Depuis quelques jours, je ne dors qu'en compagnie de machines, plus ou moins perfectionnées, plus ou moins encombrantes, qui enregistrent une batterie de données sur mon cœur, mes poumons, mon sommeil, ma respiration, etc. C'est à la fois très désagréable et très amusant. Ça clignote dans l'obscurité, ça entre dans les narines, les fils se prennent là où il ne faut pas, mais on se sent moins seul. La nuit comme laboratoire intime… Et puis j'aime les chiffres, les données, surtout quand ils sont censés nous définir, ou au moins nous décrire. On sait bien que c'est une fiction, mais c'est amusant. Se présentant aux gens qu'on croise dans une soirée, la nouvelle politesse pourrait exiger qu'on énumère une théorie de nombres en préambule de toute conversation. Par exemple, on pourrait refuser de discuter avec quelqu'un qui a un PH trop différent du sien, ou dont la tension artérielle est trop basse. Après tout, c'est déjà ce qui se passe, mais à notre insu. Les odeurs, les sons et les mille signes qu'émettent les individus ont le même rôle. De toute manière, à partir d'un certain âge, les gens ne parlent plus que de ça. Ils disent "la santé", mais c'est beaucoup plus que ça. C'est le corps, dont ils parlent, le corps qui s'exprime, le corps qui fait parler les organes, comme les instruments d'un orchestre, qui ont trop longtemps été mis au secret. Enfin on les entend ! Ils ont ôté la sourdine.
vendredi 25 octobre 2019
mercredi 23 octobre 2019
Petit portrait en prose (20)
Déjà un peu trop mûr, c'est un beau fruit, lourd et juteux. Elle vient de franchir le seuil : les chairs commencent à rompre les digues, elle marche avec de l'encombrement entre les cuisses, mais le visage garde, pour combien de temps encore, l'éclat sombre d'une adolescence dont le ventre était le royaume fiévreux.
mercredi 2 octobre 2019
Éclats
Il y a parfois dans l'expression des éclats (des éclats ou des réussites ?) qu'on ne s'explique pas. Ainsi du syntagme "diesel de nazi", qui me semble une extraordinaire trouvaille sonore — et pas seulement sonore, bien sûr.
La plupart du temps, ils proviennent de conversations, ce qui implique qu'ils ne sont pas prémédités, travaillés (pensés ?). Ils jaillissent tels quels du discours, et c'est précisément ce qui leur donne cet éclat singulier.
Mais, après tout, qu'en savons-nous, s'ils ne sont pas prémédités ? Il existe sans doute des gens qui sont en avance sur leur discours — alors que moi je suis toujours en retard (j'écris à partir des chutes de mes conversations).
Si tout un texte était de ce niveau (je veux dire du niveau que je qualifie d'éclatant), est-ce que ce texte contiendrait encore des éclats ? C'est peu probable : l'éclat a besoin d'un écrin terne, ou neutre, pour prendre son envol, pour éclater.
Je me rappelle une conversation pénible, sur le quai d'un métro, à Paris, avec un professeur d'écriture. Je lui montrais un passage de la pièce que j'étais en train de composer, passage que ce professeur trouvait faible. (« Tu pourrais faire ceci, tu pourrais faire cela… ») Et moi j'essayais de lui faire comprendre que la faiblesse de ce passage était volontaire, que j'avais besoin, à cet endroit, de quelque chose de neutre, de simple, pour mettre en valeur ce qui venait juste après. Je n'ai jamais réussi à convaincre ce professeur. Mais peut-être après tout que ces quelques mesures étaient seulement faibles, faibles au premier degré.
Tu pourrais faire ceci, tu pourrais faire cela… Oui, oui, bien sûr, je pourrais, mais si je ne veux pas, justement ? Si je ne veux pas développer, par exemple ? Si j'ai envie de faire entendre des éclats ? Même dialogue de sourds avec Alsina à propos de mes Poèmes après l'ivresse. « Tu ne sais pas développer ! » Il avait sans doute raison, mais justement, là, je ne voulais pas développer. Je voulais tout sauf développer. Si l'on développe un éclat, c'est fichu, ça devient lourd, ça adhère (comme dit Barthes).
Fragment commence comme fragrance — et comme fragile. Quand j'entends "diesel de nazi", par exemple, j'entends une combinaison impeccable de sens et de son, quelque chose qui semble jaillir de nulle part mais qui est relié au sens, à l'actualité, au contemporain, par un parfum, une odeur.
Évidemment, dès qu'on pense "éclat", on pense "multiples" : on pense à Boulez, qui a sans doute trouvé la juste manière de développer ce qui n'est pas développable. Et puis il y a la résonance… Musicalement, on peut faire entendre un éclat nimbé de sa résonance ; on peut choisir ou non d'ajouter la résonance, de la laisser passer ou de la filtrer. Dans l'ordre du texte, l'éclat contient (ou non) sa propre résonance — mais on peut choisir de prolonger (d'amplifier) cette résonance (interne) par d'autres résonances (externes). L'éclat a déjà en lui des multiples, c'est précisément ce qui en fait un éclat. Il n'est pas rond, il n'est pas clos, il est à la fois indépendant et ouvert, il porte en lui des brèches, il est souvent fait d'angles aigus, irréguliers, il ne s'adapte pas bien à ce qui l'entoure, il brise le discours et le temps. Et c'est là que la résonance prend tout son sens (c'est le cas de le dire). Elle met du liant où il n'y a que débris. Le sens de la résonance n'est pas du même ordre que le sens de l'éclat, ces deux sens sont portés par des temps hétérogènes, ils ont des profondeurs de champ opposées.
(…)
mardi 1 octobre 2019
Plutôt mort que sympa
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