C'est une maladie qui frappe de plus en plus de monde. On n'en parle guère à la télévision, ni dans les journaux. Mais j'entends déjà ceux qui vont me dire qu'elle a toujours existé, que rien de nouveau sous le soleil, etc. Ce qui n'est pas nouveau est bien cette manie de croire que rien n'est jamais nouveau, que rien n'arrive jamais, que tout recommence perpétuellement à l'identique. J'ai revu cet ami musicien hier et c'est la seule chose qui m'a frappé.
On ne peut jamais finir une phrase, il se met à parler par-dessus, il commence alors que vous n'avez pas terminé, vous forçant ainsi à effectuer un decrescendo honteux, un morendo précipité. Mais même dans le cas improbable où il vous a laissé finir votre phrase, presque par inadvertance, il reprend exactement là où il en était quand vous aviez pris la parole précédemment dans la conversation. Exactement comme si vous n'aviez pas parlé, il continue sur sa lancée, considérant sans doute votre intervention comme une pause — seulement un peu bavarde — durant laquelle il lui était loisible de reprendre son souffle, de remettre en ordre ses idées. C'est épuisant, en plus d'être décourageant. C'est un peu comme dans ces rêves où vous courez sans avancer le moins du monde.
Que cette maladie soit très répandue aujourd'hui me laisse à peu près indifférent, puisque je ne converse plus avec personne, sauf nécessité absolue, mais qu'elle touche des gens qui font profession de faire de la musique ne peut pas ne pas m'attrister un peu, et me conforter dans mon idée que la race des musiciens est en voie d'extinction.