vendredi 31 décembre 2021

Voici l'heure


On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. Saigō Takamori eut la tête tranchée le vingt-quatrième jour du neuvième mois de l'année 1877 de l'ère Meiji, sur la colline Shiroyama, tout près du lieu qu'on appelle Kagoshima. Voici l'heure du soir qu'aime P.-J. Toulet. Il parle au seuil de ce livre car il est le dernier à connaître les cérémonies. C'est la lame d'un sabre parfaitement courbé sur toute sa longueur qui lui tranche la tête. Voici l'horizon qui se défait — un grand nuage d'ivoire au couchant et, du zénith au sol, le ciel crépusculaire, la solitude immense… Il parle aussi, comme toujours, pour tromper. La tête ne se détache pas aussitôt du reste du corps. Il a les ongles des pieds et des mains parfaitement coupés. À l'entrée de la maison, une guillotine et une télévision éteinte, et la rumeur de l'océan. Voici l'heure du poète qui distille la vie dans son cœur.

Il entend la sonnerie du téléphone. Il regarde monter la nuit, comme toujours ponctuelle. Il a encore la tête sur les épaules. C'est une cérémonie, de vivre. Sur le sol détrempé par la guerre, les traces de son sang ressemblent à des idéogrammes tracés à l'encre rouge. Déjà le boulevard déferle et resplendit. Voici l'heure du poète qui distille la vie dans son cœur, pour en extraire l'essence secrète, embaumée, empoisonnée. L'héritage des sentiments le guidera toujours. Il n'y a rien d'autre au monde à voir que la vie dans son cœur. 

Le temps fera revenir les sentiments dans la ronde, le temps n'empêchera pas la tête de tomber au sol, car la justice n'est pas l'égalité. 

Il entend la sonnerie du téléphone, comme dans un rêve. On s'en veut quelquefois de sortir de son bain. Il regarde monter la nuit, la tête encore sur les épaules. Voici l'heure de la cérémonie, dans son cœur, qui trace des idéogrammes de sang : essence secrète et empoisonnée. La solitude immense du moment présent, détaché de tous les autres. Poème. Rien n'est égal à rien.