Les femmes sont admirables, pour nous renvoyer leurs propres fautes dans les dents.
Quand on est face à quelqu'un qui nous traite comme de la merde, il peut arriver qu'on finisse, à la longue, par trouver que c'est un peu désagréable, et que l'on se mette alors à récriminer, autant pour avoir encore un peu le sentiment d'exister que pour essayer de lui faire comprendre qu'elle n'est pas seule. C'est là que la femme sort son arme ultime : elle nous reproche de réagir. Elle appelle ça "récriminer". Nous devrions trouver ça normal, puisque c'est elle qui se conduit ainsi. Elle est la Norme. Réagir est bas, médiocre, fatigant, inutile, vulgaire. Et de mauvais goût.
Si je ne suis que récriminations, c'est bien sûr qu'elle n'est que désinvolture, mépris, inattention, et, finalement, disons le mot qui résume tout cela, grossièreté. Vous en connaissez beaucoup, vous, des gens qui aiment qu'on se conduise mal avec eux, qu'on les traite par-dessus la jambe, qu'on soit sans-gêne, oublieux, sans parole ? On ne récrimine pas pour le plaisir de récriminer, d'autant qu'on sait bien que c'est toujours pour endosser le mauvais rôle. Si l'on se conduisait avec elle de la manière dont elle se conduit avec nous, ce ne sont pas des récriminations, qu'on entendrait, mais une porte qui claque.
Pour autant, elle ne voit pas le problème. Elle en appelle à sa Liberté, à son grandiose Soi-même, à l'empire sacré qu'elle doit protéger, alors qu'elle ne manifeste, très banalement, qu'un égoïsme et une inconscience ordinaires. Mais d'où leur vient donc cette aptitude stupéfiante à la mauvaise foi ? Comment parveniennent-elles à se faire croire qu'il s'agit d'autre chose ?
Elles sont seules au monde. Je ne vois que ça. Est-ce la capacité à enfanter qui conduit à croire qu'on n'a pas réellement besoin de l'autre, qu'on n'a de compte à rendre à personne ? Après tout, l'homme, techniquement, n'est déjà plus indispensable à la perpétuation de l'espèce. À partir du moment où il est possible de conserver le sperme, l'homme n'a plus réellement de nécessité fondamentale, c'est-à-dire biologique. Je ne pense pas que l'égoïsme des femmes soit nouveau, non, mais il serait étonnant que cette donnée nouvelle n'ait aucune influence sur celui-ci. Quand on a le pouvoir, on a tendance à trouver normal d'en abuser, c'est humain.
Pour résumer, quand une femme commence à se conduire mal avec un homme, c'est le moment de la double-peine, pour celui-là. Non seulement il subit ces mauvais traitements, qui le fragilisent et le font souffrir, mais il ne peut même pas en faire état, sous peine d'être pénible, chiant, pas gentil, pas drôle, lourd, rébarbatif, répétitif, etc. Il doit accepter son sort avec le sourire, afin que madame "se réalise". Car madame a désormais un plan de carrière, ou un chemin de vie, ça aussi c'est très banal. Elle découvre subitement que, jusqu'à présent, elle-n'avait-jamais-pensé-à-elle-même. Elle découvre aussi qu'elle a beaucoup de choses à faire, beaucoup de choses à accomplir, et, qu'en somme, elle-s'est-fait voler-sa-vie. Elle va donc logiquement mettre les bouchées doubles, pour se rattraper de l'ignoble chapardage dont elle a été la victime (et dont jamais vous ne fûtes, vous, coupable (mais les parenthèses sont faites pour garder le secret)). Et c'est une troisième justification à son égoïsme. Je suis seule et en plus on m'a volé ma vie. Passons sur la contradiction, on n'est pas à ça près, dans cette race-là. Alors que, bien sûr, elle a toute la journée pour elle, puisqu'elle n'a pas à gagner sa croûte et que les enfants sont grands, elle se met à avoir un emploi du temps de ministre. Il faut courir, se faire masser, aller au restaurant, chez le coiffeur, chez le fripier, se promener, faire son yoga. Pas une minute à elle, vous savez ! Un peu comme ces retraités qui vous expliquent que la vie leur file entre les doigts. Bien entendu, il n'en est rien, et, quand elle l'estime nécessaire (comme tout le monde depuis que le monde est monde), elle sait fort bien trouver du temps pour les choses qui lui importent — il se trouve seulement que vous ne faites plus partie des choses qui importent ; mais ça elle ne peut pas le dire. Pas encore. Ça viendra.
Ah, c'est drôle, une femme. C'est drôle et c'est sinistre. C'est gentil et c'est méchant, très méchant, c'est joli et très laid, c'est malin et très bête, c'est rigolo et désespérant. C'est surtout un peu toujours la même chose, mais en différent. C'est très coloré, et c'est grisâtre. En fait, c'est comme un homme mais avec un trou de plus. Et par ce trou, mon Dieu, il s'en écoule, des choses ! Vous voulez que je vous dise quoi ? Bon, mais alors accrochez-vous à votre fauteuil. Et bouchez-vous le nez. Ça dégringole à donf depuis les rêves encapsulés et acides, la cataracte glacée des tracts et des déclarations loufoques, sérieuses, chimiques, pneumatiques, pommadées et tranchantes qui fusent depuis l'astre mort et chauffé au sucre, la coulée nocturne et ravagée des enclumes célestes, le trépan mélodique d'une gigue asphaltée, rougie, baveuse, la raison cubique siphonnée d'extase, et l'asperge rose qui flotte sur les débris jaunes et or sortant d'un sommeil de mort, la source fraîche et l'amer, le calendrier mystique, l'herbe tueuse, la fièvre inversée, la neige en accords brisés et le brelan cupide, le rendez-vous oublié et la jubilation du sang, le cul retourné. La question femmes ne se pose plus car aussitôt posée elle coule entre les jambes : ça me mouille le cerveau ; mon spéculum est en tire-bouchon, je me débouche la mémoire pendant leurs arpèges inexpressifs et randomisés, stridulés en ondes brunes, c'est une énigme à rebours qui aveugle celui qui voit et boit et croit, toute croyance pavoisée à l'intérieur de l'organe. Un homme ne laisse pas plus de traces dans une femme qu'un oiseau dans le ciel.
Mauvaise foi, bêtise, peurs croisées, mesquinerie, courte vue, tout cela tombe dans le bénitier, mais qu'importe après tout, quand son con ouvre sur une théorie de nombres dansants ? Elle ne l'aperçoit pas, dans sa terreur à ne pas se mouiller, à rester sur le seuil, mais, pourtant, la voix et le sang, et les doigts et la peau, précipitent depuis le ventre ce fleuve qui nous emporte au-delà de nous-mêmes, à travers les larmes, de l'autre côté des saveurs.
Elle avait raison, je n'aurais pas dû me plaindre. Elles n'existent pas : comment leur en vouloir ? Joie et esprit mêlés, à leur corps défendant, c'est par effraction qu'on peut les aimer, et d'aucune autre manière, si l'on veut rester vivant.