samedi 21 septembre 2019

Booster l'inspiration de Francis, c'est le must…

Plieux, vendredi 20 septembre 2019, onze heures du matin. Je me demande bien ce qu’il en est de la langue des affaires, aujourd’hui, et de l’état dans lequel elle se trouve. Je n’y suis pas exposé directement et ne la rencontre guère, mais j’en observe tout de même un aspect un peu marginal, et qu’on pourrait supposer n’être pas le pire. C’est la langue des agents immobiliers spécialisés dans les manoirs et châteaux, ou dans ce qu’ils appellent les demeures de prestige. Or, contrairement à ce qu’on pourrait croire (à condition d’être très naïf, peut-être), cette langue est d’une part extrêmement vulgaire (il y est par exemple beaucoup question de l’événementiel…), mais surtout incroyablement délabrée, fautive, inculte, ponctuée en dépit du bon sens, pleine de fautes d’orthographe, de négligences ou d’ignorances typographiques, d’irrespect pour le régime des espaces et des capitales, et d’une instabilité syntaxique qui la mène constamment au bord de l’inintelligibilité. Je me demande comment les gens arrivent à se comprendre dans ces conditions. Mais peut-être est-il important de ne pas se comprendre pour faire des affaires. Quoi qu’il en soit je vais essayer de constituer ci-dessous une petite anthologie qui illustrera mon propos — il s’agit d’extraits d’annonces et de “descriptifs” (pour descriptions, j’imagine…) parus dans une presse spécialisée souvent assez prétentieuse, et publiés par des agences qui se prennent pour l’épitomé du chic : 

 Le Château possède son un beau lac, situés sur 3 hectares de terres vallonnées. 

 La remarquable ferme en U de 700 m² plein sud, offre de plusieurs logements, écuries, granges, grandes remises, au centre de la cours de 2000 m² se trouve le pédiluve toujours en eau. 

 Tout en profitant du calme de la campagne, rappelons que cette demeure est à seulement 45 km de Paris et 50 km des aéroports d’Orly et de Roissy. 

 Proche du Malzieu Ville à 15 minutes de l’autoroute Grande maison de Maître de 1608, implantée dans un petit village sur la Margeride, cette propriété de 15 pièces sans aucun travaux à prévoir car elle a fait l’objet d’une très belle restauration (électricité, menuiseries, salle d’eau, cuisine, sablage des pierres et bois, enduits et peintures, isolation des combles etc). 

 Réelle opportunité ! Superbe propriété d’Architecture rare ayant subi une très importante rénovation.  
Dans la maison principale il faudra y mettre votre touche personnelle et faire plus de sanitaires mais tout est prévu. 

 Terrain de 5 ha environ avec Parc arboré et aménagé, 3 Puits, nombreux éclairages et bancs ont été installés pour profiter du site; Prairie, bois, ruisseau, plan d’eau en cours, Parking 20 voitures, Grandes dépendances. 

 La propriété comprend la maison principale avec ses 5 salles de réception dont une salle à manger transversale de 86 m², 6 chambres principales (chaque une avec sa salle de bains et dressing attenante), cave à vins, buanderie, pièces de service, une magnifique cuisine de 67 m² avec piano de cuisson sur mesure, cheminée monumentale, une grande arrière cuisine. Tout a été fait pour le meilleur confort et Dans l’aile droite, des grandes espaces jeux, y compris un bar de 77 m², vestiaires et local technique, et un appartement de service de 55 m². 

 Il y a aussi 2 maisons d’amis: la première a été récemment rénovée avec beaucoup de goût, et la deuxième est en bon état sans avoir été rénové. Des bâtiments agricoles sont inclus. Grand parc, beaux vues panoramiques, petit bois, puits, À une heure de Toulouse et 10 minutes d’Auch. 

 Située au sud de Carcassonne dans le Haute Vallée grand château de village dont la première construction date du 16ième/17ième. Un part d’environ 300 m² est rénovée et habitable de suite et il reste un autre 600 m² à faire. L’édifice en pierre comprends des très jolies cheminées en pierre, des plafonds à la Française, des sols en pierre et autres caractéristiques architecturales exceptionnelles. Les propriétaires ont fait beaucoup de travaux pour améliorer et consolider la structure de bâtiment et les travaux qu’ils ont fait sont avec beaucoup de respect pour les détails d’origine. 

 Un art de vivre exceptionnel liant harmonieusement le traditionnel et le must contemporain. 

 En Touraine, exceptionnel Château en Touraine XV°-XVII° et XIX° ISMH. Restauré, sur 3ha13. Prestations de grande qualité. 4 logements annexes. Châtelet. Nombreuses dépendances. Grandes caves troglodytiques et caves souterraines. Cours intérieures. Parc arboré. Terrasse. Potager. Jardin. l’ensemble sur 3ha 13. Le Château en Touraine, restauré, comprend: Au rez-de-chaussée: Une entrée principale de 14 m², tomettes, escalier à vis en pierre. Au 1er étage: Un salon de 31 m², poutres et cheminée en pierre. Une lingerie-chaufferie de 10 m². En demi-étage: Un petit salon de 10 m², tomettes. Au 2ème étage (accès à la terrasse de 60 m² et au jardin): Une cuisine aménagée de 20 m², tomettes, poutres et accès à la terrasse sur la tour. 

C'est dans le Journal de Renaud Camus que je trouve cela, ce matin, qui me parle très directement. Je ne peux pas ne pas penser à l'agence Féau, à Paris, à leur prétention, bien sûr, mais à leur vulgarité, surtout, qui m'avait énormément frappé, en 1990, quand que je faisais visiter l'appartement de la place des Vosges, où je vivais alors. Le jour où ce bellâtre ridicule de Francis Huster est venu avec sa copine de l'époque a été un des plus drôles. Pendant que la dame de l'agence vantait les mérites de l'appartement, je faisais des grimaces, dans son dos, qui signifiaient qu'elle racontait n'importe quoi, ce qui avait l'air de beaucoup amuser la fille qui accompagnait l'acteur. Lui prenait des grands airs, parcourant l'appartement avec une mine sombre, dans un grand manteau de pluie, sans un mot, pendant que l'autre andouille nous expliquait avec toute la componction requise qu'un acteur doit "sentir" les lieux, afin de savoir s'il pourra y trouver l'inspiration, furieuse contre moi qui ricanais en regardant ma montre. 

Ces gens-là sont d'une telle grossièreté qu'on n'a guère de scrupules à être désagréable. Je ne l'ai pas été assez. Elle était décontenancée par l'appartement et sa "déco", mélange improbable de raffinement (les meubles de Tante Glyne étaient encore là, et Dieu sait qu'elle avait bon goût, un goût très sûr que cette pétasse ridicule n'aurait jamais) et de n'importe quoi (mes propres affaires). Je dormais par terre, par exemple, car je m'étais débarrassé du lit de ma tante, trop petit à mon goût, et cette connasse, pour bien montrer le mépris dans lequel elle me tenait, avait un jour déposé son parapluie mouillé sur mon lit. Ce n'est qu'un petit exemple de la guéguerre que Féau et moi nous sommes livrée pendant des mois. J'annulais un rendez-vous sur deux, à la dernière minute, ce qui la mettait hors d'elle, je lui ouvrais la porte en slip, pas douché, et allais prendre ma douche pendant la visite. Et quand elle disait aux visiteurs, baissant la voix : « En face, vous avez l'appartement de Monsieur Jean-Claude Brially », je la reprenais en expliquant que Jean-Claude avait déménagé depuis déjà six mois et que sa voisine du dessus était une sans-gêne qui faisait un boucan infernal. 

Plus tard, j'ai eu une belle-sœur, héritière d'une grande fortune alsacienne, avec laquelle je m'entendais plutôt bien, gentille mais elle aussi d'une invraisemblable vulgarité, parlant comme une concierge, trouvant que Catherine Pankol était géniale, copine des toutes les vieilles crapules de la droite parisienne. Un jour elle a cru me faire plaisir en m'invitant à Essaouira, pour y faire une thalasso… J'aurais dû y aller, ne serait-ce que pour pouvoir raconter les discussions des bourgeoises du XVIe pendant qu'elles font semblant de perdre leur graisse… Mais les "booster", les "must", les "haut-de-gamme", tout ce sous-vocabulaire de commerciaux et de publicitaires m'avaient déjà donné la nausée depuis longtemps, et je n'ai pu me résoudre à tant de sacrifices. Je préfère mille fois les caissières de CORA, même les tatouées. Au moins elles ne passent pas à la télé, sauf dans Koh-Lanta.

Il faut s'y faire, les gens qui ont de l'argent ne sont pas seulement aussi ploucs que les autres, ils le sont souvent plus. C'était déjà vrai en 1990, alors aujourd'hui…