mardi 26 novembre 2013

Le Petit Nègre, de Claude de France !


Physiquement, elle ressemblait autant à Mireille Darc qu'à Annie Cordy. Très grande, avec des mains gigantesques pour une femme (la onzième facile), elle parlait comme Françoise Sagan, dans son début de barbe. Un soir, nous avons joué les danses hongroises de Brahms, et du Gerswhin, à quatre mains, et j'ai failli tomber de mon siège tellement elle occupait l'espace, au sens propre et au sens figuré. Je n'oublierai jamais cette répétition où sa tourneuse de page attitrée avait dit que « j'accélérais ». Evidemment, quand on joue avec quelqu'un qui n'a aucun sens du tempo et dont il faut rattraper les erreurs de rythmes à chaque ligne, il peut arriver qu'on devienne un peu nerveux. Elle avait travaillé avec Yves Nat au conservatoire et en avait gardé ce précepte excusant tout : « Ce qui compte, dans la musique, c'est l'élan ! » Moyennant quoi tout ce qui sortait de ses grandes mains était une élégante bouillie. Son mari, silencieux comme le sont les maris de ce genre de femmes, conduisait les plus puissantes BMW et a fini par la larguer pour une de ses très jeunes élèves. Il est sans doute très bavard à l'heure qu'il est. N'empêche, elle était attendrissante, et s'était mise sur le tard à la colle avec un vieil alcoolique très sympathique qui tenait à peine sur ses cannes. Lui avait une fille de douze ans je crois, ou à peu près, se prénommant Deborah, qui m'avait dragué ouvertement et franchement, un soir qu'elle était assise à côté de moi au fond d'une voiture. Heureusement le trajet n'avait pas excédé les vingt minutes.

Je pense souvent à elle, et à ce soir, au conservatoire, où elle avait présenté sa classe de piano dans un petit concert public. Un de ses jeunes élèves devait jouer l'un des grands tubes des conservatoires, une pièce de Debussy qu'on travaille à cet âge-là. Quand il s'est installé au piano, elle a voulu présenter l'élève et le morceau, ce qui donna à peu près : 

« Machin Truc va maintenant nous interpréter… [là, silence, bredouillement, rougeurs]… le Petit Noir, de Claude Debussy. » Fou rire général au premier rang… C'était il y a plus de vingt ans, c'était le début du Politiquement Correct intégré

Equivox à la salle Odette Pilpoul


Equivox, le chœur gai et lesbien de Paris, salle Odette Pilpoul, dans le 3e arrondissement. Salle Odette Pilpoul, ça ne s'invente pas, ça ! Et l'assoce Les Petits Bonheurs, hein, la classe, non ? J'en ai d'autres, comme ça, dans mes cartons, si ça vous intéresse… Entre le Balloon Dog de Jeff Koons, la femme qui pèse une demi-tonne, et Lucid Beausonge (sic) qui "chante pour l'association", je crois qu'on a un aperçu assez affriolant de l'époque. Vous allez être très nombreux, j'en suis sûr, à faire des chèques pour Equivox (vous avez vu ces jolies couleurs !), à défaut de pouvoir vous payer un Balloon Dog. Je serais gay, lesbien et socialiste, vous auriez déjà tous un tableau de moi chez vous, c'est con, tout de même que je sois blanc, hétéro et catho. Quelle merde, la vie ! "Les petits bonheurs", ça c'est sympa, j'aurais dû y penser, plutôt que d'intituler mes tableaux "Désespoir n°5", ou "Je t'emmerde, Delanoë". 

lundi 25 novembre 2013

L'Art contemporain

Cinquante huit millions et demie d'euros (58,4), c'est le prix du "Balloon Dog" de Jeff Koons, vendu par Sotheby's il y a quelques jours. 


Quatre cent soixante-dix kilogrammes, c'est le poids de cette femme née en 1980.


Je vous laisse réfléchir.

jeudi 21 novembre 2013

Carrières


« L'arace, l'arace, Bernard, tu vas encore nous bassiner longtemps avec l'arace ??? »

Lundi 18 novembre 2013, minuit et demi. Maurice Ollender, à midi, sur France Culture, a bien voulu convenir, mirabile auditu, que le mot race était « l’un des plus beaux de la langue française » (c’est bien mon avis, et celui de nos Églogues…) ; et qu’il avait eu, « avant le début du XIXe siècle », toute sorte de significations merveilleuses. Moyennant quoi le même docte spécialiste estime, avec la plus grande commisération pour les imbéciles et les salauds qui pourraient penser autrement, que les races n’existent pas. Cette opinion m’a toujours semblé prodigieusement absurde ; et témoigner, surtout, d’une extraordinaire méconnaissance de ce que c’est que le sens, les définitions, les mots, les notions, les concepts, le langage.
Qu’on puisse dire que les licornes n’existent pas, je le conçois — et encore (les tapisseries en sont pleines). Mais les races… Autant dire que les notions n’existent pas, que les concepts n’existent pas, que l’Europe n’existe pas (il est vrai qu’on ne s’en prive guère). Bien entendu j’admets parfaitement qu’on puisse dire que la notion de race n’a pas de fondement scientifique véritable ; encore que ce ne soit là qu’une opinion, à mon avis, certes majoritaire (je crois). Et, bien entendu aussi, j’admets encore plus parfaitement (c’est même une assertion à laquelle je souscris tout à fait) que la notion de race a des confins tout à fait flous, qu’on ne peut pas l’enfermer dans elle-même, ni la faire coïncider avec sa définition. Mais quel mot, et surtout quelle notion, quel concept, coïncident-ils avec leur définition ? L’exigence wittgensteinienne de logique absolue, appliquée au langage, qui par définition est mouvant, flou, troué d’enclaves et agité de perpétuelles révisions de frontières, permet de dire d’absolument n’importe quoi, même des vaches, des maisons, des fleurs, que ça n’existe pas. Gadamer, si mes souvenirs sont exacts (ne croit-il pas à la nécessité du malentendu, de l’approximation, pour qu’il y ait échange ?), est autrement judicieux, à mon avis, dans ce domaine-là.
La métaphore géographique est d’ailleurs très éclairante, comme souvent. Qu’on essaie un peu de dire ce que c’est que la Gascogne, que la Saxe, et même que l’Auvergne si l’on veut bien songer qu’aujourd’hui Moulins et Le Puy sont en Auvergne, ce qui pour un Auvergnat, et pareillement pour un Bourbonnais, ou pour un Vellave, est une aberration et pourrait amener à soutenir, à la façon d’Alexandre Vialatte, que l’Auvergne n’existe pas ; ou même que les provinces, les régions, les entités géographiques en général (sauf peut-être les îles ?), n’existent pas. Tout juste peut-on soutenir que Moulins et Le Puy sont en Auvergneau- sens-où-l’on-parle-de-la-moderne-et-toute-administrative-Région-Auvergne. Et de même on peut dire que les races n’existent pas au-sens-où-l’on-ferait-référence-à-telle-donnée-scientifique-rigoureuse-répondant-à-tel-et-tel-critère-de-pertinence-exclusive (qu’il suffit de bien choisir). En dehors de cette exigence scientifique, pour le coup, la proposition n’a aucun sens. Elle n’a d’autre pertinence que polémique (et policière).
Et pourtant, pourtant, que de paisibles et confortables carrières universitaires, médiatiques, éditoriales, construites et entretenues sur le rabâchage de cette seule assertion à haute rentabilité socio-économique ! Les pires abrutis peuvent se couvrir d’honneurs, de prébendes, de sympathie et de prix littéraires en n’affirmant rien d’autre durant des décennies, sur tous les modes et les médias connus. “La grande table” aujourd’hui était consacrée, donc, au racisme, en ces temps de crise des valeurs républicaines (magari !) ; et comme n’étaient invités, il va sans dire, que des gens qui pensent exactement la même chose, l’émission a dû offrir, à cette occasion, une de ses livraisons les plus obscènement ronronnantes. (…)


Renaud Camus, Non, Journal 2013


vendredi 15 novembre 2013

Furtwängler et les nains

(de gauche à droite, Bruno Walter, Arturo Toscanini, Erich Kleiber, Otto Klemperer, Wilhelm Furtwängler)

En 1933, le président Hindenburg nomme Adolf Hitler chancelier. Au mois d'août 1932, le futur dictateur, grand mélomane, avait invité Furtwängler à déjeuner. À la sortie, le jugement du chef tombe : « Jamais ce camelot à la parole chuintante ne jouera un rôle quelconque dans la politique allemande… » Le 12 avril 1933, à la suite des premières mesures antisémites, Furtwängler écrit une lettre ouverte à Goebbels où il plaide pour que les artistes juifs puissent continuer à pratiquer leur art. Le 26 mai, alors qu'il est en tournée à Mannheim, les autorités lui demandent de remplacer son premier violon Szymon Goldberg : Furtwängler refuse, rend sa citoyenneté d'honneur de la ville, et jure qu'il ne remettra plus les pieds à Mannheim. En août, il obtient que les lois antisémites ne soient pas appliquées au Philharmonique de Berlin. En septembre 1934, la musique de Hindemith est interdite : Furtwängler la maintient au programme et prend fait et cause pour le compositeur dans la presse. Le 5 décembre, il se démet de toutes ses fonctions officielles. Le 16 décembre 1937, Goebbels lui envoie une lettre très menaçante, et, en 1938, Goering lance contre lui une campagne de presse montant en épingle la jeune étoile ascendante Herbert von Karajan. En 1943, il refuse le cadeau de mariage de Hitler, une maison. À partir de 1944, il est mis sous surveillance permanente par Himmler. Pour deux manifestations officielles auxquelles il a participé devant les dignitaires du Reich, il en a évité soixante, et il n'a jamais accepté de jouer le Horst Wessel Lied ou de faire le salut [nazi]. En 1947, le jeune Yehudi Menuhin accepte spectaculairement de jouer sous la direction de Furtwängler, dont il estime la conduite parfaitement irréprochable.

Mais le reproche principal fait à Furtwängler est d'être resté en Allemagne, donnant ainsi une "aura de respectabilité" au régime, selon les termes du général McClure lors du procès en dénazification. (…) La réponse de Furtwängler, qui croyait à une mission sacrée de l'art, mérite d'être entendue. À Thomas Mann qui se demande comment il a pu diriger Fidelio dans l'Allemagne de Himmler sans avoir envie de se prendre la tête entre les mains, il réplique : « Thomas Mann croit-il vraiment que dans l'Allemagne de Himmler on ne devrait pas jouer Beethoven ? Ne peut-il réaliser que les gens n'ont jamais eu autant besoin, jamais autant souffert de la nécessité d'entendre Beethoven et son message de liberté et d'amour humain ? »

(Christian Merlin, Les Grands Chefs d'orchestre du XXe siècle)

On aurait envie de faire lire ces quelques lignes à tous les résistants de la 26e heure, à tous les Jean Moulin de carton qui pullulent aujourd'hui, alors qu'ils ne risquent rien de plus que de se trouver beaux en leurs miroirs médiatiques, à tous les Demorand demeurés qui jouent du caractère gras corps 120 en prenant la pose ténébreuse qui ne leur ouvre grand que les portes du Flore. Combien parmi ces pâles guignols auraient eu le cran d'écrire une lettre ouverte à Goebbels, de dire non à Hitler, d'affronter ouvertement Himmler et Goering ? Pas un seul, bien sûr, de tous ceux qui se vautrent dans leurs pitreries infectes de soldats du Bien. Thomas Mann me fait presque pitié, face au courage digne et sans phrases d'un Furtwängler qu'on traîne dans la boue depuis soixante ans. Il est toujours plus facile d'aller vitupérer à l'abri que de se battre là où se trouvent le danger et les siens. Permettre aux musiciens juifs de continuer à jouer parmi les Philharmoniker, jouer Hindemith, garder Szymon Goldberg, ça c'est du concret, se battre là où l'on se trouve, à sa place, parmi les siens, plutôt que de gesticuler à New York ou ailleurs, voilà le vrai courage, celui qui ne fait pas de vous un Résistant de papier, un apôtre, un mutin de panurge qui pérore quotidiennement à France-Culture et qui touche son chèque à la fin du mois pour avoir bien récité sa leçon et tapé virilement sur ceux qu'on lui désigne, bien au chaud dans sa cabine radio. Au moins, un Joseph Goebbels annonçait la couleur, lui, avec son ministère du Reich à l’Éducation du peuple et à la Propagande, il ne se cachait pas derrière son petit doigt bien propre, il avait choisi son camp et était clairement identifiable. Un Yehudi Menuhin ne s'y est pas trompé, contrairement à toutes les crapules modernes qui prétendent nous faire la leçon du matin au soir. Furtwängler a agi dignement et utilement, là où il se trouvait, plutôt que de faire des moulinets et des grandes phrases creuses. C'est sans doute ce qu'on ne lui pardonne pas.

Ce que ne comprendront jamais les imbéciles qui aujourd'hui se rejouent en boucle la deuxième Guerre mondiale dans leur petit théâtre de poche, à défaut d'ouvrir les yeux sur le présent (ce qui serait bien plus difficile, bien plus exigeant, bien plus utile), c'est qu'en acceptant deux manifestations officielles du Reich, un Furtwängler a eu la possibilité de dire non soixante fois, et que ce faisant, il a été mille fois plus utile que tous ceux qui affichent leur carte en permanence pour continuer à dormir tranquilles. Furtwängler a servi la Musique, lui, au lieu de se servir. Il a voulu en outre servir son pays, l'Allemagne, qui n'est pas et de très loin réductible au IIIe Reich et qui ne le sera jamais, ce qui serait n'avoir aucun respect pour Hassler, Praetorius, Froberger, Buxtehude, Gluck, Haendel, Bach, Kuhnau, Mattheson, Schütz, Telemann, Kreutzer, Beethoven, Mozart, Schubert, Schumann, Brahms, Hummel, Humperdinck, Mendelssohn, Strauss, Wagner, Bruckner, Weber, Bruch, Pfitzner, Reger, Schoenberg, Berg, Webern, Stockhausen, Zimmermann, Henze, Lachenmann, Rihm, pour ne parler que des compositeurs…

Mais voici la lettre magnifique que Menuhin écrivit au général McClure, qui dit bien mieux que moi tout ce qu'il y a à penser de ce "vandalisme" bienpensant dont les ravages ne faisaient alors que commencer en Europe.


« À moins d'avoir des preuves secrètes venant confirmer vos accusations selon lesquelles Furtwängler fut un instrument du Parti Nazi, je m'élève violemment contre votre décision de le mettre au ban. Cet homme n'adhéra jamais au parti ; en de nombreuses occasions il risqua sa vie et sa réputation pour aider et protéger amis et collègues. Ne croyez pas que le fait de rester dans son propre pays soit suffisant pour condamner un homme. Au contraire, en tant que militaire, vous devriez savoir que rester à son poste nécessite plus de courage que le fait de fuir. Il sauva la part la meilleure de sa propre culture allemande, et de cela, nous lui sommes reconnaissants. Quant à "donner une part de respectabilité au parti", nous les Alliés, ne sommes-nous pas infiniment plus coupables et de notre plein gré, d'avoir pactisé avec ces monstres jusqu'à la dernière minute quand, presque malgré nous, nous fûmes littéralement entraînés de force et de manière peu courtoise, dans cette bataille, sauf l'Angleterre qui déclara la guerre avant d'être directement attaquée ? Souvenez-vous de Munich et de Berchtesgaden, quand nous abandonnions de façon dévergondée à leur destin cruel tous ces coeurs courageux et toutes ces nations vaillantes. Je considère comme manifestement injuste et éminemment lâche de faire de Furtwängler le bouc émissaire de nos propres crimes. Si cet homme est coupable de crimes précis, accusez-le et déclarez-le coupable. D'après ce que je peux voir, ce n'est pas une punition d'être banni de ce Berlin sordide et sale, et si l'homme vieux et malade veut y retourner maintenant et attend de reprendre sa tâche si exigeante et ses responsabilités, on devrait l'encourager car c'est là où il doit être : à Berlin. Si cette nation malade doit pouvoir mûrir pour devenir un membre de la communauté des nations qui se respecte, ce sera grâce aux efforts d'hommes tels que Furtwängler, d'hommes qui ont démontré qu'ils sont capables de sauver de la guerre au moins une partie de leur âme. La Philharmonie de Berlin en est un témoignage. Seuls ces hommes sont capables de bâtir sur cette base saine une société meilleure. Ce n'est pas en réprimant de tels hommes que vous atteindrez votre but. Bien au contraire, vous ne réveillerez qu'un ressentiment justifié contre un vandalisme aussi vrai que l'autre vandalisme plus évident qui détruit les églises et les tableaux, un ressentiment auquel s'uniront les voix outragées de musiciens, de collègues, d'écrivains et d'hommes intègres dans le monde entier, indépendamment de leur nationalité ou de leur foi, y compris votre soussigné Yehudi Menuhin. »

Menuhin contre McClure, Furtwängler contre les imbéciles et les sourds, j'ai définitivement choisi mon camp. 

jeudi 14 novembre 2013

Vraie culture


So-foot ! C'est confirmé, il n'existe pas plus con qu'un fouteux. On va m'accuser d'enfoncer des portes ouvertes, et c'est vrai, je plaide coupable. Quand-même, la littérature produite par ces gens-là est absolument géniale : « C’est une collection de clés numériques, disponibles chez le buraliste, que l’on peut regarder via un port USB pour accéder à un contenu enrichi. Au lieu de les coller dans un album, tu te connectes pour mettre à jour ta collection. Il y a également des lots à gagner : entre autres, des places pour un match de L1, voire pour la Coupe du monde au Brésil, des maillots, et une rencontre avec un joueur en tête-à-tête. » et je ne vois pas pour quelle raison on devrait se priver d'un plaisir de gourmet. Le plus fort est peut-être que les phrases que vous pouvez lire grâce à Georges ont certainement dû être récrites par des rewriters avant d'être remises dans la bouche du "parrain". On pourrait s'amuser à imaginer ce que ça donnerait, sans retouches… « C une collec de clés digitales, dispo au tabac du coin, qu'on branche en USB sur l'ordi pour avoir accès à du contenu enrichi. Déjà tu les colles pas dans un classeur, t'as juste à te connecter pour la MAJ. C'est super ! Derrière tu peux choper des lots, des places pour 1 match de L1, ou pour le Mondial, des maillots, et tu peux même être en live avec un joueur !!! Que du bonheur, C juste énorme !!! » Et encore, je vous passe les fautes d'orthographes… Toujours est-il que "regarder une clé numérique" (même "via le port USB") relève de l'exploit, mais pas moins que les coller  (les clés numériques) dans un album. Et puis on se régale de ces "contenus enrichis" qui, avec "les lots à gagner" fleurent bon la langue du commercial-péquenot qui veut vous vendre des saucisses halal avariées en vous expliquant qu'elles sont "compatibles casher".

Je me souviens des paquets de lessive Bonux dans lesquels on trouvait des "cadeaux", et du Persavon avec Lucien Jeunesse et ses radio-crochets. En ce temps-là, on parlait français.

Mais le plus beau est sans doute cette touchante déclaration d'amour pour la vraie culture :

Tes deux fils, neuf et sept ans, sont en plein dans cette ère numérique… 
 Ils sont à fond sur la tablette, c’est simple, ludique et pratique. Ce sont des encyclopédies ambulantes, ils connaissent tous les résultats ! Ils ont la chance d’être nés dans une époque où tout va très vite. Cela fait plusieurs années qu’ils jouent aux jeux de football en ligne, ils connaissent déjà tous les grands noms du football moderne. Ils ont une vraie culture que je n’avais pas.

lundi 11 novembre 2013

La colombe invisible et les trous du cul


Il est connu que Knappertsbusch avait un problème avec les mises en scène de Wieland Wagner. Chaque année, il menaçait de démissionner du festival de Bayreuth et chaque année, Wieland Wagner parvenait à le convaincre de rester. Son opéra favori était Parsifal, dans lequel Wagner a prévu une colombe qui doit se poser sur la tête du héros. Comme Knappertsbusch insistait pour avoir "sa" colombe, alors que Wieland n'en voulait pas, ce dernier la suspendit dans les cintres à une hauteur telle que le chef pouvait la voir mais pas le public. Quand Knappertsbusch, à la fin de la représentation, dit à sa femme que c'était tout de même mieux avec la colombe, celle-ci lui objecta qu'elle n'en avait vu aucune, à quoi le chef rétorqua : « Les bonnes femmes, vous ne voyez jamais rien ! »


À Bayreuth, Hermann Uhde avait la fâcheuse habitude de se tromper toujours au même endroit, ce qui avait le don de mettre Knappertsbusch hors de lui, qui le traitait de "trou du cul". Joseph Keilberth dirigeant la même œuvre au même endroit avec le même chanteur arrive à ce même passage sans que le baryton fasse d'erreur, mais celui-ci entend pourtant un fou-rire provenant de la fosse. Il s'arrête, très énervé et demande à Keilberth de s'expliquer. « Je dirige avec la partition de Kna, et à cet endroit il est écrit : "Virez moi ce trou du cul !" »

vendredi 8 novembre 2013

Leur Acisme


Et revoilà le racisme. Il est éternel, comme les saisons ou les hirondelles et les cigognes au printemps, les marronniers quotidiens dans les médias, les poux dans les écoles ou les incendies volontaires de la Saint-Sylvestre. Aux Français, est diffusée depuis une semaine la énième version d’une série sans fin : la quatre-vingt treizième ? La millième ? La millionième ? Pédale, Hollande, et compte, mais pas sur tes doigts. Tu n’en as pas assez. Prends une calculette ! Non seulement le racisme revient, mais le scénario du retour se répète à l’identique. Depuis plus de trente ans, il n’a pas changé et dans ce domaine, le changement, ce n’est pas pour demain. Le scénario éculé a servi des milliers de fois ; il servira encore des millions de fois ; il a été écrit une fois pour toutes, comme le Coran d’Allah. Pourquoi y renoncer ? Le droit à la paresse est inaliénable. Il gouverne Canal +, les politiciens, les cultureux, les chaubiseux, les chercheurs en sciences sociales et autres sciencieux, les journaleux, les associations lucratives sans autre but que le lucre raciste et tous les patentés ou diplômés en xénophobie, haine de l’Autre, homophobie, islamophobie, misogallisme, altérophilie, etc.

 La suite ici


jeudi 7 novembre 2013

Les Autristes


L'autrisme, nouvelle maladie de l'âme, comme dirait Kristeva. Les autristes sont légion, parmi nous et même en nous. Qu'ils soient le plus souvent semblables aux soi-mêmistes n'est qu'un paradoxe apparent. Comme la force s'est dégradée en farce, l'Autre s'est grimé en Lôtre, le Grand-Tôtre, farce macabre et lugubre qui ne cesse de hanter notre surmoi affaissé, le sousmoi du souchien en lévitation sociale. On a éliminé l'absence, et cette élimination a eu pour effet collatéral d'abolir le différent : il n'y a plus rien à voir, car voir, dans l'ancienne conception du monde, consistait à voir ce qui différait. Entre autisme et autrisme, la différence est mince. Voir de l'autre là où il n'y a plus que du même est une autre manière de se crever les yeux, de s'enfermer en soi-même, parce qu'on flirte sans cesse avec Big Mother. L'Objet s'est débarrassé du Sujet avec la complicité de la Technique, et dans ce meurtre insipide et sans odeur, le Secret douloureux est évacué au profit de la reproduction à l'identique, du simulacre en enfilade, du da capo sans espoir.

Grand T'A et petit tas et sa clique de tous pareils sont sur le pied de gare, ça se tire dans le gras du blanc avec de la polenta dans les mirettes. Sans cesse ça veut nous faire le coup mais ils se déguisent comme des emplâtres alors on les reconnaît à leur uniforme équitable de chez TéléraMama. Moi je les hume à la voix, je suis un spécialiste de la Voix de l'Autre. Y a la manière, mélange de gnan-gnan cucul et de morale douteuse qui ne s'embarrasse pas de vérité, doublée d'une grande violence dès qu'on fait mine de ne pas vouloir obtempérer vite fait. L'autriste il suit la voie, son sabre de dingo à la main, il dévie pas, il reste agrippé à son code de la déroute qui le fait sans cesse repasser à l'endroit qu'il ne reconnaît jamais pour le même qu'il est, toujours ébahi, notre baba bobo dévot, yeux crevés et paumes ouvertes en direction du Bien. La couillonnerie sacrée et branchée. Tu peux lui montrer tout ce que tu veux, il n'en démord pas : il n'y a rien à voir en dehors de l'autrisme. Sa connaissance sacrée est parfaitement identique à ce qu'on nommait autrefois méconnaissance, aveuglement, trouille, tête dans le sable, peur du noir, obscurantisme et collaboration, mais comme il dort du sommeil du juste, on ne peut pas le réveiller sous peine de procès. Il a besoin de ses vingt ans de sommeil, l'Autriste, sinon il pique sa crise de foi. Là-haut, Pseu l'a dit et Delanoé l'a confirmé, si t'es pas comme nous t'existe pas, mets-toi bien ça dans le crâne, qu'on n'ait pas à y revenir, ce serait pas bon pour tes arrières et ta carrière.

Barbara Cassin l'a écrit : « Entrez ! » Elle veut dire : « Lampedusa est une porte d'entrée que nous devons laisser grand ouverte. » ou quelque chose comme ça. Donc, le v'là, on sait par où il arrive le Grand-Tôtre (depuis 1973, date de parution du Camp des saints, on se demandait s'il arriverait par Saint-Trope, mais faut croire que non), c'est par une ville dont le nom se prononce Lampé Douza. Lampé Douza !!! Il arrive à la nage ou presque, notre Grand-Tôtre, et le con, même, il se noie, sous nos fenêtres ! Fait chier, quand-même ! Peut pas aller se noyer ailleurs l'abruti ? Ça manque pourtant pas, des ports où aller jeter sa barque à l'assaut des forces de l'argent, merde ! Sont vraiment cons, ces pauvres, de venir pleurnicher chez nous ; nous aussi on avait nos pauvres, et ils sont pas plus déméritants, ni plus sales, ni plus atroces ! Donc, ce qu'elle nous explique, Barbara la philosophe, c'est que nous devons tous être des réfugiés, soyons même plus précis, que le nouveau droit fondamental pour lequel il convient de mourir aujourd'hui est celui qui consisterait à octroyer à chaque être humain, sans aucune distinction, un droit de séjour là où il le souhaite. Je ne sais pas si vous avez bien entendu alors je répète : « Le droit d'asile dépend de l'appréciation d'un statut dérogatoire, à quoi il faut opposer un droit fondamental, et même, avec le philosophe Achille Mbembé, quelque chose comme un droit de séjour pour tout être humain là où il le souhaite. Nous serons tous des réfugiés alors. » Je prends sur moi d'appliquer à Mme Cassin un droit d'asile immédiat et définitif, et même, si j'ose, un devoir d'asile, bien fermé, l'asile, avec un joli pyjama qui se ferme dans le dos ! C'est plus de la flexibilité, de la circulation et de l'échange, qu'ils veulent, nos modernes, c'est l'abolition de la matière, l'abolition de l'ici et de l'ailleurs, l'abolition de l'enracinement, et bien sûr l'abolition de l'héritage et de la dette. C'est pas tout à fait rien ! L'esclavage, la peine de mort et la prostitution ne leur suffisaient pas, comme on s'en doutait un peu… C'était pas encore assez d'abolir les nations, les pays, les frontières, la patrie, il leur fallait encore abolir l'Homme, tout simplement. Parce qu'il est bien évident, pour qui n'a pas le cerveau d'un fou, que vivre dans un monde de réfugiés, dans un monde où il n'y aurait plus que des réfugiés, équivaut absolument à vouloir passer de bonnes vacances en enfer. Le mot le dit pourtant assez ! Qui se réfugie a quelque chose à fuir, a peur, est un fuyard, est en fuite, n'est pas en repos, n'est pas en paix. Ce qu'ils veulent, ces dingues, c'est un monde où chacun sera l'ennemi de chacun et n'aura pas un lieu à lui, ce qu'on appelle une demeure.

Tout cela est parfaitement cohérent. Quand le sujet indépassable du temps est l'autre, il est logique qu'il ne puisse demeurer nulle part. "L'autre" était un concept admirable, lorsqu'il y avait un même, lorsqu'il y avait un sujet, c'est-à-dire un quidam qui avait un lieu où demeurer, une demeure où il se sentait chez lui, où il pouvait se réfugier, justement, quand les autres le fatiguaient ou l'ennuyaient.

Et merde ! Lampez tout ça !

lundi 4 novembre 2013

Petit résumé de la situation


(•)


Nécrologie de la nécrologie


Les modernes manquent de logique. Puisque les morts ne nous apprennent rien, qu'ils ne nous sont plus d'aucune utilité, et que nous avons fini de faire notre deuil du deuil, je me demande bien pourquoi les journalistes continuent à nous parler de ceux qui "disparaissent", le jour où ceux-là cassent leur pipe. Sans compter qu'ils étaient finalement assez rares, les trépassés desquels on parlait, ce qui constitue une injustice criante envers le reste de la société ! Soyons un peu conséquents, pour une fois. Cessons de tresser des couronnes à ceux qui ont le toupet de nous rappeler que nous aussi nous allons un jour passer de l'autre côté du décor, et tirons-en les conclusions qui s'imposent. 

Commençons par abolir la fête de la Toussaint et le jour des morts qui la suit. Pareil pour cette cochonnerie d'Halloween : laissons nos citrouilles finir comme elles le doivent dans nos assiettes. Les potirons ont des droits, eux aussi ! Remplaçons ces fêtes morbides par une Fête universelle de la Nativité laïque, le 25 juin. Mais surtout, puisqu'il est établi d'une part que les morts ont bien disparu (sic) et que nous ne leur devons rien, et puisqu'il est non moins établi que les nouveaux arrivants sont dotés dès l'origine de toutes les qualités, de tous les dons, de tout le merveilleux attirail créatif et chanceux qui est censé enrichir notre cité et la rendre plus belle et plus intéressante, pourquoi ne pas remplacer les vieilles nécrologies par des panégyriques automatiquement alloués à tous les nouveaux nés ? Tous ils seront crédités, et ce de manière automatique et complètement démocratique, des qualités et grandeurs dont nous avions la mauvaise habitude de parer les morts. Dès le premier vagissement, le bambin Lukka ou la bambine Clita sera ainsi déclaré héros citoyen, humaniste toujours à l'écoute de l'Autre, infatigable défenseur des droits de l'enfance (c'est bien le moins !), anti-fasciste virulent, artiste dérangeant et inclassable doté de tous les dons, individu subversif et atypique, personne dont l'empathie naturelle et non-discriminante sera connue de tous, chercheur en sciences sociales dans l'âme, bénévole d'assosse, xénophile émérite dont la radicalité sans concession fera honneur au genre humain, et bien sûr anti-raciste au plus profond de lui-même. Devoir faire la preuve qu'on est, qui artiste, qui professeur, qui trader, qui pilote d'avion, qui administrateur, qui chômeur-longue-durée, qui ministre, qui DJ, qui père au foyer, qui sportif de haut niveau, qui grand-frère de cité, qui névropathe, qui journaliste, qui tueur en série, qui personne à mobilité réduite est humiliant, en plus d'être discriminant et anti-démocratique, et ne peut qu'instaurer un climat de suspicion généralisée qui nuit à l'épanouissement général et festif des citoyens. C'est pour cette raison que chacun sera déclaré, à la naissance, et artiste et professeur et trader et pilote d'avion et administrateur et chômeur-longue-durée et ministre et DJ et père au foyer et sportif de haut niveau et grand-frère de cité et névropathe et journaliste et tueur en série et personne à mobilité réduite, afin que ne soit jamais mis un quelconque frein à ses ambitions légitimes et sacrées. Bien entendu, on allouera aux nouveaux-nés, à vie et dès le premier mois, les salaires, émoluments, pensions et défraiements qui s'attachent généralement à ces fonctions. Grâce à notre système, infiniment plus démocratique et égalitaire que l'ancien, nous économiserons à la fois sur le budget des retraites, pour des raisons évidentes, et sur celui de l'éducation, puisqu'il va de soi que les études n'auront plus d'objet, ni les diplômes et autres concours, dégradants pour les femmes-et-les-hommes car mettant en cause leur égale dignité et leur droit imprescriptible au déjà-savoir. 

Le savoir-sans-apprendre (SSA), voilà la grande révolution cognitive et humaine (et politique) qui sans doute nous amènera au seuil d'une société sans classes (d'école) et sans négativité, un monde enfin débarrassé de la Grande Injustice qui nous semble fonder ou justifier toutes les autres : celle qui consiste à séparer les savants des ignorants, comme étaient séparés dans la préhistoire les bons des mauvais, les Blancs des Noirs, les héritiers des inhéritiers, les pauvres des riches, les hommes des femmes, les hétéros des homos, les gauchers des droitiers, les musulmans des juifs, les premiers des derniers, les vieux des jeunes, les clitoridiennes des vaginales, les poilues des épilées, les Macs des PC. Nous disons Non à l'apartheid du savoir, au mépris du sachant, au rejet de l'ignare, à l'exclusion de l'abruti, et le SSA est la clef qui ouvrira en grand les portes de l'Indivimonde

On l'a compris, le SSA et la nécrologie de la nécrologie ne s'envisagent pas l'un sans l'autre. Pour que le système fonctionne, il faut à la fois prodiguer à tous le savoir-sans-apprendre et décréter pour tous, à la naissance, que tout est déjà là, que tout y est, que l'être nouveau est complet, parfait et accompli, une fois pour toutes. La question difficile des successions ne se posera donc plus. Si tout est donné à tous à la naissance, l'héritage est parfaitement inutile, et même déconseillé, risquant de créer un déséquilibre néfaste au citoyen nouveau. Ainsi l'État pourra à chaque génération récupérer la totalité des biens et des richesses accumulés durant la vie des individus qui ne se distingueront d'ailleurs plus de lui. Les personnes seront l'État, et l'État sera la somme des personnes qui composent la société sur laquelle il régnera tel un monarque éclairé et bienveillant, duquel il ne sera que l'émanation à la fois essentielle et circonstancielle, une sorte de pure fonction incarnée et innombrable. La question de l'Impôt, par conséquence, ne se posera plus non plus. Et nous pourrions continuer longtemps comme ça, sur la question de la délinquance, sur celle de la fracture sociale, sur celle de la Sécu, sur celle des retraites, etc. Où l'on voit qu'une simple mais vraie mesure, si elle est suffisamment radicale et progressiste, suffit à régler d'un seul coup l'ensemble des problèmes d'une société moderne et évoluée.

(à Béatrice Coste)

dimanche 3 novembre 2013

La Lettre volée


C'est sans fin. Plus on essaie de s'expliquer moins l'autre comprend. C'est la raison pour laquelle il est inutile, dans quatre-vingt-dix-neuf cas sur cent, de faire le moindre effort en ce sens. Soit le sens est là immédiatement, soit il n'y est jamais. Le problème est qu'on se dit à chaque fois qu'il s'agit peut-être du centième cas, celui justement où il serait tout de même utile, bon, généreux, humble, gentil, miséricordieux, intéressant, valorisant, sympathique, charitabledémocratique, cool, avantageux, d'essayer de se faire comprendre.

Finalement, je crois que les seuls arguments véritables et sincères sont ceux dits "au physique". Précisément ceux qui sont interdits aujourd'hui, ceux qui font pousser des couinements aux Mamans éternelles. Je trouve qu'il a une sale gueule, je trouve qu'elle a une voix de pouffiasse, des mains de poissonnière, une démarche de caissière d'HyperU, je trouve qu'il est laid comme un poux, il a une tête de cul, de faux-cul, de vrai-cul, de con, etc. Tout le reste est discutable, se discute, peut se discuter, faire débat, à l'infini, ça ne sert à rien, ça se retourne comme un gant, c'est sujet à toutes sortes de fluctuations saisonnières, aux aléas de la digestion, au sens du vent, aux intérêts en présence, aux pressions souterraines, à la démographie, la Bourse, à toutes sortes d'impondérables, alors que le physique, la gueule, la voix, l'odeur, l'aspect, la figure, le visage, c'est indiscutable, c'est un donné, un fait, une évidence, c'est là, sous les yeux, il n'y a qu'à regarder tranquillement et sans ciller. Dieu nous a donné un monde qu'il suffit de regarder, d'écouter, de voir et d'entendre. Pas besoin d'aller chercher derrière, dessous, au-delà, plus loin, de soulever les tentures, de retourner les coussins, de secouer les draps, d'ouvrir les tiroirs, de regarder par le trou de la serrure, tout est là, immédiatement, bien en évidence. Ça crève les yeux. Freud et Lacan, contrairement à ce qu'on croit, n'ont jamais rien dit d'autre.

Je sens qu'on va me demander de prendre un exemple. Oh, je pourrais en prendre mille, bien sûr. Et parmi ces mille, il y aura toujours un couillon qui viendra me prouver que ce que je dis est faux puisqu'il (s')en trouvera un qui contredit ma théorie, lui.

Comment ça, ça va se retourner contre moi ? Et alors ?

samedi 2 novembre 2013

En voiture (notes en vrac)


Entendant Bach à l'orgue, par hasard, en voiture, je me fais comme souvent cette réflexion : J'ai le désir, très fort, très fréquemment, de ne plus faire que ça. Par ça, j'entends m'occuper exclusivement de musique, et, à l'intérieur de la musique, exclusivement de Bach. Comme la vie serait simple et belle, si elle ne consistait qu'à travailler des fugues, des motets, des cantates, si l'on n'avait qu'à suivre pas à pas la longue vie prolifique du Cantor. Mais c'est impossible. Même si j'en avais la possibilité matérielle, pécuniaire, ce qui est très loin de pouvoir jamais être le cas, il faudrait encore entretenir des relations avec les quelques vivants indispensables à une survie matérielle, il faudrait au mieux passer des coups de téléphone, payer l'assurance de la maison, aller à la pharmacie et chez le médecin, renvoyer sa feuille d'imposition, aller ouvrir la porte quand on sonne pour relever le compteur d'eau ou d'électricité. Impossible d'être délivré complètement du fardeau des liens humains, et cela même si l'on est très riche.  Est-il donné à l'homme de mener une vie absolument heureuse ? Sans doute pas. Il faut payer un tribut à l'espèce. C'est sans doute ce qu'on pourrait appeler le "fantasme Leonhardt" qui me fait parler ainsi. (Durant cinq lumineuses années, j'ai habité, seul, une immense maison dans un minuscule village bourguignon de quatre-vingts âmes. Ni boulangerie, ni poste, ni pharmacie, ni bistro, ni épicerie, il n'y avait rien, dans ce village où les soirées d'hiver étaient longues et glaciales (je ne parle pas de la Bourgogne des vignes, plus au sud, je parle de la Bourgogne des plateaux et des forêts, au rude climat continental). Pas de télévision, pas d'Internet bien sûr, pas de téléphone (parce que trop onéreux), pas de chauffage central, ou si peu, juste un piano et un chat, des livres et des partitions. Je crois, je suis même sûr que je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie. La solitude et la musique font bon ménage, c'est à ce moment-là que j'ai éprouvé cette réalité avec une intensité que je n'oublierai jamais. Malheureusement le bonheur n'était pas complet car je devais me rendre à Paris une fois par semaine pour y donner quelques cours…)


Entendant cette sonate en trio BWV 525, interprétée par André Isoir (que, décidément, j'aime de plus en plus), je me fais cette réflexion qui m'est désormais familière : quand on pense à un compositeur aussi génial que Bach, aussi inventif et aussi rigoureux, dont certaines œuvres dénotent à la fois d'une complexité étourdissante et d'un naturel déconcertant, on est pris de vertige, et l'on se dit banalement (mais non sans raison) qu'un homme ne peut pas avoir écrit cela sans l'aide de Dieu, que c'est impossible

Mais on peut aussi penser à un phénomène que les rares musiciens classiques qui ont pratiqué l'improvisation connaissent bien, et qui est à mon avis l'un des grands impensés de la création musicale : quand un instrumentiste improvise, il fait très facilement des choses effroyablement complexes, qu'il lui sera ensuite très difficile de reproduire, si on s'est avisé de les (re)transcrire. Il y a un monde entre la technique qu'on utilise en improvisant et celle qu'on va utiliser pour jouer ce qu'on lit sur une partition. Ce n'est pas tout à fait de technique qu'il faudrait parler, ou alors il faudrait entendre le terme dans son sens grec, beaucoup plus étendu que celui que le mot a pris en français, mais je l'emploie ici faute de mieux. Ce que j'essaie de dire très maladroitement, c'est que Bach "improvise" ses compositions. Oh, ses compositions ne sont pas du tout des improvisations écrites, non, absolument pas ! C'est même tout le contraire. Et pourtant, je crois qu'on peut tout de même soutenir que Bach, quand il se trouvait devant sa table de travail, avait le genre de technique, d'art, d'attitude, qui permet à un improvisateur d'être largement au-dessus de lui-même, musicalement parlant, quand il improvise. 

Analysant une fugue très complexe de Bach, on ne peut qu'être perplexe : comment un cerveau humain a-t-il pu produire une chose pareille ? Mais Bach ne composait pas selon les chemins analytiques qui nous ont permis de nous y retrouver dans un paysage aussi complexe ! Il arrivait à ce résultat par des voies tout autres que celles qui nous permettent de le suivre (un peu). C'est le principe des trous de ver de l'espace. Selon les lois que nous connaissons, celles qui nous permettent d'appréhender d'univers, certains phénomènes sont impossibles à expliquer. Nous sommes bornés par la vitesse de la lumière, qui est une limite infranchissable. Et pourtant, l'observation nous laisse penser que cette limite pourrait être franchie, si l'on veut faire entrer certains objets dans l'équation. Il existe des raccourcis, que ce soit dans l'espace ou dans la pensée humaine, qui permettent d'arriver à des résultats qui sont en principe hors de portée de nos capacités. Et ces raccourcis, ces "trous de ver" perceptifs et inductifs ne sont pas du domaine de la computation et de l'accumulation d'informations, mais d'un sens que je répugne à nommer intuition et qui dépasse la Technique de cent coudées. 

vendredi 1 novembre 2013

Les salopes, oui, les salauds, non !


Vous consommez ? Non, je veux, dire, vous consommez du sexe ? Vous arpentez les trottoirs virtuels à le recherche de viande réelle à dominer machistement ? Vous êtes en quête d'une créature horizontale dont votre désir putride fera sauter le joint de culasse et provoquera l'amorçage de la pompe à soumission ? Vous ne rêvez que d'engorger les canalisations de la travailleuse en levrette, que d'éponger la fente à génie de votre sceptre raidi par l'ankylose de la solitude miséreuse, que de piston échauffant le cylindre humide dont vous allez vaporiser les sucs dans une étuve infernale et joyeuse, que de gloussements rauques de pandémonium d'alcôve, que de gémissements génétiques, que d'atrocités sucrées et liquides, vous vous voyez déjà cyclope festoyant dans la caverne, ivre explorateur du gouffre des commencements, champignon atomique au-dessus de la mare primordiale ? Vous avez la veine qui palpite, le front moite et les mains exténuées de caresses retenues, les jambes arquées par des bourses gonflées d'allégresse empêchée, les yeux exorbités de voir à travers la nuit, les paumes creusées par des mamelons comme des volcans avant l'éruption, la narine qui s'effluve du musc douloureux, la langue qui s'agace de son soliloque ? Vous oyez par avance la chorale utérine, vous vous installez mentalement aux grandes orgues de la tripe, vous tournez déjà la clef du coffre aux vents, vous soufflez en pensée dans le tuba aux haleines, vous vous rincez l'œil avant l'heure dans la fontaine de cyprine ?

Vous n'êtes pas du "parti abolitionniste" (il n'existe pas de hasard, et l'histoire n'a qu'un seul sens, au pays de Big Mother : les abolitions sont une une longue chaîne de vertu qui a commencé avec celle de l'esclavage, puis celle de la peine de mort… on vous laisse voir venir…), si vous avez répondu positivement aux questions posées plus haut, et vous êtes par conséquent de l'Offensive réactionnaire scandaleuse. Vous êtes de ceux qui ne trouvent pas scandaleux de payer pour rétribuer celle qui a décidé de vous livrer son corps pendant quelques minutes, mais cela ne fait pas de vous celui qui va donner avec enthousiasme 1500 euros à l'État, ou à la collectivité gentille, pour une transaction corporelle consentie par les deux parties en présence. Vous devriez pourtant vous scandaliser de ne pas vous scandaliser, et c'est bien la raison pour laquelle Big Mother vous soumet à l'impôt moral, à la fessée au porte-monnaie, à l'amende citoyenne censée vous rectifier l'âme et vous ramollir le braquemart, à la sanction tranquille de la redistribution sexuelle. Vous êtes en excès de vit comme d'autres sont en excès de vitesse, il est donc juste que la société distribue votre argent aux nécessaires nécessiteux qu'elle s'évertue par ailleurs à fomenter de toute part afin de s'attendrir elle-même de les soulager (un peu). Vous vouliez donner votre semence mais on préfère vos économies ; dans tous les cas, il s'agit d'une contribution à l'espèce, même si les cons à qui vous donnez votre obole ne sont pas de la même. 1500 euros la passe, mais c'est donné, au sens propre ! Pris la main au panier, le clef dans la serrure, en situation d'infidélité aux valeurs progressistes, il faut cracher au bassinet après avoir lâché la purée. Normalement, en pareille situation contre-révolutionnaire, on devrait vous raccourcir l'asperge, histoire de vous faire comprendre de quel bois Big Mother se chauffe le berlingot quand on lui manque de respect, mais soyez tout de même bien conscient que vous êtes seulement un môme un peu fruste à qui on colle gentiment une beigne pour lui apprendre les bonnes manières, et remerciez la de ce qu'elle ne vous inflige pas le confessionnal citoyen et la pension alimentaire à vie pour une assoce de quartier.

343 salauds ont cru qu'ils pouvaient réclamer leur pute avant d'aller au lit avec un verre de lait chaud et un Lexomil. « 343 mâles dominants qui veulent défendre leur position et continuer de disposer du corps des femmes par l'argent. », c'est Anne-Cécile Mailfert qui résume la situation et sait lire entre les lignes torves des salopards. La domination est un vice très courant dont j'avoue être moi-même assez friand. Il y a peu, encore, j'ai entretenu une relation de ce type avec une commerçante qui tient une boulangerie. Cette brave dame ayant décidé de vendre son pain, je me suis glissé dans sa boutique, assez ému par ma folle témérité, et la tenancière m'a remis une miche contre une pièce. Inutile de dire que je n'ai pas traîné sur les lieux de la transaction et que bien vite je suis remonté dans mon automobile pour me soustraire aux regards lourds de reproche que je sentais sur moi. Je ne sais pas si j'aurai le cran d'y retourner, bien que l'envie de défendre ma position soit pressante. Rien que d'y repenser, avoir ainsi disposé de la miche encore chaude de cette créature grâce à mon argent me procure un sentiment de honte que je ne suis pas certain de pouvoir assumer. Dominer cette pauvre femme, fût-ce par l'entremise de sa miche, grâce à mon argent, voilà qui est difficile à soutenir longtemps devant un de ces tribunaux du Bonheur qui fleurissent dorénavant en notre belle France, en ce pays de cocagne où les agriculteurs, les infirmières et les profs sont les plus épanouis, les plus heureux, les plus enthousiastes de nos travailleurs — pas comme ces pauvres femmes que des mâles sournois, dominateurs et cyniques veulent asservir en leur achetant ce qu'elles vendent, en faisant mine de croire qu'ils ne font que faire honneur à l'offre que ces malheureuses font mine de leur soumettre, alors qu'elles ne demandent qu'une chose, les infortunées, qu'on leur refuse cet échange infâme qui les réduit en esclavage à l'insu de leur plein gré ! 

mercredi 30 octobre 2013

Entre la cuisine et le salon


On est heureux, finalement. On est heureux quand on a bu un verre de vin, quand on ne parle pas de Paris, quand on a renoncé à appeler le propriétaire dont le téléphone est occupé, quand le camembert est bon, quand on lit un peu, et surtout quand on laisse dire. Il faut laisser dire, surtout. Disez, disez, disez ! Faites comme si on n'était pas là. Affirmez, synthétiser, tranchez, complotez, dérivez, anamorphosez, extrapolez, ne vous gênez surtout pas, nous laissons dire, nous lisons, nous écoutons, ravis. On passe. On repasse. Sans se faire repérer. Cohen ? Séfarade vulgaire, pas de chez nous, hop ! Oui, encore s'il-vous-paît ! Nathalie Sarraute, et pourquoi pas ? Comment s'appelle votre chat ? Mettons les épluchures dans le journal. Communiqué numéro 352737. Le Machin n'est pas content du tout ! S'offusque ! N'est pas heureux. Du mou, donnez-nous notre mou de ce jour, Cher Albert ! Nous avons affaire à des spécialistes. Des pas creux du genou. Ah, la Toussaint, mes aïeux, et votre chaudière, elle est en état de marche ? J'étais à la cuisine… Et là, précisément là, je me dis : « T'es heureux comme un vrai couillon ! » C'est pas tous les jours. La folie en tête et le cœur béni. 

Mais souvent, quand-même. 

Versation


C'est une maladie qui frappe de plus en plus de monde. On n'en parle guère à la télévision, ni dans les journaux. Mais j'entends déjà ceux qui vont me dire qu'elle a toujours existé, que rien de nouveau sous le soleil, etc. Ce qui n'est pas nouveau est bien cette manie de croire que rien n'est jamais nouveau, que rien n'arrive jamais, que tout recommence perpétuellement à l'identique. J'ai revu cet ami musicien hier et c'est la seule chose qui m'a frappé. 

On ne peut jamais finir une phrase, il se met à parler par-dessus, il commence alors que vous n'avez pas terminé, vous forçant ainsi à effectuer un decrescendo honteux, un morendo précipité. Mais même dans le cas improbable où il vous a laissé finir votre phrase, presque par inadvertance, il reprend exactement là où il en était quand vous aviez pris la parole précédemment dans la conversation. Exactement comme si vous n'aviez pas parlé, il continue sur sa lancée, considérant sans doute votre intervention comme une pause — seulement un peu bavarde — durant laquelle il lui était loisible de reprendre son souffle, de remettre en ordre ses idées. C'est épuisant, en plus d'être décourageant. C'est un peu comme dans ces rêves où vous courez sans avancer le moins du monde.

Que cette maladie soit très répandue aujourd'hui me laisse à peu près indifférent, puisque je ne converse plus avec personne, sauf nécessité absolue, mais qu'elle touche des gens qui font profession de faire de la musique ne peut pas ne pas m'attrister un peu, et me conforter dans mon idée que la race des musiciens est en voie d'extinction. 

mardi 29 octobre 2013

Le sang et la musique




Liszt, Wagner, Hans von Bülow, Toscanini, Horowitz, Zemlinsky, Schönberg, Kolisch, Nono.

Etc.

jeudi 24 octobre 2013

Les Vents



Des vents porteurs de stigmatisation soufflent sur l'Europe et la France. Des vents porteurs de violence et d’exclusion. Ainsi avons-nous entendu, ces dernières semaines, une série de déclarations aussi démagogiques que haineuses, qui nous inquiètent profondément.

Vous voulez des exemples ? Georges de la Fuly, ici-même, par exemple, entre autres, l'ordure, l'infâme, le vulgaire, le pendu en instance, a traité le tendre poulet sans tête Leonarda di Boudino de boudin dantesque. C't'affreux, n'est-ce pas ! 'Reusement qu'les pleureuses bien-évidemment montent la garde, bottées jusqu'à la gaine. (En fond sonore, l'Amorce du Festin, La-So-Do-Mi, La-So-Do-Mi, Fa-Fa-Mi…) (On appuie bien sur les deux fa !) Sigfrid le Bourrin à nœud-pap donne un coup d'main à La Grande Pleureuse sanctifiée par la lecture de Causeur magazine et l'achat de tous les livres de saint Finki. Tout va bien, la Mafia est en ordre de marche. On peut commencer la revue des monstres. 

Saint Tamazone criez pour nous, pauvres lécheurs à la moule encapuchonnés de bave qui se tirent sans vergogne sur l'élastique social. Ah les cons, les vulgaires, les sarcastiques de la damnation, les anti-LICRA à trous, les cracheurs tubars dans le MRAP, les péteurs à contre-temps, les fielleux sans foi, les excluseurs de mes deux sans loi, les porteurs de violence amère en valises non-diplomatiques, qu'ils sont laids ces gueux moisis et puants, ces réfractaires à la poésie dans le métro, ces indifférents au contexte social tendu, ces brûleurs de cholestérol citoyen, ces bouc-makers de l'émission sincère, ces arpenteurs de tous les chemins vers ROM, ces désengagés de l'alutte, ces adémocrates compulsifs, ces pousseurs de vents fétides, ces abaisseurs de débat public, ces réactiveurs de postures racistes, ces légitimeurs de conséquences, ces vindicatifs populassiers ! Mais qu'est-ce qu'on attend pour les déporter aux Deux Magots ?

Ah les beaux bobos qui s'ignorent si gentiment, comme on aurait eu plaisir à les importuner encore un peu avant d'aller voir ailleurs si l'emrappe y est aussi à l'affût ! C'est qu'on y transpire beaucoup, dans leurs collants solennels et boudinés! Y a pas de place pour les négligents de la valeur républicaine, chez les enragés de l'inclusion, ça ne supporte pas les vents nauséabonds du plouc qui penche sur son tracteur et passe du turbin au cercueil sans escale par le Flore. Mais ça viendra, Albert, ça viendra. Faut pas te soucier ! On leur sollicitera haineusement le fondement, ça ne peut pas ne pas venir, un beau matin sans crier gare et dans toutes les rues du 6e. La bandaison ultime elle arrive de la Beauce et de la Creuse, elle prend les petites routes, elle n'a pas d'attaché de presse, la salope ! 

mercredi 23 octobre 2013

dimanche 20 octobre 2013

Le Retour du Boudin


« Un jour ou l'autre je rentre en France et après c'est moi qui vais faire la loi. »

vendredi 18 octobre 2013

Virons les boudins !



C'était ma contribution, essentielle et définitive, au débat étiko-maboul de la semaine. Bonsoir.

lundi 30 septembre 2013

Itinéraire d'un provincial



1, bis, place des Vosges, 4e
Rue de Charenton, 11e
Avenue du Bel-Air, 12e
10 (?), rue Ferdinand Duval, 4e
62, rue Joseph de Maistre, 18e

    (Planay, Bourgogne)

56, rue Saint-Louis en l'Isle, 4e
2, rue des arquebusiers, 3e
3, place des Vosges, 4e
35 (?), rue de Seine, 6e
13, rue Linné, 5e
12 (?), rue Villehardouin, 3e
Rue de Lappe, 11e
35, rue Racine, 6e

dimanche 29 septembre 2013

Je ne saurai jamais comment elle se prénommait…


Louise, Rose, Marie ? 

Pour la culotte de coton


Je fais partie de ceux qui ont connu le passage du coton à la soie. Je me rappelle encore notre enthousiasme : Enfin, il allait être possible d'aller acheter des sous-vêtements à nos petites amies. Avoir du goût pour ces morceaux de tissus qui étaient en contact avec les parties intimes de nos amantes, les choisir, les acheter en secret, entrer dans ces boutiques avec le délicieux trac du débutant, être bien accueillis, contre toute attente (on ne nous traitait pas du tout en vicieux pervers, au contraire, les vendeuses étaient charmantes, émues, presque maternelles), tout cela était grisant, merveilleusement excitant. Prendre part à la toilette intime d'une femme, même par le biais d'un morceau de tissu, quoi de plus merveilleux ? Que la vie était belle !

On a vite déchanté. On a refusé de l'admettre, au début, mais il a bien fallu constater que le plus s'est transformé en moins. On avait encore une conception naïve de l'érotisme et notre naïveté ne nous a pas longtemps préservés. L'habit ne fait pas le moine. La culotte de soie ne fait pas le printemps de l'érotisme, loin s'en faut. 

Trente ans plus tard, nous en sommes là : les sous-vêtements de luxe se sont, comme tout le reste, démocratisés, et il nous faut bien admettre que nous éprouvons désormais une immense nostalgie pour la culotte de coton blanc. Je ne nie pas qu'il existe de beaux sous-vêtements, précieux, élégants, de très belle facture, et qu'il nous arrive encore, en les voyant dans une vitrine, d'éprouver un léger pincement au cœur. Mais nous savons malheureusement qu'il s'agit d'un mirage.

Comme toujours (il n'y a pas de raison), "le luxe" s'est abîmé dans la vulgarité démocratique. Comme (presque) toujours, "un progrès" exaltant s'est transformé en une triste palinodie bariolée dont la diversité hystérique exhale l'étouffant parfum désormais bien connu du plus parfait conformisme.

Le string est sans doute l'exemple parfait de ce plus qui devient moins, au même titre que l'épilation du pubis. Plus une femme, même à l'approche de la soixantaine, qui ne porte pas des strings. Et quand on essaie de leur faire remarquer calmement que ce n'est pas forcément un attribut érotique qu'elles se coincent entre les fesses, elles nous parlent pavloviennement de "la marque de culotte" qui serait "moche", ou, pire, "inesthétique". Comme l'épilation intégrale est censée être plus hygiénique, le string serait soi-disant porté par souci esthétique. Mon Dieu que les femmes sont bêtes !


samedi 28 septembre 2013

Petit portrait en prose (11)



C'est l'après-midi. Il y a du monde. J'entre dans la salle à manger et j'entends Annie qui m'interpelle depuis la cuisine. Anne est là également, que j'embrasse. À la grande table en chêne est assise une jeune fille avec une belle chevelure châtain. Elle m'a certainement entendu entrer mais elle ne se retourne pas. J'aperçois son dos, ses cheveux, ses jeans, et un peu de sa joue droite. Elle porte un gros pull-over et je ne sais pas pourquoi j'ai l'impression qu'elle baigne dans une sorte de vapeur. Je tombe amoureux d'elle instantanément, sans avoir vu son visage. Ce que j'ai vu là, c'est la grâce en personne. 

On me la présente, c'est la fille des invités, P. et Y., qui sont là pour une semaine. Elle a un très long nez qui, loin de me déplaire, ajoute encore à l'attirance que j'éprouve pour elle. Elle parle très peu et me regarde avec une sorte d'ironie naïve qui alterne avec quelque chose que je pourrais éventuellement prendre pour de l'intérêt, si je n'avais pas conscience du ridicule de mes sentiments. Elle a quinze ans, j'en ai le double. Ses parents sont là, très beaux tous les deux, surtout la mère, à peine plus âgée que moi, qui se prend de sympathie à mon égard. 

Quelques mois après, j'habite un studio, rue ***, juste au-dessus de la boutique de la mère. La concierge, très curieuse, est à l'entresol, et moi au premier. C. doit se déguiser en homme (elle porte un immense imperméable et une casquette que je lui ai prêtés, parfois un casque intégral) pour venir me retrouver, ou monter l'escalier à quatre pattes quand elle n'a pas pu se grimer. 

Pendant près de deux ans, nous nous verrons dans la clandestinité, jusqu'à ce que celle que j'avais quittée pour C. téléphone à la mère pour l'avertir de l'ignoble personnage que j'étais. 

Qu'il ait pu exister quelque chose entre cette jeune fille de banlieue, à moitié arabe, et un vieux qui ne lui parlait que de musique et de littérature, a quelque chose qui aujourd'hui me paraît presque irréel. Pourtant nous nous sommes aimés, et très violemment. Je crois qu'une chose pareille ne serait plus possible aujourd'hui.

Chaque fois que je pense à elle aujourd'hui me reviennent en mémoire deux vers de Sandro Penna lus à l'époque : « Non c'è più quella grazia fulminante ma il soffio di qualcosa che verrà. »

La Musicienne

Tombé par hasard sur une vidéo de Jacqueline du Pré jouant le concerto d'Elgar, "son" concerto. Il y avait longtemps que je n'avais pas vu ces images. Cette fille est un prodige vivant. Rarement, dans la musique, on aura vu un interprète si puissamment inspiré, si authentiquement inspiré, si vrai. Les larmes qui me viennent aux yeux sont brûlantes comme de l'acide. 

On a du mal à croire ce que l'on voit, ce que l'on entend. La Beauté, est-ce autre chose ?


vendredi 27 septembre 2013

Lire et écrire


Plus ça va plus je trouve que le Net donne des êtres l'essentiel qu'il y a à en connaître, et qu'il nous évite bien des rencontres inutiles. Contrairement à ce qui se dit un peu partout, l'écrit me paraît suffire à se faire une idée précise de qui se trouve face à nous. Ce n'est pas qu'il "suffit", d'ailleurs, c'est qu'il évite tous ces signaux interférents qui, dans la vie de tous les jours, nous aveuglent et nous rendent sourds à l'évidence. Oh, bien sûr, il m'est arrivé très souvent de "corriger" l'impression défavorable que j'avais eue en lisant quelqu'un par sa présence en chair et en os, par sa voix, ses gestes, son allure ; mais, presque toujours, en un troisième temps, j'en suis revenu à l'impression que la lecture m'avait donnée. L'homme a appris à masquer la vérité avec l'image (je ne dis pas qu'il y parvienne toujours, loin de là, mais il s'agit d'un savoir très largement partagé, surtout de nos jours), beaucoup moins avec le son, et pas du tout avec l'écrit. 

Quand je parle de l'écrit, je parle bien entendu de tout ce qui passe par ce truchement : ce qu'on dit, comment on le dit, avec quelle écriture. L'écriture : voilà encore un mot dont la signification a évolué d'une manière spectaculaire. Avoir une belle écriture, autrefois, était très important. Au moins aussi important que de savoir s'habiller correctement et avec élégance. La manière dont on se présentait à l'autre, c'était souvent par la lettre qu'elle passait, puis par la voix, au téléphone. C'est maintenant par la façon d'écrire un mail, ou un message, sur un site ou un forum, que l'autre entre en contact avec nous. L'écriture (au sens de graphie) a logiquement été remplacée par la typo-graphie. On aurait pu penser que ceux qui n'ont pas appris à se servir d'un stylo (et ce n'est pas de leur faute), dans leur jeunesse (car c'est une chose qui ne s'apprend pas à l'âge adulte), allaient se rattraper devant leur écran, allaient nous en remontrer avec une virtuosité typographique qu'on était loin de posséder encore, allaient enfin nous enseigner quelque chose, puisqu'il paraît que "la jeunesse" a tant à nous apprendre, comme se plaisent à le répéter sans cesse les désastrophiles de tout poil…

Las ! En bientôt vingt ans de lecture sur écran, qu'avons-nous vu ? Une bouillie sans nom, une horreur quotidienne et générale, un désastre puant, une décharge à ciel ouvert, sur tous les écrans, grands ou petits, mats ou brillants, fixe ou mobiles ! On nous promettait une débauche de créativité, le paradis du pixel, du caractère de caractère, une lecture qui n'en peut plus de jouir grâce à nos petits génies de l'écriture, et on a de la purée de clous rouillés, des internautes qui mettent les quatre doigts et le pouce pour pousser leur borborygmes jusqu'à nos pupilles dilatées par l'effroi. Quand par extraordinaire l'un d'eux sait à peu près écrire normalement on se frotte les yeux, on n'y croit pas, on pense que l'ordinateur est en panne, que quelqu'un nous fait une farce, qu'on a abusé du bordeaux la veille au soir. 

Donc, si je résume, plus personne ne sait tenir un stylo, écrire deux phrases sur une feuille de papier, sur une carte postale ou une enveloppe, et personne non plus ne sait aligner quelques caractères typographiques compréhensibles et agréables à lire. Ah, on peut dire qu'on a gagné sur tous les tableaux et qu'il y a lieu de se taper le cul par terre de bonheur citoyen ! Tout va bien madame la marquise, ici aussi le niveau a tellement monté qu'on dirait que les chiottes sont bouchés. 

Mais nos modernes n'ont pas le nez sensible, contrairement à ce qu'ils affirment gratuitement. Ils ont tellement peu le nez sensible que toutes les femmes désormais se parfument beaucoup trop, et que même les adolescentes qui restent une heure chez vous y laissent une traînée olfactive persistante, ce qui me paraît le comble de la grossièreté. Qu'ont-ils donc à cacher, pour travestir ainsi leur image, leur odeur, leur langue, pour masquer le peu de saveur et de sens dont ils sont encore le réceptacle ?

Dans l'épaisseur du mot, de la phrase, dans les plis de l'écriture, un monde se donne, à qui sait le voir et l'entendre. Comme la plupart de nos contemporains n'entendent rien, ne voient rien, ils ignorent du même coup qu'ils se livrent, qu'ils disent à peu près tout ce qu'il y a à savoir sur eux, quand ils vous envoient un mail ou qu'ils déposent un commentaire sur Facebook. Et plus ils font des ronds de fumée et des effets de manche pour camoufler le vide et plus celui-ci se voit comme le nez rouge au milieu de la figure de style classique. 

***

Ce matin, j'ai écouté et regardé à nouveau le concerto en la de Mozart, le 23e, par Pollini et Böhm, et comme à chaque fois, j'ai été saisi par la morale impeccable qui se dégage de leur interprétation. Tout est à sa place, rien n'est en trop, chaque note a son juste poids dans l'ensemble, chaque ligne est conduite à son terme avec la simple précision sans fard du geste qui crée la musique, rien que la musique, mais toute la musique, cette musique si haute, si exigeante, si incroyablement nécessaire et pourtant si rare. Le style classique dans sa simple perfection. On en revient toujours là, après tous les détours, après toutes les errances, après toutes les souffrances souvent inutiles, dans la sagesse tempérée du classicisme, dans la lumière de ce miracle qui avait pour nom Mozart.



jeudi 26 septembre 2013

Petit portrait en prose (10)


Il était venu me chercher chez moi en taxi, il ne se déplaçait que comme ça. Nous étions allés lui acheter un piano à Alésia. Les cours duraient une heure et demie, mais je ne le voyais que vingt-cinq minutes à peu près, trois quarts d'heure dans le meilleur des cas. Le reste du temps il était "en séance". Ça se passait toujours à peu près comme ça :

Le téléphone sonne. Il se lève avec un soupir, il va décrocher le combiné qui se trouve sur la cheminée. J'entends : « Oui. Hmm… Hmmm… Non. Hmmm… Venez ! » Il me dit, je suis désolé, un patient, mais on a encore cinq minutes. Ça sonne : « Je vous laisse, je n'en ai pas pour longtemps. » La plupart du temps, il était de retour un quart d'heure plus tard, parfois même moins. Très rarement, il me faisait dire que je pouvais partir. 

Quand il était avec moi, il passait son temps à prendre des notes dans un petit carnet à élastique qu'il avait toujours avec lui. « C'est pour mon prochain livre. » Je jouais en parlant, il m'interrompait : « Ah, ça ça m'intéresse ! » Et il notait d'une écriture illisible. 

Il a voulu que je donne aussi des cours à ses enfants. Deux infernales créatures directement sorties de Tintin au pays de l'Or noir, qui m'attendaient cachées derrière le divan avec leurs pistolets à eau et autres farces débiles. Et puis la femme, psychanalyste elle aussi (je l'avais deviné aux enfants)… Un jour j'en ai eu assez, j'ai envoyé ma copine, qui était tout sauf pianiste, mais qui convenait parfaitement. 

C'était la grande époque de la dissolution de l'École freudienne de Paris et les coups de téléphone n'arrêtaient pas, et les réunions impromptues et fiévreuses dans l'appartement du Boulevard Saint-Michel. Il était vraiment drôle, je ne me suis jamais ennuyé avec lui. Revenant d''une séance pourtant ultra courte, la plupart du temps avec un air accablé et renfrogné, il lui arrivait de me dire : « Je me suis encore endormi ! » Et, devant mon air ahuri, il ajoutait : « Vous ne savez pas à quel point c'est emmerdant ! » Je l'aimais beaucoup, c'était vraiment un bon camarade de jeu, et j'allais là-bas comme on va se promener dans un jardin public, toujours étonné et amusé par les personnages que j'y croisais. Surtout qu'il arrivait fréquemment que je trouve porte close, avec une enveloppe scotchée à l'entrée, contenant mes émoluments. « Réunion imprévue. Vous appelle. »  

À l'époque, je n'avais jamais entendu parler de Jacques Lacan, et je revois encore son air incrédule quand il a dû m'expliquer ce qui se passait. J'ai compris au fur et à mesure qu'il était un personnage important, mais, à part sa femme et ses cigares, qui auraient dû me mettre la puce à l'oreille, il avait plutôt une dégaine de cow-boy, de très beaux yeux bleus et un humour qui me plaisait. Il était maussade par profession mais drôle par nature. Tous les deux nous savions ce que c'était que le transfert, c'est peut-être ça qui nous a rapprochés.

mercredi 25 septembre 2013

L'art du cadrage


« Les cheveux qui tombent comme des serpents »

Les opus 111 ne nous laisseront jamais tranquilles !






Les odeurs du jardin entrent par la fenêtre ouverte. Il ne fait que quinze degrés ce matin, mais on devine que le ciel va être très bleu. J’ai éteint la lumière, on y voit juste assez pour lire. Pas un souffle de vent, la vigne est immobile, quelques oiseaux. Souvent j’avais pensé qu’à cette heure de la journée tout devenait possible, en particulier rejoindre un corps absent, le rejoindre par la lumière qui se diffuse peu à peu sur un paysage, comme le regard sur un corps aimé. Cela je l’avais vraiment pensé. Il y a tant de choses que j’ai vraiment pensées. Comment se fait-il que ce soit précisément les autres qui arrivent ? Je suis là, dans mon fauteuil, devant mon bureau sur lequel des livres, des lettres, des photos, des encriers, des boites de toutes sortes, quelques journaux, une tasse de café et deux partitions de poche sont dans un grand désordre. Nous sommes en été, cet été a été précédé d’un printemps, le premier printemps du siècle, et je ne l’oublierai jamais ce printemps.

Que des images



Ils sont tous là à vous critiquer, à dire que ce que vous faites ne vaut pas un clou (ce qui est bien possible évidemment, et on ne les a pas attendus pour le penser, le plus souvent), mais on se demande toujours ce qu'ils ont fait, eux, ce qu'ils ont à proposer, à montrer, à faire entendre, ou même à opposer aux trois coups de crayons que vous osez faire paraître ici et là. 

***

Elle me dit : « Tu écris bien. J'aime te lire. » Et j'ai envie de répondre : « Mais alors, si ce que tu dis est vrai, pourquoi n'as-tu pas pris la toute petite peine de me lire, quand je t'ai envoyé tel article, pourquoi cette obstination dans le désintérêt le plus complet, pourquoi cette non-attention vraiment infernale à ce que je peux produire ? » 

Elle me dit : « J'aime ta voix, j'aime t'écouter. » Et j'ai envie de répondre : « C'est sans doute pour cette raison que tu ne m'appelles jamais. »

***

Tel me dit d'un ton méprisant que mes estampes numériques ne « sont que des images, justement ». Ah. Que des images… Il ajoute même que de ces images… "la main a disparu". Très fort, le mec. Très très fort. On sent tout de suite le spécialiste à qui on ne la fait pas. Donc, la main avec laquelle je dessine sur l'écran de l'ordinateur, sur la palette graphique, cette main n'en est pas une. Je crois que c'est ma main, mais en réalité, il s'agit d'autre chose. J'ai foi en une main qui est un simulacre de main, et qui, peut-être même, est la main d'un autre. Il ne les a pas vues, ces "que des images", mais il sait que ce ne sont "que des images". Oh bien sûr il les a vues sur l'écran de son ordinateur et comme ce sont des images qui sortent de l'écran d'un ordinateur on pense que c'est pareil, on pense qu'on les voit. Mais passons. Seulement je me pose tout de même une question : en quoi "la main" (cette main qui a disparu, dans le cas de mes estampes numériques, selon notre spécialiste), en quoi cette main, donc, est bien là, quand il s'agit de photo-graphie (le trait-d'union est de lui) ? En quoi y a-t-il moins de graphie dans une estampe numérique que dans une photographie ? Dans un cas la main qui tient le stylet n'existe pas, dans l'autre cas, la main qui appuie sur un déclencheur existe bel et bien. De plus, très souvent, mes estampes numériques ont comme commencement, ou support, ou matériau (etc.), un dessin, une peinture, enfin, je veux dire quelque chose que j'ai réalisé avec un pinceau, un crayon, une brosse, une plume, un tube de peinture, une pipette, un heat gun, un couteau, avec les doigts, du papier, du carton, de la toile, du verre, du métal, du tissus, de la cire, peu importe… Mais même là le spécialiste voit que ma main a disparu. J'en viens à douter de ne jamais avoir joué la sonate de Liszt ou celle de Berg avec mes mains qui n'existent pas. J'en viens à douter de n'avoir jamais joué des fugues de Bach ni des études de Chopin ou de Debussy, ni les Variations sérieuses de Mendelssohn, ni la Sequenza de Berio, et de n'avoir jamais travaillé le Gradus ad Parnassum de Clementi, j'en viens à douter d'avoir écrit des milliers de brouillons et d'esquisses pour un trio à cordes, pour un sextuor, etc. C'est terrible le doute ! Mais sans main, comment aurais-je fait ? Parce qu'il n'y a pas de raison : Si ma main disparaît quand je dessine sur ordinateur, elle disparaît aussi quand je dessine sur du papier ou que j'écris sur du papier rayé, elle disparaît quand je fais des gammes et des arpèges, et peut-être même, qui sait, quand je caresse une femme ! Et ce pinceau que je croyais tenir avec ma main droite, avec QUOI est-ce que je le tiens ? Et quand je pisse, avec quoi je tiens ce sexe qui peut-être n'existe pas non plus… C'est terrifiant ! 

Je suis le premier à me poser des questions sur l'art numérique, et cela fait bientôt trente ans que je me pose ces questions. J'ai toujours été très critique avec ce qui sort d'un ordinateur et je me suis fait énormément d'ennemis ainsi. On ne m'a pas pardonné de dire que le roi était nu quand effectivement il l'était. J'ai tellement vu de nullités absolues que je ne peux pas ne pas être très méfiant. On me dira qu'il y avait tout autant d'œuvres nulles avant l'ordinateur et c'est la vérité. Mais ce qui a changé, c'est le nombre de types qui se croient autorisés à faire dans l'art depuis que cette machine existe. Que ce soit pour la musique ou pour tout le reste, l'art n'est rien sans la pensée, mais la pensée ne suffit pas non plus à garantir quoi que ce soit, je le sais depuis toujours. Prendre des vessies pour des lanternes n'est pas mon idéal, mais il est fort possible que je m'aveugle sur ce que je produis, je ne suis tout de même pas assez idiot pour l'ignorer. Mais j'essaie avant tout de voir et d'entendre les choses en me défaisant de toute idéologie, ce qui est un travail de tous les instants, et ce qui ne me semble pas si courant que ça. Il est tout de même étonnant d'avoir à préciser à des gens qui sont des spécialistes que ce qu'on voit sur un écran est TOUJOURS sujet à caution, étant donné la gigantesque chaîne de paramètres qui échappent au concepteur de l'œuvre, ou à celui qui l'a photographiée. Je suis toujours étonné de constater avec quelle candide désinvolture on se croit autorisé à juger d'un tableau qui est photographié et représenté sur un écran. C'est pourtant l'évidence même : avant d'être face à un tableau, on ne l'a jamais vu. Qu'on aime ou qu'on n'aime pas ce qu'on voit sur l'écran ne présage en rien de ce qu'on va ressentir en voyant ledit tableau. Il se trouve que je viens de vendre une estampe numérique. L'acheteur n'avait pu la voir que sur écran, puisqu'il habite à 800 kilomètres de moi, et j'ai tremblé durant cinq jours, le temps qu'il la reçoive et qu'il me donne ses impressions. Il va de soi que s'il avait été déçu, je l'aurais reprise, mais grâce au Ciel cela n'a pas été le cas. Sans doute un amateur de main coupée…

(à Monsieur Olivier Lequeux)