« Voilà qui est élégamment exprimé. »
Vous êtes plutôt immanent, ou plutôt transcendant, vous ? De Michou Pectorian, on pourrait dire qu’il est les deux à la fois. Il est évidemment immanent, puisqu’il porte en lui-même tout ce dont il a besoin pour briller de mille feux, mais son immanence est transcendante, car elle ne peut lui venir que d’un sur-monde auquel nous n’aurons jamais accès.
Il aurait fallu qu’un Roland Barthes se penche sur cette mythologie en actes, à côté du catch et de la DS, mais aussi de la dégaine de l’Abbé Pierre, et, bien sûr, de l’acteur d’Harcourt. Dans le fond, presque toutes les mythologies de Barthes semblent nous parler de Michou Pectorian : « Lhomme-jet », « Bichon chez les nègres », « Conjugales », « La littérature selon Minon Drouet », « Le visage de Garbo », « Le cerveau d’Einstein », « L’Écrivain en vacances », « Publicité de la profondeur (savon et détergents) », « Le strip-tease », « Le mythe de la qualité », « Critique muette et aveugle », « Opéra et tragédie », et enfin « Photogénie électorale ».
C’est comme si Barthes avait pressenti dès 1957 l’émergence parmi les Français du XXIe siècle d’un type d’homme dont les signes et les verbes iraient puiser leurs sucs et leurs formes dans le grand réservoir de tout ce dont jusque là les Français avaient plus ou moins honte, qu’ils tentaient de dissimuler à la vue de leurs concitoyens. La surprise, évidemment, est l’unanime admiration dont jouit un Michou Pectorian aujourd’hui sur un réseau social comme Facebook. Mais est-ce vraiment une surprise ?
Je reconnais que je l’évite le plus possible, c’est une question d’hygiène, mais je suis tombé il y a peu sur l’un de ses morceaux de bravoure typiques, sur l’un de ces pavés qu’on sent coulés dans la masse du pectorianisme le plus authentique. Je n’ai pas su résister à la tentation. Je me suis mis à tourner autour de l’objet dans le sens contraire des aiguilles d’une montre comme les musulmans tournent autour de la Kaaba lors du rituel du tawaf, cherchant la lumière et l’oxygène, une raison de vivre ou la sortie des enfers. La chose brillait de mille feux, et des centaines de paires d’yeux étaient braqués sur elle, qui commençait même à disparaître sous un monceau de likes, des centaines de commentaires la sanctifiaient en l’augmentant et presque autant de partages lui conféraient l’aura suave de la sainteté et la lueur de la Vérité révélée. Dans le grand mur anonyme de Facebook, un cratère… À des kilomètres à la ronde, on sentait encore le souffle de la déflagration et un silence religieux planait au-dessus des âmes rendues muettes par le miracle de la prose pectoriane. Regarder Pectorian en face, c’est comme fixer le soleil, c’est comme se trouver à Katmandou, sous la gigantesque masse de l’Hymalaya.
Mais dans le fond, Pectorian n’est que le symptôme, rien de plus. Il n’existe que par ricochet, c’est un mur plat qui ne fait que renvoyer les ondes qu’il reçoit. Il « prend la lumière », comme on le dit d’une actrice qui est photogénique, il sait se mettre sous la caméra, de manière à ce que celle-là ne puisse l’ignorer, qu’elle tourne son gros œil de machine vers cet amas de particules qui s’agitent en tous sens, qui font se trémousser les photons comme si on les menaçait de mort.
Quand on a enfin le courage d’aller prendre connaissance des phrases de Pectorian, si tant est qu’on puisse nommer cela ainsi, et qu’on se demande ce que cela signifie, on est effaré par ce qu’on lit, bien sûr, effaré, un peu dégoûté par la laideur de la langue, un peu révolté par tant de bêtise, tant de platitude et d’arrogance, un peu amusé, aussi, par les très nombreuses impasses du sens, par la syntaxe psychotique et cacophonique, par le vocabulaire immaîtrisé, médusé devant le spectacle donné par cette langue à la fois prétentieuse, poseuse, adolescente, ridicule, épaisse, maladroite et finalement grotesque qui ne démontre qu’une chose : qu’elle ne sait pas ce qu’elle dit mais qu'elle se trouve belle. Mais si Pectorian écrit sans savoir de quoi il parle, et sans savoir comment le dire, comment se fait-il alors que tant et tant de passants s’inclinent, font des signes de la main, envoient des baisers, des fleurs, des pièces d’or, se signent, et mettent un genou à terre, qu’ils semblent se reconnaître dans les signes barbouillés sur le mur ? Tout ce qu’on vient de voir et de dire ne les gêne pas ? Non, non, pas du tout, au contraire, ils en redemandent, ils battent des mains, ils applaudissent, font des cœurs avec les doigts, se prennent dans les bras les uns les autres avec émotion, un grand sourire de connivence planté dans leur face, avant de retourner disserter sur le Beau, le Bien, la Morale, l’Esprit, l’Excellence, l’Élégance, la Délicatesse, la Cité, etc.
C’est donc nous, qui ne comprenons rien, nous qui ne savons pas lire, nous qui passons sans aucun doute à côté de la Beauté et de la Vérité sans les reconnaître. Tout le monde — le tout le monde de Facebook —, et parmi ceux-là, le gratin de ces salons électroniques, l’élite, ne peut pas se tromper, c’est impossible !
Oh, je sais bien ce qu’on me rétorquera, allez. T’es jaloux de ne pas avoir autant de likes ? C’est ça ? Il ne servirait à rien que je démente, car cette explication arrange tout le monde. Sinon, pourquoi s’agacer de ce qu’un « post » Facebook qu’on juge insupportable ait un succès qu’on juge déraisonnable ? N’est-ce pas toujours le cas, même pour ceux qu’on a rédigés soi-même ? On le sait bien, que la platitude, la balourdise, le convenu, la médiocrité et la bien-pensance sont les meilleures garanties du succès public. Il n’y a rien là de neuf. En effet, rien d’étonnant, mais c’est plus fort que nous, certains jours, on explose pour quelque chose qui doit sembler anodin à nos amis, parce qu’on juge que le niveau d’obscénité a été pulvérisé, ou, comme le dirait mon ami Serge, qu’à force de forcer c’est forcément forcé que ça force, et qu’on se sente à l’étroit dans notre salopette. Demain, on n’y pensera plus, heureusement, mais sur l’instant, on a besoin de marquer le coup. Ça ne va pas plus loin que ça.