J'ai un long passé de bête. C'est à travers elle que le vivant s'est maintenu en moi. Sur le sommet de mon crâne j'ai deux dents naines qui pivotent selon mon humeur. Personne ne les voit car elles sont transparentes. J'ai souvent l'air d'un caribou, quand je pense. Heureusement, ça ne m'arrive pas souvent. Penser est une activité que je méprise, comme me nourrir. Je n'ai jamais lu un seul livre, et je crois que c'est la raison pour laquelle je suis tant jalousé. Pourtant, l'odeur que j'aime par-dessus tout est celle du papier imprimé. Aussi ai-je entassé des centaines de livres dans ma chambre à coucher : j'en ai fait des murs épais entre lesquels je m'étends pour me reposer.
Je ne me nourris que rarement, et toujours en moins de trois minutes. Je ne cuisine pas. L'odeur des aliments cuits me donne la nausée. Je bois de l'eau fraîche et parfois du vin chaud. J'aime passer la tarabate et ensuite m'allonger, nu contre la terre souple. Là, je me souviens des citronnades que nous prenions après le tennis et des cuisses de Monique.