lundi 25 avril 2016

Qui est là ?



Elle est allongée sur le lit

Qui ? Qui est-ce ? Qui est allongé sur le lit ? Elle ? 

Non, ce n'est pas elle. Je ne la reconnais pas, même si c'est bien son corps qui est là, allongé sur ce lit, allongé sur son lit. Il aura suffi que l'âme la quitte pour que le corps que j'ai devant moi soit le corps d'une étrangère. Je suis seul avec elle, avec elle qui n'est plus elle. Je n'ose pas parler. La vraie  m'entendrait parler à la fausse. Mes paroles seraient des mensonges. 

Qui est ?

Cette statue de pierre est-elle au moins une représentation, une figure de celle que j'ai connue ?

Les corps disparaissent, mais avant de disparaître, ils sont le signe de l'âme qui n'est plus là. La parole manque, toujours. Il faudrait être capable d'en rire mais je n'ai aucun sens de l'humour. « Ainsi, vous n’avez pas eu la force de veiller seulement une heure avec moi ? » Avant l'âme, c'est la parole qui fait défaut, à supposer que les deux choses se distinguent. Si les apôtres avaient su veiller avec Jésus…

Mais non. Le feu vivant ce n'est pas donné à tout le monde. Le plus important était de ne pas être encore mort. « Et c'était merveilleux de ne pas avoir à se dépêcher, de pouvoir réfléchir lentement. »

On donne rendez-vous et personne ne vient. Tout le monde dit qu'il comprend l'importance du rendez-vous, qu'on peut compter sur lui. Tout le monde n'y sera pas, il n'y aura personne. Et si jamais vous faites mine de lui rappeler sa parole, il se fâche.

Tous ont déjà la face hippocratique. Ils sont morts avant la mort. Ils parlent mais de leur bouche ne sortent que des mensonges, c'est à cela qu'on reconnaît la mort avant la mort. Leur absence crève l'écran.

Ce n'est pas une étrangère, c'est autre chose. Mais tous ceux qui se trouvent devant nous n'y sont pas non plus. Ni là ni ailleurs. Les corps durcis de l'absence au présent. « Bon Dieu c'qu'ils sont lourds ! » comme disait l'autre. Si au moins cette non présence était légère, mais non, c'est tout le contraire. L'heure est au moins très sévère. Toutes les heures sont épaissies, indigestes, épouvantables, alors que le feu les creuserait d'une présence réelle si légère.

Ça sent l'été. Un silence de sieste. Le vide. Qui n'est pas là ? J'ai devant les yeux des toilettes de train, vous savez, les grandes toilettes bruyantes des vieux trains, où l'on voyait la voie défiler à travers le trou, l'après-midi. On a tous eu des aventures là-dedans. Le contrôleur frappe à la porte. « Qui est là ? » Personne. La vie a fui dans le trou des chiottes. La vie.

Je me souviens de la vie. Elle était allongée sur le lit, elle était belle. C'était l'été.