jeudi 28 février 2013

Art consommé ou art du consommé


« Le parti de l’In-nocence salue avec affection et tristesse, à l’occasion de sa mort, la belle figure de Marie-Claire Alain, organiste française qui durant toute sa carrière a offert aux amateurs de musique, notamment baroque, des interprétations exigeantes et néanmoins lumineuses d’œuvres majeures du répertoire d’orgue, avec un art consommé de la registration. »

Ils me feront toujours rire, au parti de l'In-nocence. À chaque fois qu'un organiste meurt, on nous refait le coup de "l'art consommé de la registration", ça ne manque jamais. On y ajoute souvent le "jeu de pieds impressionnant". Là, on a tout dit. Organiste = registration + jeu de pieds. La prochaine fois qu'un pianiste meurt, ce qui ne va pas tarder, j'espère, je propose qu'on parle de "son jeu de doigts", et de son "art consommé du juste choix du piano". Pauvre Marie-Claire Alain, elle méritait mieux que d'avoir des pieds pour pédaler et des mains pour tirer des tirettes. 

J'aimerais beaucoup savoir ce qui permet à un néophyte de juger de la bonne (ou merveilleuse (ou médiocre)) registration d'un organiste, cela m'intéresserait au plus haut point de comprendre comment il peut émettre le moindre jugement sur cette partie du métier. Quant au fameux "jeu de pieds", il va de soi que tous les jeux de pieds de tous les organistes sont "impressionnants" pour quelqu'un qui découvre cet aspect (en général caché, et pour cause) du jeu d'un organiste. Je me rappelle un concert de Rhoda Scott, au tout début des années 70, où elle levait les mains au dessus du clavier pour bien montrer à son public que c'étaient ses pieds qui faisaient tout le travail. Eh oui, les pieds d'un organiste jouent eux aussi. Scoop ! Le voir est toujours "impressionnant", quel que soit l'organiste. Comme les notes à jouer sont les mêmes, que l'on s'appelle Mariel-Claire Alain, Olivier Messiaen, Louis Vierne ou Célestin Huitpieds, les mouvements des pieds seront les mêmes, que l'instrumentiste porte des escarpins, des pantoufles ou des brodequins, qu'il chausse du 36 ou du 44. Personnellement, je ne vois pas très bien en quoi un organiste peut avoir un jeu de pieds plus intéressant qu'un autre, mais enfin, il est vrai que je ne suis pas organiste. Bon, je suis un peu de mauvaise foi, évidemment, puisqu'il m'arrive de me régaler du "jeu de pieds" d'un Michelangeli (qui a en général de très jolies chaussures) qui, le pauvre, ne dispose que des trois pédales. Mais passons sur ces détails qui n'intéressent personne.

J'ai eu envie de gifler le petit merdeux qui hier, à France-Culture vers sept heures du soir, a cru bon de railler « le Bach de Marie-Claire Alain » en des termes que j'ai préféré oublier. Il la trouvait visiblement ringarde, bien entendu, puisqu'il paraît qu'on ne peut plus jouer Bach tranquillement depuis que les Harnoncourt et consorts ont dicté la nouvelle Loi tombée du Sinaï baroque. Je n'ai rien contre Harnoncourt, mais enfin, avouons que ses premiers disques, ceux précisément dans lesquels les chofars de la renommée ont failli faire tomber Jéricho Furtwängler (qui avait de l'oreille) en syncope, étaient mauvais à un point difficilement imaginable aujourd'hui. La grande chance de Harnoncourt a été de rencontrer de très bons musiciens et d'avoir été assez intelligent pour apprendre un peu, au fur et à mesure, que la musique ne se laisse pas impressionner par des théories, si intéressantes soient-elles. Encore quelques années et il approchera un peu d'un Fritz Reiner ou d'un Georges Szell.

En parlant de consommé, il va falloir que je retente ma chance, comme tous les ans. Réussir un consommé comme celui de la Tante Julie, voilà une noble espérance. Je vais devoir soigner ma registration.