samedi 2 septembre 2017

Carte Vitale


— Vous faites de l'hypertension.
— Ah bon ?
— Oui. C'est très embêtant.
— Ah bon ?
— Oui, mais ne vous inquiétez pas, on a un traitement.
— Ah bon !
— Oui, je vais vous prescrire du Minorix 500, vous allez voir c'est très efficace. 
— Ah bon.
— Oui. Voilà. Un par jour, c'est très pratique et très efficace.
— Bon. 
— Voilà. Ça fait 23 euros. Vous avez votre carte Vitale, s'il vous plaît ?
— Non.
— Comment ça, non ?
— Je veux dire que je ne vais pas le prendre votre Minorix 500.
— Ah bon ?
— Non.
— Vous préférez faire un régime ? Je vous préviens, c'est assez contraignant.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Non, je ne vais pas faire de régime.
— Ah, vous ne voulez pas vous soigner ?
— Non. 
— Mais pourquoi ?
— Parce que je vais très bien.
— Ça, Monsieur, permettez-moi d'en douter. J'ai les chiffres de votre…
— M'en fous, de vos chiffres. 
— Ah oui, évidemment, si vous ne me faites pas confiance…
— Non, je ne vous fais pas confiance. Mais n'y voyez rien de personnel.
— Pourtant, la Science…
— Je l'emmerde, votre Science.
— Bien. Je vois. Vous refusez le progrès.
— Vous ne voyez rien du tout mais ce n'est pas grave.
— Si si je vois bien.
— Voilà vos 23 euros.
— Gardez-les, je ne veux pas que vous me reprochiez de vous avoir extorqué de l'argent pour rien.
— Non, ça me fait plaisir, vraiment. J'adore donner de l'argent, surtout quand ça ne sert à rien et que c'est remboursé. Vous n'avez pas une piscine à construire ?
— Ce n'est pas le problème. 
— Mais si c'est le problème, bien sûr que c'est le problème. 
— Je vous aurai prévenu.
— Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous faire un procès parce que je vais mourir d'une maladie quelconque. De toute manière je vais mourir. Et puis mon hypertension m'aide à supporter les médecins.
— Hum…
— Oui, comme vous dites, hum…
— Vous savez…
— Non, je ne sais pas, mais vous non plus.
— Bien, je n'insiste pas.
— Merci. Au revoir Docteur.
— Attendez ! Vous oubliez votre ail et votre crucifix…
— N'exagérez pas votre importance, Docteur, vous n'êtes qu'un esclave très consciencieux auquel on donne quelques miettes tombées de la table, rien de plus. Vous pourrez tout juste construire votre piscine un peu minable, payer le mariage de votre fille, partir deux fois en vacances à Phuket, et vous mourrez, comme moi, à l'hôpital, entouré de deux aides-soignantes qui parleront le bantoue ou l'arabe. Vous aurez refourgué consciencieusement votre Minorix 500, vous aurez couché avec l'assistante du Professeur Truchot qui vous invite à ses conférences au Novotel de Marne-la-Vallée, et pas un de vos commanditaires ne sera au crématorium pour vous saluer, à moins que votre femme ne soit très jolie, ce qui m'étonnerait.