On l'appelait "le père tape-dur", mais en repensant à lui, une grande nostalgie m'envahit, ce soir, alors que les camions convergent vers Paris.
Le Père Berthoud était petit et sec, cassant, et devait approcher de l'âge de la retraite, s'il ne l'avait pas déjà dépassé. Nous étions en septembre, c'était le premier jour de classe de ma septième.
En entrant dans la salle, j'aperçus au mur, sur la droite, une série de points alignés, qui pouvaient à la rigueur figurer des impacts de balles. Pour faire rire mes camarades, je mimai alors une rafale de mitraillette en direction des panneaux de liège. Une fois le silence obtenu, le maître me demanda de le rejoindre au tableau et sans un mot d'explication me donna une gifle retentissante. L'année commençait bien.
À la fin des cours, il me retint dans la classe, alors que les autres étaient sortis, me fit venir près de lui, à son bureau, et me montra avec émotion des photographies de mes frères aînés, m'expliquant qu'il les avait bien aimés. Je crois même qu'il eut une gentille caresse pour me consoler de la gifle.
Quand nous rentrions de l'école, à midi, en remontant la rue Montpellaz, nous le voyions marcher devant nous, à petit pas rapides et saccadés, penché en avant, son pain sous le bras et la clope au bec, qu'il venait d'acheter chez Beauquis. Arrivés à la place d'Armes, nos chemins se séparaient et nous ne pensions plus à lui jusqu'à la reprise des classes, à une heure et demie.
Le Père Berthoud n'a pas connu Axelle Red, ni Bernard-Henri Lévy, ni même Naomi Campbell, et je me demande même s'il avait eu vent de Claude Nougaro. Sartre, en revanche, il avait dû en entendre parler, et peut-être même l'avait-il lu, même si j'en doute un peu. Mon propre père avait de l'estime pour lui, mais je ne crois pas qu'il ait lu Sartre non plus. Il préférait Montherlant et Malraux, et Louis Jouvet.
Dans le fond, on s'en fiche un peu, non ? Le tout est de ne pas être vacciné et d'avoir une bonne connexion internet.