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dimanche 16 février 2025

Avec son nom écrit dessus


« J'étais une petite graine plantée dans un terrain qui n'était pas du tout prêt à la recevoir. » Avant-guerre, dans les années 30, une petite ville de 7000 habitants comme Montbrison n'avait guère de vie artistique ou musicale, et les parents de Pierre Boulez n'étaient ni l'un ni l'autre musiciens. Son père, très catholique, était un ingénieur directeur d'usine, austère et silencieux, naturellement de droite, et sa mère, issue d'un milieu socialiste, était au contraire fantaisiste et très extravertie. Sa sœur Jeanne, de trois ans son aînée, restera liée à lui jusqu'à la fin, lui étant indispensable, choisissant ses vêtements et lui confectionnant ses menus. Il aura bien d'autres femmes très proches de lui tout au long de sa vie, dont l'indispensable Astrid Schirmer, sa fidèle secrétaire depuis les années Londres. 

J'ignorais que Boulez avait eu lui aussi un petit prédécesseur de cinq ans son aîné. Marcelle Calabre, sa mère, née le 22 avril 1897 à Clermont-Ferrand, et Léon Boulez, son père, plus vieux de six ans, avaient eu comme premier enfant un petit Pierre Boulez mort en bas-âge. Pierre Boulez, le nôtre, apprendra cela très tôt, en voyant une petite sépulture en fer forgé avec son nom inscrit dessus. On ne sait évidemment pas comment il a réagi à cela, mais il a toujours eu un rapport difficile avec la mort, à tel point que le jour où sa sœur Jeanne lui téléphonera pour lui apprendre qu'elle avait pris une concession au cimetière, lui demandant s'il en voulait une pour lui, il lui raccrochera au nez, et qu'il ne voudra jamais entendre parler de ses différentes successions, ni s'en occuper en quelque manière que ce soit. Commentaire de son biographe, Christian Merlin : « Je pense que les parents ne mesuraient pas, à l'époque, combien ça pouvait être choquant de donner à un petit garçon le prénom d'un enfant mort précédemment. » 

On m'a bassiné avec ça durant toute ma jeunesse, et j'avoue que je n'ai jamais vu où était le problème. Mon Jérôme à moi, le jumeau d'Emmanuel, né une dizaine d'années plus tôt, est mort d'une méningite tuberculeuse à l'âge de deux ans. Ce sont mes frères et sœur et mon père qui ont paraît-il insisté pour me donner ce prénom, alors que ma mère s'y opposait. Personnellement, je suis bien content de porter ce nom, qui est également le nom de mon grand-père et un prénom assez porté dans ma famille corse. Choquant ? Pour qui ? Traumatisant ? Pour qui ? Lourd à porter ? Pour qui ? Je trouve toujours parfaitement imbécile d'en vouloir à ses parents pour quelque raison que ce soit, et celle-là ne fait pas exception. Il me paraît évident qu'ils n'ont pas voulu “faire le mal”, ni faire les malins. Je n'ai jamais eu ni la sensation ni la prétention de remplacer celui qui était mort trop tôt, mais, surtout, la hargne (ou la justice) rétrospective me fait horreur. 

Je me rends compte tous les jours qu'il faut repasser sur ce qu'on croit avoir entendu pour l'entendre vraiment, qu'il faut relire pour avoir lu vraiment, qu'il faut aimer à nouveau pour aimer vraiment, qu'il faut revoir pour tout simplement voir. Je suis capable d'écouter trois ou quatre fois de suite une émission qui m'intéresse, et de me rendre compte qu'à chaque nouvelle écoute je suis obligé de constater que je n'avais pas entendu ce que j'entends. C'en est vertigineux. 

Les parents qui aujourd'hui « perdent » des enfants en conçoivent un affreux chagrin, ce qui est bien naturel, mais, au-delà de ce chagrin, en font un cataclysme terrible et indépassable. Il n'est pas question ici de les juger, car je suis certain que je ne ferais pas mieux, mais seulement de s'interroger. À l'époque où la mortalité infantile était bien plus élevée qu'à l'heure actuelle, il n'était pas rare de compter deux, trois, ou même quatre enfants morts en bas-âge dans une famille. Que je sache, cela n'empêchait nullement la famille de se développer normalement et même d'être heureuse. J'ai pourtant vu ma propre mère s'affliger chaque 19 juillet de sa vie, le plus souvent sans un mot d'explication ni la moindre plainte, et « choisir » le 19 juillet comme jour de sa propre mort. Mais en dehors de cette journée si particulière, elle ne parlait quasiment jamais de la mort de Jérôme, et ne semblait pas en être accablée. Peut-être était-ce pudeur, ou autre chose que je ne saurais nommer avec certitude — ni même comprendre. 

Christian Merlin explique le rapport très conflictuel à la mort de Boulez par le fait qu'il porte le prénom de son aîné mort en bas-âge. C'est une possibilité, en effet, mais je ne vois pas bien ce qui peut l'en assurer. Peut-être dispose-t-il de paroles ou d'écrits auxquels je n'ai pas eu accès. Quoi qu'il en soit, je me méfie toujours de ce genre d'explications qui me paraissent trop simples et trop univoques. C'est ce que j'appelle des explications-pour-les-autres, c'est-à-dire de ces choses qu'on dit pour se débarrasser de questions trop complexes ou embarrassantes, ou, plus simplement, auxquelles on n'a pas réellement réfléchi. Tous, nous sommes à des degrés divers de petites graines plantées dans des terrains qui ne sont pas prêts à nous recevoir. C'est ce qui explique que notre « rapport à la mort » soit toujours problématique, quoi qu'on en dise. Personne ne nous attendait, et c'est d'autant plus vrai lorsque, comme moi, on n'a pas été désiré. J'écris cette dernière phrase tout en sachant très bien qu'elle n'a pas grand sens. Le « désir d'enfant » est une invention récente et un peu ridicule. La biologie et la vie se passent très bien du désir des parents — je crois plus volontiers à l'indispensable transmission, qui vient d'un temps où les hommes ne réfléchissaient pas à ces questions : il se trouve que le désir sexuel et la nécessaire filiation se rejoignent en un point obscur et qui restera toujours secret, malgré les déclarations plus ou moins fantaisistes des uns et des autres. Il faut que les noms passent à travers le sang et survivent au déluge des heures, qu'ils inscrivent une trace énigmatique dans les lieux et les moments, qu'ils laissent derrière eux une Figure. « Les fils sont là pour continuer les pères. » Même si l'on ne se fait aucune illusion sur la pérennité de ces figures ou de ces étranges constructions que sont les familles, nous sommes là pour les faire durer le plus possible ; c'était le cas du moins dans les temps civilisés. La vie n'est qu'une enquête plus ou moins fouillée sur notre patronyme et ses reflets. 

Montbrison avait sept mille habitants, en 1930, et je suis né dans une ville qui devait alors en compter trois ou quatre mille, en 1956. Ce n'est pas un village, comme quelqu'un me l'a dit l'autre jour, c'est une petite ville des années 50, mais il est vrai que la vie artistique ou plus largement culturelle n'était pas extrêmement développée. Il y avait un cinéma, une troupe de théâtre, une fanfare, et, un peu plus tard, une école de musique, ce qui est déjà pas mal. C'est bien par la radio, essentiellement, que la culture est venue jusqu'à nous, même si nous avions eu la chance dans notre famille d'avoir un père violoniste et une mère qui avait lu, qui, chacun à sa manière, incarnait un je-ne-sais-quoi nous ouvrant sur autre chose que nous-mêmes. 

Mon père était « naturellement de droite » et ma mère beaucoup plus progressiste, même s'il me serait difficile de parler ici de gauche. D'ailleurs elle était très Pompidou alors que mon père ne jurait que par le Général et considérait son successeur comme un traître — la nuance, vue depuis notre présent, peut sembler dérisoire, mais elle était essentielle, en France à la fin des années 60 et dans le début des années 70. Elle venait d'une famille plus aisée, plus cultivée que celle de mon père, plus généreuse, aussi, et plus gaie. Elle avait beaucoup de mal à comprendre la manière très dure dont mon père avait été élevé par des parents radins et qu'elle jugeait dépourvus d'affection envers leurs enfants (on ne parlait pas d'amour, à ce moment-là). Quand ils sont allés en Corse pour célébrer leur mariage, mes oncles furent effrayés par la maigreur et la faible constitution de leur beau-frère, qu'ils surnommèrent la « Vénus de mille os ». Ma mère me racontait des repas pris chez les Vallet où chaque convive devait se contenter d'une moitié d'œuf au plat, et que mon père devait étudier en cachette la nuit avec une lampe de poche sous ses draps, pour ne pas encourir le reproche de coûter cher à ses parents. 

« La patrie périra si les pères sont foulés aux pieds. Cela est clair. La société, le monde roulent sur la paternité, tout croule si les enfants n’aiment pas leurs pères. » Je ne saurai jamais si ce bref passage du Père Goriot était l'une des raisons pour lesquelles ma mère insistait tant pour que je lise ce roman. Marcher sur le cadavre de ses parents est notre lot commun, mais la démarche que nous adoptons pour les piétiner est tout l'enjeu de notre vie d'hommes. J'ai vu très tôt mon nom inscrit sur une pierre tombale, à côté de celui de mon père. Ça crée des liens, mais il m'aura fallu de longues années pour comprendre ce que je lui devais et quel rapport il pouvait exister entre sa vie et la mienne. D'ailleurs je n'ai même pas assisté à son enterrement. Je me demande comment il faut nommer un frère aîné mort à deux ans. Un « petit grand-frère » ? L'appeler prédécesseur est bien sûr abusif, même s'il nous a évidemment précédé. Mais contrairement aux parents, il me semble que nous ne sommes pas chargés de le continuer. Balzac fait dire à son héros « Mais dites-leur, quand elles seront là, de ne pas me regarder froidement comme elles font », en parlant de ses filles. Je ne connais pas de sentiment plus chagrinant, plus triste que le mépris des enfants pour leurs parents et j'ai toujours du mal à entendre des paroles haineuses à leur endroit, quelles que soient les circonstances. Je pense aux mots de Rhoda Scott pour expliquer le fait qu'elle joue de l'orgue pieds nus : « J'avais un clavier sous les pieds, je ne voulais pas marcher dessus en chaussures ! » Nos parents sont un clavier délicat sur lequel nous improvisons plus ou moins librement et la moindre des choses est d'avoir les pieds propres et souples car ils sont sans défense dans leur tombeaux, tandis que nous posons nos pieds sur leur figures. 

« Je pense que les parents ne mesuraient pas, à l'époque, combien ça pouvait être choquant de donner à un petit garçon le prénom d'un enfant mort précédemment. » Vous n'en savez rien du tout, Christian Merlin ! Même s'il existe des raisons évidentes pour ne pas le faire, il y a tout autant de raisons contraires, et je suis pleinement heureux de porter cette ombre légère sur mes épaules. Je me rappelle avoir beaucoup aimé travailler l'opus 3 de Richard Strauss. Il me semblait y lire, dans la première pièce, dans le déport à l'octave de la mélodie qui semble se dédoubler en s'épanouissant, une merveilleuse manière d'évoquer avec des sons la sensation de vivre une vie qui a déjà été esquissée auparavant, et que l'on fait sienne, dans une grande douceur. Les vies glissent les unes sur les autres et il arrive qu'on éprouve dans un frisson furtif le passage discret de l'une à l'autre : on ne sait jamais si l'on s'appartient vraiment, et c'est dans les échos et les anamorphoses d'une figure inconnue, complexe et pourtant familière qu'on se reconnaît le mieux. C'est au profond des tombeaux et du souvenir que la vie est la plus significative et la plus singulière, au ras de l'inaudible. Faisons attention à ce qui se trouve sous nos pas : c'est souvent nous-mêmes que nous foulons sans y prendre garde. 

On repassera. Quoi qu'il arrive. On a beau avoir le sentiment d'être neuf et original, et unique, on repasse toujours par des chemins empruntés à d'autres que nous, on n'invente rien. C'est pourquoi je crois qu'il est bon d'imiter sans vergogne ceux qui sont plus hauts que nous. De toute façon, nous n'arriverons jamais à faire aussi bien, et c'est donc dans le ratage que nous avons le plus de chance de trouver quelque chose de singulier — par erreur, en quelque sorte, ou par manque d'élan. Quand j'écoute de toute la force de mon âme, j'échoue à entendre, et cet inlassable échec produit un discours que ma naïveté prend pour une invention ; dans l'instant, je crois possible ou même souhaitable d'en informer les autres, jusqu'à ce que la raison me revienne avec la vergogne. 

Je me rappelle les premières fois où j'ai donné des cours de solfège. On parle facilement, en ces commencements là, de la consonance et des notes qui vont se répétant sur toutes les hauteurs, dans toute l'étendue du clavier ou dans l'ambitus d'une voix. On dit que telle note est la même parce qu'elle porte le même nom. Un mi est un mi, qu'il soit grave ou aigu. Mais pour quelqu'un qui n'est pas du tout musicien, qui n'a rien écouté, qui n'est pas habitué à cette référence, c'est complètement faux. Le mi aigu, pour lui, n'est pas la même note que le mi grave. Il sent bien qu'elles ont une proche parenté, certes, mais dire que c'est la même note est un abus de langage que seule l'éducation musicale peut justifier. C'est l'habitude, qui nous fait considérer qu'il s'agit de la même note, c'est un ensemble de références qu'on nomme la Tonalité. Elles portent le même nom et pourtant sont autres. On pourrait parfaitement imaginer des gammes (et un système harmonique) qui n'auraient pas l'octave comme critère absolu (ou indice, je ne sais quel mot convient le mieux), qui commenceraient par un ré et se finiraient par un do. C'est sans doute un besoin de simplification, qui a présidé à ce choix. Évidemment, la musique en serait cent fois plus complexe et bizarre, mais seulement pour nous qui avons été élevés dans le système tonal, que nous prenons pour le seul possible. Si l'on avait parlé du dodécaphonisme à Mozart, il aurait sans doute crié au fou (alors que le dodécaphonisme est mille fois plus simple que le système que j'imagine (peut-être à tort) possible). Il n'est pas non plus fatal d'avoir des gammes de sept notes ou de diviser l'octave en douze parties égales. D'autres cultures que la nôtre procèdent autrement. Bref, on est légitime lorsqu'on se pose la question du même. Tout est une question de dosage et d'échelles, et surtout d'habitudes. Je porte le nom de mon père et je ne suis pas lui, mais peut-être allons-nous, tout au long de notre vie, vers plus de ressemblance avec nos parents, vers moins de singularité, peut-être allons-nous vers un ambitus plus étroit, une voix plus simple. J'y pensais à revoyant mentalement ma mère monter l'escalier de notre maison, à la fin de sa vie : il m'arrive très souvent d'être absolument certain que j'ai exactement la même attitude qu'elle, les mêmes gestes, les mêmes maladresses, la même courbure physique et mentale, comme si vieillir consistait à se déplacer lentement sur une droite qui va finir par rejoindre celle de nos aïeux alors qu'on la pensait parallèle à la leur. Le temps nous amène à renoncer de plus en plus à nous-mêmes. C'est en tout cas comme ça que je vois les choses. Tout ce à quoi nous croyions être farouchement attachés nous paraît moins essentiel, moins constitutif de notre individu. On y tient par orgueil, bien sûr, et parce qu'il nous est désagréable de renoncer, de sembler nous renier, mais on sent bien, au fond de nous, que le cœur n'y est plus, qu'on continue seulement à jouer notre rôle, par habitude et par peur de trouver autre chose que ce qu'on connaît, d'aller vers un inconnu effrayant. Être consonant avec soi-même, voilà toute la pauvre ambition d'une vie humaine. Commencer par un do et finir par un do. Rester au chaud dans l'octave. La contradiction, la dissonance, le changement radical d'échelle et de perspective ne sont envisagés qu'à contrecœur et ne sont le plus souvent que l'indice d'un échec, ou d'un abandon. J'y vois plutôt la chance de découvrir une richesse que peu comprennent, mais dont le soupçon terrorise ceux qu'il effleure, privilège impartageable d'un âge qui nous isole autant de nous-mêmes que des autres. 

Les époques se suivent et se contredisent, sans que jamais le présent ne trouve la juste distance, ou le recul qui devrait être la moindre des choses, si l'on voulait ne pas tomber dans la caricature grossière et le jugement rétrospectif et absolu qui font tant de mal aujourd'hui. On juge du passé avec les mentalités, la culture et la morale d'aujourd'hui, et tout le monde trouve ça normal, et plus que normal : sain. Pas d'autre voie. Comment se fait-il que le ridicule de cette arrogance ne semble effleurer personne, que la simple prudence soit à ce point dénigrée ou plus simplement oubliée ? Peut-être justement que c'est dans l'oubli de nos pères, que gît le mal. Il y a dans Enoch Arden, le mélodrame de Strauss sur un poème de Tennyson, un passage que j'adore, qui se situe dans la quatrième partie (« Tranquillo ») de l'œuvre, où l'on entend le narrateur dire : « No meaning there : She closed the book and slept » (il faut absolument l'écouter dit par Claude Rains, pour entendre ce dont je parle). « Cela ne lui parut rien : cela ne signifiait rien : elle ferma le Livre et s'endormit. » J'ai toujours cette impression, quand j'observe mes contemporains, qu'ils ont définitivement renoncé à lire le Livre qui leur explique ce qui est en train de se passer, car tout a déjà eu lieu. Ils préfèrent s'endormir, plutôt que de savoir, et ils vont répétant comme des ânes : cela n'a aucune signification, on ne voit rien. Bien sûr qu'ils ne voient rien, puisqu'ils ont décidé qu'il n'y avait rien à voir d'autre qu'eux-mêmes et que le regard n'avait pas besoin d'être construit et éduqué. Comme dans le poème de Tennyson, ils sont « sous le palmier » et ils s'endorment, bercés par la rumeur des infos et du présent. Très informés et complètement abrutis, ils ont des yeux et des oreilles par centaines qui ne leur servent à rien, hormis à réverbérer à l'infini ce qu'on entend partout, cent fois par jour, et qui est produit à plein régime par le Spectacle planétaire. Très malins et très cons à la fois sont les spectres que nous croisons cent fois par jour sur les réseaux numériques. 

Il n'y rien d'autre à faire que de reprendre inlassablement au début, de revenir au commencement, de répéter. Quelqu'un m'a envoyé l'autre jour un extrait filmé de la quatrième étude en ut dièse mineur de Chopin jouée par Richter. Je connaissais déjà ce petit film, mais ce qui est revenu en moi, ici, hormis la furie de Richter, qui à chaque fois m'étonne et m'amuse, c'est le souvenir du travail. Comme j'avais aimé travailler cette étude ! Comme on aime l'accumulation de toutes ces notes qui semblent s'empiler les unes sur les autres, jusqu'à former une montagne, comme on en jouit, très physiquement, dans les progrès qu'on fait très visiblement, jour après jour, du seul fait de la répétition. Comme on est fier de ses doigts, comme on a envie de les remercier de nous permettre cela ! Il y a dans cette étude un effet cumulatif très sensible, presque caricatural. C'est comme si Chopin creusait un trou dans le sol et entassait toutes les notes qu'il en retire à un rythme d'enfer. Ça bouillonne de vie ! Il y a là un feu qui nous ronge le ventre et nous dilate tous les organes. On revient et on revient sans cesse au même geste obsessionnel, euphorique, optimiste, c'est une apologie de la double-croche avec des éclats d'octaves. On la surnomme « étude torrent », cette étude qui est loin d'être la plus difficile des deux cahiers, et Richter est l'un des seuls à être capable de la jouer à la fois très vite (trop vite ?) mais sans donner l'impression de survoler les touches comme c'est généralement le cas dans toutes les versions qui veulent aller trop vite (Lisitsa). Elle dure exactement deux minutes, dans les meilleures versions. Pollini, impérial, solide, souverain, classique, reste à mon sens le meilleur, avec Perahia, plus dramatique, peut-être plus ambitieux, dans les dizaines d'interprétations que j'ai entendues (déçu par Arrau, que j'adore par ailleurs, qui en fait quelque chose d'assez terne, sauf peut-être dans la coda). Il faut de la rage, ici, mais ça ne suffit pas, le sens de la forme et celui de la progression sont essentiels. On doit sentir la mutation progressive mais rapide du corps du pianiste. Chopin traite rarement la main gauche  comme s'il s'agissait d'une deuxième main droite, comme c'est le cas ici, idée qu'il a sans doute empruntée à Bach. Les études de Chopin sont des manifestations absolument fabuleuses du travail sur le motif. Contrairement à ce qu'on pourrait croire de prime abord, ce sont vraiment des chefs-d'œuvre de composition, vingt-quatre petits chefs-d'œuvre parfaits qui touchent au but sans tergiversations. Être capable d'aller aussi loin avec des motifs aussi modestes (en général une difficulté ou une idée par pièce) est vraiment la signature des très grands compositeurs. Avec le minimum, obtenir le maximum. J'en parle souvent, mais la chose qui me manque le plus, maintenant que je ne joue plus de piano, c'est justement la répétition. Cette sensation extraordinaire que connaissent tous les instrumentistes du monde, quand ils se trouvent au pied de la montagne — l'œuvre — et qu'ils entreprennent, jour après jour, de la gravir. Il faut parfois des mois ; combien de semaines, pour la Sonate de Liszt, combien de mois, pour la Sequenza de Berio ? Sentir son corps se transformer, petit à petit, pour s'adapter aux difficultés du terrain, le rendre apte à faire des choses qu'il n'avait pas à son répertoire, c'est une sensation grisante que je ne retrouve pas dans l'écriture, malheureusement. En général, j'écris un texte en quelques heures, une journée, deux au maximum. C'est trop court pour ressentir l'effet dont je parle, et puis, surtout, il ne s'agit pas de la même chose : on a beau dire qu'écrire est une activité physique, ça l'est infiniment moins que de jouer du piano ou de la percussion. On voit rarement des écrivains en sueur, à leur table de travail alors qu'on peut perdre un ou deux kilos durant un concert. Le travail musculaire est une joie dont il est difficile de se priver sans avoir la sensation d'une perte irrémédiable. 

J'avais discuté un peu, il y a une quinzaine d'années, avec Agustin Aniévas, élève d'Edouard Steuerman, l'un des plus célèbres pianistes à avoir enregistré (avec quel éclat !) les études dans les années 60, et j'avais découvert un homme charmant et inspirant. Je me rappelle avoir eu envie de lui composer une étude à ma manière (sur les tierces), à l'époque, mais je n'ai jamais osé passer à l'acte. Je sentais déjà que la composition s'éloignait de moi, même s'il restait quelques désirs bien vivaces que je suis parvenu à asphyxier avec un acharnement méritoire. Mon seul mérite, dans cette vie, aura consisté dans tous ces deuils successifs auxquels je me suis appliqué. Ici, au moins, j'aurai fait preuve de sérieux et de constance. Je me demande si tout cela n'a pas un rapport étroit avec ce qu'on nomme « le succès ». J'ai observé ce phénomène, qui me semblait tout à fait mystérieux, durant de très nombreuses années, et je crois avoir enfin compris comment ça marche. Si vous désirez être célèbre, ou même seulement réussir dans votre domaine, il faut en passer par une étape honteuse qui se révèle aussi indispensable que payante. Il faut oser aller trop loin. J'observe, incrédule, mais fasciné, tous ces gens qui ont du succès, et dont on se dit : « Il ne va tout de même pas oser faire ça ! » Eh bien si, justement. Et c'est précisément parce qu'il ose faire ce qu'on trouverait déshonorant, qu'il a du succès. Il ne connaît pas cette barrière morale, ce surmoi terrible avec lequel il est impossible de transiger. Il y va. Il se montre. Il crie plus fort que les autres. Il montre ses muscles. Il fait la roue. Il attrape par la manche. Tout ce qu'on nous avait appris à mépriser, ou, au moins, à trouver suspect. Je ne cherche pas ici à justifier mes échecs, non, ni encore moins à faire porter sur l'éducation reçue une part de mon impuissance constitutive. Je cherche seulement à comprendre, et je ne peux le faire sans comparer avec ce que j'ai vu autour de moi depuis cinquante ans. J'aurais des dizaines d'exemples précis et concrets à donner mais je le ne ferai pas. Ce sont des « danseurs ». Ils aiment qu'on les regarde bouger. 

Je suis tombé il y a peu sur une vidéo d'Étienne Guéreau, à propos d'un certain Sofiane Pamart. J'aime bien Étienne Guéreau, dont je regarde parfois les vidéos, quand il y est question d'harmonie. Ce jeune homme a un réel métier, et il possède une bonne oreille, ce qui n'est pas si fréquent. Je ne peux pas dire que j'aime sa musique, non, je n'irai pas jusque là, mais j'ai appris des choses en l'écoutant, ce qui n'est pas négligeable. L'harmonie dans le jazz est un continent qui m'a toujours fasciné et que j'aurais aimé connaître mieux. J'ai donc regardé cette vidéo il y a quelques jours, vidéo dont je ne m'infligerai pas une deuxième lecture, même si je devrais, pour le sérieux de ce que je vais écrire ici, mais mon masochisme a des limites. Ce qui m'a beaucoup frappé, en entendant Étienne Guéreau « démolir » le pauvre Pamart, c'est toutes les précautions qu'il croit devoir prendre pour donner son avis, et ses multiples proclamations qui tentent à bien établir préalablement qu'il ne « méprise pas » Sofiane Pamart, ni ce genre de musique, ni ceux qui l'écoutent. Ah, la trop fameuse accusation de mépris… Le mépris de classe, le mépris intellectuel, le mépris culturel… Le snobisme… On peut dire qu'on connaît ça sur le bout des doigts, et depuis plus de cinquante ans. C'est un peu comme ces gens qui commencement toutes leurs phrases par « Je ne suis pas raciste mais… ». Ils ont bien appris la leçon. On ne peut pas parler librement si l'on ne commence pas par établir avec un sérieux de plomb (et un ridicule de singe) et tous les certificats afférents qu'on ne méprise personne, ni aucun genre, que ce soit dans le cinéma, dans la littérature, la musique, ou quoi que ce soit. « Il n'y pas de mauvais genres ! » (ou alors, mais c'est finalement la même chose : le mauvais genre est le seul bon genre). Il se trouve qu'hier j'ai vu passer sur les réseaux une citation de Yann Moix qui disait en substance qu'il méprisait les adultes de plus de vingt-cinq ans qui jouaient au jeux vidéos. Ouh là là ! Il veut se faire crucifier, lui ! Eh bien oui, je lui donne tout à fait raison, et je n'ai même pas honte. Pour revenir à Pamart, et cela, Étienne Guéreau le dit très bien, ce n'est pas qu'il fasse de la soupe, qui est nouveau, nous avons connu Richard Clayderman, André Rieux, Saint-Preux, bien d'autres dans les années 60 et 70, et nous savons très bien ce que cela signifie. Ce qui a changé, en revanche, c'est qu'aujourd'hui, ces gens-là sont pris au sérieux (ils sont invités sur France-Culture ou France-Musique), du moins par une part très importance de la population et des médias, alors qu'au temps de notre jeunesse, ils faisaient rire tout le monde, et qu'il suffisait de quinze secondes d'écoute à n'importe qui pour savoir à quoi s'en tenir. Désormais, il faut qu'un Étienne Guéreau fasse une vidéo de trois quarts d'heure pour nous expliquer en quoi c'est de la merde, en s'entourant de tout un tas de précautions oratoires indispensables. C'est là qu'on voit très concrètement l'effondrement culturel et civilisationnel dans lequel nous crevons à petit feu. Le mépris du mépris est une catastrophe, c'est même le point nodal vers quoi tout converge ou d'où tout provient. Le mépris du mépris, ça donne Sofiane Pamart. À quand une chaire à l'université pour expliquer en quoi la soupe est de la soupe ? Évidemment, quand on a méthodiquement détruit l'oreille, le regard et les sens de toute la population, il faut sans doute en passer par là. Mais ce sera sans moi. Renaud Camus explique très bien ce qui s'est passé depuis quarante ans, je ne vais pas refaire ici sa démonstration en moins bien (ce qu'il appelle le Petit Remplacement), mais j'insiste comme lui sur le fait que la musique (le changement de définition de la musique) a bien été l'indicateur premier du Désastre, l'alerte inaugurale, le Signe, et cela, je peux dire que je l'avais compris il y a très longtemps, quand je fréquentais encore le milieu de la musique. Dès l'enfance, j'ai entendu cette accusation. Un peu de tolérance, tu es trop méprisant ! Je ne sais pas exactement ce qui m'a permis de résister à ces objurgations, mais ce que je sais est que j'ai éprouvé parfois la tentation d'y céder, pour avoir la paix. Qui ne veut pas de la paix ? Il est plus facile d'aimer Pamart que Boulez, du moins c'est ce que je crois comprendre en observant les gens autour de moi. Mais il faut être cohérent. Si un Pamart a doit de cité sur France-Musique, alors il ne faut pas se plaindre de la violence dans les rues et à l'Assemblée nationale. Mes adorables voisins m'ont demandé l'autre jour ce que j'en pensais, de ce pauvre garçon. Je n'ai pas eu besoin de développer, un regard a suffi. Et quand j'entends Étienne Guéreau parler du « Chopin facile », ou quelque chose comme ça, les quelques cheveux qui me restent se dressent sur ma tête. Le rapport avec Chopin, je dois avouer très humblement que je ne le vois pas, ni ne l'entends. Mais c'est sans doute parce que j'ai une moins bonne oreille qu'Étienne Guéreau. Tous les Sofiane Pamart du monde ont écrit sur leur visage et sur leurs biceps : « Musique ». On n'est tout de même pas obligé de les croire sur parole, ces pauvres bougres. Qu'ils aillent se faire tatouer chez les Grecs. Je retourne à mes études de Chopin (par Cortot, qui n'a rien à voir avec Corto Maltese, il faut tout préciser, aujourd'hui). 

J'écris cela sous le regard de Jérôme, le Précédent, si beau dans son berceau, le huitième d'une famille de sept enfants, lui que je n'ai pas connu et qu'il me semble connaître si bien, et si je parle de son regard alors qu'il a les yeux fermés, sous son immense front bombé, c'est que toute la douceur de son être me parvient encore depuis les années 40. 

jeudi 1 juin 2023

Studio


 

Machin machine. Oui et non. Je n'ai jamais été aussi heureux que lorsque j'avais un studio. Cette pièce, que j'ai aménagée dans toutes les maisons que j'ai habitées, dans laquelle se trouvait mon piano et mes machines. Des instruments. J'étais Machin avec mes machines, et je machinais. Travailler, c'était ça : machiner. Le studio, ça remonte à l'enfance. À la maison, il y avait cette pièce qu'on appelait « le studio », qui était en réalité une sorte de petit salon, un salon bis dans lequel mon père écoutait de la musique. Il y avait ses violons, et il y avait une chaîne Hi-Fi, et un magnétophone, plus tard un orgue. Vivre parmi des instruments, ç'a été le grand fantasme de ma vie, toujours. À Chavanod, à Maclamod, à Valliguières, à Paris, puis à Rumilly, puis à Vézénobres. Les machines et l'homme. Il y avait eu le studio de l'X-Tet, à Thônes, dont j'ai encore les odeurs en tête : les instruments attendant que les membres de l'X-Tet viennent les prendre. Cette pièce qui symbolisait le bonheur. Des petites femmes attendant que les hommes viennent les prendre. On allumait les amplis, on branchait les micros, on s'assoyait au milieu de cette forêt de corps chantants. On pouvait y aller n'importe quand, dans l'après-midi ou en pleine nuit, le matin. Se mettre devant la batterie, devant le piano, devant les machines, et chercher. Le salon et le studio, un aller-retour permanent. J'ai encore un studio, ici, mais je n'y mets plus les pieds. Je travaille au lit, ou dans mon bureau, ou au salon. Les machines dorment. Je travaille avec un cahier et un stylo, ou avec un ordinateur portable. Solitude, toujours. Mais elle a changé de visage. Il n'y a plus que les mots, je n'ai plus que les mots et la page à ma disposition, alors que j'avais des tonnes et des tonnes de claviers, de synthétiseurs, d'échantillonneurs, de bandes magnétiques, de patchs, d'écrans, d'interfaces, de câbles, de baffles, de casques, de caméras, d'appareils photos, d'objectifs, de banques de sons, de micros, de traités, et les quatre bibliothèques, la musicale, la médicale, la psychanalytique et la poétique. Je me rends compte que dans le studio, il y avait (il y a encore) la musique, la médecine et la poésie. Le corps et les mots. Et la solitude, bien sûr, sans laquelle rien de tout cela n'aurait été possible. Dire « je ». Pour pouvoir dire « je », il faut passer par l'absence, il a fallu passer par les machines, par cet éloignement, par ces abstractions, par les traités, par les modes d'emploi. Et le café et la cigarette. Les partitions, les photos et les disques durs, les dossiers et les rames de papier — les armes. J'aurais aimé rencontrer une Anne-Marie Miéville. Oui et non. L'art et le dialogue, la vie et le visage. On oublie tout, on n'oublie rien. C'est ça, la vie, cette constante superposition à double vitesse de l'oubli et de la mémoire. D'un côté, on est au studio, seul, enfermé, et d'un autre côté, on a un corps qui vit de tous les autres corps qu'il a connus, rencontrés, pénétrés, aimés. Et l'on dit « je », plus ou moins tranquillement. Dans mon cas, pas beaucoup de tranquillité… Du monde me parviennent les bruits, assourdis, filtrés. C'est ce que j'ai aimé dans la musique concrète : un manuel érotique pour les moments où les mots doivent rester à leur place. Il y a eu un antécédent au studio, c'est le labo. Le labo de mon père, à la pharmacie, ce lieu que j'aimais tant, c'était la pré-histoire du studio. Ce n'était pas les sons, ni les mots, qui ici se confrontaient à mon corps, mais les substances chimiques et les objets, ce n'était pas le magnétophone mais le microscope et le bec Bunsen. Oui, c'est ici, c'est la première expérience de la solitude appliquée à la recherche. Et puis, assez vite, il y a eu le labo photo, au sous-sol de la maison, les images qui émergent du révélateur, et qui sèchent sur des fils. Par les produits chimiques, nous étions passés aux images, avec la formidable irruption du nu, qui lui aussi avait l'air de sortir d'une révélation. La nudité a sans doute été la plus extraordinaire révélation de mon adolescence, celle dont je ne me suis jamais remis. Sous le réseau des expérimentations artisanales, chimiques, visuelles, sonores, puis textuelles, il y aura toujours ça : la nudité. C'est le substrat muet mais fondamental. Et l'on dit « je », d'abord en se cachant, bien sûr, puis en se cachant de moins en moins. J'ai envie de leur tendre un miroir, à ceux que je croise, mais je vois bien que ça ne les tente pas. La nudité ça ne les regarde pas, dirait-on. Ils sont constamment habillés d'eux-mêmes (habillés, pas habités). Ils traversent la vie sans s'arrêter sur leurs rêves. Tout leur est volé et ils n'ont pas l'air de s'en émouvoir. Ils continuent d'avancer jusqu'au précipice, sans mesurer les distances ni écouter le temps présent. C'est bien ce qui me frappe le plus, ça, qu'ils n'écoutent pas, jamais, qu'ils passent à travers sans entendre. Ils se consolent en faisant des enfants, ils espèrent sans doute que l'enfant écoutera pour eux, mais l'enfant est comme eux, exactement comme eux, il n'a pas plus de temps, et de moins en moins. Les gens ont un trou dans le visage, et il y a des paroles qui en sortent, mais ces paroles, le plus souvent, ne leur appartiennent pas, ou alors la nuit, dans la douleur et la solitude, quand on n'y est pas. Je suis un homme fini qui n'a pas encore commencé : Machin machine dans le temps. Ça fait des boucles et des phrases, et puis des sons que personne n'entend. Montrer l'incroyable. Dès qu'on pense qu'on a compris une fenêtre se ferme. Montrer et monter. Il y en a qui disent : « J'ai bien dormi. » quand on pourrait dire : « J'ai bien écrit. » J'ai des silences dans la bouche, et même des doubles-silences. Dormir la bouche ouverte de silences, et ça s'écrit tout seul, ça sort des trous. L'histoire n'est faite que de ruines et de corps nus travestis en personnages. Un siècle après l'invention du cinéma, il aurait fallu y renoncer, mais comme toujours on s'est obstiné dans la platitude et on a continué à fermer des fenêtres : c'est la règle. Les studios ont été pris d'assaut par des imbéciles sans mémoire, ils en ont expulsé les poètes, et ils ont prétendu qu'ils étaient l'exception. C'est encore la règle. Les gens ont un trou dans le visage. Ils se laissent voler leur vie, et même leur absence, et même leur sexe. Oui et non. C'est toujours le temps de l'énigme, plus que jamais. Il faut tout recommencer encore une fois. Elle m'envoie un petit film où elle fait un strip-tease sur une chanson de Jean-Louis Murat. Il faut tout recommencer à zéro, ou presque. C'est splendide. Plus tard aussi les espérances s'embraseraient de nombreuses fois.

jeudi 16 mars 2023

Infinis

Neuf fois et demie sur dix, je dépose ici des textes dont je sais parfaitement qu'ils ne sont pas finis. Je les dépose juste avant que d'en arriver au point central, à leur centre de gravité, à ce point qui donne accès – c'est en tout cas ce que je crois – à l'essentiel d'un texte. Et alors je les publie, vite, je m'en débarrasse, comme si j'avais peur de ce que j'allais trouver – ou ne pas trouver –, je les donne à lire, comme si la lecture d'autrui me soulageait, m'évitait le pire (chercher ?). Ce n'est pas une figure esthétique, je ne le fais pas dans l'espoir d'obtenir un effet (d'inachevé, d'ouverture, de fragment…) qui serait bénéfique au texte lui-même, pas du tout, c'est une fuite, c'est un échec. Je ne vais pas au bout. Je porte l'eau à 95° mais je retire la casserole du feu juste avant que l'eau ne bouille. Il est possible que je ne fasse cela que parce que je sais qu'alors le texte changerait de nature, passerait d'un état liquide à un état gazeux. Et qu'il faudrait alors le suivre, aller là il veut aller…

Il arrive aussi que je laisse un texte "en l'état" parce que mes capacités intellectuelles m'interdisent de poursuivre, même si je sais que je ne suis pas allé jusqu'au bout de mon raisonnement. On me dira qu'alors je ne devrais pas le proposer à la lecture, et je suis tout à fait d'accord avec cette critique. Cependant c'est ce que je fais. J'attends peut-être un miracle ? Que la lecture par autrui de ce texte provoque quelque chose en moi ? C'est arrivé. Mais la plupart du temps ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Le texte "publié", même inachevé, devient autre chose qu'un brouillon qu'on laisse dans un tiroir. Il acquiert une sorte d'autonomie qui lui fait dire autre chose que ce pour quoi j'avais commencé à l'écrire, et je me dis alors que sa nouvelle vie me donnera envie d'y revenir. Ce n'est pas toujours le cas, loin de là. 

(…)

mercredi 17 août 2022

Raconter l'inénarrable

Raconter un rêve est une chose impossible, c'est entendu. Le verbe "raconter" le dit bien. Le rêve s'oppose à l'histoire. La narration et le rêve sont des éléments presque complètement incompatibles, car les temps, dans le rêve, ne s'excluent pas les uns les autres. Il n'y a pas du présent, puis de l'imparfait, puis du passé simple, puis du futur ou du futur antérieur, puis du conditionnel, il y a des empilements ou des emboîtements de temps contradictoires qui sans cesse nous déroutent, au sens propre. Alors que la narration implique que les temps soient chacun à leur place, pour que les verbes puissent fonctionner comme des verbes. Il faudrait peut-être mettre tous les verbes à l'infinitif, les annuler ou les barrer, ou les mettre entre parenthèses, en tant que verbes, et voir ce qui se passe ? (Il est possible que les catégories de notre grammaire (verbes, substantifs, conjonctions) soient caduques, dans le monde du rêve, ou du moins qu'elles se fondent dans une structure molle, qu'elles se liquéfient, que des éléments de l'une passe silencieusement dans une autre.) Cela deviendrait très vite incompréhensible, pour celui qui lit la transcription du rêve, mais ce serait sans doute plus juste. Les verbes d'action, dans un rêve, sont seulement des pivots, des poteaux indicateurs, des forages vertigineux, des points où le temps s'enroule sur lui-même et démontre que nous nous situons dans un pays qui n'a pas les mêmes lois que celui que nous habitons durant la vie diurne. Un verbe au présent peut très bien masquer une action au futur, le conditionnel et l'indicatif se conjuguer pour produire un mode inconnu de nous. En quelque sorte, on pourrait dire que le temps se contredit lui-même, et nous perd — soit que nous n'arrivions pas à le suivre, dans ces dimensions paradoxales, soit que nous le semions en route, car notre temps, celui que nous connaissons, ne prend jamais le temps de s'arrêter. Il file en ligne droite sur une voie unique. 

Pourtant, raconter un rêve n'est jamais une perte de temps, car la logique du discours et de la langue nous confronte au paradoxe profond qui nous habite sans que nous en soyons conscients. Tout notre être est bâti sur un paradoxe profond, sur un paradigme paradoxal que nos yeux et notre pensée ne sont pas en mesure d'apercevoir. Trop d'habitudes, trop de sensations, et trop de discours (la science, la morale, la culture) le rendent indécelable, alors que sans doute il est le plus agissant, dans notre vie. C'est justement quand nous ne parvenons pas à raconter un rêve qu'apparaît sa structure, et, en miroir, celle qui nous fonde. 

mercredi 22 juin 2022

Bander à Bandol (la chanson)


(…)

Sans l'effroi, le sexe n'est pas grand-chose. C'est une chose qu'on sent bien, quand on écrit, ça. Peut-être aussi quand on n'écrit pas. Mais écrire, c'est décoller l'effroi du désir, ou plutôt l'inverse, c'est les séparer artificiellement à l'aide des mots. Tout le monde ment, oui, mais on peut mentir avec plus ou moins d'intelligence érotique, et le sexe est une caisse de résonance pour les mots. Nous cherchons dans le sexe une autre direction que celle des jours, que celle du mouvement de la vie claire, et il arrive qu'on la trouve, mais cette direction n'a pas d'épaisseur, sans les phrases, elle reste muette et poisseuse. Le monde que Clara me laisse entrevoir est un monde d'où la sexualité a été rejetée aux marges, non pas parce qu'elle serait un péché, ou qu'elle serait immorale, mais plus simplement parce qu'elle a raté son examen d'entrée dans la société-générale de pénurie qui se donne des airs de grandiose sauvetage. Toutes les issues sont condamnées, je crois. On ne rentre plus. On ne sort pas. L'effroi, qui était jusqu'alors une sorte d'arrière-pays très-haut terrifiant que nous pouvions par moment observer, est désormais à l'intérieur de nous, au centre, au fond, il a pris la parole et il ne la lâche plus, il fait même taire tout ce qui n'est pas lui, car c'est une grande gueule infâme. La lenteur, le secret, le silence, la distinction, c'est pas son truc. Pour le dire simplement, l'effroi a changé de signe : de noble, il est devenu ignoble. Encore un pan de l'être qui s'écroule sans que personne ne s'en avise. Tout ce qui les intéresse, c'est la température des pôles, les chiffres, les courbes des ventes et la survie éternelle. Encore une saloperie de mot qui a changé, incognito, l'effroi. C'est plus que le grand chagrin qui boîte, pénible, dans le boucan dégueulasse des minables humoristes. Plutôt la gangrène ! Et le sexe va se planquer, qui titube de honte non bue. Mais qu'on nous rende notre bon vieux cul, merde ! Le monde des chattes bien poilues, bien humides et bien mijotées dans les culottes de coton blanc, du whisky et des ballades jouées par John Coltrane. Au moins celui-là ! Ça devrait pas être si compliqué, non ? Je veux bander encore un peu, moi. J'y ai droit ! 

(…)


File-moi ton obole,

Ma belle Fernande,

Que je me gondole 

Comme une légende

Sur mes pauvres guiboles. 


C'est à Bandol

Que je bande.

C'est une farandole

Au goût d'amande,

Mais je dégringole

Et j'en redemande.


Mets-moi la camisole

Qu'on danse la sarabande,

Et verse tout l'alcool 

Avant que j'en redemande.

(Dans son faux-col

Il se réprimande.)


J'en ai ras le bol

Et je débande !

Il me faudrait deux bémols

Par-dessus la viande

Pour que ça me console

De la sale gourmande.



samedi 16 avril 2022

vendredi 15 avril 2022

jeudi 10 décembre 2020

Début

 Parmi tous les débuts de roman que j'ai écrits, je pense que celui-ci est le meilleur. Pour l'instant.


— Écrivez-moi une saloperie.

— Voulez-vous savoir de quoi j'ai envie, là ?

— Oui s'il vous plaît

— Je vais vous le dire.

mardi 9 janvier 2018

Carnets d'Yves Nat (2)


Le génie est une longue impatience.


vendredi 1 juillet 2016

30 CH



Je lis de plus en plus souvent le mot "audiophile", dans des commentaires ou même des textes sur la musique. Comment en est-on arrivé à substituer au classique "mélomane" ce terme absurde d'"audiophile" ? L'audiophile est celui qui aime le son. Le son n'est évidemment pas la musique, pas plus que les mots et les phrases ne sont la littérature.

Eh si, justement ! Aujourd'hui, la musique, c'est du son, c'est "le son". Le son c'est de la musique, si l'on veut, mais une musique d'où est absente sa composante fondamentale : la pensée. Il est donc tout à fait logique que l'on nous parle désormais des "audiophiles", en lieu et place des mélomanes qui, il faut bien le dire, se font si rares qu'ils n'ont même plus une station de radio qui leur est dévolue.

De mon temps, les "audiophiles" étaient ces gens un peu ridicules qui dépensaient des fortunes dans du matériel audio de très haute qualité. Je m'en souviens parfaitement, car un de mes frères ainés était de ceux-là. Plus ils faisaient attention à la qualité du son, ces audiophiles, moins ils écoutaient… la musique. Il s'agit là typiquement d'une perversion. On perd de vue (d'ouïe) la substance de la musique, pour n'en conserver que l'enveloppe.

Mais les choses ont tellement évolué qu'on ne doit même plus comprendre ce dont je parle. J'ai eu hier, sur Facebook, une discussion tout à fait hallucinante avec une dame qui me parlait du pianiste Polnareff, et qui voulait à tout prix me persuader que celui-ci donnait des concerts, « de la même manière qu'une Callas ou qu'une Montserrat Caballé »… Quand les mots perdent à ce point leur sens, il n'y a plus de conversation possible.

Un berger, j'imagine, aime sans doute beaucoup le son qui l'entoure, quand il mène ses bêtes dans les pâturages ; et je ne peux que lui donner raison. Les sons de la nature sont la plupart du temps très beaux, mais la musique c'est autre chose, puisqu'il s'agit d'une construction humaine. Qui dit construction dit pensée, dit composition (au sens strict : poser avec, à côté, mettre des sons en rapport les uns avec les autres, et de ces rapports, tirer un sens, un langage, des images). Qui dit composition dit donc relations. Si vous ne savez pas mettre des sons (et des sens) en relation les uns avec les autres, vous ne savez pas composer, de la même manière que si vous savez pas mettre des phrases (et des sens) en relation les unes avec les autres, vous ne savez pas écrire. Peu importe le son, peu importent les mots, dans un premier temps c'est le sens qui importe. Qu'il existe une composante hédoniste dans la musique est indéniable. On peut parfaitement prendre du plaisir, un plaisir passif, à la beauté des sons, des accords, des timbres instrumentaux, des dynamiques, mais l'on sait bien, et le compositeur le tout premier, que l'essentiel n'est pas là. Pour la beauté des sons, encore une fois, point n'est besoin d'instruments ni de compositeur, la nature pourvoit à notre bonheur. Seulement elle parle dans un langage qui n'est pas le nôtre — et c'est là son principal attrait. 

Le force de la musique, c'est qu'elle exige de nous une volonté. Être entouré de la plus belle musique du monde ne sert à rien si vous n'avez pas la volonté de l'écouter, puis de l'entendre. Elle ne se donnera pas à vous si vous ne faites pas l'effort d'aller vers elle. On dit en général qu'il faut une dizaine d'années pour faire un instrumentiste accompli (je pense qu'il faut beaucoup plus, mais peu importe), mais je suis certain qu'une vie ne suffit pas à faire de quelqu'un un écouteur de musique accompli. Heureusement, nous vivons plusieurs vies, grâce à une chose fondamentale dont tous cherchent aujourd'hui à nous débarrasser : l'héritage. Le goût et les aptitudes se déposent lentement dans la généalogie d'un individu. Ça laisse des traces… Il n'y a pas d'art possible dans un monde de la table rase. La volonté est nécessaire mais pas suffisante, il lui faut encore un terrain sur lequel s'inscrire, et ce terrain, ce sont les traces laissées par notre ascendance. 

Le son n'est donc qu'un vecteur. Il peut être vivant ou il peut être mort. La musique est l'art qui rend les sons vivants, elle s'adresse donc à des êtres vivants, qui restent vivants malgré la très puissante injonction incessante à être mort. Conduisez-vous comme des morts, aimez comme des morts, votez comme des morts, vivez comme des morts. La variété, la chanson, le rock, la pop-music, le rap, la techno sont des choses mortes qui s'adressent à des morts qui s'ignorent. Et la mort s'étend sur le paysage… Parfois, ici ou là, on en voit un qui se réveille, qui se frotte les yeux, et qui ne comprend pas ce qu'il voit. Il se sent un peu seul…

dimanche 7 décembre 2014

Première ligne (interlude)


« J'ai toujours espéré, en lisant les livres des autres, que ceux-ci ne me diraient pas ce qu'ils avaient déjà lu dans les journaux, et qui est systématiquement grotesque ou monstrueux, ou les deux ; mais ils ne disent presque toujours que cela, et ils ne s'en rendent même pas compte. »

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vendredi 21 novembre 2014

L'hypertrophie de l'âme


Un texte qui serait construit à la manière du Boléro de Ravel, comme dans celui-là les sonorités (les voix ?) s'ajoutant les unes aux autres, les instruments les uns aux autres, pour former des timbres. Deux "phrases", répétées neuf fois chacune, et dont les "personnages" seraient à chaque fois différents (et plus nombreux). Un unique trajet, un grand crescendo, puis une brève modulation, et enfin une chute, un effondrement. Quelle serait la nature des deux "phrases" ? Serait-ce des thèmes, des descriptions, des actions, des idées, des citations prises au hasard, des structures abstraites ?

L'autre jour, en me levant, j'ai allumé la radio et j'ai entendu la cantate "Wohl dem, der den Herren fürchtet" d'un compositeur du XVIIe que je ne connaissais pas, Nicolaus Bruhns. La beauté de cette musique (vocale) m'est apparue comme ordinaire, presque banale. J'ai réalisé alors que sans doute tout n'est que décadence depuis les origines. La beauté était l'ordinaire, et elle est devenue l'extraordinaire.  Plus la science progresse plus l'art régresse. Cela ne donne que plus de force à ceux qui osent résister à cette pente fatale et qui, rarement, parviennent à produire un chef-d'œuvre qui échappe à la puissance exorbitante du Démon.

Il y a peu, sur Facebook, j'ai déposé cette page de Cioran :

Si, dans l'ordre de l'esprit, nous voulons peser les réussites depuis la Renaissance jusqu'à nous, celles de la philosophie occidentale ne nous arrêteront pas, la philosophie occidentale ne l'emportant guère sur la grecque, l'hindoue ou la chinoise. Tout au plus vaut-elle sur certains points. Comme elle ne représente qu'une variété de l'effort philosophique en général, on pourrait, à la rigueur, se passer d'elle et lui opposer les méditations d'un Cankara, d'un Lao-tse, d'un Platon. Il n'en va pas de même pour la musique, cette grande excuse du monde moderne, phénomène sans parallèle dans aucune autre tradition : où trouver ailleurs l'équivalent d'un Monteverdi, d'un Bach, d'un Mozart ? C'est par elle que l'Occident révèle sa physionomie et atteint à la profondeur. S'il n'a créé ni une sagesse ni une métaphysique qui lui fussent absolument propres, ni même une poésie dont on pût dire qu'elle est sans exemple, il a projeté, en revanche, dans ses productions musicales, toute sa force d'originalité, sa subtilité, son mystère et sa capacité d'ineffable. Il a pu aimer la raison jusqu'à la perversité ; son vrai génie fut pourtant un génie affectif. Le mal qui l'honore le plus ? L'hypertrophie de l'âme. Sans la musique il n'eût produit qu'un style de civilisation quelconque, prévu... S'il dépose donc son bilan, elle seule témoignera qu'il ne s'est pas gaspillé en vain, qu'il avait vraiment quoi perdre.
Et, bien entendu, tout le monde a "liké"… Pourtant je sais bien que personne ne le pense. Cette contradiction (ce mensonge ordinaire) mériterait d'être étudiée…

dimanche 7 septembre 2014

Le Souper de catins (promo)



— Georges, votre avant-dernier film montrait très en détail la manière dont vous lacez vos souliers. Est-ce lié à un souvenir d'enfance ?

— [Pleurs] Non, je n'ai pas de souvenirs d'enfance.

— Rien ? Pas de gifles, de chagrins, de trous de serrure ?

— Rien. J'ai dû être très heureux, certainement. N'ayant eu ni parents, ni frères et sœurs, ni poupée, ni abonnement à la piscine, ni déguisement de Paul Claudel, j'en déduis que tout s'est bien passé.

— En somme, une vie déjà ordonnée ?

— Oui, voilà. Rien, l'ordre.

— Ce film-ci, pourtant, est plus discursif que le précédent.

— [Pleurs]

— Je disais cela parce que nous sommes à la radio. Néanmoins…

— C'est très intéressant, ce que vous dites là. Oui, mes films sont très construits, mais, sans images, ce qui leur donne une puissance d'évocation bien supérieure à la moyenne, forcément. Pour autant, je n'irais peut-être pas jusqu'à vous suivre. Mon précédent très-long-métrage était infiniment discursif, il m'étonne que cela vous ait échappé.

— Mais pourquoi montrer Irène éviscérée, durant ce long plan (1 heure 40 minutes) ? N'auriez-vous pu vous contenter d'une "photographie" ?

— Je ne fais pas de thriller. Et je n'ai jamais montré ce que vous dites. Votre interprétation est politiquement indéfendable. Mais surtout, la présence de photographies dans mes films serait considérée par mes spectateurs comme une entorse parfaitement inutile à une règle qu'ils ont acceptée depuis l'origine.

— Vous avez sans doute raison, mais tout de même, permettez-moi d'insister, pour le plaisir de la controverse. L'autre séquence, où l'on voit Faconde Norwest en train de masturber longuement un hippopotame mort était-elle dès l'origine dans votre script, ou bien avez-vous voulu faire plaisir à votre comédienne ? On vous dit pourtant totalement insensible aux désirs des acteurs…

— Je le suis, mais Faconde est tout de même ma cousine.

— Elle semble avoir une place très singulière dans votre œuvre, cette Faconde…

— Je vous crois ! Savez-vous que je lui verse une pension alimentaire ? Cela étant, je ne crois pas qu'il faille à tout prix personnaliser les enjeux comme vous le faites. Faconde, si vous voulez, c'est "le Théâtre" dans mon cinéma.

— Je ne suis pas sûr de vous comprendre.

— Je suis très intéressé par le théâtre, mais je trouve que ça parle trop fort, là-bas. Faconde étant muette, il me semblait que c'était un bon moyen d'introduire cet élément "instrumental" dans mon cinéma. Le corps de Faconde (disons-le comme ça), si vous voulez, ce sont les trois à-coups de mon désir perdu. Je ne veux pas perdre le contact avec l'humain.

— On sent bien que c'est essentiel, cette dimension, chez vous.

— C'est également la raison qui me pousse à abandonner de plus en plus toute bande son. Je ne veux pas polluer le discours de ces corps par une musique superfétatoire. Ne pas les montrer ne suffit pas à les préserver de la main-mise un peu fasciste du spectateur — qui ne peut s'empêcher de faire jouer son imaginaire : encore faut-il que ce qu'il voit ne soit pas ce que je montre. Pour cette raison, mes non-bandes-son (en ce qu'elles défont par leur absence la présence des corps absents) sont un des éléments constitutifs de mon langage cinématographique. L'humain, voyez-vous, ce n'est pas ce qui n'est pas non-humain, c'est précisément ce qui est humain, quand cet humain n'existe que dans son inexistence même.

— Peut-on parler de dépassement du dépassement ?

— Je le crois. Je ne m'intéresse pas à la radicalité, voyez-vous. Enfantillages, que tout cela. Si je fais du cinéma sans images et sans son, c'est uniquement parce que mon langage s'est séparé dès l'origine du principe binaire que cautionnent les entreprises à la Luc Moullet ou Adrien Cataténon. Je ne cherche pas à trouver, je trouve à chercher ce que je n'ai pas perdu. Étant sans souvenirs, ça prend un certain temps. Mais j'ai confiance : j'ai une mémoire d'éléphant.

— Avez-vous peur, parfois ? Peur du passé, peur de ne pas aimer, peur de recouvrer la vue, peur des enthousiasmes de Faconde Norwest ?

— Il m'arrive d'avoir peur, mais c'est seulement quand je viens sur mon blog.

— Merci, Georges.


mercredi 20 août 2014

Dragon de l'inutile


Chaque matin il se lève très tôt, afin d'avoir une longue journée de beau labeur devant lui. Il s'asseoit à sa table de travail, heureux à la perpective enivrante de ces longues heures qui vont lui permettre de mener à bien les mille travaux qu'il a en tête. Une fois bien installé, il attend. Il n'attend pas sans rien faire ; il attend en se délectant activement de ces bonnes et bienheureuses longues heures qui vont lui permettre de réaliser les neuf cent quatre-vingt-dix-neuf projets qu'il a en tête. 

Les heures s'écoulent sans qu'il s'en aperçoive tellement il est pris par le plaisir intense d'attendre le moment où il va se mettre au travail…

Enfin arrive l'heure du déjeuner. Il lui est nécessaire de se restaurer après ces longues heures passées à attendre le moment propice. 

Une fois son déjeuner pris, il va se reposer un peu, car la digestion le fatigue. Là il sombre dans un profond sommeil durant lequel il rêve abondamment. Il rêve qu'il dispose d'un capital illimité d'heures de travail qui vont lui permettre de mener à bien les travaux infinis qu'il a en tête…

En se réveillant de la sieste, il s'aperçoit que le jour a décliné, mais il est heureux car il pense à la longue soirée qui lui reste, soirée durant laquelle il va pouvoir avancer dans son travail. Mis en appétit par cette heureuse perspective, il fait un excellent dîner, qu'il arrose de vin fin. 

« Tout va bien ! » se dit-il gaiement. Et il s'installe à nouveau devant sa table de travail. Et il se met à écrire : 

*

 ǝɹıɹɔé à ʇǝɯ ǝs lı ʇǝ ˙lıɐʌɐɹʇ ǝp ǝlqɐʇ ɐs ʇuɐʌǝp nɐǝʌnou à ǝllɐʇsuı,s lı ʇǝ ˙ʇuǝɯǝıɐƃ lı-ʇıp ǝs « ¡ uǝıq ɐʌ ʇnoʇ »

 ˙uıɟ uıʌ ǝp ǝsoɹɹɐ lı,nb 'ɹǝuîp ʇuǝllǝɔxǝ un ʇıɐɟ lı 'ǝʌıʇɔǝdsɹǝd ǝsnǝɹnǝɥ ǝʇʇǝɔ ɹɐd ʇıʇéddɐ uǝ sıɯ ˙lıɐʌɐɹʇ uos suɐp ɹǝɔuɐʌɐ ɹıoʌnod ɐʌ lı ǝllǝnbɐl ʇuɐɹnp ǝéɹıos 'ǝʇsǝɹ ınl ınb ǝéɹıos ǝnƃuol ɐl à ǝsuǝd lı ɹɐɔ xnǝɹnǝɥ ʇsǝ lı sıɐɯ 'éuılɔép ɐ ɹnoɾ ǝl ǝnb ʇıoçɹǝdɐ,s lı 'ǝʇsǝıs ɐl ǝp ʇuɐllıǝʌéɹ ǝs uǝ

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mardi 5 août 2014

À vendre !


Gloria's Step (peinture sur miroir) 30 x 70 cm


Autres tableaux & estampes numériques

mardi 29 juillet 2014

À propos de Michelangeli


Alberto Neuman, pouvez-vous nous parler de l’enseignement que vous avez reçu en Argentine ? 

J’adorais mon professeur de piano, Galia Schalman, avec qui je suis resté onze ans. Elle était une élève de Vincenzo Scaramuzza qui représentait l’école dominante en Argentine et à qui j’allais jouer mes programmes lorsqu’ils étaient plus ou moins prêts ; elle avait aussi pris des leçons avec Ricardo Vines qui a longtemps habité en Argentine. Scaramuzza insistait sur la perfection technique. Il donnait des études sur les systèmes d’articulation, sur les muscles. J’aimais beaucoup son toucher. Il jouait parfois pendant les leçons qui pouvaient durer des heures car il les poursuivait jusqu’à ce que le problème auquel il s’était attaqué soit résolu ; on appelait sa salle d’attente « l’agence matrimoniale » ! Galia Schalman était une femme extraordinaire. Elle me menait souvent au zoo pour regarder les animaux. Pour l’étude du legato, il fallait voir comment se déplace le serpent et faire corps avec le clavier comme le serpent avec la terre. Chaque animal, avait une symbolique dans la technique. J'ai travaillé également la composition avec le professeur Giacobbe qui a assisté quotidiennement Michelangeli lorsqu’il fut hospitalisé à l'hôpital italien de Buenos Aires. Giacobbe était le "Léonard da Vinci" de l'Argentine. Il fut compositeur, poète, peintre, philosophe, mathématicien et j'en passe ; il avait dirigé le Teatro Colon et le Conservatoire National pendant la période péroniste. 

Des artistes étrangers venaient-ils alors en Argentine ? 

Il y avait beaucoup d’émigrés qui avaient dû fuir l’Europe à cause de la guerre et j’ai pu étudier l’analyse avec Erwin Leuchter, un élève de Schönberg. Son enseignement m’a marqué pour la vie. Je me rappelle avoir rendu visite à Manuel de Falla avec son dernier biographe, Jaime Pahissa, qui fut mon premier professeur d’harmonie. De Falla habitait, avec sa sœur, à Cordoba, dans les collines très recherchées par les malades du poumon. J’ai aussi suivi pendant quinze jours les leçons que Walter Gieseking était venu donner à l’université de Tucuman. Il avait accepté l’offre de l’université parce qu’il était entomologiste et pouvait aller à la chasse aux papillons à la recherche de spécimens spéciaux. Son enseignement était passionnant ; il se fondait sur la méthode mentale de Leimer : on apprenait les partitions sans l’instrument, puis on allait au clavier sans la partition. 

Qu’est-ce qui vous a décidé à venir étudier en Europe ? 

J’avais un camarade, Zenon Fishbein, qui jouait comme un dieu et qui est ensuite devenu professeur à la Manhattan School of Music à New York. Mon professeur prétendait qu’il n’allait pas au fond de la touche et que son jeu manquait de profondeur, peut-être parce qu’il était élève d’une école rivale de celle de Scaramuzza, mais je le trouvais génial. Fishbein est parti en Italie étudier avec Carlo Zecchi. J’avais acheté des disques 78 tours de Zecchi et je me suis décidé à aller aussi en Italie pour étudier avec lui. Je suis parti pour Rome et j’ai passé le concours d’entrée. Avec Carlo Zecchi, j’ai appris des choses intéressantes d’ordre musical. Il s’occupait très peu de technique et jouait beaucoup pendant les cours, ce qui crée le risque, selon Michelangeli, que l’élève imite le professeur, mais il m’est arrivé d’avoir la sensation du « Nirvana » dans certains cours. 

Avez-vous aussi étudié avec d’autres professeurs en Europe ? 

Après Zecchi, je suis allé suivre un cours de quinze jours donné par Wilhelm Kempff, que je suis ensuite souvent retourné voir à Positano. J’ai également pris six mois de cours avec Renata Borgatti qui était géniale mais apprenait une technique qui ne me convenait pas entièrement ; Kempff enseignait la vraie tradition Beethovénienne, pas encore confrontée, bien sûr, aux théories actuelles sur le noyau thématique et la mélodie guide dont l’origine se trouve dans l’enseignement de Leuchter. Kempff aimait parler de Kant, de Goethe, de Schiller. Il connaissait toute la philosophie de l’époque de Beethoven. De même, lorsque j’ai voulu jouer les Kreisleriana à Claudio Arrau, il m’a dit « non, il faut d’abord avoir lu tous les philosophes que lisait Schumann et notamment Fichte et Schelling ». 

Est-ce ensuite qu’a eu lieu votre rencontre avec Arturo Benedetti Michelangeli

Je l’avais déjà rencontré en Argentine où il était venu donner des concerts et même enregistrer des disques. Je l’ai entendu et ce fut une révélation. Dès qu’il a joué les premières notes, je me suis dit : « jamais on n’a entendu un son pareil sortir du piano ! » Les critiques se sont jetés sur lui comme des loups affamés, à mon avis parce qu’il était jeune, beau, élégant, impassible, prodigieux, infaillible : un désastre. J’ai pu beaucoup jouer pour lui et il m’a donné quelques précieuses indications . Mais j’ignorais alors qu’il enseignait. En Italie, après avoir eu le diplôme à Rome avec Zecchi, je me suis préparé à passer l’audition pour être admis à étudier avec Michelangeli. Le livre que je suis en train d’écrire aura trois parties : l’avant Michelangeli, la période Michelangeli, et l’après Michelangeli. Il y aura aussi un second ouvrage sur sa méthode qui consistait en des exercices d’une extrême simplicité de compréhension mais d’une extrême difficulté d’application. Il ne les donnait pas aux concertistes de peur qu’ils ne les prennent pas au sérieux. Donc, il ne les donnait à personne. 

Comment avez-vous eu connaissance de ces exercices ? 

Par un hasard de circonstances. D’abord, je n’étais « concertiste » qu’à moitié, je crois. Je dînais tous les soirs avec Michelangeli chez mon grand camarade Giuseppe Boccanegra. Michelangeli l’aimait beaucoup. Boccanegra avait été marié à Venise par le nonce apostolique Roncalli qui allait devenir Jean XXIII et qui était un grand ami de Michelangeli qu’il avait beaucoup influencé spirituellement. Un jour, j’arrive chez Boccanegra qui me raconte que Michelangeli lui avait dit la veille : « tu es le pianiste le plus modeste de ma classe ; tu ne veux pas devenir concertiste ; je vais te donner ma méthode secrète que je ne donne à personne car elle est trop simple. » Puis, il lui avait donné les exercices oscillatoires. A la leçon suivante, lorsque Michelangeli me demanda quelles œuvres j’avais apportées, je lui répondis : « Aucune, maître. J’ai eu trop de professeurs, et j’ai un peu de confusion dans mon esprit. Vous savez que Giuseppe Boccanegra est mon grand camarade ; il m’a montré les exercices et c’est cette voie que j’aimerais emprunter. » Nous avons d’abord fait ces exercices sur la base de la méthode de Pischna, puis sur celle de douze études du Gradus ad Parnassum de Clementi. 

Les leçons de Michelangeli étaient-elles différentes selon les élèves ? 

Les leçons s’adaptaient aux élèves selon leurs demandes. Michelangeli suivait les écritures : « A qui me demande, je donne.» Marta Argerich n’a pas eu beaucoup de chance avec Michelangeli, probablement parce qu’elle écoutait souvent les disques de Horowitz. Encore que, avec son talent, elle a pu tout de même en tirer profit. Maurizio Pollini a beaucoup appris de Michelangeli. Il avait écrit une lettre désespérée à Michelangeli pour lui dire qu’il était le seul à pouvoir le sauver, car de l’enseignement de son professeur de Milan, le célebre Carlo Vidusso, lui était resté une certaine rigidité des bras. Michelangeli était très fier de la venue de Pollini, et le jour de son arrivée, il s’est enfermé dans la cuisine. C’était un cuisinier exceptionnel. Lorsque Pollini est arrivé, Michelangeli lui a dit : « je dois préparer le déjeuner, fais ce que tu veux ». Pollini est allé au piano et a commencé à jouer par cœur la tétralogie de Wagner en chantant tous les rôles : une merveille ! Il était très expressif quand il chantait. Par la suite nous avons fait beaucoup de déchiffrage à quatre mains ensemble. Pollini voulait toujours parler de philosophie, de théologie, de mathématiques. C’était un garçon merveilleux. A Pollini, Michelangeli a donné des exercices d’assouplissement, car, d’après mes observations, il est peut-être le seul, après Boccanegra et moi, à avoir bénéficié d’un enseignement élémentaire, alors qu’à ce moment-là il était déjà un grand concertiste. C’était une période extraordinaire, car avec Marthita Argerich on pouvait également discuter de tout sans voir les heures passer. Son intelligence, sa mémoire et la douceur de sa sensibilité m’ont toujours fasciné. 

Après les exercices, quand êtes-vous passé à l’étude du répertoire ? 

Lorsque j’avais dit au début à Michelangeli que si la voie qu’il indiquait était simple, il me semblait impossible de pouvoir être un jour capable de l’appliquer dans les oeuvres, il m’avait répondu à sa manière laconique : « six mois». Il m’a donc ensuite montré comment appliquer son système aux oeuvres, aux respirations de phrases, à la pédale, aux doigtés. Parmi les leçons les plus fascinantes comptaient celles qui portaient sur Debussy. Je jouerai en juin à Paris « La Terrasse des audiences du clair de lune » pour montrer les deux grands systèmes de base d’utilisation de la pédale : la pédale avec la note et la pédale enchaînée que l’on met pour lier. Gieseking était aussi un très grand connaisseur du jeu de pédale. Michelangeli admirait d’ailleurs beaucoup Gieseking, et Kempff... Je lui ai demandé une fois pourquoi il écoutait le disque de Gaspard de la nuit de Ravel enregistré par Gieseking alors que lui-même le jouait si merveilleusement. Il m’a répondu : « le génie est voleur. » 

Comment avez-vous développé vos recherches personnelles après votre rencontre avec Michelangeli ? 

Je lui avais demandé si les élèves devaient lui obéir. Il m’avait répondu que pour le moment, nous devions le faire, car il nous donnait les lois naturelles. « Je vous ouvre les portes et par la suite c’est à vous de parcourir le jardin avec votre imagination et vos propres forces. » Il m’avait donné les clés de sa bibliothèque et m’avait dit : « Tu vas éveiller ta curiosité en regardant l’édition des sonates de Beethoven par Schenker.» Cela rejoignait les analyses que j’avais faites avec Leuchter à Buenos-Aires. C’est maintenant que je mets mes recherches au point, notamment sur Bach. D’ailleurs à mon avis, dans les partitions des premiers romantiques, on voit le travail sur Bach, même si le style a changé. Beethoven fut le premier à jouer le Clavier bien tempéré par cœur. Dans les études de Chopin par exemple, j’utilise la méthode d’analyse de la mélodie originelle et du noyau thématique. C’est un noyau qui donne naissance à l’œuvre, selon ce que je crois comprendre dans mes analyses ; c’est comme un big bang qui vient d’une cellule originaire qui apparaît dans l’imagination du compositeur et fait exploser la galaxie du chef d’œuvre. Michelangeli ne serait peut-être pas d’accord avec mes solutions actuelles mais je crois qu’il le serait avec ma démarche. A l’époque on connaissait déjà la théorie cosmologique du Big Bang et elle avait conforté la lecture des écritures de notre tradition judéo-chrétienne, car le catholicisme ainsi que par la suite le protestantisme se trouvent à la source de notre histoire de la musique.

mardi 8 juillet 2014

Estampes numériques et photographies

Estampes numériques (2)



Un deuxième livre, plus mince que le précédent (120 pages), et donc moins cher, sans les photographies. Toujours en quatre formats, dont trois sur papier : couverture souple, couverture rigide imprimée et couverture rigide plus jaquette. Il est également possible d'obtenir le livre en format "e-book".

dimanche 15 juin 2014

Richard travaille !


La journée de Georges.


Francis Marche : « Le jour où le ronflement sera reconnu comme art à part entière, je serai José Carreras. »

mercredi 28 mai 2014

Bouche cousue


Leader solitaire en transe, c'est son turbin. Regardez-la s'élever dans les airs, la toupie lyrique en fusion qui crève les nuages. Vous lui parlez de pamphlets parce que vous êtes sourds, c'est la vérité, et il ne vous répondra pas de sa bouche cousue. Pas la place pour une pipe, tellement il serre les fesses. Il ne supporte pas la critique. Des archets dans les yeux, pas de quartiers. C'est bien le moins, quand on a écrit ça. C'est inouï tout de même : des siècles après, encore à lui filer le train, à ressasser les mêmes conneries. Qu'est-ce qu'on peut faire contre la colossale paresse ? Toujours, toujours et encore, leur donner la même chose, repasser les traits, souligner, faire à côté du pot, en douce ? Quelle cible merdeuse, quel voyage d'ennui, en face de la musique sublime, éponge à vinaigre. Dans la moindre formule, on entend la fibre, la viande qui raconte, l'espace tremblé rouge vert noir des nerfs acides en fugue. 100 francs la toilette des bébés asphyxiés de communisme récité, c'est pas cher pour la liberté ! Ce qu'il faudrait, c'est les noyer tout petits, quand ils sont encore mignons de transe sociale, et mettre la musique par dessus les toits pour éclairer la nuit. Mais c'est trop tard. Ils ont décroché le soleil du tableau et radotent en chœur, crapauds bien aplatis sous les draps coulissants. Il faut partir, c'est tout.