vendredi 17 septembre 2021

Sac poubelle



Tous leurs sens sont contaminés par le jourmoralisme. On leur montre un monument recouvert de tissu, et immédiatement, ils pensent : HIDALGO ! ISLAM ! SAC POUBELLE ! BURQA ! BEURK ! C'est le Grand Enfermement résosocialiste. À chaque événement, une lecture obligée, imposée par ce qu'ils voient et entendent toute la journée par ailleurs. Les médias les ont absorbés et digérés. Ils sont pressés de l'intérieur par la presse. Ne sort plus d'eux qu'un jus noir, insipide. Ils pensent par slogans et par smileys.

Ceux qui ne savent pas se détacher de l'actualité sont les plus insupportables. On ne peut pas écrire une phrase sans qu'ils se croient obligés de la rapporter au milieu dans lequel ils pataugent avec délectation. Tout fait sens, pour eux, mais toujours dans le même sens étriqué qui les maintient en vie. Rien de littéraire, aucune distance entre eux et le cours des jours. Ils sont happés par le présent, sans rémission, comme les boulimiques le sont par un paquet de chips.

Christo n'a jamais cherché à cacher, à masquer, à "faire disparaître". Au contraire, il a toujours eu le désir de faire apparaître, de rendre visible, de montrer. Quand on recouvre un monument de tissu, comme il l'a fait avec le Reichstag en 1995, on en rend visible les formes, et je dirais même la forme. Exactement de la même manière que, dans une sonate de Mozart, on pourrait masquer momentanément les éléments décoratifs et secondaires — ce n'est que par cette opération que les auditeurs percevront les lignes de force, les thèmes et les harmonies qui constituent la sonate, sa structure, son rythme interne, unique. Et dans la structure matérialisée, enfin perçue, une autre forme de beauté apparaît, qui vient s'ajouter à l'autre. Les objets, pas plus que les êtres, ne se donnent immédiatement, sans médiation. 

On ne voile que pour enfin connaître le plaisir de dévoiler. Poser un voile sur un être ou sur un objet, c'est montrer son désir, et c'est surtout révéler celui-là en même temps que celui-ci.