dimanche 28 juin 2020

Notes éparses du 28 juin 2020


Quand on veut créer quelque chose, dans un domaine artistique, il n'y a que deux attitudes qui permettent d'arriver à un résultat qui ait un sens. Soit on travaille d'arrache-pied, œuvre après œuvre, esquisse après esquisse, et l'on s'améliore petit à petit, avec le temps. Ça prend des années. Soit on se met directement face au chef-d'œuvre. Cela implique de se placer dans des dispositions d'esprit bien particulières. Il y a cette énergie radicale, qui n'a rien à voir avec le talent ni avec la connaissance (elle est plus proche de la décision d'aimer), en chacun de nous, mais bien peu en ont conscience. C'est tout à fait différent, presque l'inverse, en fait. L'une et l'autre méthode peuvent bien sûr coexister chez un même artiste.

La photographie c'est l'art de montrer ce qui est. Depuis l'avènement du numérique, c'est de plus en plus l'art de cacher, de camoufler, de réduire, et d'arranger (au sens de l'arrangement avec la réalité). C'est complètement idiot. Si la photographie a un mérite, et un pouvoir, c'est bien celui de faire état de la réalité, des visages, des choses. Le « ça a été » de Roland Barthes. Un ami me montrait tout à l'heure les nus qu'il avait réalisés de ses jolies amies, et la plupart était saccagés par des filtres censés améliorer les photos. Le flou, en particulier, était catastrophique, qui gommait absolument tous les détails adorables de ces peaux, de ces seins, de ces ventres, et qui donnait à ces beaux visages l'aspect de méduses auxquelles on aurait fait des yeux et une bouche. Quand on fait de la photographie, il faut ne jamais oublier qu'on rend compte de l'étant beaucoup plus que de l'être. Jane a très bien compris cela, elle. 

J'ai regardé grâce à Youtube plusieurs concerts filmés de Muray Perahia dans lesquels celui-ci interprète les concertos de Mozart. La manière absolument unique (impeccable : poids, attaque, équilibre, timbre), et d'une beauté renversante, qu'il a de plaquer ses accords, m'a sauté aux yeux. On dirait que sa main a été moulée dans cet unique but. On voit et on entend simultanément la douceur, la plénitude, l'autorité, la charpente, la puissance, la superbe matité, de cette chose un peu étrange qu'on appelle un accord

Ce matin, j'ai rêvé d'un chaton qui respirait sous l'eau. Il avait l'air parfaitement à l'aise et il exécutait des figures d'une rare élégance. Pepo, mon voisin, un vétérinaire devenu maire de ma ville natale, m'expliquait avec force grimaces comment l'animal s'y prenait pour réaliser cette prouesse. Mais bientôt, et sans transition, nous en étions à nous disputer sur le bruit émis par les concerts de Rock et les concerts de musique classique. Il me coupait sans arrêt la parole, alors que j'étais sur le point de lui expliquer très scientifiquement les différences entre ces deux types de nuisances sonores. Pourtant, malgré sa mauvaise foi et sa grossièreté évidentes, je le trouvais beau, plus beau, me disais-je, que dans la réalité (je savais donc que j'étais en train de rêver). Un peu plus tard, j'aidais mon père à descendre un escalier et il se libérait d'une secousse de mon bras secourable. C'est à ce moment là que ce gros animal s'est mis en travers de mon chemin, devant la maison, cette grosse bête qui ne ressemblait à aucun animal connu, et qui, elle aussi, semblait avoir des difficultés à respirer à l'air libre. Était-ce une raison pour l'ignorer, disais-je à mon frère qui voulait à toute force me prouver qu'il n'y avait là aucun animal et qui, pourtant, semblait effrayé, au moment de passer près de lui. Je n'avais jamais vu de chien avec des pattes aussi courtes. Je dis un chien, mais je pourrais aussi bien dire une loutre. Quant au clavier, il avait un drôle d'enfoncement, en deux temps, ce qui lui conférait une démarche malsaine. 

Il y a cette femme, sur Facebook, poète, nous dit-on, et poète publiée, dont il m'arrive de parcourir les extraits qu'elle dépose sur sa page. Si la poésie, c'est ça, alors on comprend pourquoi personne n'en lit, car on la voit ne pas savoir où elle va, soulever ici une pâtée de vocables, ouvrir là un sac d'images, et les touiller avec une grosse fourchette en bois qui a déjà trop servi. Le seul but qu'elle a l'air de poursuivre, c'est de faire des phrases poétiques, ce qui, bien sûr, est le contraire de la poésie, et puis les phrases ne se laissent pas faire par ceux qui ne les écoutent pas. 

Il faudrait inventer un Photoshop des mots. Par exemple, tout à l'heure, j'écrivais : « Elles aiment bien se trouver un fils, à défaut de se trouver un père. » Puis, j'ai réfléchi, et je me suis dit que l'inverse était plus vrai : « Elles aiment bien se trouver un père, à défaut de se trouver un fils. » Mais, dans le fond, c'est les deux à la fois, qu'il faudrait pouvoir écrire, et simultanément, pour être juste (de la même manière que j'ai superposé deux pages manuscrites d'Aragon). Et ça, c'est impossible… Pour l'instant. Avec Photoshop, nous pouvons doser la quantité de chacun des deux calques superposés. Par exemple, ici, on pourrait faire sens avec la proposition 1 à 40% et la proposition 2 à 60%. On pourrait même raffiner encore. Par exemple, la proposition 1 serait perceptible à 30%, la proposition 2 à 55%, et il resterait 15% de ni l'une ni l'autre. À quoi ressemblerait un texte dans lequel deux assertions contradictoires seraient données simultanément, et par quel moyen y parvenir, en l'état actuel de la technique et de la culture ?

La femme considère que montrer son corps à un homme est un présent qu'elle lui fait. L'inverse n'est pas vrai. L'homme peut parfaitement être fier de son corps, mais il n'imagine pas que se dénuder est le plus beau cadeau qu'il puisse faire à une femme. Même quand la femme ne s'aime pas, ne trouve pas son corps admirable, elle sait que le laisser voir à un homme est un acte de générosité. On dit d'ailleurs qu'elle s'offre à lui. L'homme ne s'offre pas à la femme, il prend ce qu'on lui donne.