle a vidé les rues et les villes, elle a vidé les hôpitaux et les cabinets médicaux, mais également l'esprit de l'homme. La vérité ordinaire a cédé le pas à la Vérité virale, la vérité banale à la Vérité extraordinaire, la vérité plurielle à la Vérité unique. Et la Vérité majuscule a ceci de particulier qu'elle tue tout ce qui n'est pas elle. J'ai connu, personnellement connu, des gens qui, avant le COVID, étaient parfaitement capables de réfléchir, et qui ont cessé brutalement de faire usage de leur intelligence, dès l'arrivée sur le marché de la Vérité virale, basée sur les nombres et les statistiques. Quelque chose en eux s'est débranché. Un circuit a été rompu. C'est très net. Ils ont d'eux-mêmes cessé, d'un seul coup, de se servir de leur esprit, comme si cette cessation était une offrande au dieu COVID. Une vérité chiffrée, une vérité de laboratoire ou de tableau noir est tellement plus sexy qu'une vérité sale, approximative, sanguinolente, et qui sent.

On observe que les pays pauvres ont réagi comme on réagissait dans le monde d'avant, ce monde duquel la Vérité virale était absente. On est malade ? Eh bien il faut soigner ! Pas de ça dans les pays riches qui, eux, ont désormais à leur disposition une réponse d'un niveau supérieur. Vous êtes malades ? Il faut apprendre à vivre autrement, à vivre à travers un écran, dans un écrin. Il faut changer de paradigme (ils adorent cette expression). Platon écrivait qu'« on peut aisément pardonner à l'enfant qui a peur de l'obscurité. La vraie tragédie de la vie, c'est lorsque les hommes ont peur de la lumière ». La lumière crue du réel blesse les yeux de Moderne, il lui préfère celle du Chiffre, du Numérique, le confinement social, la distanciation corporelle. Les réseaux dits sociaux nous y auront efficacement préparés. 

Avez-vous remarqué que dans COVID il y a "vide" ? Comme dans un tour de magie, nous avons tous braqué les yeux sur quelque chose qui n'existait pas, pendant que le prestidigitateur agissait ailleurs. Il ne s'agit pas d'un attentat, comme je l'écris plus haut, mais d'illusionnisme. Plus on éclaire le faux, plus le vrai disparaît. 

samedi 18 avril 2020

Le Mal en patience (3)


Les vieux savants, qui ne sont plus dans la course (avec leurs pairs), et qui ont acquis à ce moment de leur vie à la fois de la sagesse et de la liberté sont très souvent ceux qui ont les "intuitions" (appelons cela ainsi, pour le moment) les plus prometteuses, les plus porteuses d'avenir. Ce sont aussi ceux sur lesquels se déchaînent, en général, les jeunes scientifiques arrogants qui n'ont pas encore compris que la science avançait en zigzags.

Un certain rapport, un certain équilibre — miraculeux, du point de vue de la pensée — entre sagesse et liberté est la clef qui ouvre certaines portes, de celles qui resteront fermées à la plupart des chercheurs. En cela ils sont très proches des grands artistes. Je dirais même qu'ils sont de grands artistes. 

Arrivés à un certain moment de notre vie, nous sommes conscients d'être à la fois la chose et la chose qui observe cette chose. Un musicien est celui qui produit un son, mais aussi celui qui écoute ce son. Il est le premier auditeur du son qu'il produit, et son écoute n'est pas une écoute passive, mais une écoute active, c'est-à-dire que cette écoute va modifier le son en même temps qu'elle l'entend. L'information façonne le son. Moins le musicien ajoute entre l'information et le son, plus le son qu'il produit est beau — beau, car juste. 

Il faut avoir acquis une certaine vitesse — vitesse acquise par une vie de travail et d'étude, par la discipline (de la discipline) — pour que, sur cette lancée, et sans imprimer de force supplémentaire, la découverte survienne naturellement. Alors, le moins est le plus. La vitesse acquise permet, grâce à la force accumulée (force accumulée qui est en elle-même de l'information), de ne plus faire d'efforts pour parvenir au but, qui alors, s'atteint sans aucun travail. C'est le sens de la célèbre phrase de Picasso : « Je ne cherche pas, je trouve. » 

John Archibald Wheeler, un grand physicien américain, "père" des trous noirs, a une formule très drôle, et que je crois très juste. Il dit : « Ne jamais faire de calculs avant d'en connaître le résultat. » Le calcul peut corroborer une idée, mais il ne doit pas la produire. Le calcul n'est qu'une vérification a posteriori. Commencez donc par observer !

jeudi 16 avril 2020

Le Mal en patience (2)


La science a mis la main sur la médecine, ou bien, pour parler comme Renaud Camus, la médecine a été remplacée par la science médicale. Toute la crise actuelle nous le démontre. D'ailleurs, ce n'est pas une crise, c'est une révolution, c'est un changement anthropologique profond, qui accompagne d'autres changements anthropologiques profonds. Une remplacement ne va pas sans d'autres remplacements. Le Remplacisme n'est pas seulement une théorie, c'est une puissante vague de fond qui déferle sur le réel, et qui le retourne — nous en avons tous les jours la démonstration. 

Les médecins veulent soigner. La Science leur répond qu'ils n'en ont plus le droit. Ils doivent appliquer des protocoles qui sont décidés ailleurs que dans leurs cabinets, en dehors du face à face du médecin et du malade, face-à-face qui constituait jusqu'alors la base de la médecine. 

Les nations veulent exister en tant que nations, on leur répond qu'elles n'en ont plus le droit. Elles doivent appliquer les règles qui ont été décidées ailleurs qu'au sein de leurs peuples, peuples qui n'ont plus de légitimité, peuples à qui l'on ne demande plus leur avis avant de décider d'eux. 

Les hommes veulent exister en tant qu'hommes, les femmes veulent exister en tant que femmes, mais on leur fait savoir que ces vieilles notions ne recouvrent plus rien. La sexualité est abolie. Ne vous inquiétez pas, on vous fournira du plaisir autrement. 

Une gigantesque Rationnalité est à l'œuvre, derrière ces grands mouvements de fond, une rationalité dont le cœur est le Calcul. Le nombre, les nombres, ont remplacé les qualités et les essences, et bientôt les choses le seront aussi. La singularité est abolie. Tout est désormais reproductible à l'infini, et donc remplaçable sans perte. Le Numérique commence à révéler sa vraie nature. Tout ce qu'il ne comprend pas (aux deux sens du verbe comprendre), tout ce qu'il ne peut décrire et ingérer, n'existe plus. Tout ce qui n'est pas susceptible d'être ap-prouvé par une étude statistique est déclaré invalide. Ne vous étonnez pas que la conception littéraire du monde ait complètement disparu des esprits : elle était à peu près seule à pouvoir lutter contre la puissance du dieu Calcul. « En double aveugle »… ? Les yeux grands fermés, oui. Vos sens ne vous servent plus à rien, reniez-les publiquement ! Nous aurons des machines beaucoup plus performantes, qui ne seront pas gâtées par des affects singuliers et irréductibles à une théorie. Une théorie ? Non, LA Théorie. Celle qui englobe toutes les théories, et qui, comme toutes les théories indépassables, peut se réduire en définitive à un binôme sacré et pur : 1 & 0.

La médecine, comme la littérature, comme la musique, comme la parole, était un art, un art du vivant. Il était temps de passer à un autre stade, plus stable, moins incertain, et qui ne laisse aucune place à cette chose complètement démodée, qui était au cœur de l'homme : l'indétermination. 

Le Mal en patience (1)


– Les prisonniers sortent, les vieux sont enfermés. 
– On a un traitement, mais on ne s'en sert pas.
– Les hôpitaux sont vides alors qu'on manque de lits. 
– On manque de moyens mais on aide l'Afrique.

Je ne vais pas continuer la liste, tout le monde peut le faire…

À ce niveau-là, ce n'est plus de l'incompétence, ce n'est plus de l'incohérence, ce n'est plus de l'impréparation, ce n'est plus de l'improvisation, c'est une volonté farouche de se débarrasser de son peuple.

mardi 14 avril 2020

Notes éparses du 14 avril 2020

De plus en plus souvent, nous sommes obligés de faire de la divination. Il faut un don, aujourd'hui, pour parvenir à percer le sens des sentences de nos contemporains. Il ne suffit plus de savoir lire, et l'on peut même avancer que savoir lire est un handicap, quant au déchiffrement de la plupart des écrits qui nous parviennent. On en est réduit à imaginer un sens, vague, souvent, et contradictoire, parfois, qui semble le plus probable, mais qui entretient avec l'écrit en question un rapport très lâche, pour ne pas dire inexistant.

De la même manière que la bonne éducation est pénalisante, dans les rapports sociaux, la bonne lecture n'aide en rien, quand on désire communiquer avec ses compatriotes.

Nous voici revenus au temps des hiéroglyphes et des borborygmes.


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Les médecins me font rire, je l'avoue. Ils se comportent et ils parlent tout à fait comme si de rien n'était, comme s'ils étaient là pour soigner les gens.

En fait, comme les "professeurs", quand il y en avait encore, ont mis un certain temps à comprendre ce qu'on attendait d'eux, ils n'en sont encore qu'à la période d'incubation. Mais les choses vont aller très vite, je n'en doute pas, et nous aurons bientôt des médecins, qui, comme les professeurs sont devenus des profs, seront devenus des "méds".

Il y en a déjà un certain nombre, à l'avant-garde, qu'on peut admirer, entre autre, à la télévision.


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La vie civile, qui n'existe plus qu'à l'état de souvenirs, pour les plus vieux d'entre nous, est désormais remplacée par la guerre civile. En réalité, c'est exactement la même chose, on a simplement inversé la polarité du circuit.

Bien sûr, dans le temps qui est le nôtre, il faut préciser qu'on est passé à un stade ultérieur : la vie incivile est devenue la guerre incivile. La négation fait partie intégrante du système.


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On a commencé avec les digicodes, puis on a enchaîné avec les capotes. Maintenant on passe aux masques, avec un petit détour par le voile islamique.

Bienvenue dans le monde numérique.


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Tout ce qui arrive aujourd'hui est absolument logique. Plus d'école — elle ne servait plus à rien, depuis trente ans. Plus de vie civile — il y a longtemps qu'elle n'existe plus, dans les faits. Et "l'emploi", le fameux emploi, but et condition ultimes de la vie sur terre, est renvoyé à son néant essentiel.

Macron ne fait qu'appliquer les procédures, les protocoles qui vont mener les hommes à disparaître en tant qu'hommes. Il ne faut pas lui en vouloir. Un autre que lui aurait fait la même chose. Il faut soigner l'homme de sa maladie originelle : être un homme. On est en bonne voie.


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Il y a deux choses dont il est impossible de parler : les 10 000 degrés à Hiroshima, et l'odeur d'une femme qu'on désire.


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En fait, le gouvernement est bien plus prévoyant qu'on le dit ! Ils ont constitué des stocks importants de gaz lacrymogène. Or, chacun sait que le gaz lacrymogène est le pire ennemi du coronavirus.

D'ailleurs, la preuve en est que dès le commencement du mouvement des gilets jaunes (jaunes comme chinois) les autorités ont copieusement arrosé les manifestants de gaz lacrymogène, pour les débarrasser (pour leur bien) de tous les coronavirus qu'ils trimballaient sans le savoir dans leurs gilets (jaunes, couleur de la Chine).

Il faut raison garder. Le gouvernement sait ce qu'il fait. Et moins l'on comprend ce qu'il fait, plus c'est la preuve que son plan est solide et bien établi. Ne dit-on pas : « Les voies du Seigneur sont impénétrables » ?

Raoult, à Marseille, essaie tant bien que mal de faire diversion (on voit tout de suite qu'il a un mauvais fond, celui-là), mais force restera à la Loi, et à notre Cher Président Directeur Général et Guide, qui voit plus loin que nous.


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Je n'aime pas beaucoup le moteur, c'est entendu. Pourtant, il me semble qu'il se situe moins bas que l'amplificateur, dans mon estime. L'amplification des sons, je crois qu'il n'existe rien de pire ; à part-être le tourisme, qui a fort à voir avec le moteur…

Nous supprimerons les deux, dans le prochain monde.


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Anthelme Théophane Salénac, sur Facebook, a eu ce coup de génie : il a parlé, dans une conversation sur les tics de langage, de plis de langage. Je trouve l'expression merveilleuse, et merveilleusement juste. Ces tics que nous attrapons, comme des virus, au contact de ceux qui les expectorent généreusement, sont exactement comme ces faux plis qu'un malheureux coup de fer à repasser donne à une étoffe, et qui sont si difficiles à faire disparaître, une fois 'pris'. Le pli se forme très facilement, mais disparaît très difficilement.



mardi 7 avril 2020

Des réponses !


Ah, les questions… Tout le monde aime les questions. Tous les écrivains sérieux, tous les philosophes sérieux, tous les sociologues sérieux aiment à affirmer qu'ils ne font que poser des questions, que le salut est dans la question, et qu'on se perd en donnant des réponses. France-Culture, par exemple, est passée armes et bagages dans le camp de la question, depuis vingt ans. J'imagine que Le Clézio y a élu domicile… Même à Koh-Lanta, ils ne font que poser des questions. La Question, c'est la torture.

Il n'y a rien de plus agaçant que ces poseurs de questions ! Nous, ce qu'on veut, ce qu'on exige, ce sont des réponses ; y compris à des questions qu'on n'a pas posées, surtout à des questions que personne n'a posées. Est-ce que je t'en pose, moi, des questions ? Et si j'en pose, c'est à mon corps défendant, c'est malgré moi, c'est à l'insu de mon plein gré. Même Edmond Jabès, avec son Livre des questions, donne des réponses. Les questions sont illégitimes. Elles ne font que masquer l'extraordinaire prétention du poseur de question, qui fait son candide, qui flagorne ignominieusement comme un petit démon domestique qu'il est, et qui, surtout, avance voilé. Il veut avoir l'air idiot ? Il y réussit très bien. Tu lèves le doigt ? Quatre heures de colle ! Tu t'interroges ? Au goulag ! Un homme digne de ce nom ne pose aucune question. Soit il sait, soit il s'écrase. On apprend en douce. On regarde. On écoute. On lit. On dort. Ça travaille tout seul. Il y en a qui meurent idiots ? Et alors ? Qu'est-ce que ça peut faire ? Il vaut mieux se tromper en ne sachant pas que se tromper en sachant. Les poseurs de questions sont des mendiants ingrats. Rendent-ils ce qu'ils ont extorqué par des questions ? Jamais. Plus ils posent de questions, plus ils ont de questions à poser. Ça n'en finit jamais. Vous leur donnez une réponse, et ils en veulent cent. Il faut leur dire non tout de suite. Commencez par donner des réponses, et, peut-être, alors, aurez-vous le droit de poser des questions — mais ce n'est pas sûr. 

Les questions, il y a des modes d'emploi, pour ça. Les questions, il y a les femmes, pour ça. 

Vous croyez que Bach pose des questions, quand il compose l'Art de la Fugue ? Et Beethoven, il pose des questions, quand il écrit son quatuor opus 95 ? Et les virus, ça pose des questions, les virus ? Et Dieu, dans son silence infini, il se pose des questions ? Et Achille ?