dimanche 3 janvier 2021

Solitudes

Quoi de plus essentiel que le rapport à la Beauté ? Qu'un visage nous paraisse beau et qu'il paraisse laid à l'autre, et les continents se séparent. C'est le goût, toujours, qui prime sur le reste. C'est donc le goût qui oppose, qui sépare, et qui signifie, puisque le sens est ce qui tombe de la séparation. À l'intérieur de nous, une machinerie intransigeante, dont le silence fait grand bruit dans le tissu délicat des relations humaines, nous retient au bord des amitiés et des amours, au bord du monde tel qu'il se dit.

C'est toujours une surprise mêlée d'effroi qui nous prend quand nous voyons que nous sommes seuls à aimer tel visage, telle musique, tel poème, qui, dès lors, nous sont encore plus précieux, plus douloureusement chers. 





Il y a, dans la cavatine du quatuor opus 130, un passage extraordinaire, noté « beklemmt » (oppressé), juste avant la réexposition, dans lequel le premier violon joue un chant déchirant, haché et entrecoupé de respirations haletantes, sur un accompagnement régulier de triolets. Il faut l'entendre joué par la voix blanche de Pierre Colombet, le premier violon du Quatuor Ébène, avec une sonorité à la limite de la laideur, pour savoir à quel point la douleur de Beethoven était incommensurable. Ce qu'il voyait, ce qu'il entendait, il était seul à le voir et à l'entendre. Qu'on pense au courage extraordinaire qu'il lui a fallu pour écrire la Grande Fugue, ou encore le Klagende Gesang de l'opus 110. et son terrible Perdendo le forze, dolento.