dimanche 27 novembre 2011

Disgrâce



Nous sommes environnés, toute la journée, toute la semaine et toute l'année, dans ce qu'il reste des pays et des villes sur Terre, par des objets laids, par des sons laids, par des paysages enlaidis, par des humains laids et laidement habillés, nous baignons dans une langue crottée, dépenaillée, nous habitons dans des logements laids, nous dînons sur des tables laides et nous assoyons sur des chaises laides, les publicités dont la laideur le dispute à l'agressive bêtise s'étalent désormais sur tous nos murs virtuels, les voitures sont laides, les enfants sont particulièrement laids, l'art lui-même se plaît à représenter la laideur, ou à la singer, ou à l'habiter, ou à l'incarner, que ce soit par défaut ou par volonté. Nous devrions donc être immunisés, mithridatisés, et ne pas souffrir de cette constante exposition à l'increvable hideur dans laquelle nous survivons. Et certes, la plupart des hommes d'aujourd'hui ont cette chance. C'est la raison de ma surprise : le vaccin n'a pas fonctionné. Que la couverture de "GardMag", par exemple, ait autant d'effet sur moi, n'est pas normal. Je suis comme ces gens qui ont contracté des maladies orphelines, et qui ne savent vers qui se tourner pour être soignés. La faculté est impuissante ou indifférente, nous sommes trop peu nombreux, il n'existe pas de Téléthon ni de pièces jaunes pour nous.

Toute la journée, j'ai eu des convulsions, de la bave aux lèvres, j'ai toussé, craché, mes oreilles ont sifflé, mon nez a coulé, mes yeux se sont couverts d'un mucus glaireux, mes cheveux sont tombés, ma peau s'est couverte de boutons et de plaques verdâtres, mon haleine s'est mise à empester, mes articulations à craquer, mes dents à tomber, et j'ai fréquemment perdu l'équilibre. Malgré la diète et le repos, j'ai eu des hallucinations et des maux de tête, et, dans mes songes, car il m'arrivait de m'assoupir, je rêvais que je vivais en Irak, et que j'étais le sosie de Saddam Hussein, me terrant en pyjama dans les égouts de Bagdad. Quand je passais la tête par une minuscule ouverture pour respirer à l'air libre, je ne voyais que réunions de blogueurs sur la voie publique, le transistor aux pieds et le regard mauvais. Malgré cela, cette vie de rat traqué me semblait préférable à la vraie, celle dans laquelle les magazines ressemblent à GardMag, un monde où l'on risque de tomber nez à nez avec une femme qui ressemblerait à celle qui tient cette guitare électrique et arbore cet air de vieille mégère dégénérée et débile, et je m'estimais heureux de me trouver là.

Bien vieillir dans le Gard ? Plutôt mourir à Bagdad !