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lundi 18 avril 2022
mercredi 4 novembre 2020
Où ?
Mais où es-tu, toi, la seule qui me sauverait, où es-tu ? Pourquoi me laisses-tu pourrir avec le monde ?
C'est un être à éclipse.
Il apparaît ; il disparaît.
Entre deux de ses traits
C'est une apocalypse.
(La reine de l'ellipse
Et de la parenthèse.)
Je vais reprendre des chips.
dimanche 27 janvier 2019
Le visage du temps
Je déteste qu'on dise : « Il est seize heures vingt-et-une. » Le temps légal est invivable. Pour moi, il sera toujours « quatre heures vingt ». Et encore, un « quatre heures et quart » m'aurait amplement suffi. Le jour a deux faces, deux visages, deux demeures. Il y a la demeure qui s'étend de minuit à midi, et celle qui va de midi à minuit. Elles ne sont pas équivalentes. L'une prend sa source dans la ténèbre, l'autre dans la lumière : les deux crépuscules ne procèdent pas de la même substance.
Dans mon enfance, et jusque dans les années 90, les montres devaient être remises à l'heure périodiquement. Nous n'étions jamais exactement à l'heure. Il y avait toujours une légère incertitude quant à l'heure exacte. Cette incertitude, ce léger écart qui pouvait exister entre le temps des horloges officielles et celui des montres au poignet, je les regrette. Non seulement je les regrette mais je pense qu'ils étaient le signe tangible d'un monde plus humain. Les horloges n'avaient pas raison, pas complètement. Elles n'étaient qu'un indice parmi d'autres. L'écart, de quelques secondes, de quelques minutes, parfois, entre le temps officiel et le temps réel (celui de l'individu en rapport avec ses semblables), était le signe d'un monde littéraire. Imagine-t-on une marquise qui sortirait « à dix-sept heures trois » ? Dans ce monde-là, la vérité était plus importante que l'exactitude. C'était un monde dans lequel on pouvait encore se faufiler dans les interstices du sens (et d'ailleurs, le sens tout entier ne se trouve-t-il pas dans les interstices du réel ?). Le retard et l'anticipation (au sens musical) constituaient une sorte de jeu, dans lequel l'être de chacun trouvait sa place singulière et flottante, avec la souplesse et la justesse qui caractérisent le particulier, l'irremplaçable. La langue n'était pas encore complètement asservie au sens, collée à lui comme le vulgaire sparadrap dont on ne peut jamais se débarrasser, elle avait encore cette liberté et ce pouvoir qui lui viennent de la littérature. Chacun savait alors que le contexte disait autant que le texte, chacun savait que la recherche du temps perdu était plus importante que celle du temps exact. Les corps avaient encore ce tact et ce goût que seule permet la poésie du geste, et l'on sait que la poésie n'est rien sans l'impossibilité de faire coïncider absolument le mot avec son avènement.
Remettre sa montre à l'heure, et, plus encore, être contraint de le faire régulièrement, c'est une preuve d'humilité, et c'est admettre que nous ne coïncidons jamais tout à fait avec la vérité, que celle-là est toujours au-delà de notre inscription réelle dans le temps. Le temps des horloges atomiques est un temps continu, mort, qui déroule son incommensurable éternité le long d'une droite insensée et désespérante. Le temps des heures et des années est un temps strié, cyclique, et courbe, qui se lit sur la figure d'une spirale. Cette spirale est un visage que nous pouvons habiter.
mardi 24 mai 2016
Au fur et à mesure
Pourquoi (et comment) le temps passe-t-il ? A-t-il besoin de nous pour passer ? Il semblerait bien que non — même si la chose ne nous arrange pas vraiment —, car nous ne sommes là que depuis peu, alors que l'univers (et donc le temps) sont à peu près sept mille fois plus anciens que nous. L'espace-temps est une entité qui n'est pas elle-même temporelle. Il est statique, amorphe, sans motricité, là depuis toujours, et il est donc très difficile d'expliquer le passage du temps. Einstein affirme que chaque observateur suit sa propre ligne d'univers, se déplace dans l'espace-temps, et c'est sa propre motricité (celle de l'observateur) qui crée l'impression qu'il a que le temps passe. Ce qui est présent pour moi n'est pas forcément présent pour un autre observateur, c'est une donnée locale. Quand je suis assis dans un train et que je regarde par la fenêtre le paysage défiler, le paysage ne défile pas, c'est moi qui défile, ou plutôt, c'est le train dans lequel je suis assis qui défile, me donnant l'impression que le paysage "défile". Le paysage existe bel et bien à l'endroit où je ne me trouve pas encore. Tous les endroits du paysage, qui pour moi, observateur, ne seront là que durant une fraction de seconde, sont là, avant et après que je les voie, ils co-existent dans l'espace-temps. Leur présence (à moi), leur présent (à moi), n'a pas plus de réalité que le paysage du passé, ou que le paysage du futur. Tous les éléments de l'"univers-bloc" existent, mais on ne les découvre que pas à pas, moment après moment, au rythme de son propre parcours dans l'espace-temps. La réalité est une partition de musique. Toutes les notes sont écrites, sont là, toutes les notes co-existent statiquement sur une feuille de papier, mais vous ne les entendrez, elles ne deviendront réelles, effectives, qu'au moment où l'exécution par l'interprète en sera arrivé au moment T, l'interprète t-e-m-p-o-r-a-l-i-s-a-n-t la totalité du sonore virtuel (écrit), le faisant apparaître au fur et à mesure de son avancement.
Il y a des siècles, il y a du temps, il y a de la durée, il y a un passé, un présent et un futur (encore que nous venons de voir que ces notions sont sujettes à caution), et il faut qu'il y ait du temps pour que le son existe, puisque chaque son a une histoire. Et pourtant, la partition est là, quelque part — dans un tiroir, ou dans l'esprit du compositeur, ou dans la mémoire de l'interprète. Notre vie a donc aussi sa partition, quelque part, mais nous n'y avons pas accès. (Seul Dieu la connaît, comme il connaît toutes les partitions de toutes les créatures de l'univers. Être Dieu, c'est même exactement ça, c'est connaître la partition, et peut-être l'avoir écrite.)
Nous vivons au fur et à mesure, alors que la musique est toujours déjà là, en son état originel.
Longtemps, nous avons cru que le son était une entité stable, linéaire, homogène, alors que nous savons aujourd'hui qu'il n'en est rien. C'est le timbre (et ses métamorphoses) qui nous a permis de comprendre que les sons évoluaient dans le temps, et d'une manière qui est tout sauf linéaire. Je suis toujours extrêmement frappé de la proximité du temps et du son. Vous croyez jouer une note ? Non, quand vous jouez un do, vous faites entendre un faisceau de sons, que votre cerveau appréhende, entend, comprend comme un do, ce qui est très différent. Vous pensez que le do que vous venez de jouer est le même pendant toute la durée de son existence ? Pas du tout. La musique concrète nous a appris, empiriquement, que presque toute l'information (le sens) se tenait dans l'attaque du son, et non dans la tenue qui suit cette amorce. Pourtant elle est si brève, cette attaque, qu'elle en est quasiment insaisissable. Et le plus étonnant est que ce commencement est un bruit, ce qui signifie que les composantes de ce son ne sont pas de même nature que ce qui va suivre. Elles sont plus complexes, plus difficiles à déchiffrer. Chaque attaque d'une note est un "big-bang" en miniature : une petite explosion d'où est extrait tout ce qui va ensuite servir à constituer la note, à la faire durer, à l'entretenir, à lui donner une forme, un timbre, une couleur, à en donner une occurrence (un présent) reconnaissable, identifiable, et parlant. La durée, ce sont les voyelles, l'explosion initiale, ce sont les consonnes. Les voyelles, ce sont les couleurs, le temps, la durée, la ligne, les consonnes, ce sont le choc, l'entame, le bruit, l'étincelle, l'amorce, le point. Chaque note est la rencontre du temps et de la vibration, du geste et du souffle, du commencement et de l'entretien, de la verticalité de l'événement et de l'horizontalité de la métamorphose.
Vous croyez que vous vivez une (et une seule) vie ? Non, le temps, votre "ligne d'univers", n'est pas une ligne droite et univoque, elle n'est pas parallèle aux lignes d'univers de vos semblables, elle peut les croiser, les multiplier, les diviser par elle-même, les augmenter, de la même manière que les lignes d'univers des autres vous augmentent d'un coefficient de vie, difficile à évaluer, certes, mais sensible, efficace. Tout cela produit du son : les frottements entres les êtres, contrepoints, accords, les altérations, les interactions avec le monde, avec la nature, avec la violence, avec la peur, tout ce système crée une vibration audible qui modifie en permanence votre équilibre, c'est-à-dire vous inscrit dans le temps, vous donne une signature, un timbre, inimitable, unique, irremplaçable. Votre vie, ce timbre unique et singulier, est fait d'une multitude de sons qui s'engendrent les uns les autres en un faisceau harmonique plus ou moins régulier et épuré, et rien ne vous empêche de vivre à l'intérieur de tous ces sons, de tous ces contrepoints, d'en explorer les possibilités, inouïes pour la plupart, et ainsi d'habiter plusieurs mondes contemporains ; (mais) seule la musique permet cette co-existence, ce dialogue simultané entre plusieurs voix et plusieurs voies. Cette coïncidence est une grâce qui se mérite.
L'être vivant est cette chose qui est obligée de suivre le cours du temps. Il ne peut pas s'en extraire, sauf très momentanément, par un effort d'imagination. On ne peut pas ne pas mettre une flèche sur le cours du temps, ce serait ridicule, ou puéril. Cependant, la musique est sans doute de tous les arts celui qui est le plus à même de creuser un point particulier de ce cours du temps, non pas de l'étaler (dans le temps) — ce ne serait plus un point —, mais de le creuser, de lui donner une profondeur, une dimension autre, par les analogies qu'elle instaure de manière subtile avec d'autres paramètres de la matière sonore. Le vocabulaire dit cela très bien, car tous ces paramètres ont des noms qui empruntent à d'autres catégories que les leurs propres. On parle de la couleur du son, on parle de l'enveloppe du son, en plus que du timbre, et l'harmonie est à la fois une qualité et une science, en plus d'être une figure (un personnage) mythologique et un rapport (le rapport, qui serait lui-même à la fois la rencontre, et la mesure). Personne (sauf maladie, ou drogue) ne voit les sons, et personne non plus ne les unit à la mairie ou à l'église, et pourtant, tout le monde sait qu'ils ont une physionomie, une épaisseur, une allure, qu'ils s'attirent ou se repoussent, et qu'ils établissent entre eux des liaisons plus ou moins dangereuses ou amoureuses (ce qui est loin d'être contradictoire). En chaque point, en chaque instant, en chaque moment de la musique en train de suivre le cours du temps, tous ces paramètres peuvent être précipités, et, souvent s'échanger les uns avec les autres, comme par un tour de magie. Tous les compositeurs, par exemple, savent bien qu'entre la partition — c'est-à-dire cet ensemble formel et symbolique des signes éteints — et la musique, s'établit une liaison plus ou moins forte, plus ou moins étroite, plus ou moins harmonieuse. Il arrive qu'une partition aime ce qu'elle est en train d'énoncer (pour le compositeur), mais il arrive aussi qu'elle se rétracte, qu'elle n'ait pas envie de donner tout ce qu'elle possède en elle de possibilités, qu'elle en garde une part par-devers elle, alors que partition et musique appartiennent à ces champs hétérogènes, l'une n'étant que la description normée de l'autre. Et tous les compositeurs savent également que la mémoire de l'auditeur se cristallise en de certains points du discours musical alors qu'en d'autres elle flotte, ou même se retire complètement — c'est même la gestion efficace et poétique de cette mémoire auditive qui fait toute la profondeur d'un musicien digne de ce nom. Les événements musicaux se temporalisent d'une manière toute singulière, qu'on soit chez un Mozart ou chez un Schubert, par exemple. Autant et peut-être plus encore que le lexique et la grammaire de leur musique, c'est cette manière d'ouvrir et de remplir l'espace-temps propre à leur langage, de lui donner corps, de l'inscrire dans le temps qui passe, qui fait toute la différence. On pourrait presque dire que chaque compositeur écrit une histoire du Temps à lui tout seul, qu'il en donne, pour le moins, une interprétation originale, que ce soit dans une œuvre donnée, ou que ce soit tout au long de sa vie, à travers les diverses œuvres composées, qui se répondent les unes aux autres. Leur musique se respire, car elle est alternativement ouverture et fermeture, tension et détente, précipité et soluté, et qu'elle donne au temps les occasions idoines d'épouser une matière qui lui ressemble.
Dans la vie de tous les jours, quand nous sommes conscients de nous-mêmes, nous savons bien que les moments où nous sommes réellement attentifs à ce qui "se passe" sont extrêmements rares. C'est la mémoire et l'intelligence qui (re)constituent la trame de nos vies, et nous donnent l'impression d'une continuité qui n'existe pas. Ordinairement, la vie ressemble à une succession d'îlots reliés par des étendues d'eau plus ou moins vastes. Ce qui court dans cette eau, bien que très mystérieux, est en même temps ce qui nous permet de croire que nous sommes le même à l'instant A et à l'instant B, qu'il n'y a pas de rupture entre les deux moments. On pourrait certainement dire que la plus grande partie de nos vies est faite de ces courants mystérieux (ou peut-être ces mares) dans lesquels nous étions plus ou moins endormis, inconscients, nous laissant porter par le temps. Il y a beaucoup de choses que nous ignorons, dans la musique, beaucoup de choses que nous n'entendons pas, ou pas bien, mais ce n'est sans doute pas le moins important. Il est à peu près certain que même le compositeur ignore ce qu'un auditeur va entendre de sa musique ; entendre, c'est-à-dire à la fois ouïr, distinguer, et retenir. Le temps ne passe pas de la même manière pour tout le monde, et ne passe même pas deux fois de la même manière pour une seule personne. Si le style c'est l'homme, le temps, c'est l'auditeur, et le compositeur doit composer avec cette donnée fondamentale.
Vous voulez réaliser le vieux rêve de l'humanité, et "voyager dans le temps" ? C'est très simple : écoutez de la musique. De la vraie ! Vous voulez affronter le vrai Réel, le Réel vrai ? Composez de la musique… quand vous aurez le temps.
jeudi 14 avril 2016
Seuil
Il y a dans la vie de tout homme un moment très particulier où celui-là cesse d'éprouver le passage du temps comme la douleur essentielle d'être ; c'est la nuit qui en général nous révèle ce seuil inimidant, quand la terreur de l'insomnie laisse la place au plaisir pur d'être là, allongé, vivant, au cœur du monde, au cœur d'un monde dont le bruit et la fureur ne nous parviennent plus qu'étouffés et diffus, inoffensifs.
Jusqu'à une date proche, il me semblait entendre le grincement atroce du monde sur son axe, la Terre ne tournant sur elle-même que dans le but d'approcher mon être de la mort : bruit effroyable, terrorisant. Il s'est tu d'un seul coup.
Je ne sais ce qui a brisé les liens que le temps avait noués avec l'abîme à travers mon corps et je ne les ai d'ailleurs perçus que rétrospectivement, au moment même où ils ont cessé de me tenir sous leur emprise.
samedi 3 octobre 2015
1882 signes
Né le 10 janvier 1956 à Rumilly, en Haute-Savoie. Famille de la petite bourgeoisie. Père pharmacien (violoniste), mère au foyer. Six frères et sœur. Enfance heureuse. Piano. À seize ans, son père meurt, sa mère l'émancipe, il part de la maison. S'installe à Annecy avec sa petite amie. Gauchiste (au PCI), brièvement, puis musicien de jazz et d'improvisation. Déménage dans le Gard, dans un village près de Remoulins. Accompagne (même) des chanteurs. Part en Inde, au Népal, à Ceylan, durant trois mois, puis s'installe à Paris. Contrepoint – harmonie – filles. Classe de percussion au conservatoire de Pantin, avec Gaston Sylvestre, et de zarb, avec Jean-Pierre Drouet. Rencontre à cette occasion son maître, Carlos Roque Alsina (du New Phonic Art), avec qui il étudiera le piano durant sept années. S'installe dans un minuscule village bourguignon, de 1980 à 1985, seul avec son chat. Travaille énormément le piano et la musique. Retour à Paris. Commence à composer, et enseigne le piano et la musique de chambre au conservatoire, jusqu'en 2001, où il claque la porte et s'enfuit en Haute-Savoie, pour s'occuper de sa mère malade : deux années extraordinaires, merveilleuses et terribles. Brève mais très intense passion sexuelle, juste avant de partir de Paris, en 2000. Mort de la mère, en 2003. Il faut partir, car la maison familiale est vendue. En 2006, se réinstalle dans le Gard, près de Nîmes. Survit en donnant quelques cours de piano, et entame une carrière de peintre, tout en continuant la composition de musique acousmatique. Disque (très réussi, donc parfaitement inconnu) en 2009. Composition vidéographique. Écrit de plus en plus, mais non publié, ou pas sous son nom. Produit beaucoup de tableaux, par défi, écrit, arrête de composer. Vieillit. Je crois que c'est tout. Ah non, amoureux d'une comtesse folle dont il finit par se séparer, il ne sait plus pourquoi.
vendredi 5 juin 2015
Déserteur (temps mort)
Il ne se passe à peu près rien dans ce film, comme dans tous les films que j'aime vraiment. Paul est un déserteur, il quitte le bateau qui le faisait vivre, il est entre deux femmes, Rosa et Elisa, une Portugaise et une Allemande, qu'il aime l'une et l'autre. Lisbonne, la ville blanche, est la ville du temps mort, du désir et de l'absence à soi. Teresa Madruga a trois ans de plus que moi. Quand je l'ai vue sur l'écran d'un cinéma parisien, en 1983, elle avait donc tout juste trente ans. Sa voix m'a bouleversé. Tout son être m'a bouleversé. Ça ne s'explique pas. À cette époque-là, je vivais seul en Bourgogne, dans un minuscule village de quatre-vingts habitants. Je voyais toujours Christine, à Paris, où j'allais deux jours par semaine pour donner des cours de piano. Depuis 1977, on était ensemble, comme on disait alors, mais elle avait refusé de venir s'enterrer avec moi dans ce trou perdu, et son refus avait finalement été une bénédiction pour moi. Nous étions toujours follement amoureux l'un de l'autre, pourtant, enfin, je ne sais pas si nous étions amoureux mais nous avions l'un et l'autre follement besoin du corps de l'autre. Chaque fois que nous faisions l'amour c'était une véritable frénésie. Je n'ai retrouvé cette violence, ce désir impérieux et ce plaisir (les trois choses mêlées) que longtemps, très longtemps après, avec Sarah. Les femmes qui aiment faire l'amour sont finalement peu nombreuses, Christine était l'une de celles-là. Je ne cesserai ma vie entière de lui rendre hommage pour le cadeau inestimable qu'elle m'a fait. Je ne parle pas de son corps, évidemment. Dans le même temps, je ne cesserai de me demander comment il se fait que si peu de femmes osent (ou parviennent à) se donner, comme l'on disait jadis — et il y a dans cette expression une force et une justesse merveilleuse dont la profondeur me revient aujourd'hui en pleine face.
J'ai revu ce film dans une sorte de transe. J'avais tellement peur d'être déçu, de ne pas retrouver l'émotion, la commotion cérébrale que j'avais éprouvée en 1983… Mais oui, tout est là, rien n'a bougé. J'ai retrouvé le jeune homme que j'étais alors, mêlé de soleil et de désir. Je peux presque dire que j'ai senti l'odeur de ces ruelles, de cette chambre, de la mer et des cuisses de Rosa. Rosa noire, Rosa butée et généreuse, Rosa femme, Rosa encerclée, Rosa modeste, Rosa puissante et odorante, féminine jusqu'au délire et à la perte. Je peux sentir la lavande, les draps, l'odeur de salles fraîches des cafés, celle du poisson sur les marchés, celle du savon bon marché et celle de l'eau de Cologne. Le Temps mort dans la vie c'est le creuset odorant de la Chance, la bénédiction de l'instant, le féminin qui suinte et qui vous parle de vous. J'y étais.
J'ai revu ce film dans une sorte de transe. J'avais tellement peur d'être déçu, de ne pas retrouver l'émotion, la commotion cérébrale que j'avais éprouvée en 1983… Mais oui, tout est là, rien n'a bougé. J'ai retrouvé le jeune homme que j'étais alors, mêlé de soleil et de désir. Je peux presque dire que j'ai senti l'odeur de ces ruelles, de cette chambre, de la mer et des cuisses de Rosa. Rosa noire, Rosa butée et généreuse, Rosa femme, Rosa encerclée, Rosa modeste, Rosa puissante et odorante, féminine jusqu'au délire et à la perte. Je peux sentir la lavande, les draps, l'odeur de salles fraîches des cafés, celle du poisson sur les marchés, celle du savon bon marché et celle de l'eau de Cologne. Le Temps mort dans la vie c'est le creuset odorant de la Chance, la bénédiction de l'instant, le féminin qui suinte et qui vous parle de vous. J'y étais.
mercredi 20 mai 2015
Breaking bad
Et ça je ne peux rien y faire. J'ai essayé de lutter. Mais après, il y a eu El Paso ! Et ça n'a fait qu'empirer. Ce que j'ai fait à Pinkman, ça me ressemble pas, c'est pas moi. Je te jure, Marie, je crois que l'Univers veut me faire passer un message… que je suis enfin prêt à écouter. Je ne suis pas celui que je croyais être. J'adore ce carrelage. Et la température est réglable, vraiment ? Avant on disait possom, pas opossom, pourquoi faut-il toujours qu'ils changent tout ? On a appris que le cancer s'était emparé du cerveau, c'est pour ça. Oui, il y a un bouton, je crois, enfin un thermostat, c'est comme ça qu'ils disent. Est-ce que cette histoire va finir par aller quelque part ? Je suis de plus en plus convaincu que nous vivons plusieurs vies parallèles, en même temps. Les syndicats ? Un ramassis de salopards toujours prêts à faire chier le monde dès qu'un truc ne va pas. Elle ressemble à Mme Abitbol de Marseille. Mme Abitbol de Marseille veut me faire passer un message, c'est comme ça que je vois les choses. On survolait l'île Saint-Louis, je tenais Anne, contre mon ventre, j'étais derrière, et, à un moment donné, j'ai plongé le bras par-dessus ses hanches, vers son sexe, et c'était chaud et humide. J'ai compris qu'elle venait de jouir. Je me suis réveillé dans un état de bien-être incroyable. Pinkman était assis au bout du lit, une tasse de café à la main, et il racontait l'histoire de sa grand-mère qui tapait contre le plancher avec son parapluie en appelant le rat "Scrabble". Ça m'a fait penser à ma cousine Rose-Lilla et son mari Jérôme qui m'avaient invité à déjeuner. Ils devaient avoir aussi un chauffage par le sol, j'en suis presque certain. Pourquoi est-ce que le visage de Rose-Lilla a complètement disparu de ma mémoire ? Françoise était si jolie, elle avait des yeux si extraordinaires. Patricio aussi était tout émoustillé. Il y avait Céline, on avait déjeuné place des Vosges tous les quatre, et Françoise m'avait demandé qui était Céline, pour moi, ou plutôt, ce qu'elle était pour moi.
À ce moment-là, c'est devenu très clair. Il m'avait fallu toute une vie pour en arriver là, après être descendu, descendu toujours plus bas, vers une sorte de zéro absolu. Je me suis réveillé en sursaut, et j'ai su très clairement que ça y était, que j'y étais. J'avais enfin tout effacé, il ne restait rien. J'étais seul, sans personne qui m'aimait, sans personne à aimer, sans projet, sans famille, sans rien qui me retenait. J'avais compris que les visages étaient des visages et rien d'autre, et qu'on pouvait toujours creuser et creuser encore, que ça ne servait à rien. Aimer n'est rien d'autre que de fermer les yeux très fort sur ce qu'on a devant soi. Madame Abitbol de Marseille… Elle a un nom, une raison sociale, une profession, une maison, une piscine, un amant, une voiture, des enfants, un ex-mari, des loisirs. Des loisirs… Mais pas le chauffage par le sol. Ça lui fait encore un but dans la vie. Je l'ai aimée quand elle avait perdu ses cheveux. Pas de fin à l'horizon. Il y avait un moment parfait, et il m'est passé sous le nez. Comme tout le reste. L'argent, les filles, le talent, la santé… Savez-vous qu'on vit toujours au passé, avec 80 millièmes de seconde de retard sur la réalité ? Huit centièmes de seconde c'est peu, d'accord, mais ça peut permettre de gagner un cent-mètres. Mme Abitbol de Marseille, je crois qu'elle vit avec un retard beaucoup plus important, je dirais au pif quelques années. Quand je pense à elle, je pense toujours à cette nuit où je m'étais rendu chez elle, pendant qu'elle était à la fête du Lac avec Marie, et que j'avais pissé longuement sur la baie vitrée de sa maison. Drôle de souvenir… J'ai vécu trop longtemps. J'ai passé le cap. J'ai franchi la limite. Je suis de l'autre côté.
vendredi 27 mars 2015
Michel et Alain sont sur un plateau
Michel : Si vous permettez, je trouve grave que vous n'ayez pas lu le blog de Georges de La Fuly.
Alain : Oui c'est vrai.
Michel : Très grave.
Alain : J'en ai lu des extraits mais c'est vrai.
Michel : Vous faites partie des gens qui pourraient être présidents de la République. C'est extrêmement important.
Alain : Il y a encore deux ans.
…
À mesure que s'approchent les grandes échéances nationales, la tension s'accroît, ce qui est bien normal. Alain a été pris la main dans le sac, d'accord, mais combien sont-ils dans son cas ? Nicolas, Marine, François, Jessica, Nicole, Jeremy, Moussa, Rachida ont-ils réellement lu le blog de Georges de La Fuly ? Rien n'est moins sûr. Leurs cons-com' leur en ont lu des extraits quand ils étaient au hammam, ou lorsqu'ils étaient en train de mettre une dernière main au portrait de Finkie, certes, mais est-ce suffisant ? Peut-on réellement penser qu'ils sont informés ? La réponse d'Alain fait un peu froid dans le dos, permettez-moi de vous le dire. « Il y a encore deux ans » ??? Mais, Alain, même en tenant compte du fait que Guilaine-2-Pis vous en fera des résumés chaque soir, on n'y arrivera pas ! 3000 billets en deux ans, ça va être limite-limite ! Ou alors il va falloir ne plus partir au ski avec les enfants ni à Marakesh avec Isa. Nous avons des raisons d'être inquiets, vous savez ! Et encore, vous avez un boulot assez peinard, vous, Alain, mais prenons François… Ça va être beaucoup plus compliqué, pour François ! C'est pas Julie qui va lui faire des fiches sur La Fuly, si vous voulez notre avis. Elle est très bien, Julie, mais enfin, là, elle a pas le niveau, faut dire ce qui est ! Et Marine, avec ses soirées karaoké et ses cours de disco, quand c'est qu'elle va bûcher, Marine ? Bon, elle, elle a le Parlement européen, c'est vrai, mais alors il faudra arrêter la bataille navale et le sudoku, sinon c'est mort. Moi, je préfère vous le dire nettement, ça va être la fièvre du samedi soir, et même de tous les autres soirs, si vous voulez vous mettre à niveau, les gars.
Ce que je peux proposer, à la limite, c'est de faire des phrases plus courtes, avec redoublement du sujet et anaphores à tous les étages, mais ne me demandez tout de même pas la lune ! Je ne vais pas vous faire du Musso au court-bouillon sous prétexte que vous êtes des cancres ! Ou alors il va falloir envoyer plus de chèques !
lundi 29 décembre 2014
Première ligne (10)
La musique qu'on entendait le plus fréquemment à la maison, c'était les Polonaises de Chopin, ces musiques tellement chargées, gorgées de nostalgie et de chevalerie, puissantes, vocales et pianistiques à la fois, dansées et plantées dans le sol natal, hurlantes et brûlantes, viriles et effusives. Il y avait là à l'évidence une fascination pour la force, du père et par le père. Toute cette main gauche, toute cette terre collée aux semelles, qu'il faut soulever à chaque pas ! Aller… Se courber et avancer, malgré tout ce qui nous cloue au sol, malgré le vent, malgré la torture des souvenirs, malgré le temps qui pèse de tout son poids, malgré le corps qui veut se dérober, malgré l'effroi. Repensant à ce qu'on entendait là, à la Fuly, je sais qu'il s'agit de l'intersection exacte de l'enfance et de la mort, dans ce qu'elle peut avoir d'exaltant.
Recouche-toi, poupée. Tout va bien, c'est un rêve. J'accouchais d'un oiseau, tu te rends compte, d'un oiseau ! Rendors-toi, ce n'est qu'un rêve. Un oiseau, quand-même… Oui, un oiseau, viens là… Je l'entends pleurer doucement, elle me tourne le dos. Je fais semblant de dormir.
D'exaltant et de terrifiant. Dans la vieillesse, on retrouve le cœur de l'enfance, ce fruit qu'on n'a pas digéré, dont le goût acide revient nous tourmenter sans fin. Pourquoi faut-il toute une vie, toujours, pour revenir au goût, à la source fraîche et claire, à la prière, pourquoi faut-il avoir perdu tout ce temps à partir et repartir sans cesse, pourquoi attendre d'avoir oublié pour savoir ce qui était là, pourquoi cette attente est-elle la seule vraie sagesse, pourquoi le temps, pourquoi le détour, l'infini détour, l'égarement, la solitude, pourquoi le chant des oiseaux, qu'on n'entend plus, qui revient en rêve, dans un visage de femme ?
Nous avons écouté le commencement de la Saint-Matthieu. La voix de Barbara Schlick, cette lumière qui perce la ténèbre, elle a des larmes dans les yeux, la nuit tombe, droit vers le sol, comme un arbre qui retrouverait sa place après le grand hiver, c'est un énorme vaisseau qui entre dans l'eau, c'est le temps lui-même qui laisse le passage, qui s'ouvre : on entend des enfants dans la fournaise. C'est le monde qui recommence.
(…)
jeudi 6 novembre 2014
Boléro sans musique
Il y a cette cinquième entrée du thème A, à peu près à la moitié de l'œuvre, géniale combinaison de timbres, que j'ai très longtemps entendue de travers. J'étais persuadé qu'il y avait un orgue positif dans l'orchestre, alors que le résultat est obtenu en mélangeant le cor avec le célesta et deux picolos harmonisés à la tierce et à la quinte (tout est dans le dosage des intensités, évidemment…). Rien que pour ça, on écouterait le Boléro vingt fois de suite.
Béjart, quand il parle de sa chorégraphie, explique que le danseur principal est "la mélodie" et que les autres sont "le rythme". Il est évident que c'est complètement faux, et, du coup, on imagine ce que serait une chorégraphie qui serait vraiment ce qu'il dit de la sienne. Mais surtout, quelle magnifique chorégraphie on pourrait composer en suivant exactement la partition de Ravel… La très grande majorité des chorégraphies que j'aie vues dans ma vie me semblaient pécher par ce travers : une incompréhension foncière de ce qu'étaient les musiques qu'elles étaient pourtant censées "illustrer".
Le Boléro, c'est un ensemble de choses. Une progression dynamique d'abord. Un rythme. Une harmonie. Une orchestration bien sûr. Un tempo. Une, ou plutôt deux mélodies. Une modulation. Une construction (deux séries de neuf énoncés de la mélodie, entrecoupées d'une ritournelle rythmique, plus une coda).
On a parlé d'une étude d'orchestration, et c'est la pure vérité. Mais je crois que c'est plus que ça. Si cette musique a pris une place tellement singulière, dans l'imaginaire populaire, c'est que son caractère éminemment abstrait a disparu derrière autre chose.
Cette cinquième entrée, on la goûte vraiment quand on a travaillé avec les synthétiseurs et qu'on a connu le plaisir de construire un timbre en superposant des sons sinusoïdaux, des harmoniques. Ce qu'on nomme la synthèse additive pourrait être une des nombreuses métaphores du Boléro. Tout est dans le dosage des harmoniques. On est toujours entre deux états : celui où les harmoniques se fondent et composent un timbre unique, et celui où elles s'individualisent. L'orchestre en son entier est conçu comme un gigantesque synthétiseur, ou comme un orgue formidable. L'exécutant ajoute des timbres, actionne les tirettes de l'orgue, au fur et à mesure, il mélange les couleurs, pendant que la machine joue toute seule, imperturbable.
Toutes les musiques sont toujours un jeu sur le même et l'autre, sur le semblable et le différent, sur le changement et la permanence. Ça s'entend plus ou moins mais c'est toujours là.
Faire ressentir la durée : donner à entendre le temps qui passe, on pourrait dire que n'importe quelle musique le fait. Mais écouter le Boléro, c'est comme faire passer le temps à travers un tamis. Nos oreilles sont les témoins de ce qui reste ; c'est comme une vague qui traverserait un tableau de part en part et en révélerait les couleurs au fur et à mesure. Plutôt que de donner à entendre le temps qui passe, c'est rendre audible le temps qui nous traverse, lui donner une forme et une matière, une épaisseur, en garder la trace sensible, le faire sonner…
Dans la musique électronique des commencements, un dispositif a joué un rôle énorme : le Ring Modulator, ou "modulateur en anneaux". Un modulateur en anneaux est un instrument électronique qui, lorsqu'on lui injecte deux fréquences, produit deux fréquences nouvelles qui sont, respectivement, la somme et la différence des deux fréquences initiales. Par exemple, si, dans le Ring Modulator, vous injectez les fréquences 440 et 660, vous obtiendrez en sortie les fréquences : 1100 et 220, qui s'ajouteront aux deux premières. La modulation crée des hauteurs différentes de celles dont on dispose avant la modulation. Il s'agit donc d'une sorte de multiplication de fréquences qui, par le biais des harmoniques multiples d'un son instrumental, produit des sons complexes et inharmoniques dont le célèbre DX7 a beaucoup usé pour produire des sons de type "cloche". Un RM peut créer très facilement des sons très complexes à partir de sons simples, par un effet de multiplication exponentielle des composants harmoniques du son. Si un son instrumental possède dix harmoniques, y compris la fondamentale, ce même son "ring-modulé" en possèdera trente, et le rapport qu'il entretiendra avec le son original sera dès lors très lointain, bien qu'apparenté.
Le Boléro de Ravel, c'est un peu une machine — un processus instrumental et compositionnel – qui agit avec la matière musicale comme le RM avec les sons. Vous lui donnez en entrée des composants simples (un rythme, une mélodie, un instrumentarium, un tempo), et, à l'autre bout, en sortie, vous obtenez une matière musicale très sophistiquée. On a l'impression que ça fonctionne tout seul, et je pense que cette impression de création sonore automatique (et quasiment magique) n'est pas pour rien dans la fascination qu'exerce cette musique depuis bientôt un siècle.
Ravel était passionné par l'horlogerie…
Le Boléro de Ravel, c'est un peu une machine — un processus instrumental et compositionnel – qui agit avec la matière musicale comme le RM avec les sons. Vous lui donnez en entrée des composants simples (un rythme, une mélodie, un instrumentarium, un tempo), et, à l'autre bout, en sortie, vous obtenez une matière musicale très sophistiquée. On a l'impression que ça fonctionne tout seul, et je pense que cette impression de création sonore automatique (et quasiment magique) n'est pas pour rien dans la fascination qu'exerce cette musique depuis bientôt un siècle.
Ravel était passionné par l'horlogerie…
« Je souhaite vivement qu’il n’y ait pas de malentendu au sujet de cette œuvre. Elle représente une expérience dans une direction très spéciale et limitée, et il ne faut pas penser qu’elle cherche à atteindre plus ou autre chose qu’elle n’atteint vraiment. Avant la première exécution, j’avais fait paraître un avertissement disant que j’avais écrit une pièce qui durait dix-sept minutes et consistant entièrement en un tissu orchestral sans musique – en un long crescendo très progressif. Il n’y a pas de contraste et pratiquement pas d’invention à l’exception du plan et du mode d’exécution. Les thèmes sont dans l’ensemble impersonnels – des mélodies populaires de type arabo-espagnol habituel. Et (quoiqu’on ait pu prétendre le contraire) l’écriture orchestrale est simple et directe tout du long, sans la moindre tentative de virtuosité. […] C’est peut-être en raison de ces singularités que pas un seul compositeur n’aime le Boléro – et de leur point de vue ils ont tout à fait raison. J’ai fait exactement ce que je voulais faire, et pour les auditeurs c’est à prendre ou à laisser. »
« Dans le Boléro, Ravel semble avoir voulu transmettre à ses cadets une sorte de manuel d’orchestration, un livre de recettes leur apprenant l’art d’accommoder les timbres. Avant de quitter la scène pour aller à son rendez-vous avec la mort, ce Rastelli de l’instrumentation a exécuté avec le sourire la plus éblouissante et la plus brillante de ses jongleries. » (Émile Vuillermoz )
Ce qu'il y a d'amusant, avec le Boléro de Ravel, c'est qu'il plaît beaucoup à ceux-là mêmes qui en général détestent ce qu'ils appellent un peu bêtement l'Art contemporain, cet art qui précisément, très souvent, fait exactement ce que fait ici le compositeur.
samedi 6 septembre 2014
vendredi 18 juillet 2014
1756

Le mot civilisation date de 1756, l'année de la naissance de Wolfgang Amadeus Mozart.
Dans le court extrait de « Civilité ou civilisation ? » d'Arouet Le Jeune, que je reproduis ici, on lit que la religion "est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité".
Comment réussir, aujourd'hui, à entendre que ce mot peut être affecté d'un signe positif ? C'est quasiment impossible. Tout ce qui accélère est bon, tout ce qui freine est mauvais. Tout ce qui se précipite vers l'avenir (qu'on a d'ailleurs remplacé par "le futur") est positif, tout ce qui rechigne, tout ce qui renâcle, tout ce qui regarde vers le passé, le donné, l'ancien, le déjà là, est négatif, maladif, nocif. "Regarder dans le rétroviseur" est une expression qui désigne une terrible maladie, qu'il convient de traiter au plus vite.
La civilisation était ce monde qui savait encore freiner, ralentir ; ce monde qu'on n'ose plus regarder qu'en cachette, et qu'on ne comprend plus, quand on ose le regarder.
Tout ce qui retarde la réalisation de nos désirs, tout ce qui limite nos droits, et leur extension perpétuelle, tout ce qui circonscrit le champ des possibles, tout cela est désormais suspect, hors-la-loi
Ce mot, "un des termes les plus importants de notre lexique moderne" (Benveniste), a été inventé en 1756 par Mirabeau dans L’Ami des hommes ou Traité de la population : "la Religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité ; c’est le premier ressort de la civilisation ; elle nous prêche et nous rappelle sans cesse la confraternité, adoucit notre cœur, etc.". Dans un manuscrit intitulé L’Ami des femmes ou Traité de la civilisation, il définit ce terme ainsi : "si je demandais à la plupart en quoi faites-vous consister la civilisation, on me répondrait (que) la civilisation est l'adoucissement de ses mœurs, l’urbanité, la politesse, et les connaissances répandues de manière que les bienséances y soient observées et y tiennent lieu de lois de détail ; la civilisation ne fait rien pour la société si elle ne lui donne le fonds et la forme de la vertu".
Dans le court extrait de « Civilité ou civilisation ? » d'Arouet Le Jeune, que je reproduis ici, on lit que la religion "est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité".
Comment réussir, aujourd'hui, à entendre que ce mot peut être affecté d'un signe positif ? C'est quasiment impossible. Tout ce qui accélère est bon, tout ce qui freine est mauvais. Tout ce qui se précipite vers l'avenir (qu'on a d'ailleurs remplacé par "le futur") est positif, tout ce qui rechigne, tout ce qui renâcle, tout ce qui regarde vers le passé, le donné, l'ancien, le déjà là, est négatif, maladif, nocif. "Regarder dans le rétroviseur" est une expression qui désigne une terrible maladie, qu'il convient de traiter au plus vite.
La civilisation était ce monde qui savait encore freiner, ralentir ; ce monde qu'on n'ose plus regarder qu'en cachette, et qu'on ne comprend plus, quand on ose le regarder.
Tout ce qui retarde la réalisation de nos désirs, tout ce qui limite nos droits, et leur extension perpétuelle, tout ce qui circonscrit le champ des possibles, tout cela est désormais suspect, hors-la-loi
Le Grand Livre de Georges

À Trucmuche, éditeur à Paris.
Georges voudrait vous envoyer un non-manuscrit qu'il voudrait non-publier. Il hésite encore entre 3911 pages et une (1) page (la page de titre). De plus, il hésite à en parler, ne serait-ce qu'ici. Qu'en dire, en effet, qui n'ait pas été dit mille fois ? Comme je sais que vous n'allez pas manquer de me demander quel est le titre de ce non-manuscrit, je vais répondre préventivement à la question. Ce manuscrit s'intitule "Non." (Il y a un sous-titre : "Et encore, c'est trop dire.")
Pensez-vous qu'il soit possible de me non-publier, dans un délai raisonnable ? S'il devait par extraordinaire advenir que vous décidiez de me non-publier, je ferais évidemment mon possible pour tenir mes engagements, c'est-à-dire écrire ce non-manuscrit, à la main, sans aucune intention, sans aucun sujet, et bien entendu sans la moindre phrase.
Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire, résumé, synthèse, commentaire, que vous voudrez bien prendre soin de me demander un peu à l'avance, car vous vous rendez compte, j'en suis sûr, qu'il s'agit là d'un travail tout à fait considérable, et d'une ampleur jusque ici inconnue des éditeurs de (oui-)littérature.
Je vous adresse, Monsieur, Cher Trucmuche, toute la considération nécessaire et suffisante à laquelle je joins juste ce qu'il faut de particulière sympathie.
lundi 9 juin 2014
Le moment
— Georges, tu es con, tu sais.
— Pourquoi, Maître ?
— Parce que tu me forces à te le dire.
— Maître, je ne vous ai rien demandé !
— Non, tu ne m'as rien demandé, mais tu aurais dû. Si tu me l'avais demandé, j'aurais tergiversé, j'aurais biaisé, j'aurais euphémisé, j'aurais nuancé, j'aurais attendu.
— Qu'auriez-vous attendu, Maître ?
— Qu'il soit l'heure de te le dire ; ce que tu peux être con, tout de même !
dimanche 4 mai 2014
Adresse
Georges de La Fuly prend une feuille de papier vierge sur la pile et la pose devant lui. Sur cette feuille, il écrit une phrase : « Ta langue dans ma bouche… Vertige ! » Puis il pose cette feuille sur la gauche du bureau, en prend une autre, et recopie la phrase qui se trouve sur la première feuille de papier sur la page qu'il a disposée devant lui. Ayant accompli cela. Il dispose cette deuxième feuille sur la première et en prend une troisième sur la pile, troisième feuille sur laquelle il recopie la même phrase exactement, et place ensuite la troisième page sur les deux autres, à gauche du bureau. Il continue comme ça un long moment, jusqu'à ce que la première pile (les pages vierges) devienne plus mince que la deuxième pile (les pages écrites). Ces copies successives lui donnent l'impression de se rapprocher de la Vertu. Copier, recopier, c'est comme ça que tout commence, mais c'est surtout comme ça qu'on se rapproche de la fin, c'est-à-dire qu'on fait monter une pile en faisant descendre une autre pile. Il aurait très bien pu choisir de recopier une autre phrase : la phrase n'a pas beaucoup d'importance. C'est sa non-transformation, au fil des pages, qui donne un sens singulier à cette phrase. Elle n'est pas absolument identique, cependant, puisque l'écriture manuscrite comporte de petites variations inévitables. La question qui se pose est celle-ci : est-ce que cela vaut la peine ? Imaginons que Georges de La Fuly répète cette action dix mille fois. Si les phrases n'étaient pas identiques, il aurait déjà écrit un roman. Mais cela ne l'intéresse pas, d'écrire un roman. Combien de romans ont été écrits, en pure perte, depuis la nuit des temps ? Beaucoup. Beaucoup trop. Non, ce qui l'intéresse, c'est ce qui se passe quand on répète le même geste des milliers de fois, sans (trop) de lassitude, comme si ce geste était aussi nécessaire que le fait de se nourrir ou de respirer. « Mais justement, ça ne sert à rien ! » allez-vous me dire… En est-on bien certain ? Après tout, il existe des centaines d'action que nous refaisons à peu près à l'identique, chaque jour, ou chaque semaine, ou chaque mois, ou chaque heure, et même, j'en jurerais, chaque seconde. Simplement, nous n'en sommes pas conscients. Nos cellules, nos organes, nos membres, font et refont sans cesse les mêmes opérations, et ne s'en plaignent jamais. Nos ongles poussent, par exemple, et nous les coupons, et ils repoussent, et nous les recoupons, et ils repoussent encore, jusque dans la mort, sans qu'ils paraissent en éprouver une lassitude quelconque. Et nous, nous allons, la bouche en cœur, le nez au vent, comme si de rien n'était, comme si nous pouvions survivre sans ces milliers de répétitions inlassables, comme si ce n'était pas le plus important, contrairement à ce que nous faisons mine de croire. La liberté dont nous nous croyons porteurs est pourtant rigoureusement impossible sans cet éternel processus de répétitions invisibles et inaudibles. Elle ne nous appartient pas, cette liberté. Elle appartient tout entière à ce monde souterrain de la recopie, de la réitération, de la reproduction, du perpétuel recommencement.
Pas de singulier sans pluriel. Pas d'exception sans règle. Pas d'art sans non-art. Pas de paix sans guerre. Pas de vie sans mort. Pas de positivité sans négativité. Pas de musique sans silence. Pas d'Unique sans Nombre.
Ta langue dans ma bouche… Combien de baisers réussis dans une vie d'homme ? Tellement peu !
Mon premier baiser, j'avais quatorze ans, c'était lors d'un concert, la fille devant moi s'est retournée et m'a embrassé. Je ne la connaissais pas, elle ne me connaissait pas, le baiser ne fut suivi de rien. Jamais je n'ai retrouvé vraiment ce goût inouï. Je suis revenu souvent sur les lieux du crime, en pure perte évidemment. Je n'ai jamais revu cette fille, qui devait avoir dix-sept ans, quelque chose comme ça. Voilà comment on apprend à embrasser. Depuis ce jour-là, combien de baisers ? Des milliers, sans doute. Combien de vertiges ? Une dizaine ? Une douzaine, peut-être… Chaque fois qu'une femme sait embrasser, elle sait faire l'amour. C'est dire si c'est rare ! Se mettre tout entier dans une toute petite portion du corps, y être au bon moment, de la bonne manière, avec la bonne intensité… Vous pouvez élargir ça à toute la vie. L'Adresse : Être adroit + Y être.
« Travaille ton instrument. » C'est la seule phrase qui soit utile à un musicien. Tout le reste est superflu. Tu ne sais pas quand, ni où, ni avec qui, ni pourquoi, mais le jour viendra que tu devras être prêt. En attendant, répète… Les deux piles sont là, sous nos yeux, mais nous n'y prêtons pas attention. L'une monte, l'autre descend. Il sera bientôt temps. Nous ne savons ni le jour ni l'heure…
mardi 1 avril 2014
Le Miracle
Georges est vivant. Nous avons survécu à l'allocution de François Hollande, nous avons survécu à la nomination de Manuel Valls, nous avons survécu à tant de choses que nous sommes en mesure d'affirmer que la vie est miraculeuse. Mais comme nous sommes le 1er avril, je ne m'avancerai pas plus…
lundi 31 mars 2014
Lundi matin
— Manu, j'veux qu't'ailles à Matignon. Jean-Marc, j'crois qu'il est grillé.
— (…)
— Ben quoi, tu veux pas ?
— Si si, j'veux bien. Si, François, j'veux bien.
— Ben dis-donc, cache ta joie, hein !
— Non, c'est pas ça…
— Quoi, qu'est-ce qu'y a ?
— Non, rien… En fait, j'pense à Ségolène…
— Ben quoi, Ségolène, ben quoi ? Tu la vois à l'Intérieur ?
— Non, c'est pas ça, non…
— Oui, elle jubilait, hein…
— Tu devrais la nommer à Matignon…
— Non mais tu te fous de moi, là, hein, c'est ça ?
— Bon bon, n'en parlons plus. T'as raison, François.
— Non mais je rêve ! Il est où, l'avion ???
samedi 1 février 2014
Ne bougez pas !
Le petit Jésus est en apprentissage chez un teinturier de Tibériade. Celui-ci lui apprend les particularités de chaque couleur et lui remet plusieurs étoffes somptueuses qui doivent être teintes chacune d'une manière singulière, avant de se rendre au marché pour ses affaires. Jésus, resté seul à la boutique, et pressé de retrouver ses parents, plonge toutes les étoffes dans une seule et même cuve emplie de couleur noire, puis rentre chez lui. Le teinturier, à peine rentré, constate que son apprenti a ignoré ses consignes et que les précieuses étoffes sont maintenant uniformément noires.
Le lendemain, nous retrouvons la meute sur la piste des bisons. Les petits ont grandi, ils sont plus résistants. Les bisons prennent la fuite. Accélérations, dépassements, feintes, encerclements, harcèlements, replis tactiques, c'est un ballet merveilleux, organisé sous la direction du loup le plus intelligent et le plus fort. Les petits bisons courent en restant au plus près de la mère, capable de tenir trois loups à distance.
J'appelle le 15. Bonjour Le Quinze, comment allez-vous ? C'est plutôt à moi de poser cette question, non !? Comment allez-vous ? Qu('est)-ce que ça peut vous foutre ? Bon, bon, alors dégagez, n'encombrez pas la ligne ! Mais je voulais avoir de vos nouvelles, moi ! Appelez le 16, je crois qu'il déprime grave…
New York, 1987. Jésus revient. Il fait un tour en ville, et puis il se tire vite fait. Quel boucan !
Grands formats. Couleurs vives. Beaucoup de noir. Hier, on m'appelle au téléphone. Bonjour, M. X, c'est les impôts. Attendez, je vous passe Y. Non, c'est à X que je veux parler. Oui, mais moi je ne veux pas vous parler.
Je sors de la route. Boum ! Un platane. La rencontre de ma vie.
Il entre dans une violente colère et se rend chez Joseph et Marie, à qui il raconte ce qu'a fait leur fils. Le pauvre teinturier se dit déshonoré. Mais Jésus le réconforte en lui affirmant qu'il va plonger à nouveau les étoffes dans la même cuve de noir, et qu'elles en sortiront avec les couleurs voulues par leurs propriétaires. C'est ce qu'il fait, à la grande surprise du teinturier.
Salt Peanuts, vous connaissez ? Bon, passez-moi M. Y, je crois que ça vaut mieux. Petit Bison, c'est les impôts au téléphone ! Ah, les chiens, y m'ont r'trouvé !
Et la journée s'écoule tranquillement. Elle est assise sur un banc, elle fait des mots croisés. Vous pourriez me montrer vos seins ? C'est dix dollars. Bon, je reviendrai quand j'aurai fait fortune. J'ai un tableau à vendre, ne bougez pas.
Le tableau est tout noir, évidemment. Il faut le replonger dans l'acide et dans les larmes, et alors les couleurs apparaissent, resplendissantes, aveuglantes. Tellement aveuglantes que tout le monde passe sans le voir.
J'appelle le 15. Bonjour Le Quinze, comment allez-vous ? C'est plutôt à moi de poser cette question, non !? Comment allez-vous ? Qu('est)-ce que ça peut vous foutre ? Bon, bon, alors dégagez, n'encombrez pas la ligne ! Mais je voulais avoir de vos nouvelles, moi ! Appelez le 16, je crois qu'il déprime grave…
New York, 1987. Jésus revient. Il fait un tour en ville, et puis il se tire vite fait. Quel boucan !
Grands formats. Couleurs vives. Beaucoup de noir. Hier, on m'appelle au téléphone. Bonjour, M. X, c'est les impôts. Attendez, je vous passe Y. Non, c'est à X que je veux parler. Oui, mais moi je ne veux pas vous parler.
Je sors de la route. Boum ! Un platane. La rencontre de ma vie.
Il entre dans une violente colère et se rend chez Joseph et Marie, à qui il raconte ce qu'a fait leur fils. Le pauvre teinturier se dit déshonoré. Mais Jésus le réconforte en lui affirmant qu'il va plonger à nouveau les étoffes dans la même cuve de noir, et qu'elles en sortiront avec les couleurs voulues par leurs propriétaires. C'est ce qu'il fait, à la grande surprise du teinturier.
Salt Peanuts, vous connaissez ? Bon, passez-moi M. Y, je crois que ça vaut mieux. Petit Bison, c'est les impôts au téléphone ! Ah, les chiens, y m'ont r'trouvé !
Et la journée s'écoule tranquillement. Elle est assise sur un banc, elle fait des mots croisés. Vous pourriez me montrer vos seins ? C'est dix dollars. Bon, je reviendrai quand j'aurai fait fortune. J'ai un tableau à vendre, ne bougez pas.
Le tableau est tout noir, évidemment. Il faut le replonger dans l'acide et dans les larmes, et alors les couleurs apparaissent, resplendissantes, aveuglantes. Tellement aveuglantes que tout le monde passe sans le voir.
lundi 30 septembre 2013
Itinéraire d'un provincial
1, bis, place des Vosges, 4e
Rue de Charenton, 11e
Avenue du Bel-Air, 12e
10 (?), rue Ferdinand Duval, 4e
62, rue Joseph de Maistre, 18e
(Planay, Bourgogne)
56, rue Saint-Louis en l'Isle, 4e
2, rue des arquebusiers, 3e
3, place des Vosges, 4e
35 (?), rue de Seine, 6e
13, rue Linné, 5e
12 (?), rue Villehardouin, 3e
Rue de Lappe, 11e
35, rue Racine, 6e
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