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mardi 12 avril 2022

Fait divers 28

Je pourrais t'écrire une lettre, si je voulais.

mardi 4 juin 2019

Les petits ramasseurs de balles de Roland-Garros


Depuis trois ou quatre ans, il y a à Roland-Garros un changement dont personne ne parle. Les ramasseurs de balles courent moins vite. Ce n'est même pas qu'ils courent moins vite, c'est que leur allure, ostensiblement, a changé : il y a quelques années encore, ils mettaient un point d'honneur à être dans un sprint permanent. Ils étaient "à fond". Ils partaient le plus vite possible, revenaient à leur place le plus vite possible, pour gêner les joueurs le moins possible. Ils courent toujours, bien entendu, ils sont rapides, mais leur allure a changé : ils ne sont plus "à fond". Par là, ils démontrent qu'ils existent. Ce changement est un changement idéologique et social, ou plus simplement politique. Ils veulent nous montrer qu'ils ne sont pas seulement des ramasseurs de balles, une fonction (et subalterne), mais qu'ils existent en eux-mêmes, pour eux-mêmes. Leur désinvolture et leur nonchalance (relatives) sont les signes discrets mais bien réels de la conscience de soi que ces petits personnages ont développée depuis quelques années. C'est le pride-time des ramasseurs-de-balles.

Du temps que les petits ramasseurs de balles couraient le plus vite possible, le but était de les rendre invisibles, ou presque. Ils devaient s'effacer devant le jeu, devant les joueurs, devant le match, devant le spectacle, ils devaient gêner le moins possible. Ils n'étaient qu'un des rouages, très nombreux, de ce sport qu'on appelle le tennis. Un rouage certes indispensable, mais qui n'avait pas la noblesse attribuée au jeu à proprement parler, et à ses protagonistes, les joueurs et l'arbitre. Ils n'étaient qu'un accessoire, dont, malheureusement, on ne pouvait pas se passer. 

L'allure des petits ramasseurs de balles n'a pas seulement changé quantitativement, elle a changé qualitativement. En ralentissant leurs courses, même très peu, ceux-là s'affirment en tant que membres à part entière du jeu. Ils passent des coulisses à la scène. Dorénavant, le tennis, c'est : les joueurs, l'arbitre, la balle et les ramasseurs de balles, et le public. La liste n'est pas complète mais arrêtons-nous là pour l'instant. Les petits ramasseurs de balles, – j'ignore si c'est de leur propre chef, ou s'il s'agit d'une décision "venue d'en haut" (je penche plutôt pour cette explication) – ont réparé une injustice. Et l'injustice qu'ils ont réparée, c'est la plus grave de toutes les injustices, c'est celle de la Hiérarchie – autrement dit celle de l'inégalité sociale (il vaudrait mieux parler d'inégalité fonctionnelle, mais dès qu'on veut se faire entendre, on parle de "social"). Il existe une hiérarchie entre tous les acteurs d'un sport comme le tennis ! Le joueur est soi-disant plus important que celui qui lui permet de se concentrer sur le jeu, de jouer sans avoir à ramasser ses balles. En une époque où la démocratie s'invite partout, c'était difficilement supportable. D'autant qu'en l'occurrence, le rôle d'un petit ramasseur de balles est d'une ingratitude caractérisée qui rappelle dangereusement l'esclavage. Ce sont un peu des "boys", les ramasseurs de balles. On les imagine très bien avoir la peau noire, s'excuser de devoir paraître sur le court de tennis, la scène où s'amusent les maîtres, et aller coucher dans une remise, une fois la journée de labeur terminée. 

Comment s'arranger de cette contradiction ? Le tennis souffre déjà d'une image de sport bourgeois, et même aristocratique, qui lui colle à la peau, surtout en Angleterre – si en plus il véhicule malgré lui des rôles et des situations tout droit sortis du purgatoire social ! Depuis une quinzaine d'années, les Français ont eu à cœur de faire monter les petits ramasseurs de balles dans la hiérarchie du tennis, de les extraire de leur rôle ingrat et de leur fonction, de les anoblir, en quelque sorte. Ils sont associés maintenant à toutes les phases du jeu, les commentateurs n'oublient surtout pas d'en faire mention, toujours avec le ton attendri et bonhomme qui convient, les sportifs (du moins les plus sympas d'entre eux) leur parlent, échangent quelques balles avec eux à l'occasion, et, désormais, entrent sur le court en leur tenant la main, pour bien signifier qu'ils sont au même niveau qu'eux, bref, ils ont acquis un statut social et spectaculaire (c'est la même chose) de premier plan, même si ça ne se traduit pas par l'état de leur compte en banque ou de celui de leurs parents.

Bien entendu, ce phénomène ne s'est pas produit de manière isolée. En même temps qu'on faisait monter ceux du bas, on faisait descendre ceux du haut. C'est tout un ensemble, la convergence petite-bourgeoise. On a même commencé par les sportifs eux-mêmes, qui sont de plus en plus pipoles, communs, vulgaires, et qui se conduisent sur le court comme s'ils étaient chez eux, ou à l'entraînement. Ça s'est d'abord vu dans les tenues, individualisées, "personnalisées", puis dans l'attitude (poing serré, crises de nerfs, caprices, invectives, manque de fairplay) durant les matches. Parallèlement, l'attitude du public a complètement changé. Les courts de tennis ont à l'heure actuelle à peu près la même ambiance, le même "son", le même folklore (l'épouvantable "hola", les cris, les encouragements, et de manière générale le niveau sonore émis par le public, le sans-gêne inouï des happy-fews, leurs manières) que le foot, sport naguère situé à l'opposé, sur l'échiquier social. Un Wawrinka, par exemple encourage vivement et à tout propos les manifestations du public ; il appelle ça "mettre une bonne ambiance". Quand un jeune tennisman grec se conduit comme une brute et un sale gosse mal élevé, les commentateurs, et même le président du tournoi (ou de la fédération française de tennis, je ne sais plus) parlent de "dramaturgie" – et il faut entendre la connotation positive de ce terme !  Et quand il commet un geste qui normalement vaut un point de pénalité, l'arbitre n'ose pas la lui infliger. « Il ne faut pas oublier que la dramaturgie a été inventée en Grèce » a même lâché un de ces augustes. Tous, ils trouvent que les courts de tennis ne ressemblent pas encore suffisamment aux terrains de football. Je les trouve bien pessimistes. Il me semble au contraire qu'il n'existe plus beaucoup de différences entre ces deux sports, leurs publics, et leurs joueurs. À quand un bon coup de boule à l'adversaire, entre deux points ? Voilà qui mettrait une super bonne ambiance et ferait encore grimper la dramaturgie à "Roland", comme ils disent. 

Le même phénomène exactement s'est produit dans la haute couture, par exemple. Les "petites-mains" (et pas seulement elles) ont été mises en lumière, et à l'honneur (ce qui est parfaitement mérité, d'ailleurs), alors qu'autrefois il n'y en avait que pour le créateur, parce que la hiérarchisation sociale est devenue intolérable, et parce que l'idée même de hiérarchie fait saigner le cœur démocratique. Hors l'égalité, les Modernes n'ont plus de pensée. C'est vers elle que les derniers restes de logos convergent, comme les menstrues convergent vers le Tampax. Quand tous les critères auront disparu, il restera celui de l'égalité : le dernier et le seul critère admissible. 

Bien sûr, tout le monde me répondra qu'il était absolument nécessaire de rendre le tennis abordable, de le mettre à la disposition de tous, de le faire sortir du folklore suranné et légèrement méprisant dans lequel il avait fait ses premières armes. Et d'un point de vue moral, on n'a pas grand-chose à objecter à cela. Mais il en va du tennis comme de l'instruction et de la culture. C'est très bien de le démocratiser, mais il faut savoir que, ce faisant, on en détruit le sens, la beauté, et le charme, qui – horreur ! – avaient justement partie liée à l'élitisme et aux privilèges de classe. Le tennis, c'était aussi une culture, une attitude, une distinction. On se débat dans une contradiction indépassable : on veut la démocratie, on veut l'égalité, on veut que tout le monde ait accès à tout, et au nom de ces principes, on met la culture, le sport, les voyages, les œuvres, à la portée de tous, moyennant quoi on les détruit. Tous ceux qui ont cru, et légitimement, à ce pourtoussisme radical, en sont pour leurs frais. Ils ont effectivement accès à tout, mais ce tout n'est plus que le souvenir de ce à quoi ils croyaient avoir droit. Et le pire est qu'il n'y a même pas de désillusion, puisque ces choses n'étaient pas connues de ceux qui sont conviées en masse à les consommer. Il s'agit purement et simplement d'une escroquerie – tout le monde est perdant. Ceux qui ont connu ces choses en leur état originel et qui les aimaient sont catastrophés de les voir saccagées, réduites à rien, ou pire que rien, et ceux qui ne les ont pas connues ne connaîtront jamais qu'une version dégradée, fausse, une mauvaise et vulgaire copie qui n'a plus aucun intérêt. Chacun veut sa part du gâteau, quitte à ne rien avoir du tout.

Il faudrait parler plus longuement du public sportif, car, en définitive, c'est lui qui façonne les sports qui désormais se pratiquent chez nous. Ce qu'on peut dire, c'est que les frontières, ici comme là, sont en passe d'être abolies. Et si les frontières sont abolies, c'est tout l'espace du jeu qui est défait, car le jeu suppose des rôles et des fonctions clairement définis. Le jeu, quel qu'il soit, c'est le lieu-même des rôles et des fonctions. Le public, l'arbitre, les juges de lignes, les joueurs, les entraîneurs, les ramasseurs de balles… pour que jeu il y ait, il faut que chacun reste à sa place, mais, rester à sa place, c'est ce que ne savent plus faire les Modernes, qui veulent occuper toutes les places simultanément. Le public a remplacé l'amateur de tennis comme le touriste a remplacé le voyageur. Comme lui, il détruit ce qu'il croit aimer, car il ne sait pas rester à sa place. 

mercredi 21 mars 2012

Au théâtre ce soir


Grand spectacle en Belgique, grand spectacle en France. On est gâtés ce soir. "Une journée évidemment très chargée en émotion", nous zozote Lolo Ferrari de toute la grâce de son ministère maternel. Un instant auparavant, elle avait rappelé à l'ordre les deux clowns des-deux-communautés-religieuses qui avaient la prétention de vouloir dire quelque chose sur son plateau de bruits de mère. Ici, on ne dit rien, Messieurs ! leur a-t-elle asséné de toute la hauteur de son quatrième et ultime pouvoir, ce qui se traduisait à peu près par : "L'heure est à l'émotion."

L'heure est à l'émotion, dormez, bonnes gens, il ne se passe rien dans le beau royaume de France, et me parlez même pas de l'Europe ! Émotionnez-vous ce soir, demain soir, après-demain soir, et pour tout le reste de votre vie, chialez un bon coup mais si possible en cadence : il n'y a ni problèmes, ni choc des civilisations, ni rien de que vous croyez voir chaque jour, tout cela n'existe pas, n'a jamais existé et n'existera jamais que dans les cerveaux malades de ceux que nous allons nous occuper de rééduquer, de soigner, et plus si affinités. L'heure est à l'émotion, c'est l'printemps, ya d'la joie, bonjour bonjour les Salafistes, Patrick Sébastien vous demande de reprendre en chœur et Dijon Bourdier nous rappelle qu'il l'avait bien dit, que ses équations étaient parfaitement justes, et ce depuis mille ans (Charles Martel, c'était lui, la Pucelle, c'était lui, De Gaulle c'était lui, Paco Rabanne aussi !) ! C'est le Grand Ceci c'est le Grand Cela, prenez tous vos responsabilités, y'en aura pas pour tout le monde ! Même Didier Goux se met à envoyer des lettres d'amour à Georges, c'est dire que l'heure est à l'émotion !

De toutes parts, ce soir, les signatures affluent, j'en ai déjà 501 sur mon bureau mais je ne sais plus à quoi elles devaient me servir. Peut-être une pétition de soutien à Jean-Michel Ribes, ce colossal artiste sans qui les valeurs de la République vacilleraient sur leur socle ? 501 signatures qui demandent la fermeture du blog de Georges ? 501 dénonciations pour homophobie ? Peu importe. Le tout est qu'elles soient là, nombreuses, joyeuses, ludiques, citoyennes, festives, graves, républicaines, tolérantes, vivrensemblistes, progressistes, diversitaires, humanistes, démocrates, branchées. Ce soir, I have a vision : je vois tous les Français, du Vieux Port à Montfermeil, habillés de la chemise blanche de BHL, le regard sombre, le poitrail offert et la tempe moite. Ils errent dans les rues à la recherche de leur flash-mob, entre Toulouse et Bruxelles, ils veulent étreindre le réel, l'investir de leur confiance en un avenir où tous les mots-méchants auront été éradiqués (bip, bip, bip), saloperies de mots, un futur où le cool coulera dans les veines de chaque adoyen débarrassé enfin de son cerveau reptilien, de son genre, du sexe, de la clope, des poils et du passé.

Encore un effort, Adoyen, la comédie est un art difficile ! Je ne sais pas pourquoi je pense aux Bouddhas de Bâmiyân, explosant là-bas, loin de chez nous, très loin. Les Talibans, ça c'est des gars qui savent s'amuser, on va dire. Ça c'était de la fête, Coco ! Le grand Magic Circus qui se tient ici jusqu'au 6 mai va avoir un peu de mal à rivaliser, mais grâce à la blogosphère, on aura tout de même l'impression qu'il se passe quelque chose en France, et que l'heure est à l'émotion, encore et toujours.

jeudi 8 décembre 2011

En direct de la Nasale


Pour nous ce soir, en exclusivité et en avant-première, Vanessa Wagner et Laetitia Meyerbeer jouent à quatre mains l'ouverture du Tyran fatigué, de Jonathan Dusapin, sous le coaching vigilant d'Éve Raymondi.

L'action se passe à Tripoli, au troisième siècle après la Grande Décivilisation. Monsieur K, chef d'orchestre déclassé, qui doit repasser son permis pour excès de vitesse dans la Huitième de Bruckner, n'a pas sa carte d'adhérent de la HALDE. Il est en outre soupçonné d'appartenir à la confrérie secrète du Trois-Quatorze, tristement célèbre depuis le suicide collectif de quarante sept de ses disciples, sous la houlette de Frère Numéro Onze, surnommé "Le Blogueur". Monsieur K. n'est plus que l'ombre de lui-même, il dirige sans baguette, les yeux ouverts, et rejoint sa tente dès les répétitions terminées. On ne l'entend guère crier durant celles-ci, et il est même sujet aux trous de mémoire. Sa maîtresse, Suzon LaGrive, belle-fille par mésalliance d'Arturo Non, a un comportement lascif et une très mauvaise influence sur le vieux chef : pour complaire à Suzon, il suit une cure de désyntaxe d'une rigueur extrême, qui épuise ses dernières forces et fragilise sa légendaire rhétorique. Quand Monsieur K. tombe nez à nez avec Déesse K, au motel du Chameau-Sans-Bosse, il retrouve du poil de la bête et envisage même un instant de diriger son grand succès, les Burnes de Karmina, de Karlos Ramirez Orpheus, dont la partition fut achevée post mortem par Michael Onfret VIIe du nom, après son éviction de Transe-Kulture pour conduite en état d'élitisme aggravé. Mais ce n'est que le sursaut pénultième, le spasme d'avant le calme plat.

Mais, alors que PersePhone 5G et son gendre, le peintre cataleptique Oskar Orni, membres éminents de la Rose-Croix déconstruite — et initiés par le mage Albert Duspasme en personne ! — arrivent sur les lieux, munis de leurs plis selon plis infroissables, qui, pense-t-on, doivent leur permettre de ramener K. à la baguette et à la tradition bien cuite, l'incroyable se produit : Le Toscan, l'immortel auteur de la Nini de Babylone, fait son outing et déclare sa flamme à Zygel, le nain maléfique. Coup de théâtre ! On n'ose pas comprendre ce qu'on comprend, mais il faut tout de même bien finir par admettre l'inadmissible : Monsieur K. et Déesse K. ne sont que les créatures du Sâr Georges Mérodack Le Chauve, que ce dernier a lancées dans le monde des zydées pour qu'enfin Zygel apparaisse pour ce qu'il est : le diable grimaçant imaginé par Le Toscan pour jeter un écran de fumée sur les turpitudes incestueuses de PersePhone 3G. Le dernier acte, d'une majesté étrange, rejouera l'opéra en sens inverse, palindrome initiatique qui va relier les fils d'une œuvre foisonnante et métaphysique et nous permettre d'entr'apercevoir les secrets du Saint Axe, par delà son incarnation dans un Tyran fatigué au final très attachant on va dire.

Dans la version de scène, les cascades sont réalisées par un Orimacre Bolton au-meilleur-de-sa-forme, la mise en scène est signée Karno Musca, le livret étant écrit et traduit en huit langues par Francus d'Aujourd'hui, assisté de Billy de Monaco. Dans le rôle de la maman du tyran, la peintresse, Kaline Deubé et ses pinceaux en poils d'aisselles de vierge. Dans le rôle de la sœur du tyran, la Rose crucifiée, Diane Airbus, issue comme chacun sait du Reactor Studio, qu'elle a fréquenté en compagnie de Bob de Rhino, le cousin germain de Jeanne Martine Vacher (et ses Cloisons nasales, le groupe de Turbo-Funk qui cartonne à Roissy sur la piste Z). Le doublage est assuré par l'écurie de Dijon Bourdier au grand complet.

jeudi 21 juillet 2011

Dialogue ordinaire


Hé, Monsieur, t'as une cigarette ?

Non, Monsieur, désolé, je ne fume pas.

File-moi une tige ou je t'éclate la téte

Ah oui, bien sûr, voilà une tige pour vous.

Mais tu te moques de moi, je te demande une cigarette et tu me donnes quoi ?

Bien sûr, bien sûr, je me moque de vous et je vous donne une non-tige.

Putain de ta race, prends ça.

Mon ami, vous manquez d'humour, et de plus vous m'avez fait mal, mais je ne vous en veux pas. Tout le monde manque d'humour, aujourd'hui, je ne sais pas si vous avez remarqué ?

Bouffon de mes couilles, je vais te niquer grave ta race, tu vas voir si je manque d'humour, gros pédé !

Vous faites erreur, mon ami, homosexuel je ne suis point. Remarquez que, maintenant que vous le dites, je me demande bien pourquoi ! Vous n'êtes pas mal du tout, savez-vous !