samedi 21 novembre 2015

La Bonne Image ou le crime d'excès


Le rideau de la méduse s'est déchiré. Oh, un peu, hein, n'allez tout de même pas croire qu'on a désormais une vue complète sur le paysage d'après la tempête. Mais enfin le progrès est sensible. Regardez sur cette photographie comme notre merveilleuse "touriste-blonde" en pleine extase festiviste prend la main que lui tend avec une mansuétude de pape la tendant au Lépreux le Musulman venu répandre la bonne parole. « Moi chuis là pour donner la bonne image de l'islam. » nous dit-il avec une candeur étonnante. Je vous le dis, mes amis, cette image restera dans les livres d'histoire comme le symbole indépassable d'une étrange période, celle où les Français ont accueilli avec gratitude ceux qui allaient les décapiter. C'est pas tous les jours qu'on voit ça. Mon Cher Musulman, tu ne donnes pas seulement "la bonne image" de l'islam, tu donnes aussi la bonne image, l'image exacte, précise, impitoyable, de notre civilisation, cette civilisation dont "les idées chrétiennes devenues folles" comme dirait Chesterton, ne sont même plus combattues par le catholicisme. Ce que vous voyez là pourrait s'appeler une image haute définition de la Décadence. Ou : La République interdite — par ses célibataires.

Saviez-vous que le groupe de rock du Bataclan était en train de chanter "Kiss The Devil", au moment où nos chers amis les djihadistes ont commencé à canarder, dans ce que tout le monde s'accorde à appeler "un concert" ?


L'image, oui, l'image. Tout est désormais dans l'image, à côté de l'image, derrière l'image, par-dessus l'image. Le faux et le vrai s'y mêlent en un ballet furieux, et il faut aiguiser sa vue, prendre une loupe, se frotter les yeux et s'astiquer le cristallin, c'est-à-dire encore et toujours nettoyer les mots qu'on emploie pour voir, pour entendre, pour comprendre. Car les mots trompent autant que les images, bien sûr. Georges de La Fuly avait décidé de ne plus écrire de billet politique, mais on ne peut pas échapper à ce qui se passe, et qui va peut-être nous emporter tous. L'histoire est de retour et ça va faire mal ; nous le disions depuis longtemps mais même quelques crétins confits commencent à le croire.

Tout est là, sous nos yeux, depuis des années et des années, tout est là, écrit noir sur blanc, montré, entendu, reproduit, repris, commenté, décrit par le menu, et pourtant on ne voit rien. Même aujourd'hui que le rideau est déchiré, la plupart s'obstinent à regarder ailleurs. Le rideau est déchiré et toute une armée de petites mains agiles le reprisent, le reconstruisent à l'identique, plus épais, plus solide encore qu'auparavant. Ceux d'en face n'en reviennent pas. Pour un peu ils seraient déçus. On savait l'occident mou, fragile, instable, perclus de rhumatismes et la vue basse, mais tout de même, on n'imaginait pas être fêtés et accueillis en libérateurs ! Les Raspail, les Powell, les Renan, les de Gaulle, les Lévi-Strauss, les Maurras, les Naipaul, les Flaubert, les Malraux, mais à quoi ça sert qu'ils se soient décarcassés à nous dire ce qu'ils voyaient, ce qu'ils avaient vu, vécu, lu, entendu et compris ? Pourquoi tant de mépris pour ceux qui voient ? Pourquoi tant de haine pour ceux qui alertent ? Pourquoi tant de hargne pour ceux qui sont courageux ? Pourquoi les aveugles sont-ils toujours aussi féroces avec les voyants ? Pourquoi les cul-de-jatte sont-ils si vindicatifs avec les sprinters ? Pourquoi les sourds sont-ils aussi brutaux avec les entendants ? Les faibles mordent les forts et les forts se laissent mordre avec une espèce de plaisir mauvais qui leur procure sans doute une haute image d'eux-mêmes, dans le miroir déformant d'une culpabilité complaisamment entretenue. « Le conquérant trop attentif à la foi du conquis est un conquérant qui ne dure guère. » Il n'y a pas de justice, dans la loi de la conquête, il n'y a qu'un soumis et un conquérant, un vainqueur et un vaincu, et nos conquérants l'ont instinctivement compris. « Nous venons de transgresser les justes bornes de la tolérance, du respect et de l'amitié. Nous venons de commettre le crime d'excès. Fasse le ciel que nous n'ayons pas à le payer avant peu » écrivait Maurras dans le même article du 13 juillet 1926. Et encore : « Mais, s’il y a un réveil de l’Islam, et je ne crois pas que l’on en puisse douter, un trophée de la foi coranique sur cette colline Sainte-Geneviève où tous les plus grands docteurs de la chrétienté enseignèrent contre l’Islam représente plus qu’une offense à notre passé : une menace pour notre avenir. On pouvait accorder à l’Islam, chez lui, toutes les garanties et tous les respects. Bonaparte pouvait se déchausser dans la mosquée, et le maréchal Lyautey user des plus éloquentes figures pour affirmer la fraternité de tous les croyants : c’étaient choses lointaines, affaires d’Afrique ou d’Asie. Mais en France, chez les Protecteurs et chez les Vainqueurs, du simple point de vue politique, la construction officielle de la mosquée et surtout son inauguration en grande pompe républicaine, exprime quelque chose qui ressemble à une pénétration de notre pays et à sa prise de possession par nos sujets ou nos protégés. Ceux-ci la tiendront immanquablement pour un obscur aveu de faiblesse. Quelqu’un me disait hier : – Qui colonise désormais ? Qui est colonisé ? Eux ou nous ? » Un siècle après on se pose encore la question. Est-ce le pénétrant, ou le pénétré, qui a l'avantage ? On sait que pour l'islam toute mosquée est littéralement "terre d'islam", donc une avancée sur le sol de l'ennemi, prise territoriale. Une mosquée sert plus à marquer le territoire qu'à prier. Dar al-Islam ou Dar al-Harb, c'est l'un ou l'autre. Dans la théologie islamique et les interprétations légales, la finalité de l'islam est d'être porté au monde entier. Il ne peut exister de moyen terme. Ce qui n'est pas "terre d'islam", pour un musulman, n'est pas encore terre d'islam.

Les événements historiques viennent toujours de loin, et parfois de très loin, même si cela ne les empêche pas de prendre des visages tout à fait neufs et de posséder un moteur propre qui s'alimente aux sources contemporaines, toujours indiscernables, réversibles, amphibologiques, du conflit dans ce qu'il a d'éternel. La Grande mosquée de Paris, la première mosquée implantée en France, a presque un siècle, et, à ce moment-là, les colonisateurs étaient nos aïeux, qui pouvaient légitimement penser qu'ils devaient se montrer magnanimes et accueillants, en sus d'un appétit exotique et curieux qui ne s'appelait pas encore culturel. La mosquée était aussi grande que petite cette religion dans nos contrées ; l'un compensait l'autre. Depuis, le paysage et les mentalités ont complètement changé (c'est peu de le dire), et quand Alain Juppé veut fait construire à Bordeaux une immense mosquée, son geste a une portée immense qui le dépasse complètement. Voilà un "Kiss The Devil" que les générations suivantes ne pourront pas oublier.


Pour conclure provisoirement ce bref billet sur "la fin de la fin de l'histoire", je citerai le dernier paragraphe de la dernière chronique de Richard Millet : « Je pleure la mort des Français qui viennent de mourir dans cette guerre qui est donc avant tout civile, puisque la plupart des terroristes sont officiellement français. Qu’on me permette cependant de voir dans la rencontre entre les djihadistes et le groupe de sous-musique rock qui jouait ce soir-là, au Bataclan, un signe du nihilisme qui ronge l’Occident : les Eagles of Death Metal ont en quelque sorte justifié leur nom. »