dimanche 28 avril 2013

Picasso, son héros



C'est tout de même idiot ! Depuis qu'il m'a dit son amour pour Picasso, "le choc", j'ai tendance à moins aimer celui-ci, à lui trouver des défauts qu'il ne me serait jamais venu à l'idée de remarquer plus tôt, ni surtout de considérer comme tels. Comme il est peintre lui-même, "artiste-peintre", comme il dit, et que sa peinture est affreuse, enfin, non pas affreuse mais profondément ennuyeuse, sans aucun attrait pour moi, laborieuse au sens le plus décourageant qui soit, peinture de paysages à la touche épaisse et colorée de rythmes que je ne peux que qualifier de gras, non, lourds, je ne fais plus que remarquer des similitudes entre ceux-là et ceux qu'on trouve aussi dans la manière qu'a Picasso de passer d'une couleur à une autre. 

Il ne faudrait jamais parler de musique ni de peinture avec personne, quand on a la prétention d'en "faire" soi-même. 

J'entends Brendel qui joue la Sonate au clair de lune, via iTunes, sans que je lui aie rien demandé. Je ne sais pas si je l'aurais reconnu sans cela, mais je sais que c'est lui parce que, juste auparavant il a joué les Variations en fa mineur de Haydn, et encore avant le Concerto italien de Bach. Brendel, que je méprisais, il y a trente ans, parce qu'il jouait ce même concerto comme un grand pianiste…Brendel, dont le livre, lu à l'époque, Réflexions faites, si je me souviens bien du titre, ne m'avait pas convaincu. Il faudrait tout reprendre. Tout recommencer, depuis le début, ou presque, pour voir, pour comprendre où l'on s'est fourvoyé, quel était l'embranchement maudit, le détour de trop. Pourtant, Brendel dans le 20e concerto, c'est quelque chose, mais il y avait aussi cette élève qui ne jurait que par lui dans Schubert — et encore cette autre que j'avais emmenée écouter Pollini à Pleyel dans Brahms et qui avait fait la moue en me parlant d'Ashkenazy ! 

L'encadreur me présente le peintre, héros de la soirée, en le qualifiant — et il insiste, le bougre — de "laborieux" ! J'imagine qu'il veut dire par là que le peintre est un gros travailleur. Encore ne parle-t-il même pas de son art, à ce que je comprends un peu plus tard, mais des restaurations de maisons dont s'est occupé l'artiste pour gagner sa vie. On hésite : est-ce moins grave, ou plus ? L'artiste ne réagit pas. Soit il s'en fiche éperduement, soit il connaît le personnage, soit il ne comprend pas non plus de quoi l'autre parle, soit il pense déjà à ce qu'il va répondre à la prochaine personne qui tient absolument à lui être présentée, et qui lui parlera de "la sensualité de ses rouges".

La province, est-ce ce lieu où l'on rencontre des artistes-peintres laborieux et où le souvenir enchanté et vivifiant de la peinture de Picasso se met à décliner lentement ? Mais la province, ce sont aussi ces longs moments que l'on peut passer en compagnie des sonates en si de Berg et de Liszt, où l'on a assez de place pour disposer les partitions par terre, feuille à feuille, et les apprendre par cœur en posant ses pas par-dessus, depuis le salon jusqu'à la salle de bains, et où la jolie voisine qui va chercher le lait s'arrête en chemin et vous parle de "votre" étude en ut dièse mineur de Chopin qui lui semble bien meilleure depuis quelques jours. Elle n'aime pas du tout Picasso, mais elle a de très jolis seins. On lui composera un petit trio pour son ensemble, qui sait…

Tiens, Brendel se met à Berg.