mardi 29 juillet 2014

À propos de Michelangeli


Alberto Neuman, pouvez-vous nous parler de l’enseignement que vous avez reçu en Argentine ? 

J’adorais mon professeur de piano, Galia Schalman, avec qui je suis resté onze ans. Elle était une élève de Vincenzo Scaramuzza qui représentait l’école dominante en Argentine et à qui j’allais jouer mes programmes lorsqu’ils étaient plus ou moins prêts ; elle avait aussi pris des leçons avec Ricardo Vines qui a longtemps habité en Argentine. Scaramuzza insistait sur la perfection technique. Il donnait des études sur les systèmes d’articulation, sur les muscles. J’aimais beaucoup son toucher. Il jouait parfois pendant les leçons qui pouvaient durer des heures car il les poursuivait jusqu’à ce que le problème auquel il s’était attaqué soit résolu ; on appelait sa salle d’attente « l’agence matrimoniale » ! Galia Schalman était une femme extraordinaire. Elle me menait souvent au zoo pour regarder les animaux. Pour l’étude du legato, il fallait voir comment se déplace le serpent et faire corps avec le clavier comme le serpent avec la terre. Chaque animal, avait une symbolique dans la technique. J'ai travaillé également la composition avec le professeur Giacobbe qui a assisté quotidiennement Michelangeli lorsqu’il fut hospitalisé à l'hôpital italien de Buenos Aires. Giacobbe était le "Léonard da Vinci" de l'Argentine. Il fut compositeur, poète, peintre, philosophe, mathématicien et j'en passe ; il avait dirigé le Teatro Colon et le Conservatoire National pendant la période péroniste. 

Des artistes étrangers venaient-ils alors en Argentine ? 

Il y avait beaucoup d’émigrés qui avaient dû fuir l’Europe à cause de la guerre et j’ai pu étudier l’analyse avec Erwin Leuchter, un élève de Schönberg. Son enseignement m’a marqué pour la vie. Je me rappelle avoir rendu visite à Manuel de Falla avec son dernier biographe, Jaime Pahissa, qui fut mon premier professeur d’harmonie. De Falla habitait, avec sa sœur, à Cordoba, dans les collines très recherchées par les malades du poumon. J’ai aussi suivi pendant quinze jours les leçons que Walter Gieseking était venu donner à l’université de Tucuman. Il avait accepté l’offre de l’université parce qu’il était entomologiste et pouvait aller à la chasse aux papillons à la recherche de spécimens spéciaux. Son enseignement était passionnant ; il se fondait sur la méthode mentale de Leimer : on apprenait les partitions sans l’instrument, puis on allait au clavier sans la partition. 

Qu’est-ce qui vous a décidé à venir étudier en Europe ? 

J’avais un camarade, Zenon Fishbein, qui jouait comme un dieu et qui est ensuite devenu professeur à la Manhattan School of Music à New York. Mon professeur prétendait qu’il n’allait pas au fond de la touche et que son jeu manquait de profondeur, peut-être parce qu’il était élève d’une école rivale de celle de Scaramuzza, mais je le trouvais génial. Fishbein est parti en Italie étudier avec Carlo Zecchi. J’avais acheté des disques 78 tours de Zecchi et je me suis décidé à aller aussi en Italie pour étudier avec lui. Je suis parti pour Rome et j’ai passé le concours d’entrée. Avec Carlo Zecchi, j’ai appris des choses intéressantes d’ordre musical. Il s’occupait très peu de technique et jouait beaucoup pendant les cours, ce qui crée le risque, selon Michelangeli, que l’élève imite le professeur, mais il m’est arrivé d’avoir la sensation du « Nirvana » dans certains cours. 

Avez-vous aussi étudié avec d’autres professeurs en Europe ? 

Après Zecchi, je suis allé suivre un cours de quinze jours donné par Wilhelm Kempff, que je suis ensuite souvent retourné voir à Positano. J’ai également pris six mois de cours avec Renata Borgatti qui était géniale mais apprenait une technique qui ne me convenait pas entièrement ; Kempff enseignait la vraie tradition Beethovénienne, pas encore confrontée, bien sûr, aux théories actuelles sur le noyau thématique et la mélodie guide dont l’origine se trouve dans l’enseignement de Leuchter. Kempff aimait parler de Kant, de Goethe, de Schiller. Il connaissait toute la philosophie de l’époque de Beethoven. De même, lorsque j’ai voulu jouer les Kreisleriana à Claudio Arrau, il m’a dit « non, il faut d’abord avoir lu tous les philosophes que lisait Schumann et notamment Fichte et Schelling ». 

Est-ce ensuite qu’a eu lieu votre rencontre avec Arturo Benedetti Michelangeli

Je l’avais déjà rencontré en Argentine où il était venu donner des concerts et même enregistrer des disques. Je l’ai entendu et ce fut une révélation. Dès qu’il a joué les premières notes, je me suis dit : « jamais on n’a entendu un son pareil sortir du piano ! » Les critiques se sont jetés sur lui comme des loups affamés, à mon avis parce qu’il était jeune, beau, élégant, impassible, prodigieux, infaillible : un désastre. J’ai pu beaucoup jouer pour lui et il m’a donné quelques précieuses indications . Mais j’ignorais alors qu’il enseignait. En Italie, après avoir eu le diplôme à Rome avec Zecchi, je me suis préparé à passer l’audition pour être admis à étudier avec Michelangeli. Le livre que je suis en train d’écrire aura trois parties : l’avant Michelangeli, la période Michelangeli, et l’après Michelangeli. Il y aura aussi un second ouvrage sur sa méthode qui consistait en des exercices d’une extrême simplicité de compréhension mais d’une extrême difficulté d’application. Il ne les donnait pas aux concertistes de peur qu’ils ne les prennent pas au sérieux. Donc, il ne les donnait à personne. 

Comment avez-vous eu connaissance de ces exercices ? 

Par un hasard de circonstances. D’abord, je n’étais « concertiste » qu’à moitié, je crois. Je dînais tous les soirs avec Michelangeli chez mon grand camarade Giuseppe Boccanegra. Michelangeli l’aimait beaucoup. Boccanegra avait été marié à Venise par le nonce apostolique Roncalli qui allait devenir Jean XXIII et qui était un grand ami de Michelangeli qu’il avait beaucoup influencé spirituellement. Un jour, j’arrive chez Boccanegra qui me raconte que Michelangeli lui avait dit la veille : « tu es le pianiste le plus modeste de ma classe ; tu ne veux pas devenir concertiste ; je vais te donner ma méthode secrète que je ne donne à personne car elle est trop simple. » Puis, il lui avait donné les exercices oscillatoires. A la leçon suivante, lorsque Michelangeli me demanda quelles œuvres j’avais apportées, je lui répondis : « Aucune, maître. J’ai eu trop de professeurs, et j’ai un peu de confusion dans mon esprit. Vous savez que Giuseppe Boccanegra est mon grand camarade ; il m’a montré les exercices et c’est cette voie que j’aimerais emprunter. » Nous avons d’abord fait ces exercices sur la base de la méthode de Pischna, puis sur celle de douze études du Gradus ad Parnassum de Clementi. 

Les leçons de Michelangeli étaient-elles différentes selon les élèves ? 

Les leçons s’adaptaient aux élèves selon leurs demandes. Michelangeli suivait les écritures : « A qui me demande, je donne.» Marta Argerich n’a pas eu beaucoup de chance avec Michelangeli, probablement parce qu’elle écoutait souvent les disques de Horowitz. Encore que, avec son talent, elle a pu tout de même en tirer profit. Maurizio Pollini a beaucoup appris de Michelangeli. Il avait écrit une lettre désespérée à Michelangeli pour lui dire qu’il était le seul à pouvoir le sauver, car de l’enseignement de son professeur de Milan, le célebre Carlo Vidusso, lui était resté une certaine rigidité des bras. Michelangeli était très fier de la venue de Pollini, et le jour de son arrivée, il s’est enfermé dans la cuisine. C’était un cuisinier exceptionnel. Lorsque Pollini est arrivé, Michelangeli lui a dit : « je dois préparer le déjeuner, fais ce que tu veux ». Pollini est allé au piano et a commencé à jouer par cœur la tétralogie de Wagner en chantant tous les rôles : une merveille ! Il était très expressif quand il chantait. Par la suite nous avons fait beaucoup de déchiffrage à quatre mains ensemble. Pollini voulait toujours parler de philosophie, de théologie, de mathématiques. C’était un garçon merveilleux. A Pollini, Michelangeli a donné des exercices d’assouplissement, car, d’après mes observations, il est peut-être le seul, après Boccanegra et moi, à avoir bénéficié d’un enseignement élémentaire, alors qu’à ce moment-là il était déjà un grand concertiste. C’était une période extraordinaire, car avec Marthita Argerich on pouvait également discuter de tout sans voir les heures passer. Son intelligence, sa mémoire et la douceur de sa sensibilité m’ont toujours fasciné. 

Après les exercices, quand êtes-vous passé à l’étude du répertoire ? 

Lorsque j’avais dit au début à Michelangeli que si la voie qu’il indiquait était simple, il me semblait impossible de pouvoir être un jour capable de l’appliquer dans les oeuvres, il m’avait répondu à sa manière laconique : « six mois». Il m’a donc ensuite montré comment appliquer son système aux oeuvres, aux respirations de phrases, à la pédale, aux doigtés. Parmi les leçons les plus fascinantes comptaient celles qui portaient sur Debussy. Je jouerai en juin à Paris « La Terrasse des audiences du clair de lune » pour montrer les deux grands systèmes de base d’utilisation de la pédale : la pédale avec la note et la pédale enchaînée que l’on met pour lier. Gieseking était aussi un très grand connaisseur du jeu de pédale. Michelangeli admirait d’ailleurs beaucoup Gieseking, et Kempff... Je lui ai demandé une fois pourquoi il écoutait le disque de Gaspard de la nuit de Ravel enregistré par Gieseking alors que lui-même le jouait si merveilleusement. Il m’a répondu : « le génie est voleur. » 

Comment avez-vous développé vos recherches personnelles après votre rencontre avec Michelangeli ? 

Je lui avais demandé si les élèves devaient lui obéir. Il m’avait répondu que pour le moment, nous devions le faire, car il nous donnait les lois naturelles. « Je vous ouvre les portes et par la suite c’est à vous de parcourir le jardin avec votre imagination et vos propres forces. » Il m’avait donné les clés de sa bibliothèque et m’avait dit : « Tu vas éveiller ta curiosité en regardant l’édition des sonates de Beethoven par Schenker.» Cela rejoignait les analyses que j’avais faites avec Leuchter à Buenos-Aires. C’est maintenant que je mets mes recherches au point, notamment sur Bach. D’ailleurs à mon avis, dans les partitions des premiers romantiques, on voit le travail sur Bach, même si le style a changé. Beethoven fut le premier à jouer le Clavier bien tempéré par cœur. Dans les études de Chopin par exemple, j’utilise la méthode d’analyse de la mélodie originelle et du noyau thématique. C’est un noyau qui donne naissance à l’œuvre, selon ce que je crois comprendre dans mes analyses ; c’est comme un big bang qui vient d’une cellule originaire qui apparaît dans l’imagination du compositeur et fait exploser la galaxie du chef d’œuvre. Michelangeli ne serait peut-être pas d’accord avec mes solutions actuelles mais je crois qu’il le serait avec ma démarche. A l’époque on connaissait déjà la théorie cosmologique du Big Bang et elle avait conforté la lecture des écritures de notre tradition judéo-chrétienne, car le catholicisme ainsi que par la suite le protestantisme se trouvent à la source de notre histoire de la musique.

dimanche 27 juillet 2014

vivre SA vie


Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même. Nana veut abandonner Paul. Ce type il t'intéresse vraiment ? Tu sais, je ne sais pas. Je me demande à quoi je pense. Il a plus d'argent que moi. Qu'est-ce que ça peut te faire ? (Ter) Qu'est-ce que ça peut te faire ? Ça ne va pas, non ? Non, rien. Je voulais dire cette phrase avec une idée précise. Je ne savais pas qu'elle était la meilleure façon d'exprimer cette idée. Ou plutôt je le savais. Mais maintenant je ne sais plus. Alors que justement je devrais le savoir. Ça ne t'arrive jamais ? Tu ne parles que de toi. Tu ne peux pas parler d'autre chose ? Ce que tu es méchant. Je ne suis pas méchant, moi, Nana, je suis triste. Je ne suis pas triste, moi, Paul, je suis méchante. Ne dis pas n'importe quoi. On n'est pas au théâtre. Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même. D'ailleurs j'en ai marre. Je vais mourir.

Oui, j'ai fait exprès. On voit la fille de dos, qui se réflète dans le miroir du bar. On voit la machine à café. On entend les consommateurs dans le bar. En tout cas, si je réussis à faire du théâtre, ce ne sera pas grâce à toi. Il n'y a pas que le théâtre, dans la vie. Il y a aussi la vie, dans le théâtre. Qu'est-ce que ça peut faire ? On voit le barman, il a l'air de ne pas comprendre ce qui se passe. Oui, il ne faut pas abandonner. Moi je n'abandonne pas la musique. C'est comme avec les leçons d'anglais, ça ne t'intéressait pas vraiment. Justement, ce type veut faire des photos de moi. Peut-être que je vais faire du cinéma. Je voudrais voir ça… Ce que tu es méchant. Ce que tu es méchant, Paul. Non, sans blague, c'est toujours comme ça. Tu dis que tu m'aimes… Tout le monde est pareil. Finalement, tu me quittes parce que je n'ai pas d'argent. Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même. 

Qu'est-ce que c'est ce regard ? Peut-être que je vais faire du cinéma. Se donner à soi-même ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Nous sommes venus te préparer à la mort. Est-ce maintenant déjà ? Quelle mort ? Sur le bûcher. Dis-moi comment tu peux toujours croire que tu es envoyée par Dieu ? Dieu sait où il nous mène, nous ne comprenons la route qu'au terme de notre chemin ! Oui, je suis son enfant. Et ta grande victoire ? Ce sera mon martyre. Et ta délivrance ? La mort. Il y a aussi la vie, dans le théâtre. Se donner à soi-même, qu'est-ce que ça veut dire ? On n'avait pas rendez-vous ? Un autre bar, ou le même, le soir, à onze heures. Vous avez des croissants encore ? C'était votre ami, le garçon, dehors ? Pas du tout, c'est mon frère. Ça vous étonne ? C'est comme ça. Elle est à vous, la voiture rouge, devant ? C'est quoi comme marque, une Jaguar ? Non, une Alfa-Roméo. Ça vous intéresse les voitures ? Oh non, moi j'y connais que couic ! Et ces photos, vous voulez qu'on les fasse quand ? Il faut se prêter aux autres. C'est vous qui décidez. Maintenant… Franchement, vous croyez que je peux faire du cinéma ? Ça m'ennuie un peu de me déshabiller. Un tout petit peu, vous savez, qu'est-ce que ça peut faire ? Ça vous ennuie de me prêter deux mille francs ? Non mais je ne les ai pas. 

Police. Interrogatoire de Nana. Elle est revenue vers moi et elle m'a regardée longtemps dans les yeux. Alors moi je lui ai rendu l'argent. Pourquoi est-ce qu'elle a porté plainte alors ? Je ne sais pas, je trouve ça lamentable de sa part. À Paris, vous n'avez personne chez qui aller ? Quelquefois des amis. Des garçons ? Quelquefois. Pourquoi vous ne demandez pas une avance là où vous travaillez ? Je l'ai déjà fait très souvent… Qu'est-ce que vous allez faire alors ? Je ne sais pas. Je veux… être une autre. Il faut se prêter aux autres et se donner à soi-même. 

Il allume une cigarette, il ouvre le tiroir de la table de nuit. Il y a du savon et une serviette sur la commode. Elle tire les rideaux. Il lui demande si elle fume. Elle enlève son manteau et s'asseoit sur le lit. Combien vous voulez ? Je ne sais pas, c'est à vous à décider. Non, moi je ne sais pas. Quatre mille francs ? Vous me devez mille francs. Je n'ai pas de monnaie. Gardez-les, ça ne fait rien. C'est vrai, ce n'était pas pour avoir plus. Vous vous mettez toute nue alors. Oui. Pourquoi pas sur la bouche ? Il faut se donner à soi-même.

Après nous sommes allés écouter Joan Baez. (…)


mercredi 23 juillet 2014

Le Maître et la Sonate (2)


Est-ce la terreur que les hommes ressentent face au silence qui leur a fait inventer la musique, ou, au contraire, l'amour (ou le désir) du silence, la certitude qu'en lui seulement l'âme humaine peut atteindre à des états qui la rendent capable de rejoindre celle de son créateur ? 

Tous les très grands compositeurs ont en commun cette faculté de donner au silence, aux silences, une forme, une saveur, une grâce et une puissance singulières auxquelles l'auditeur attentif peut accrocher une partie de son être afin de s'extraire de lui-même. On dit que le silence après qu'on a écouté la musique de Mozart est encore du Mozart, on pourrait dire que les silences de Beethoven sont déjà du Beethoven. C'est-à-dire qu'il compose à partir d'eux, en intégrant à sa musique cette absence, cette résonance anticipée de quelque chose qui n'est pas, cet inouï de l'outre-là.

La musique est une mémoire en acte. Je ne sais si les origines flamandes de Ludwig van Beethoven y sont pour quelque chose, mais force est de reconnaître que celui qu'on présente comme le musicien allemand par excellence n'a pas grand chose en commun avec les compositeurs de cette nation. Toute sa vie aura consacré cette trajectoire si singulière qui lui fait traverser les formes pour les déborder de l'intérieur. Non pas, comme on le dit trop souvent, pour les faire éclater, mais pour les gorger de quelque chose qui les déforme, qui les agrandit, qui pousse les possibilités de celles-ci jusqu'au point où la forme se reforme autrement, transfigurée. Il ne brise pas ces formes, il leur donne simplement la chance accueillir la matière sonore qui jaillit en lui. Les silences de Beethoven ne sont pas, ou pas seulement, des signaux dramatiques, des gestes, des ponctuations, ils sont aussi l'occasion, pour la mémoire de l'auditeur (et de l'interprète), de se rassembler, de se reprendre, de réinterpréter ce qu'elle vient d'enregistrer et de redonner au temps une impulsion nouvelle, de le charger autrement (au sens électrique du terme). Wagner parlait à propos de Beethoven de "surdité bienfaisante", car il pensait que son handicap l'avait en quelque sorte préservé des modes musicales de son époque. C'est sans doute en partie vrai, mais je crois que Beethoven avait en lui, de toute éternité, cette volonté farouche d'aller au plus profond de lui, jusqu'au silence, et qu'il savait, qu'il a toujours su comment il devait s'y prendre pour ne pas entendre ce qu'il ne lui fallait pas entendre.

Quand on écoute l'adagio sostenuto de l'opus 106, on entend que le silence est partout. Il est avec la musique, avec la matière sonore, il ne s'oppose pas au son, il est l'intérieur du son, il l'emplit, il ralentit la musique qui a besoin d'un temps extraordinaire pour se déployer, chaque note étant doublée de son poids de silence. Aller quelque part ? Comme c'est bête, semble nous dire cette musique ! Non, il faut rester. Revenir, repasser sur ses traces, ressusciter à soi-même, hors de la séduction, de l'attrait sonore, creuser sur place… Tout le contraire du bel canto. Pas de psychologie. Juste soi et l'abîme. Sans possibilité de lui échapper…

(…)

mardi 22 juillet 2014

Romance française

En direct de chez les Kagi :


Ce matin un kamikaze est entré dans la cuisine il m'a demandé un bol de café je lui ai servi avec des tartines au miel son bol de café il s'est assis nous avons parlé un peu du temps qu'il fait et aussi de nos projets de vie respectifs puis il est parti j'ai lavé son bol rangé la cuisine et je suis allée me doucher en chantant une vieille romance française c'est à ce moment-là que j'ai pensé à mon chien dans la terre et j'ai pensé il doit avoir bien froid le pauvre je ne chanterai plus de vieille romance française il fait trop chaud.

dimanche 20 juillet 2014

Le Maître et la Sonate (1)


Il faut toujours y revenir, et l'on ne se fait pas prier. Ludwig van Beethoven est mon héros depuis toujours. Si j'avais un fils, je l'appellerais Louis, si j'avais une fille, je l'appellerais Louise. Tout le monde connaît Beethoven, c'est-à-dire que personne ne le connaît. Personne ne le connaît, personne ne l'écoute, et personne ne l'aime. Il disait qu'il faudrait cinquante ans pour que sa musique soit comprise mais je crois qu'il était optimiste. Depuis l'Europe, enfin, je veux dire, depuis le machin européen, le pauvre Beethoven est encore plus maudit qu'auparavant. Ce foutu Hymne à la joie, ç'a été le coup de grâce. Beethoven ? L'Hymne à la joie et la Lettre à Élise… Et même pour les "mélomanes", qu'est-ce que Beethoven ? Les trois derniers concertos pour piano, le concerto pour violon, les troisième, cinquième, sixième, neuvième symphonies, l'Appassionata, la Clair de lune, la Pathétique, les Adieux, la Waldstein, et les trois dernières sonates (hum…), le Printemps, la Kreutzer, un ou deux trios, quelques quatuors (hum…), une ou deux ouvertures, les Romances, ce serait déjà bien ! Mais qui l'écoute ? Non, on va seulement vérifier que c'est bien la musique qu'on croit connaître, et surtout disserter à l'envi sur les mérites du chef ou du pianiste ; ça passionne les mélomanes, ça. Écouter Beethoven ? Non. Je n'y crois pas une seule seconde.

Beethoven a vécu cinquante-sept ans et il a composé trente-deux sonates. La période de composition de ces sonates s'étend de 1795 à 1822. Il en a donc composé un peu plus d'une par an, en moyenne. Sur ces trente-deux sonates, il y en a trente qui sont des chefs-d'œuvre, et une poignée qui sont géniales. C'est peu de dire qu'il n'a pas traité le sujet à la légère… 

On le sait, Beethoven était pianiste, et quel pianiste ! Mais aurait-il été violoniste qu'il aurait tout de même composé trente-deux sonates pour piano, j'en suis certain. Le piano est réellement l'instrument beethovénien par excellence. On peut tout, avec un piano. On peut réinventer le monde. On peut le faire tourner à l'envers. On peut aussi arrêter le temps, ou au moins lui mettre des bâtons dans les roues. Mais on peut surtout forger un langage complètement nouveau, un langage complètement nouveau qui ne fait pas fi de l'ancien… On peut faire entendre l'orchestre sous les doigts du pianiste, mais un orchestre mental, un orchestre débarrassé des pauvres individus limités qui le constituent et l'empâtent trop souvent, qui le tirent vers le bas, car ils veulent tous en être, quand il n'y a pas de place pour tout le monde. On peut mettre toutes les sonorités dans un même plan, et leur donner ainsi, paradoxalement, plus de puissance et d'autonomie que lorsqu'elles sont attachées à des timbres instrumentaux, on peut les déployer librement, comme le regard de l'explorateur se déploie librement sur la carte, avant de se confronter aux événements et aux particularités du monde sensible. 

Dans son œuvre gigantesque, il existe d'autres sonates que les sonates pour piano. Il a composé dix sonates pour violon et piano, et cinq sonates pour violoncelle et piano. Mais la sonate, dans les deux sens du terme, aura occupé Beethoven tout au long de sa vie créatrice. (J'ai parlé bêtement de "vie créatrice", syntagme qui n'a aucun sens pour Beethoven, puisque Beethoven n'a de vie que créatrice.) La sonate aura eu chez lui bien d'autres champs d'application que les pures "sonates", puisqu'il a travaillé la forme sonate dans ses quatuors, dans ses symphonies, et l'on peut dire, sans beaucoup d'exagération, dans tout ce qu'il a composé. J'ai écrit qu'il avait "travaillé" la sonate, ce qui est tout à fait vrai, car il ne l'a jamais laissée en paix, mais on pourrait dire aussi justement qu'il a fait travailler la sonate dans toute sa musique. La sonate, pour Beethoven, c'est un levain, c'est un ferment, c'est un principe, c'est une vision du monde, c'est une morale. La sonate est là, même quand on ne la voit pas, même quand on ne l'entend pas. Beethoven "pense" sonate, même quand il écrit des variations, comme d'autres ont la fugue inscrite dans leur main. Je ne dis pas qu'il écrit des sonates à la place de variations ; non, pas du tout, il écrit bien des variations — bien que ce terme soit un peu étriqué pour ce qu'il réalise par exemple dans les Variations Diabelli, qu'on pourrait plutôt appeler des métamorphoses —, mais dans la chair sonore de ses variations est encore perceptible l'empreinte génétique de la sonate.

La dualité créatrice, l'induction générative, le travail motivique, qui s'opposent à la décoration profuse et improvisée et à la belle mélodie (accompagnée). Tout est toujours développement, chez Beethoven, c'est la raison pour laquelle les développements à proprement parler sont souvent courts et concentrés. En lui au départ étaient les deux pires ennemis du compositeur : le virtuose et l'improvisateur. Il lui a fallu rester seul avec lui-même et sourd à ces facilités digitales pour que puisse éclore cet autre monde sonore qui allait marquer la musique d'une manière proprement inouïe, la changer pour toujours.

(…)

samedi 19 juillet 2014

L'Aujourd'hui éternel


À jamais

Il n'y a plus que des 19 juillet





Et celle-là chantait comme le vent des grèves,
Fantôme vagissant, on ne sait d'où venu,
Qui caresse l'oreille et cependant l'effraie.

(Charles Baudelaire)

vendredi 18 juillet 2014

Les bonnes nouvelles sont rares…


Je ne sais pas s'il s'agit d'une information vraie ou fabriquée, mais je m'en fiche ; elle est tellement belle qu'il faut absolument que j'en partage la teneur avec mes lecteurs.

Un type qui faisait chier les voyageurs d'une rame du métro parisien avec sa musique de merde diffusée par son téléphone a fini aux urgences avec son iPhone dans le derrière. C'est bien la première fois que je regrette de ne plus être parisien, moi… 

1756


Le mot civilisation date de 1756, l'année de la naissance de Wolfgang Amadeus Mozart.

Ce mot, "un des termes les plus importants de notre lexique moderne" (Benveniste), a été inventé en 1756 par Mirabeau dans L’Ami des hommes ou Traité de la population : "la Religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité ; c’est le premier ressort de la civilisation ; elle nous prêche et nous rappelle sans cesse la confraternité, adoucit notre cœur, etc.". Dans un manuscrit intitulé L’Ami des femmes ou Traité de la civilisation, il définit ce terme ainsi : "si je demandais à la plupart en quoi faites-vous consister la civilisation, on me répondrait (que) la civilisation est l'adoucissement de ses mœurs, l’urbanité, la politesse, et les connaissances répandues de manière que les bienséances y soient observées et y tiennent lieu de lois de détail ; la civilisation ne fait rien pour la société si elle ne lui donne le fonds et la forme de la vertu".


Dans le court extrait de « Civilité ou civilisation ? » d'Arouet Le Jeune, que je reproduis ici, on lit que la religion "est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité".
Comment réussir, aujourd'hui, à entendre que ce mot peut être affecté d'un signe positif ? C'est quasiment impossible. Tout ce qui accélère est bon, tout ce qui freine est mauvais. Tout ce qui se précipite vers l'avenir (qu'on a d'ailleurs remplacé par "le futur") est positif, tout ce qui rechigne, tout ce qui renâcle, tout ce qui regarde vers le passé, le donné, l'ancien, le déjà là, est négatif, maladif, nocif. "Regarder dans le rétroviseur" est une expression qui désigne une terrible maladie, qu'il convient de traiter au plus vite.

La civilisation était ce monde qui savait encore freiner, ralentir ; ce monde qu'on n'ose plus regarder qu'en cachette, et qu'on ne comprend plus, quand on ose le regarder.

Tout ce qui retarde la réalisation de nos désirs, tout ce qui limite nos droits, et leur extension perpétuelle, tout ce qui circonscrit le champ des possibles, tout cela est désormais suspect, hors-la-loi

Le Grand Livre de Georges


À Trucmuche, éditeur à Paris.

Georges voudrait vous envoyer un non-manuscrit qu'il voudrait non-publier. Il hésite encore entre 3911 pages et une (1) page (la page de titre). De plus, il hésite à en parler, ne serait-ce qu'ici. Qu'en dire, en effet, qui n'ait pas été dit mille fois ? Comme je sais que vous n'allez pas manquer de me demander quel est le titre de ce non-manuscrit, je vais répondre préventivement à la question. Ce manuscrit s'intitule "Non." (Il y a un sous-titre : "Et encore, c'est trop dire.")

Pensez-vous qu'il soit possible de me non-publier, dans un délai raisonnable ? S'il devait par extraordinaire advenir que vous décidiez de me non-publier, je ferais évidemment mon possible pour tenir mes engagements, c'est-à-dire écrire ce non-manuscrit, à la main, sans aucune intention, sans aucun sujet, et bien entendu sans la moindre phrase.

Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, résumé, synthèse, commentaire, que vous voudrez bien prendre soin de me demander un peu à l'avance, car vous vous rendez compte, j'en suis sûr, qu'il s'agit là d'un travail tout à fait considérable, et d'une ampleur jusque ici inconnue des éditeurs de (oui-)littérature.

Je vous adresse, Monsieur, Cher Trucmuche, toute la considération nécessaire et suffisante à laquelle je joins juste ce qu'il faut de particulière sympathie.

Georges-de-La-Fuly

jeudi 17 juillet 2014

Astor Pizza, mais tu vas la fermer, ta grande gueule ?


Je viens à l'instant encore de tomber par hasard, à la radio, sur la musique abominable de ce gros con de Piazzolla. Comme à chaque fois, l'effet est immédiat. Ma tension monte et j'ai envie de tuer quelqu'un. Que des gens soient assez fous, que des humains aient aussi peu de considération pour eux-mêmes pour accepter d'entendre, voire d'écouter, cette musique, me stupéfie toujours à un degré extrême. Peut-on imaginer mélasse plus obscène, plus dégoulinante, plus répugnante ? Je ne le crois pas. Je ne vois guère que Michel Legrand pour être capable de rivaliser dans la putasserie avec cette chose immonde. Pauvre tango, pauvre Argentine, pauvre bandonéon, dont les noms sont désormais associés à cette crapule malfaisante. Tout est laid, dans cette musique, tout est bête, tout est de mauvais goût, vulgaire au dernier degré, tout est en toc, en plastoc, c'est comme si la plus belle fille de la soirée était édentée et était habillée de sacs plastiques de supermarché, c'est à pleurer de rage, c'est à se pendre. Ce n'est pas la première que je le dis, mais Piazzolla est un criminel contre l'humanité, il faut le tondre, le noyer dans de l'huile de friteuse, l'envoyer à Cayenne, l'abonner aux TIG de l'enfer. Je le condamne à recopier ad vitam æternam l'Art de la Fugue et l'opus 106 de Beethoven sur du PQ simple épaisseur avec un crayon à papier 2H. 

Regarder les étoiles…

Il m'arrive parfois de ne me mettre au piano qu'à onze heures ou onze heures et demie du soir — avec la sourdine, bien sûr — lorsque tout le monde dort. Je savoure ce silence avec délices. (…) C'est merveilleux de se dire qu'il fait nuit et que l'on ne gêne personne, même si quelqu'un s'arrête en bas, dans la rue, et entend quelques notes. Avoir le sentiment de ne jamais déranger est important pour moi. Je tiens à ce que les fenêtres soient fermées lorsque je travaille, car je ne supporte pas que quelqu'un m'écoute ou me voie. Je ne veux avoir aucun témoin, je veux être seul avec moi-même, car l'étude d'une œuvre est véritablement un travail de création. 
 (…)
Et continuer de regarder les étoiles avec cette même crainte respectueuse que lorsque le Père les a montrées…
(…) 
Depuis toujours, les Français voient en l'art ce qui rend la vie précieuse ; en ce sens, ils sont de véritables artistes de la vie. Pour eux, l'art n'est pas un luxe. 

mercredi 16 juillet 2014

Trou du cul


Sur un forum politique, comme l'on dit, "de haute tenue", la question est mise sur la pauvreté par une intervenante qui n'a pas son rond de serviette en ces lieux bien fréquentés. Comme les habituels clowns à pochette répondent évidemment à côté, et d'une manière que je trouve particulièrement obscène, je ne peux résister à l'envie de mettre mon grain de sel. Personne n'est jamais concret et précis, quand il s'agit de ces choses-là. Tout le monde se met sur le champ à "être pauvre", c'est très amusant. On dirait que la vérité fait peur. Ce n'est pas une raison néanmoins pour prendre les gens pour des cons. Comme je mentionne le fait qu'il me reste 200 euros par mois (et parfois beaucoup moins)*, une fois payées toutes les factures qu'on ne peut éviter, un des intervenants me fait le coup de la pauvreté relative.

« Par exemple, personnellement, je ne voyage jamais, si j'avais le goût du voyage, je me sentirais misérable, voilà tout. Quant au "découvert", en effet, j'ai longtemps vécu "à découvert", et, en effet, j'en connais qui n'en supporteraient pas l'idée. »


Êtes-vous propriétaire ? Combien vous reste-t-il quand vous avez réglé les factures "incompressibles" et obligatoires, voici les questions, très simples, qui permettent d'évaluer le degré de richesse ou de pauvreté réelles d'un individu, aujourd'hui. Et cette andouille vient me parler de voyages, et de "vivre à découvert", comme s'il était question de ça ! Comme si le fait de "vivre à découvert" pouvait être un choix de vie, un tic de dandy ou de négligent, une sorte de vice, ou de snobisme, en somme… "J'en connais qui ne supportent pas l'idée" !!! Pauvre con. Je ne te parle pas d'idée, abruti, je te parle de la réalité, de la réalité incontournable, de celle qui revient, mois après mois, tu vois, et qui fait qu'on ne se chauffe pas, par exemple, ou qu'on ne se soigne pas, quand les médicaments ne sont pas remboursés, qu'on ne change pas de lunettes alors qu'on y voit très mal avec celles qu'on possède, tu vois, tu comprends ça, pauvre connard de mes deux ? Alors "les voyages", tu vois, on n'y pense même pas. "Avoir le goût du voyage", ou pas, n'est pas un problème qui se pose, ici. Tu peux comprendre ça, pauvre tache ? Je ne te parle pas de "seuil de pauvreté" ou de statistiques, pauvre andouille, je te parle de faire durer 10 euros une semaine et de manger toujours la même chose, tu piges ? Ce "si j'avais le goût du voyage" est à hurler ! Et le goût de te nourrir, tu l'as, pauvre con ? Et celui d'avoir chaud l'hiver, tu l'as aussi, crétin ?

Mais ce que je suis con, je n'y avais même pas pensé ! Il suffit donc que je prévienne ma banque : « Ah oui, Cher Ami, je voulais vous prévenir que désormais, je vais "vivre à découvert", hein, ne vous inquiétez surtout pas, c'est normal. C'est seulement une manière différente de vivre, vous voyez ! Je ne mettrai pas plus sur mon compte, mais en revanche, je retirerai beaucoup plus, environ le triple, oh, je sais être modeste, ne vous inquiétez pas ! » En une année, j'aurais un découvert de 10 000 euros, et puis voilà… Il suffisait d'y penser. 

Pour le goût des voyages, on verra ça plus tard. J'ai encore beaucoup à apprendre.


(*) Deux cents euros (ou beaucoup moins) avec lesquels il faut se nourrir, mettre de l'essence dans la voiture (car elle est indispensable), etc.

mardi 15 juillet 2014

Haine de la musique


La musique n'intéresse absolument personne. J'en suis chaque jour un peu plus intimement convaincu. Prenez au hasard cinq cents personnes et demandez-leur si elles aiment et écoutent de la musique. Sur ces cinq cents personnes, quatre cent soixante-dix vous répondront qu'elles aiment et écoutent de la musique. Sur ces quatre cent soixante-dix personnes, quatre cent soixante-neuf mentent. 

lundi 14 juillet 2014

14 juillet 14, les bonnes feuilles font les bons amis



« Un quinquennat, ça dure cinq ans. » 

« J'aime ces grands moments d'unité nationale. Ça me donne envie de faire de la politique. »

« C'est dur, ce métier. Mais je ne me plains pas. J'aurais aussi pu être facteur, ou masseur. »

« La reprise, elle est là. Je le sens. Il faut vouloir y croire, c'est tout. »

« Ce qui est difficile, quand on est à ma place, c'est qu'il faut toujours répondre au téléphone. Je préfère les textos. »

« Un de ces jours, je vais me mettre à la sculpture. Ou aux confitures. Quand je serai mûr. »

« Je sais ce que c'est que d'être au chômage. »

« Si je n'étais pas président de la République, je pourrais très bien être agriculteur, ou instituteur, ou encore pasteur. »

« Quand Julie m'a dit : "C'est toi !", j'ai tout de suite téléphoné à un ami. Il était content pour moi. »

« Il faut savoir partager. C'est pour ça que j'ai ma page Facebook. »

« Je crois qu'un jour, vous verrez, on comprendra. "Il a fait ce qu'il pouvait", dira-t-on alors de moi ! »

jeudi 10 juillet 2014

Opus 111



Wilhelm Backhaus, en 1953

mercredi 9 juillet 2014

Écran


Écrire, ou composer, c'est ouvrir une fenêtre, c'est la raison pour laquelle écrire sur Internet est si funeste, car Internet est déjà une fenêtre grande ouverte, perpétuellement et irrémédiablement ouverte. L'ouverture fait écran.

La Double p(e)ine


J'avais accompagné mon amie, ravissante Hindoue, qui avait attrapé je ne sais plus quelle MST et devait se faire opérer. Je ne savais pas en l'accompagnant que mon corps aussi intéresserait la Faculté. Ce con de médecin (le cousin de Maurizio Pollini, vous n'allez pas me croire, et pourtant c'est vrai) m'annonce tout à trac : « A vous, maintenant. » Moi : « De quoi de quoi, je suis là en visiteur, j'immigre dans vot' cabinet, mon brave, pour la beauté du geste, je suis en quelque sorte le tuteur de la pécheresse. » Mon petit discours ne l'a pas beaucoup ému : « Allez, hop, devant le microscope électronique. » Personne ne m'avait jamais dit jusque là que mon sexe était microscopique ! Je m'exécute cependant, pour ne pas faire de scandale, et pour conserver l'air chevaleresque qui me va si bien. En fait de microscope électronique, la chose ressemble plus à un appareil photo ordinaire qui serait relié à tout un appareillage louche. Comme par hasard, l'examen se révéla positif… Quelque chose me disait aussi qu'il était hors de question pour la Science de ne pas justifier cette pauvre machinerie, et que la justification la plus simple était en l'occurrence de me découvrir des traces patibulaires sur le gland. De toute façon, inutile d'essayer de leur dire que vous ne voyez rien, que vous n'avez aucun problème, ils ont dans ces cas-là réponse à tout, le "microscopique" étant une de leurs scies préférées : vous ne voyez rien, mais-c'est-normal (on évite de justesse le "mon pauvre"). Bref, autant faire comme si l'on était d'accord, on ne va pas se ridiculiser devant la belle qui, faut-il le dire, assiste à tout ça avec un petit air de revanche qu'elle ne parvient pas tout à fait à dissimuler.

Imaginez-vous la scène : vous tenez la main de votre pauvre petite chérie qui s'inquiète d'une opération ; vous la rassurez en la morigénant doucement : « Allons, allons, ne fais donc pas l'enfant ! Mais ce n'est rien du tout, voyons. Un p'tit coup de laser au fond de la grotte, on te nettoie tout ça, on repeint à neuf, et c'est reparti comme en quarante ! Vraiment pas de quoi en faire une histoire, mon Chou ! Tu sais, nous, les hommes, on en bave autrement, crois-moi, et on ne se plaint pas ! Et puis, dis-donc, petite folle, tu ne voudrais quand-même pas me refiler ton vilain machin, et pourquoi pas défigurer le sceptre qui te donne tant de bonheur ? » Et un médecin complètement inconscient de tout ce qui peut se jouer dans votre petit théâtre privé, qui s'offre à vous faire partager le sort de la sacrifiée, sans façons et surtout sans préambule… Je ne sais pas vous, mais moi je n'aime pas qu'on me prenne par surprise. Je ne suis pas une tête brûlée, un animal primaire et se jetant sans réfléchir dans le torrent parce qu'il y a aperçu une belle truite dorée, je pèse le pour et le contre, je sors mon thermomètre, je consulte les astres, bref, je déteste que l'événement me prenne de court.

Une fois l'examen terminé, je m'attends à ce que l'Auguste essaie de prendre un rendez-vous avec ma secrétaire pour que nous procédions à l'opération dans des conditions dignes et propices. Que non ! Le bougre me désigne un second cabinet, lourdement équipé et sentant fort ces produits qui ne sont jamais un signe favorable dans la vie d'un homme. Je lui dis que rien ne presse, que demain est un autre jour, et que je me fais fort d'être d'une citoyenne et exemplaire disponibilité dans les semaines qui viennent. Soit qu'il ne parle pas un français parfait, soit qu'il y mette un peu de cette mauvaise volonté madrée que les médecins opposent souvent à nos scrupules trop humains à leur goût, il me fait comprendre que c'est tout de suite et pas autrement. « Sinon, l'opération à laquelle je vais me livrer sur votre amie ne servira à rien ! » Lâchement, je n'essaie même pas de lui vanter mes hautes capacités d'abstinence, qui, pourtant, l'auraient grandement impressionné ! Le poids du fatum s'abat sur mes épaules et me cloue au sol de cette pimpante clinique Geoffroy Saint-Hilaire. J'imagine bien avoir tout à coup la très opportune souvenance d'un rendez-vous urgent auquel il est impossible que je me dérobe, mais un-je-ne-sais-quoi dans son regard m'ôte même l'envie de cette dernière échappatoire. Allons, le pantalon sur les chaussures, pour la deuxième fois, mais cette fois-ci le fauteuil est plus confortable. Eh non, les hommes n'ont pas droit, eux, à la vénérable table d'opération et tout le cérémonial corollaire, ils doivent endurer la chose assis, comme s'ils devaient pendant ce temps rester capables de diriger un conseil d'administration, en buvant leur expresso. « Vous verrez, c'est trois fois rien ! » Une fois aurait suffi, me dis-je in petto, en affichant mon sourire le plus décontracté.

Le microscope électronique ressemblait à un vulgaire Nikon à fils, "le laser" manque de pompe. Rien à voir avec ces machineries formidables qu'on nous faisait désirer dans les années 70. Mais je ne m'étendrai pas sur la description du chalumeau à lumière, car j'ai tourné les yeux, je l'avoue, au moment où l'Italien élégant a pressé la gâchette. Au lieu de la douleur escomptée, c'est une âcre odeur de chairs brûlées qui s'est manifestée, et aussi, assez drôlement ma foi, une petite fumée presque gaie, humble signal que mon sexe envoyait au monde pour lui signifier sa rentrée dans celui des Justes. J'allais pouvoir à nouveau combler les pantelantes femelles, planter mon dard restauré comme un tableau du Quattrocento au cœur de leurs chairs hurlantes de désir, il y avait de quoi se réjouir en effet et proclamer la nouvelle urbi et orbi !

Ce que le vicieux restaurateur philogyne oublia de me dire était que durant deux semaines, j'allais être bifide : pas facile de pisser droit quand au lieu d'un méat vous en disposez subitement de deux. Essayez donc de parler avec deux bouches, vous verrez si l'on vous comprend mieux ! Tout le monde n'est pas un familier de l'uro-bicinium, surtout quand votre petite amie n'est pas une adepte de la sonate en trio.

mardi 8 juillet 2014

Silenciaires


Il y a ceux qui font du bruit, très nombreux, mais il y a aussi, beaucoup moins nombreux, ceux qui font (du) silence. On pense naturellement que le bruit se fabrique alors que le silence n'a rien à voir avec le faire, qu'il ne fait "qu'être là". C'est tout le contraire. Le silence est un travail, comme l'amour. « Ils font beaucoup de bruit, ce soir. » « Il a fait un silence extraordinaire. Ça lui a pris toute la semaine. » Faire du bruit est à la portée de tout le monde ; il suffit de se laisser aller. Faire du silence est un art.

J'ai compris ça un jour, dans le métro, à Paris. Un type jouait de l'accordéon et faisait la manche. Banal. Personne n'écoute, de toute façon ; il s'agit d'un bruit qui s'ajoute aux autres bruits, qui les colore, à peine. Par déformation professionnelle, sans doute, j'écoutais, même si le moins possible. Même le moins possible n'a pas empêché d'entendre que cet abruti avait une manie qui depuis lors m'obsède. Jouant une chanson quelconque, mais connue, il en raccourcissait systématiquement les silences. Les chansons sont faites plus ou moins toutes sur le même modèle : des couplets, des refrains, et à l'intérieur de ces couplets et de ces refrains, des phrases, elles-mêmes séparées par des "silences textuels", qui jouent le rôle de la ponctuation, nécessaire à une compréhension facile de l'histoire. Chacune de ces absences de paroles, il les raccourcissait avec une désinvolture exaspérante. Cela signifiait, littéralement : pas de paroles = pas d'intérêt. Pas d'histoire = Rien. J'étais scandalisé par cette réduction de la chose musicale à une fonction purement informative, utilitaire. C'est le même mépris, c'est la même méprise, qui fait qu'on n'accorde pas d'attention aux phrases, à la syntaxe, aux transitions du discours, mais seulement au message qui, croit-on, serait véhiculé par quelques verbes et quelques substantifs. C'était il y a vingt ans à peu près. Depuis, la chose a fait florès. Écoutez par exemple une assemblée de Français qui chantent la Marseillaise. Vous constaterez que la chose va de plus en plus vite parce que naturellement, ils tentent de chanter ensemble (d'être ensemble), mais que la masse dominante se jette sur la phrase suivante comme si le vide tout relatif entre deux phrases la terrifiait.* Bien sûr, le résultat est que le rythme de la musique est radicalement transformé, et que ce qui est censé aller vers l'efficacité va en réalité vers le chaos, l'asphyxie, l'informe et l'inarticulé. Quand j'avais une quinzaine d'années, mon père s'est mis en tête de m'expliquer ce que signifiait le rubato. C'est une chose très complexe et assez mystérieuse pour un apprenti musicien. Il m'a expliqué que lorsqu'on "volait du temps" (rubare signifie voler), il fallait impérativement le rendre à un autre moment, de manière à ce que l'équilibre ne soit pas rompu, que le tempo ne soit pas corrompu par cette liberté. C'est une des premières choses que j'écoute quand j'entends un interprète, surtout un pianiste : comment négocie-t-il la fin des phrases ? Comment fait-il les transitions ? Comment passe-t-il d'une idée à une autre ? Le tissage des idées musicales est aussi essentiel que les idées elles-mêmes, c'est précisément la trame (du temps) qui rend sensible (et compréhensible) ce qu'on appelle un thème, un motif, une harmonie.

La musique consiste en une succession de tensions et de détentes, c'est-à-dire qu'elle est d'abord un rythme, une respiration, un balancement équilibré entre des moments (comme disent les physiciens) de complexité et des moments de simplicité, entre des moments où l'attention doit se dresser, se durcir, et des moments où elle peut se relâcher. Le compositeur est celui qui sait doser ces forces de manière à ce que le message soit porté sans accrocs, qu'il acquiert une certaine vitesse libératoire propre à l'entendement, qu'il ne tombe pas, et que le sens voyage ainsi sur le dos de ce vecteur en reptation constante. Sans le silence, qui en est le pivot et le centre, pas de rythme, par d'articulation, pas de respiration.

Il faut la plupart du temps se retirer du monde pour faire silence, ce qui prouve s'il en était besoin que la tâche est ardue, qu'elle n'est possible qu'à certaines conditions qui ne se trouvent pas sous le pas d'un cheval. Rares sont ceux qui ont entendu parler le silence et qui ont senti sa force, qui en ont éprouvé les vertus curatives et spirituelles, mais aussi guerrières. Les trompettes de Jéricho ne faisaient sans doute aucun bruit. L'absence de tout "dialogue intérieur" (le parfait silence) est la condition première du pouvoir des sorciers Yaki dont parle Carlos Castaneda dans ses livres.

Cet accordéoniste fondamentalement malhonnête qui ne rendait pas ce qu'il avait volé était l'ange déchu et annonciateur de ce qu'on nomme "les musiques actuelles" (et qui n'ont strictement rien d'actuelles, puisqu'elles ont au minimum deux ou trois siècles de retard sur l'évolution de la musique), ces musiques qui n'ont pas compris que le silence était le carburant fondamental du rythme, qu'il était la flamme qui nettoie les sons et les délivre de la fatalité du bruit.

Toutes les grandes musiques font une place centrale su silence. Beethoven, bien sûr, vient tout de suite à l'esprit, Webern, Debussy, mais tous les autres au moins autant, depuis toujours.

Devant un feu de cheminée, on aime se tenir silencieux et immobile. La première conquête humaine fondamentale a été le feu. La seconde le silence.


(*) J'ai éprouvé le même genre de choses dans les boîtes de strip-tease : une effeuilleuse fait son travail en musique, toujours. Quand il arrive (par accident technique, panne de courant, ou autre) que la musique s'arrête brutalement, elle est terrorisée, littéralement interdite, elle réalise semble-t-il tout à coup qu'elle est nue ! En fait, elle n'est vraiment nue qu'à partir du moment où la musique s'arrête.

La Neuvième


À la fin du concert dans lequel était donnée pour la première fois la neuvième symphonie de Beethoven, l'ovation fut délirante : toute la salle était debout. Comme Beethoven se tenait à côté du chef Umlauf (car sa surdité l'empêchait de diriger), le dos tourné à la salle, "Caroline Unger, qui avait chanté la partie d'alto, eut la présence d'esprit d'amener le maître sur le devant de la scène et de lui faire remarquer les cris de joie de la foule agitant chapeaux et mouchoirs. Il remercia en s'inclinant. Ce fut le signal d'une explosion de joie inouïe, qui ne cessa qu'au bout d'un long temps d'acclamations de gratitude pour le haut plaisir qu'on venait d'éprouver" (rapporté par Schindler). Sa symphonie achevée, en 1824, le compositeur s'adresse à la Société des Amis de la musique de Vienne pour la faire exécuter. Recevant une réponse négative, il sollicite les Berlinois qui se montrent beaucoup plus enthousiastes. Alors les admirateurs viennois, inquiets des bruits qui commençaient à circuler, lui adressent cette lettre : « Nous vous supplions d'épargner cette honte à la capitale et de ne pas permettre que les nouveaux chefs-d'œuvre sortent du lieu de leur naissance avant d'être appréciés par les nombreux admirateurs de l'art national (…) » Nous vous supplions d'épargner cette honte… Il faut relire ces quelques mots plusieurs fois pour bien mesurer le chemin parcouru jusqu'à nous ! Changez les noms, plaquez la situation et l'événement sur la France actuelle et vous mesurerez pleinement la profonde décadence (il ne faut pas avoir peur de ce mot, il est presque euphémistique) dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Un art national ? Bigre ! Ces Allemands, tout de même ! Voilà donc qu'elle était leur fierté nationale : la musique de Ludwig van Beethoven !? Évidemment, on est loin de la Gay Pride…

J'ai passé ma vie à éviter la Neuvième. La Neuvième est la symphonie que je ne peux pas écouter. Je mets le début, et j'arrête le disque très vite. C'est de la faute de Wilhelm Furtwängler. Il y a une vingtaine d'années, j'ai acheté un disque où il interprétait cette symphonie, je ne sais même plus avec quel orchestre, peut-être celui de Bayreuth mais ce n'est pas certain. J'ai mis le disque dans la platine, et au bout de quelques minutes j'ai dû arrêter ça. La souffrance était trop grande. Quand on me demande pourquoi je suis devenu musicien, je réponds en général que c'est pour les filles, mais la vraie réponse est liée à cette question de la douleur. Depuis tout petit, depuis que j'ai été en âge de choisir la musique que je voulais écouter, je me suis rendu compte qu'elle était source d'une souffrance presque impossible à supporter. Je ne sais pas d'où ça vient, je n'en ai aucune idée, mais c'est atroce. Toutes les musiques auxquelles je tiens vraiment me font affreusement mal, quand elles sont jouées comme je le désire. Très jeune j'avais une passion pour les valses de Chopin, et quand j'ai commencé à en travailler une au piano (la la mineur), j'ai compris. La douleur s'estompait, je pouvais la tenir à distance, je pouvais la maîtriser. Grâce à la partition. Grâce à la partition, et aussi au travail, à la vertu de la répétition. Entrer au cœur de la musique, c'est aussi, d'une certaine manière, s'en éloigner. Heureusement ! La partition permet de faire un détour, d'entrer par une autre porte, de ne pas se prendre la chose en pleine figure quand on entre à l'intérieur de cette chose incommensurable qu'est une grande musique. La partition, et donc l'instrument, qui tient la chose à distance. On la manipule avec un instrument, c'est un peu comme si l'on avait des gants pour ne pas se brûler. Parfois on ne sent plus rien du tout. On en arrive à se demander pourquoi on aime cette œuvre tant que ça, on en arrive à la trouver presque vulgaire, tellement on la connaît, tellement on l'a fréquentée, encore ce visage, ce matin, au réveil, comme la femme avec qui on dort, année après année. Il vaut mieux mettre un pyjama, au bout de quelque temps, c'est plus sûr, ou faire chambre à part. La chance du musicien est que les amantes sont légion, aucun risque de ce côté là, c'est inépuisable, la vie entière ne suffit pas à faire le tour de toutes ces maîtresses merveilleuses.

Mais ce n'est pas si simple. Plus on s'éloigne du centre de la douleur, plus celle-là insiste, monte en température, prend des formes insidieuses, s'infiltre dans la roche, là où elle n'a semble-t-il aucune raison de se trouver, et, un beau jour, alors que vous remettez le disque dans le lecteur, ou même pas, elle vous saute sur le râble, sans prévenir. La Neuvième de Beethoven est l'un de ces disques maudits, que je ne connais que trop bien, alors que peut-être je ne l'ai jamais écouté en entier, et d'ailleurs, ironie de l'histoire, au moment où je veux retenter l'expérience, je m'aperçois qu'il m'en manque un morceau. Comme si la symphonie s'était amputée elle-même par égard pour moi.

Furtwängler est le Chef des chefs. Oh, je suis tout à fait capable de repérer les défauts de ses interprétations, quand il y en a — et il y en a, Dieu sait ! –, mais personne au monde ne procure ces émotions, personne au monde n'incarne la musique, à ce point, de cette façon, personne. On connaît l'anecdote : le timbalier de la Philharmonie de Berlin, qui s'ennuie un peu durant les répétitions des symphonies de Beethoven, a sous les yeux la partition, je veux dire la partition de l'orchestre, et non, comme c'est d'usage, seulement sa "partie". Il aime suivre la musique des yeux, voir en même temps qu'entendre ce que jouent ses collègues. Ils sont en train de répéter une symphonie, et c'est l'assistant qui dirige la répétition. Tout à coup, le son de l'orchestre change radicalement, se transforme, le plomb se mue en or. Étonné, ne comprenant pas ce qui se passe, il lève les yeux de la partition. Là, il comprend : Furtwängler est là, sur le seuil, à la porte, il écoute la répétition qu'il a déléguée à son assistant. Il ne fait qu'écouter. Mais ça suffit. Son corps est , parmi ses musiciens, et cela suffit à ce que le son de l'orchestre se transforme radicalement. C'est bien d'une opération alchimique qu'il s'agit. Il est des musiciens, comme ça, qui portent la musique en eux, dans leur corps ; ils n'ont même pas besoin de la faire, ils sont la musique. Un chef comme Furtwängler ne dirige pas la musique, ou pas seulement, ou si peu, il l'incarne. La musique passe de son corps dans le corps de l'orchestre, dans ceux des musiciens, depuis le premier violon jusqu'au timbalier. Quand ils jouent Beethoven, Wagner, Bruckner, avec le Maestro Furtwängler, ils savent qu'ils sont avec Beethoven, Wagner, Bruckner, ça s'entend, chacun d'entre ces musiciens le sait, le sent, chacune des notes que joue le timbalier est habitée, dictée par le compositeur, à ce moment-là. Ils ne jouent pas, ces musiciens, ils se laissent jouer, ils se laissent traverser par la musique, et Furtwängler est celui qui permet ce passage.

Un des plus beaux disques de ma discothèque est le Tristan de Furtwängler, en 1953. Jamais je n'ai entendu un son plus beau. 1953 ! On voit que la technique est peu de chose. En même temps, quelle merveille de se dire qu'elle est capable, cette technique, de laisser passer ça ! De permettre à ça d'arriver jusqu'à nous. Je n'étais pas né, en 1953. Aucune chance que je puisse assister à un concert dirigé par Furtwängler. Je ne sais que peu de choses sur l'homme Furtwängler, mais je sais qu'il comprendrait de quoi je parle quand j'évoque cette douleur qui est le feu de la musique. J'ai parlé plus haut d'incarnation et d'alchimie. Ces mots ont été tellement galvaudés qu'on ne les entend plus dans leur sens véritable. J'ai une passion pour Abbado, que je considère comme un chef extraordinaire, un de ces musiciens trop rares qui aiment vraiment la musique, qui ont le don, c'est-à-dire cette oreille intérieure infaillible. Mais Abbado reste un chef : il dirige Beethoven, Mahler, Verdi, à la perfection. Mais il n'est pas Beethoven, même si sa technique (véritablement merveilleuse) est infiniment supérieure à celle de Furtwängler, même si ses musiciens jouent extraordinairement bien, sous sa direction. L'alchimie n'est pas un vain mot, l'incarnation non plus. Tout à coup, dans la musique, une porte s'ouvre : et c'est un gouffre, une faille sans fond, un monde plus réel que le monde de tous les jours. Beethoven est un expert dans ce genre de choses : ses mélodies vous prennent par surprise, elles n'ont rien de tellement mélodique, justement, précisément parce qu'elles sont la mélodie elle-même, c'est-à-dire l'autre monde qui affleure. Quand j'écoute les longues phrases ondulantes de l'Adagio molto e cantabile de la Neuvième, je ne suis plus là. Beethoven n'essaie jamais de faire une jolie mélodie (il détestait Rossini), il se laisse conduire là où il doit aller. On ressent ses courbes, comme lorsqu'on se trouve dans un train qui aborde un large virage à grande vitesse, c'est une force lente, majestueuse, éblouissante, qui vous déporte, qui vous fait sortir de votre corps, qui fait sortir le temps de ses gonds, qui fait sortir le chant de vous, par nécessité, pour devenir autre, le temps qu'elle vous tient, cette force. Nous avons besoin de ces musiciens là pour entrevoir l'autre monde, pour savoir qu'il est possible d'y accéder, c'est réellement une expérience alchimique. Tous les tissus du corps sont portés à haute température, et cette porte s'ouvre alors : le Paradis existe bien, mais il se paie au prix d'un douleur si intense, si irradiante, si profonde, que la plupart referme la porte, car c'est terrifiant.

J'ai eu quelquefois cette sensation, caressant la peau d'une femme aimée, que son sang n'était plus du sang, mais du mercure, que sa chair avait acquis une densité particulière, bien supérieure, unique, parfaite. Je parle bien de la densité, et pas du poids. Les mélodies ont aussi une densité particulière, qui leur est sans doute conférée par l'harmonie qui les sous-tend, comme la densité de la peau d'une femme est tendue par son âme. Il y a des chairs rossiniennes et des chairs beethovéniennes. Je ne peux pas tomber amoureux d'une femme qui ne croit pas en Dieu. Je ne peux pas tomber amoureux d'une femme qui n'aime pas Beethoven, dont le ventre ne porte pas les traces (même légères, surtout légères) de cette douleur aussi intense que cachée, pour qui les mots de "paradis perdu" n'ont pas un sens extrêmement concret et qui ordonne toute une vie. Il n'y a que chez Beethoven que j'ai jusqu'à présent trouvé cette douleur immémoriale transmuée en courbes mélodiques : la douleur d'être homme dans un monde fait pour les dieux, d'y être abandonné. Toujours, le critère est la vérité. Quand Beethoven cherche un thème, une mélodie, c'est la vérité qu'il cherche, et Dieu sait qu'il a cherché, qu'il s'est donné du mal ! Comme un sculpteur qui retranche de la matière pour parvenir à la vérité de la forme, Beethoven a enlevé, soustrait, effacé, inlassablement, il a ôté le décor de ses thèmes, la peau de ses mélodies, il a creusé, toujours plus profond, jusqu'à atteindre l'âme, l'âme qui n'a besoin de rien pour que sa beauté soit. Les mélodies de Beethoven ne font jamais les malines, elles ne virevoltent pas, ne vous en mettent pas plein la vue, elles creusent en vous, et une fois qu'elles ont pénétré en vous, c'est fini, vous ne pourrez plus jamais vous en débarrasser, elles vous habitent pour toujours. Vous ne les porterez pas pour sortir, vous ne les montrerez à personne, vous ne pourrez pas les offrir, elles sont intransmissibles, intraduisibles. Mais vous êtes autre, désormais, et quand vous posez la main sur autrui, ce quelque chose se sent, le feu ne s'éteindra pas, c'est l'âme qui est touchée, et c'est éternel.

Il y a quelque temps, j'ai acheté un petit livre rose, intitulé Pussy Portraits, de Frannie Adams. C'est un livre absolument passionnant, même si sa réalisation laisse à désirer : les photographies sont moches. C'est dommage, mais ça n'enlève rien à l'expérience. Il s'agit de montrer deux parties du corps d'une femme : son visage, sur la page de gauche, et son sexe, sur la page de droite, le tout en pleine page, sans aucun commentaire. C'est saisissant ! Je m'attendais à la discrépance, à la dissonance, même légère. En cela j'étais prévenu par le film de Jean Eustache, une Sale Histoire. Eh bien pas du tout. Une parfaite convergence au contraire, une très grande cohérence. À chaque fois, on reconnaît dans la vulve le visage de la femme en question et dans sa figure son con. Je ne l'aurais jamais cru si on me l'avait dit, mais je dois me rendre à l'évidence. Vous pouvez ricaner tant que vous voulez, mais voir le sexe d'une femme à côté de son visage, c'est voir son âme, cette âme qui se trouve quelque part à mi-chemin entre les deux. Les deux parties du corps s'éclairent l'une l'autre, c'est comme une clef qui vient s'emboîter miraculeusement dans une serrure. Comme le dirait Jean Genêt, c'est le miracle de la rose. Il faut écouter, savoir entendre, être là quand se produit l'éclosion de cette tautologie ultime, quand le diaphragme s'ouvre, il faut laisser la chose résonner en soi comme la note inouïe qu'elle est, dire "oui". Tant qu'on n'a pas connu ça, on ne sait pas poser la main sur une femme, je veux dire poser la main sur elle comme le violoniste pose l'archet sur la corde de son instrument. On peut bien s'épuiser à la regarder sous toutes les coutures, la toucher partout, ça ne sert à rien, on ne sait pas en jouer, on ignore en quelle tonalité elle chante, et sans doute ne le veut on même pas. La plupart des hommes n'ont même pas conscience de ce qu'ils font quand ils touchent une femme : ils cherchent les boutons sur lesquels appuyer pour produire les résultats auxquels on leur a dit qu'ils pouvaient prétendre, s'ils sont bien constitués, s'ils sont normaux. Le fameux "point G" est l'ultime avatar de cette manière de concevoir les corps humains et leur rencontre. À cette pointe "en sol", on nous permettra de préférer, et mille fois, le sourire en sol dièse de la duchesse de Guermantes, à tous les amateurs de contre-ut à la fraise, nous dirons que nous préférons l'esprit qui souffle partout, et de préférence là où ils ne l'attendent pas, oui, là, au creux des aisselles, ici, au-dessus des fesses, ou sous ce pied ou à la surface frémissante de ce ventre, car tout est altération, nuance, dièse, bémol, bécarre, tout est dans la force rentrée de ces courbes, dans la résistance élastique de cette peau, dans l'apnée mélodique de ce souffle, dans la retenue légère de ce geste, tous les timbres de l'orchestre bien sûr vont se faire entendre, toutes les couleurs, mais tout de même, surtout le quatuor, surtout les cordes, surtout la large mélodie qui coule comme un fleuve, qui prend son temps, qui fait ressembler l'épiderme à un linceul d'une finesse impossible, qui allume tous les foyers de la bonne tempête d'odeurs qui tient le monde en équilibre même par-dessus l'abîme.

On retrouve son génie mélodique dans la sonate "Hammerklavier", dans son mouvement lent, l'Adagio sostenuto halluciné. Je ne connais pas de plus grande page dans toute la musique, quand elle est jouée par Emil Gilels dans son enregistrement réalisé à la Deutsche Grammophon en 1983. Ludwig van Beethoven a cherché toute sa vie, il ne s'est jamais arrêté, il n'a jamais été satisfait, il était en chemin, et les trente deux sonates pour piano sont certainement un des plus grands chefs-d'œuvre de tous les temps, qui retrace toute une vie de création, si ce mot peut encore avoir un sens aujourd'hui. Bien sûr, on pourrait ajouter légitimement les seize quatuors et les neuf symphonies à cette grandiose trajectoire artistique, unique entre toutes. Mais les sonates pour piano, auxquelles il faut ajouter les bagatelles et les séries de variations, ont cette particularité d'être le journal intime de Beethoven, le journal de toute une vie, et son laboratoire. Cependant, là il s'agit d'autre chose. Dans cet adagio, le géant ne projette pas son ardeur et son désespoir vers le ciel, et s'il construit, car c'est son destin, c'est paradoxalement en trébuchant, en tâtonnant, comme si c'était de la vue qu'il était privé, et non de l'ouïe. Cette pièce est un paradoxe : le plus improvisé des mouvements de Beethoven (on le voit courbé sur le piano, la tête dans le cornet acoustique monstrueux qu'on lui a construit spécialement pour qu'il puisse entendre encore un peu), il en est aussi le plus stupéfiant, le plus extraordinaire témoignage d'un génie qui ne fait pas la moindre concession à ses contemporains, à ses proches, à ses admirateurs, ni surtout à lui-même. Jamais Beethoven n'a chanté comme dans ce mouvement, jamais il ne s'est épanché de cette manière désespérée et pourtant fraternelle, jamais il n'a mis son cœur à nu comme ici, où l'on sent bien qu'il est déjà ailleurs, qu'il n'est revenu un instant que pour nous livrer ce monologue plus déchirant que le testament de Heiligenstadt. Personne n'entendra, mais il faut bien le dire quand-même. Quand on écoute cette œuvre sublime entre toutes (et pour une fois on peut employer ce mot sans rougir), comme le monde d'aujourd'hui nous paraît petit, mesquin, dérisoire, plat, incolore, étriqué, sans saveur ni ambition, et même, il faut bien le dire en prenant le risque de ne pas être compris, sans "sentiment(s)" (qui est bien entendu le contraire de la sentimentalité). J'ai beau chercher, même chez les "grands artistes" qui nous ont directement précédés, je ne vois rien, rien du tout, rien qui s'approcherait d'une telle beauté, d'une beauté portée à ce point d'incandescence. On pourrait dire sans trop forcer la réalité qu'il n'y a que du chant, dans ce mouvement, mais Beethoven ne sait chanter qu'avec son piano, qui est son instrument, pas seulement parce qu'il en joue admirablement et qu'il est un improvisateur extraordinaire, mais parce que toute sa pensée musicale (et j'ai presque envie de supprimer l'adjectif) passe par là, par le clavier, par cette manière de voir le monde, qui consiste en grande partie à forcer un instrument à percussion (Hammerklavier) à être la voix des voix, d'en être l'essence, et la quintessence : encore une fois, il s'agit d'alchimie. C'est dans la transformation, et par elle, que peut se révéler la vérité. Il y faut ce passage d'un état à un autre, d'un son à un autre, d'un métal à un autre, il y faut le mouvement de la transmutation pour que l'homme saisisse un peu de ce que le monde a à lui dire. Les choses arrêtées ne parlent pas, elles ne sont que des fantômes. Gilels et Furtwängler, par la largeur de leur âme, par la densité de leur sonorité (jamais entendu un piano pareil…), et par cette qualité d'abandon à la musique, en qui ils ont toute confiance, peuvent refaire le chemin pour nous, comme si ce chemin venait de se dévoiler sous leurs pas, sous nos pas. Nous allons, avec eux, dans un lieu où personne n'est jamais allé avant… maintenant ! Le son de Gilels, c'est le son de l'inconnaissable, de la terra incognita, dans laquelle un homme s'avance et parle, ou chante, dès lors qu'il a abandonné tout espoir de dialogue avec ses frères humains. Quand on en est là, il vaut mieux converser avec le silence de l'infini. Lui, le musicien si désespérément humain, qui voulait tellement aimer et être aimé, s'est tourné alors vers un Dieu silencieux, absent. Pour la première fois, il construit son œuvre dans une lumière aveuglante, il n'efface pas les traces de son passage, et le chant n'en est que plus beau, avec toutes ses hésitations, ses reprises, ses tournoiements, ses impasses, ses cris, ses retours, sa révolte, ses doutes, et sa tendresse infinie… Pourquoi se cacher quand on est seul, quand on sait que personne n'entend ? Il y a dans cette musique un dévastateur sentiment de la nuit, mais d'une nuit en plein jour, d'une nuit sans fin, dont on ne se réveille pas, parce qu'elle déchire les voiles fragiles de notre enveloppe humaine, qu'elle abolit les limites du temps humain, et nous rend définitivement absents à nous-même.

[La répétition qui sauve] Le deuxième mouvement de la Neuvième (molto vivace), ressemble beaucoup au premier de la Sixième, avec son système de répétitions cumulatives. Bien sûr, le procédé n'est pas propre à Beethoven, mais il a pris avec lui un sens différent, me semble-t-il. L'accumulation de motifs qui se répètent presque à l'identique est un geste typiquement beethovénien de très profonde signification qu'il faut, pour le comprendre, mettre en relation avec la descendance musicale directe de Beethoven, je veux parler des Viennois de la seconde École, au sein de laquelle il n'y a pas, je crois, de compositeur plus beethovénien que Schoenberg. Toute la trajectoire musicale de Schoenberg indique le mal qu'il aura à se passer de la répétition, et le fait même qu'elle soit devenue la chose à éliminer à tout prix (qu'on pense à Erwartung en particulier, qui est une musique quasi insensée à force de l'avoir évacuée, mais aussi et peut-être surtout à la dodécaphonie qui traquera ses diverses hypostases dans tous les paramètres du travail compositionnel) incite à se pencher un peu sur la question. On pourrait s'amuser à classer toute musique selon ce critère unique. Il est des musiques qui répètent beaucoup et des musiques qui ne répètent pas du tout, entre les deux, tout le reste… Mais je crois qu'en envisageant le corpus musical selon un tel indice on risque de ne rien comprendre et de faire se côtoyer Beethoven et Steve Reich, ce qui serait la dernière des stupidités. Ce que pourchasse Schoenberg avec la plus intransigeante vigilance, c'est le Même. Toute la révolution dodécaphonique a le Même en ligne de mire. Pas de doublures, pas de répétitions, et une distribution "démocratique" des hauteurs, ce qui élimine du même coup toute prévalence, toute hiérarchie, et qu'est-ce que la Tonalité, sinon la hiérarchie, précisément, l'ordonnancement selon un axe vertical, le champ de forces co-ordonné des hauteurs selon leurs rapports et leurs dépendances mutuels, qui produit ce que ce même Schoenberg appellera des fonctions ? En distribuant les notes selon un code neutre (elles ne sont plus que des places, des numéros, des lieux, des points, dans la série), il veut rompre avec les fonctions harmoniques des degrés de la gamme. On a vu que, poussé à son terme, ce système était une impasse, et les quelques grands chefs-d'œuvre dodécaphoniques ou sériels doivent tout à la mémoire de ces compositeurs qui, tous, venaient du monde ancien, avaient encore dans leur sang des atavismes puissants qui ont pallié les apories du nouveau système. Il ne faut jamais oublier que, contrairement aux époques nous ayant précédés, nous connaissons parfaitement la musique des siècles passés. Imaginons un compositeur contemporain qui ne connaitrait ni Bach, ni Beethoven, ni Mozart, ni Brahms, ni Debussy, et mettons-lui entre les mains la méthode des Viennois. Alors, et seulement à ce moment-là, il sera possible de comparer la musique dodécaphonique et la musique tonale. Bref, il serait très intéressant, je crois, de montrer comment les choses se retournent, là comme ailleurs, comment la recherche de la diversité maximale produit paradoxalement une sensation d'uniformité. Combien d'auditeurs de concerts contemporains ont ressenti cette terrible lassitude à écouter des partitions qui pourtant, sur le papier, étaient hérissées des millions d'événements, ayant tous et chacun leur propre individualité, une farouche indépendance et une complète autonomie. La musique est l'art du temps, plus que tous les autres arts, et on ne peut pas le mettre à plat, le priver de cette dimension, distribuant les sons comme si cette force invisible et invincible n'était pas au-dessus d'eux, leur donnant sens. C'est ce qu'ont parfaitement compris les grands symphonistes, depuis Beethoven jusqu'à Sibélius. Le temps coule entre les notes, il est le sang de la musique, sans lui, le son meurt, comme dans ces pauvres partitions des "répétitifs américains" qui, à l'instar des "artistes contemporains", pensent qu'on peut prélever arbitrairement quelques échantillons dans le tissu vivant de l'art pour redonner vie à une pauvre momie desséchée. Quand on écoute ces affligeants "minimalistes" (les si bien nommés), on a toujours cette affreuse impression que leur pauvre musique vient de ce qu'ils ne savent pas écouter, qu'ils n'ont perçu dans la musique de leurs prédécesseurs que des paramètres sans liens, et que parmi ceux-là ils n'ont choisi que les plus grossiers, que les structures qu'ils ont décelées sont les plus molles et les plus lâches.

« jamais sa propre musique n'avait fait sur lui une telle impression » (cavatine)

Estampes numériques et photographies

Estampes numériques (2)



Un deuxième livre, plus mince que le précédent (120 pages), et donc moins cher, sans les photographies. Toujours en quatre formats, dont trois sur papier : couverture souple, couverture rigide imprimée et couverture rigide plus jaquette. Il est également possible d'obtenir le livre en format "e-book".