jeudi 13 décembre 2012

À la cuisine




« Racontez-moi un peu votre travail. J'aurais bien aimé jouer du violon, mais on m'a dit que ce n'était pas pour une fille. C'est très difficile, n'est-ce pas ? » « Je vous envie, j'aimerais tant jouer comme vous. Vous avez une belle sonorité, savez-vous ? Et cette chaleur ! » Hier-soir, j'ai écouté Annie Ergot à la radio, ou plutôt un texte d'elle, en feuilleton. Les Abbés, ça s'appelle, je crois. C'est incroyablement mauvais. Je me souviens pourtant avoir lu deux livres d'elle que j'avais bien aimés, autrefois, mais, curieusement, je n'en ai plus aucun souvenir, même pas les titres. Et j'ai repensé à ce petit livre délicieux de Goléa, "Je suis un violoniste raté". Les Roumains, je me suis toujours demandé pour quelle raison ils avaient de si bons pianistes. Hugo massacre son alto dans la pièce d'à côté. Je suis d'une génération où tous les altistes jouaient faux, mêmes les bons. Honoré massacre son basson. On n'en fera jamais rien, de ces littérateurs ! Dinu, Clara, Radu, nous les avons tous les trois à dîner ce soir. Antoine sera là aussi, quel quatuor ! Je prépare des endives braisées et des escalopes de veau. Au dessert, mon célèbre gâteau au chocolat. Il paraît que Clara est très gourmande. Irène m'affirme que "Haskil" signifierait "discernement", en hébreu. J'ai fait la leçon à tout le monde pour qu'on ne lui parle pas de sa trépanation. Le Quatuor Ivoire viendra à la fin du repas et j'ai mis sur le piano la partition du quintette de Brahms. Robert m'a demandé s'il pourrait jouer la sonate de Franck avec Dinu mais je ne prévois rien : il ne faut surtout rien imposer. J'aurais plutôt vu Clara pour le Belge, mais Robert n'en démord pas, il prétend que seul Dinu comprend cette musique. Marcel et René ont déjà dîné, mais ils pourront rester un peu plus tard que d'habitude, s'ils se tiennent bien. Je prends Irène à part pour lui redire à quel point les compliments exagérés sont à éviter, mais je sais d'avance qu'elle n'en fera qu'à sa tête. Ah, le vin… Dans les Abbés, il est beaucoup question de François Mitterrand ! François Mitterrand… Tout ce que je sais de Mitterrand est qu'il aimait les ortolans. C'est Georges qui est à la porte. Il va falloir l'éconduire gentiment. J'aimerais beaucoup qu'il rencontre nos invités, mais s'il est là, la soirée est fichue ! Du discernement avant tout, comme disait Papa. Ne pas mélanger les genres. Je ne savais pas qu'Annie Ergot avait habité Annecy. J'ai sûrement dû la croiser sans savoir qui elle était. J'ai renoncé à mon potage à cause de la barbe de Radu. Irène prétend que c'est idiot, et elle a sans doute raison, mais je ne supporte pas les barbes qui trempent dans la soupe. Ah, si Maman était là !