C'est toujours le samedi que les grandes catastrophes arrivent. Saturne doit y être pour quelque chose, j'imagine. Le gazon continue à pousser, imperturbable ; on le voit frémir doucement sous le vent. Le ciel est bleu, le fond de l'air est frais, la lessive sèche sur son fil jaune, la voiture démarre du premier coup. Rien n'a bougé. Il reste du gewurztraminer au frigo. La lumière commence à baisser. Que peut-il sortir de tout ça ? J'écoute le troisième mouvement de l'opus 109 de Beethoven. Que peut-il sortir de tout ça ? La lumière commence à baisser. Rien n'a bougé. Rien ne bouge, quand s'élève le chant, il n'y a pas à élever la voix, sur le fond des accords, dans la mesure à trois temps. C'est toujours le temps qui avance, ou plutôt, c'est le temps qui pèse sur le monde qui va, mais qui pèse sans ralentir aucunement la marche du monde, qui simplement lui donne cet éclat déchirant d'aller-simple vers la mort. On n'en reviendra pas. On peut encore écouter quelques variations. On peut encore regarder le gazon frémissant dans la lumière qui baisse, on peut encore éprouver la fraîcheur du vin blanc, la solitude merveilleuse et terrifiante, l'amer de ce qui reste, l'amer de l'absence, l'amer du silence qui prend forme et s'impose, là, comme une roche éprouvant sans frémir le passage du temps. Là-contre… Là-contre, tu sais, il n'y a plus rien. Mi majeur est cette tonalité dont la lumière est celle que les yeux des morts perçoivent même quand leurs yeux sont mangés d'asticots. Plus rien ne bouge. Dans le grand trille de la fin, c'est le temps lui-même qui prend la parole, qui, enfin, devient visible et dur comme le rocher, débarrassé qu'il est de son devoir, de son mètre. Rien n'arrive jamais, le samedi, que le chant infini de l'absence.
Et même au-delà du chemin il faudra se remettre à marcher…