lundi 9 août 2021

Les Dindons de la farce – Ballet


Les dindons sont toujours aux avant-postes des sacrifiés. C'est leur fonction de dindons qui veut ça. Ils se sacrifient pour le groupe.

À la vérité il exista à Paris, pendant la longue période d'un siècle, une forme de divertissement forain que l'on appelait "le ballet des dindons" et qui semble liée à la locution qui nous occupe. L'argument du spectacle était le suivant : on plaçait quelques-unes de ces volailles placides sur une tôle surélevée et clôturée, formant une scène, puis on chauffait progressivement ce plancher métallique par en dessous. À mesure que la chaleur se faisait sentir dans leurs pattes, les dindons commençaient à s'agiter, à danser sur la tôle d'un air évidemment grave qui mettait en joie les badauds admis à contempler l'action.

On peut bien sûr en rire, car après tout ils l'ont cherché. Personne n'a forcé les dindons à tenir leur emploi de dindons, me direz-vous. Ce n'est pas aussi simple. Le dindonnerie fiduciaire a été préparée de longue date. On ne naît pas dindon, on le devient. On le gave au petit trot, ce n'est pas un sprint. On augmente progressivement la température, sous ses pieds. Oh, je vous vois venir, allez, inutile de m'expliquer que « les complots, ça n'existe que dans la tête des atrophiés du bulbe », et qu'« à l'explication par la malveillance, il convient de toujours préférer l'explication par la sottise », je connais votre refrain par cœur, il ne m'impressionne pas. Les complots, c'est comme les virus, ils ont toujours existé et ils existeront toujours. Je ne dis pas qu'ici, il y a complot (je n'en sais rien, et ça m'intéresse très peu de le savoir), je dis que tout se passe comme s'il y avait un complot. Le mécanisme est du même ordre, il a les mêmes ressorts, les mêmes replis, la même quantité de gogos et d'agents l'actionnent, de kapos et de relais, et le processus se déroule de la même façon, qu'il soit piloté ou non. Savoir s'il a été prémédité ou non, décidé ou non, prévu ou non est tout simplement non pertinent. C'est comme pour le Grand Remplacement. Peu importe ! Il n'en reste pas moins que les dindons ne sont pas devenus dindons du jour au lendemain. L'éducation (la déséducation, plutôt), le Petit Remplacement, la déculturation, la baisse objective du QI en Europe, tout cela ne s'est pas fait en un jour. Et puis je n'ai pas envie de rire, car ici, c'est de la vie des dindons qu'il s'agit, de leur corps, de leurs poumons, de leur cœur. Même s'ils sont ridicules et pitoyables, on peut tout de même se faire du mouron à leur sujet. Encore une fois, ça marche comme pour le Grand Remplacement. Ceux qui veulent "pactiser avec l'ennemi", en pensant que leur veulerie va leur valoir indulgence, ou même récompense, seront les premiers à être sacrifiés, blessés, broyés. Pas d'exception à cette règle. Dans le cas qui nous occupe, ils se sont pliés au diktat "sanitaire" parce qu'ils voulaient voyager, "être libres" (sic), et sont, comme on le leur avait prédit, considérés comme les autres, ou pire. Israël et les USA sont à cet égard deux murs qui renvoient pour l'instant les dindons à leur farce amère. Tout ça pour ça ? Gros-Jean comme devant… Bernés au carré. Estropiés volontaires. Sanglés heureux. Le sadomasochisme du XXIe siècle n'est pas sexy. 

Cela reste une loi inéluctable de l’histoire : elle défend précisément aux contemporains de reconnaître dès leurs premiers commencements les grands mouvements qui déterminent leur époque.

Pour notre génération, il n’y avait point d’évasion possible, point de mise en retrait : grâce au synchronisme universel de notre nouvelle organisation, nous étions constamment engagés dans notre époque. […] Ce qui se passait à un millier de miles au-delà des mers bondissait jusqu’à nous en images animées. Il n’y avait point de pays où l’on pût se réfugier ; point de solitude silencieuse que l’on pût acheter ; toujours et partout, la main du destin se saisissait de nous pour nous entraîner de nouveau dans son jeu insatiable. 

On était constamment tenu de se soumettre aux exigences de l’État, de se livrer en proie à la plus stupide politique, de s’adapter aux changements les plus fantastiques, on était toujours enchaîné irrésistiblement. Quiconque a traversé cette époque ou, pour mieux dire, y a été chassé et traqué – nous avons eu peu de répit – a vécu plus d’histoire qu’aucun de ses ancêtres. Aujourd’hui encore, nous nous nous trouvons une fois de plus face à un tournant, à une conclusion et à un nouveau début. 

Ces extraits du "Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen" de Stefan Zweig, que vient de déposer Mme Maryse Palante sur Facebook, tombent à point nommé. Depuis un ans et demi, chacun de nous se sent pris dans une gangue poisseuse, dans un engrenage vicieux qui conditionne tous les points vitaux de sa vie quotidienne, et qui le touche de la même manière qu'il touche tous les hommes sur terre. Que reste-t-il de dissemblance entre un Indien, un Israélien, un Russe, un Américain, un Japonais, un Argentin, un Anglais, un Chinois ou un Français ? À chaque fois un peu moins. L'Unique s'étiole. Chaque avancée de la Numérisation globale grignote un pan de notre singularité. Et ces avancées progressent très rapidement, beaucoup plus vite qu'on ne l'aurait cru. Le pourtoussisme flambe d'une joie mauvaise. Si un agent pathogène se réveille au fin fond de la Sibérie, vous pouvez être, oui, Monsieur, infecté demain matin en prenant votre petit déjeuner. C'est scientifiquement officiel. Nous avons des batteries de chiffres qui le prouveront sans difficulté. Si un savant borgne et trépané décide de punir le monde, vous serez puni sans même apprendre de quelle faute on vous accuse. Et nos contemporains, policés et réduits par des décennies d'hypnose et d'hébétude, regardent le paysage et leur demeure sans voir qu'ils se sont métamorphosés durant la nuit. Ils croient les reconnaître, car les mots du ministère de la Vérité, pour les décrire, restent les mêmes. La rumeur télévisuelle les rassure. Le même défilé de jeux, d'infos, de divertissements, de reportages, mois après mois, ne s'interrompt jamais. Les journaux continuent de réciter le même catéchisme. Les discours recouvrent la réalité d'un film épais. Mangez cinq fruits et légumes par jour, ne dépassez pas les 80 km/h sur la route ; tout ira bien. Quand ils ouvriront les yeux, il sera trop tard : il n'y aura plus rien à regretter. Déjà, on sent bien que le mot "liberté" a beaucoup perdu de son éclat, et, bientôt, c'est le mot "humain" qui ne sera plus compris, faute d'humains. 

Il existe des individus dont nous ne sommes jamais certain de penser ce que nous en pensons. Pour le monde qui est en train de se déployer sous nos yeux chassieux, c'est la même chose. Nous ne savons pas si nous pouvons, si nous avons le droit d'en penser ce que nous en pensons. (D'ailleurs nous ne pensons plus. La chimie et l'État, l'État médical s'en chargent.) La pensée qui était la nôtre, notre regard, est en train de se décomposer, de se défaire, de tendre vers le zéro. Elle est remplacée par une autre pensée, par un autre regard, dont on ne sait plus s'ils sont nôtres ou s'ils proviennent d'un dehors insituable et abstrait. Tout ça c'est du chiffre. Dans quelle tranche statistique êtes-vous ? Allez-vous être piqué, parqué, ou rivotrilisé ? Laissé pour compte, ou confiné à vie ? Surveillé jusqu'au trépas ? Puni jusqu'au délire ? « On les aura, ces connards. »

Tantôt, j'écoutais Louis Armstrong, à la radio : la bonne humeur de sa musique m'a énormément frappé. Combien par comparaison elle faisait paraître sinistre le requiem synthétique qui sourd de notre temps. Nous avons perdu toute joie de vivre, car l'on sent bien que ce n'est plus de vie, qu'il s'agit, mais d'administration protocolaire du Désastre, de gestion de la Perte. Le masque omniprésent est à cet égard un signe qui aurait fait hurler le monde, si le monde avait encore été composés d'humains. Ce stigmate qui s'est répandu comme une lèpre buccale est la marque de la Bête. Mais ce n'était encore que la première des marques qui nous seraient imposées. On a défiguré l'Homme. On a retranché la moitié de son visage sans qu'il ne proteste. À peine la porte était-elle entr'ouverte, qu'on a vu dans ce sillage malin toute une théorie de nouvelles marques infâmes se dandiner ignoblement avec des airs de pantins sournois. Masqués, marqués, parqués, nous avançons en lourde file compacte, sous la schlague d'administrateurs acharnés à nous sauver de la Peste statistique qu'ils ont eux-mêmes créée. Peuple anonyme de créatures amputées, défigurées, dévisagées, scrutées, scannées, perfusées, droguées. Morts-vivants aux gestes stéréotypés, nous allons là où nous conduit la pente mauvaise. 

Ayons une pensée pour nos dindons qui trottent gentiment aux avant-postes du Désastre, eux qui ont choisi d'avaler avec le sourire la farce mauvaise qu'on leur a fait prendre pour du nectar, cette farce pourrie qui va les ridiculiser, les étouffer, ou les brûler de l'intérieur. Il faut les plaindre. Ils sont désormais abonnés à vie au racket de la Pègre qui est censée les protéger, comme les caïds protègent les bars qu'ils terrorisent. Ils ont beau se trémousser drôlement sur le parquet brûlant de la réalité, ils ne sont pourtant pas gais, et l'on sent bien, malgré leur sourire pincé, que la peur les tenaille silencieusement. C'est la raison pour laquelle ils aboient quand on veut les caresser. 

La « vie de merde » promise par un haut fonctionnaire français, ce n'est pas nous, qui allons la vivre, ce sont les dindons de la farce. 

Il suffisait alors qu'un vielleux se prît à suivre le rythme des pauvres bêtes, qui s'accélérait tandis qu'on activait le feu sous leurs pattes, pour donner l'illusion d'un ballet endiablé soutenu par la musique. De quoi faire hurler de rire l'assistance, qui se tenait les côtes !... Le ballet des dindons fut supprimé en 1844, par une ordonnance du préfet de police, en même temps qu'étaient interdits les combats d'animaux tellement goûtés par le public, dont les derniers se déroulaient à la Barrière du Combat, précisément.