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samedi 27 juillet 2024

Un samedi matin

 

Il aurait fallu me payer très cher pour que je regarde cette chose. Et plus encore pour que je la commente. 

Il va sans doute falloir subir durant des jours et des jours les échos, les critiques, les admirations, les discours et contre-discours, les interprétations, les analyses et les gueules enfarinées ou goguenardes des joueurs du Tambour médiatique habituels, tout le cinéma ordinaire qui accompagne toujours ce qu'ils nomment en bavant des “événements”, toute l'épilepsie sociale qui rythme inéluctablement le vide massif qui règne désormais sur ce qui fut jadis une Cité. 

Je n'ai besoin de personne pour imaginer. Je sais, je savais déjà ce que cette fête serait, bien avant qu'elle ne commence à produire son boucan infâme. Les images, nous les avons tous en tête depuis des mois, depuis des années. Toutes les manifestations (manifestation de quoi ?) de l'ère moderne produisent le même boucan, utilisent les mêmes musiques, les mêmes images, le même imaginaire, jouent sur les mêmes ressorts dramatiques, la festivité est festivité-en-soi, quel que soit le prétexte qui semble la faire surgir du néant. La nullité et l'arrogance ont été portées à leur paroxysme, diront certains ? Comme s'il pouvait en être autrement… Elle n'a pas d'autre but qu'elle-même et ne pourra donc jamais nous surprendre. 

De cette nuit, je retiendrai qu'il pleuvait à Paris et qu'il faisait très chaud dans ma chambre. J'ai lu une nouvelle de Salinger. Mon dîner se composait d'une salade composée délicieuse. J'ai écouté des Lieder d'Alma Mahler. J'ai imaginé la peine et le délire de Kokoschka, et les souffrances de Manon. Le néflier est resté digne et silencieux toute la nuit. Entre Paris et mon jardin, une éternité…

vendredi 20 mai 2022

Écrire un livre accrocheur

Bonjour Marcel, 

Et si on décidait d'écrire votre histoire ensemble ? Qui n'a jamais rêvé d'être capable d'écrire une histoire qui captive son auditoire, qui tient tous ses lecteurs en haleine, qui bouleverse, dérange, obsede son lecteur ?

Vous pensez que c'est l'apanage des seuls auteurs de talents ? 

Je me fais fort de vous démontrer le contraire ! Tout le monde a la capacité de concevoir et d'écrire une histoire d'exception. C'est une simple question de techniques, d'outils, et d'entrainement. 

Je vous invite à un défi de trois jours, pendant lesquels je vais vous dévoiler mes techniques secrètes pour créer des histoires exceptionnelles. Ces techniques qui sont utilisées par les scénaristes d'Hollywood, mais également celles qui sont directement tirées des neurosciences, de la psychologie cognitive des histoires. 

Trois jours pendant lesquels nous allons travailler ensemble à votre histoire, vous faire progresser, vous faire littéralement passer à un autre niveau dans votre chemin d'auteur. 

Rendez-vous Mardi 24, mercredi 25 et jeudi 27 mai 2022 à 14h (heure de Paris). Oui, c'est bien la semaine prochaine, vous avez bien calculé... 

Réservez vite votre place, parce qu'elles sont en nombre limité, en CLIQUANT ICI

Attention, les places en direct sont limitées, et ce mail a été envoyé à plusieurs dizaines de milliers de personnes ! Je vous encourage vivement à sécuriser votre place en vous inscrivant immédiatement !

Seules les personnes inscrites auront accès aux rediffusions, alors inscrivez-vous vite en CLIQUANT ICI

Que vous en soyez encore à vous dire "un jour, j'écrirai mon livre, c'est sûr!", ou à chercher à maximiser les ventes de votre huitième opus, j'ai décidé de vous donner tout ce que je peux pour vous aider à avancer. 

Alors, Marcel, on se retrouve mardi prochain ? Vous l'écrirez, votre À la Recherche du Temps perdu, ne perdez pas espoir !

samedi 8 juin 2019

Des corps sur le décor


ENGIE. BNP-Paribas. Peugeot. Fly-Emirates. Roleix. Perrier.

Vous ne les voyez plus parce que vous les voyez trop. Partout, elles sont là. La moindre surface est utilisée. Il n'y a plus que la terre battue qui n'est pas encore marquée par la publicité. Ça viendra. Les marques sont omniprésentes, à Roland-Garros. Les joueurs eux aussi sont nikés, et même les petits ramasseurs de balles. Je dis les marques, mais ce qui marque, ce qui étouffe, même, c'est cette impression écrasante que les grandes entreprises sont là chez elles, que le sport (ou même le spectacle) n'est qu'un prétexte pour les mettre en évidence, pour vous les enfoncer dans la tête. On est cerné, on est camisolisé par cette puissance économique qui montre froidement ses muscles sur fond vert. Et d'ailleurs ce n'est même pas que ces entreprises auraient quelque chose à nous vendre, non, c'est seulement qu'elles veulent nous montrer qui est aux commandes, pour quelle et par quelle raison on est là. Ça ne se discute pas. Elles sont là, elles sont bien là, elles sont le cadre, la scène, les coulisses, elles sont le carburant et le véhicule, elles sont l'esprit et l'intrigue. Les Federer, les Nadal, les Williams passeront, elles seront toujours là, même si entretemps elles ont changé de nom. Toutes ces gloires du sport sont éphémères, ainsi que leurs caprices, leurs exploits et leurs personnages. Ils ont eu et auront leurs heures de gloire. C'est tellement peu de choses, pour Engie, BNP Paribas, Peugeot, Fly Emirates, Roleix, Perrier, Lacoste. La seule gloire qui ne passe pas, c'est l'argent, c'est la puissance, c'est le pouvoir. C'est la concentration du pouvoir et de l'argent. 

Il ne s'agit pas de marques. Il ne s'agit pas de luxe. Il ne s'agit pas d'entreprises. Il ne s'agit même pas de banques. Il s'agit de se croire libre dans un monde qui ne le permet pas. 

vendredi 24 juin 2016

Pour en finir avec la Fête de la musique



Allez signer la pétition contre la Fête de la musique !


Pour en finir avec la Fête de la Musique

La Fête de la musique, le 21 juin de chaque année, est sans aucun doute l'une des nuisances les plus graves que les Français (et les Européens) ont à supporter depuis trente-quatre ans. La musique a besoin de silence, elle n'a pas besoin de fête, et surtout pas de cette "fête" sale, bruyante et laide, qui à elle seule illustre parfaitement la prolétarisation et l'orwellisation effrénées de notre société. Que ce beau mot de "musique" ait changé de sens à ce point et qu'en son nom soit commis chaque année cet attentat contre la tranquillité, le silence, la quiétude, et l'urbanité, montre assez dans quel état d'hébétude et d'imbécillité est tombé le peuple de France, qui tambourine quand on lui dit de tambouriner, qui s'agite quand on lui demande de s'agiter, qui agresse sans vergogne ceux qui ne sont pas assez veules et soumis pour marcher à la baguette. Quelle humiliation, cette atroce journée des incivilités encouragées et du débraillé subventionné qui porte le nom du plus noble de tous les arts, quelle démonstration du mépris de notre civilisation et du sens que de faire d'une apothéose du bruit une "fête de la musique" ! 
Nous demandons à ce que soit mis fin au plus tôt à ce que Philippe Muray a si bien décrit dans ses ouvrages, le festivisme débile, encouragé par une classe politique qui veut avant tout avilir et ridiculiser ceux à qui elle devrait au contraire proposer la beauté et la culture. Si la chose pouvait à la rigueur se concevoir en 1981, ce dont pour notre part nous doutons fort, il est parfaitement clair qu'aujourd'hui cette manifestation a perdu le peu de sens qu'elle pouvait avoir à l'époque. C'est le contraire dont nous avons besoin. Nous avons besoin de calme, de sérénité, de silence, ce silence qui est désormais tellement rare qu'il est devenu l'un des biens les plus précieux de l'humanité, au même titre mais plus encore que la nuit qui elle aussi a pratiquement disparu. Nous demandons donc qu'à la place de la "fête de la musique" soit instituée en France une journée du Silence, journée durant laquelle le bruit ambiant devra être divisé au moins par deux, journée durant laquelle il sera loisible à chacun de constater que beaucoup de maux (sociaux, par exemple) sont exacerbés par le bruit, que le bruit est une des pollutions les plus graves et les plus insidieuses qui soient, et sans aucun doute une de plus sous-estimées. Le bruit rend fou, littéralement fou.
La musique, c'est comme la tolérance, il y a des maisons pour cela. Le 21 juin, célébrons l'étant plutôt que l'été. Un gouvernement courageux et responsable s'honorerait de prendre une mesure de salubrité publique qui soulagerait énormément de Français, et d'abord parmi les plus faibles.

samedi 18 avril 2015

Les likes de Jessica


Brandon* a déposé une douzaine de photos de Jessica* sur Facebook. Suivant le nombre de likes que les photos de Jessica récoltent chaque jour, il lui prodigue des attentions amoureuses plus ou moins fortement dosées. Si les douze photos obtiennent moins de 5 likes en tout, dans la journée, il ne lui fait rien du tout. Si les douze photos obtiennent plus de cinquante likes en vingt-quatre heures, elle a droit à un traitement de faveur, et même à un bonus : soit il fait la vaisselle, soit il va faire les courses avec elle. Une fois, le nombre de likes est allé jusqu'à soixante. Elle a eu droit ce jour-là à un bouquet de fleurs. 

Mais soyons un peu plus précis. Entre 5 et 10 likes, des french kiss. Entre 10 et 15 likes, un cunnilingus rapide avant de partir au travail. Entre 15 et 20 likes, coït debout dans la cuisine sans préliminaires. Entre 20 et 25 likes, préliminaires et cunnilingus, 10 à 15 minutes en tout. Entre 25 et 30 likes, on commence à entrer dans les choses sérieuses ; caresses, baisers, coït (deux positions), au lit, avant de dormir. Entre 30 et 35 likes, bougies parfumées, massage des pieds, cunnilingus, baisers, caresses, et coït (trois positions), au lit, entre 20 minutes et une demi-heure. Entre 35 et 40 likes, Jessica a le choix de l'endroit où ils feront l'amour (chambre, salon, voiture), 45 minutes, orgasme non garanti. Entre 40 et 45 likes, bougies parfumées, musique, douche pour Brandon avant les ébats ; massage des pieds et des jambes, préliminaires complets, cunnilingus appuyé, stimulation du point G, coït cinq positions minimum, orgasme garanti (durée ad libitum). Entre 45 et 50 likes, alors là c'est le grand jeu. Massage complet, avec huiles parfumées, sur la table de massage pliante au salon, puis préliminaires au lit, dans la chambre, avec la playlist "crescendo", cunnilingus et feuille de rose, stimulation des points G, H et R, puis coït sept positions, ordre au choix, pour finir par une sodomie. Double orgasme garanti.

Depuis que Brandon a découvert Facebook, la vie sexuelle de Jessica dépend entièrement des amis Facebook de Brandon. Mais Jessica est maline, elle demande à ses amies de devenir les amies Facebook de Brandon, pour qu'elles puissent liker ses photos. Sauf que Brandon est plus malin encore ; il en profite pour exercer au passage un chantage discret sur les nombreuses "amies" de Jessica, dont il a parfaitement compris le petit jeu. Si elles veulent devenir ses amies, elles doivent d'abord passer à la casserole. Finalement, tout le monde s'y retrouve. On se demande si le gouvernement socialiste ne devrait pas penser à instaurer un système dans ce goût-là avec les électeurs. Ah, on me dit que c'est déjà le cas, excusez-moi, la politique, ce n'est pas ma spécialité. 

(*) Les prénoms ont été floutés

dimanche 11 janvier 2015

La Môme Charlie


Quoi qu'a dit ? - A dit rin.

Quoi qu'a fait ? - A fait rin.

A quoi qu'a pense ? - A pense à rin.

Pourquoi qu'a dit rin ?
Pourquoi qu'a fait rin ?
Pourquoi qu'a pense à rin ?

 - A' xiste pas.

(Avec Jean Tardieu)


lundi 1 décembre 2014

L'autre dans sa différence…


Sur Facebook, une amie musicienne dépose un "statut" ainsi rédigé : « l'autre dans sa différence : une richesse…. » Je lui demande s'il s'agit de second degré. Elle ne répond pas, mais ses "commentateurs" se chargent de le faire à sa place : 

"Tellement le fondement du vivant !" [TREMOLOL]

Comment peut-on écrire sérieusement ce genre de choses, sans être immédiatement pris d'un fou-rire à en claquer ? Grand mystère ! Comme dirait Fabrice Lucchini : « J'aimerais tellement être de gauche ! » mais quel boulot !

mardi 19 août 2014

Revanche


Le chanteur Pierre Vassiliu est mort. Filippetti va aller au cimetière. (On espère que Boulez va bien…)

mardi 1 juillet 2014

I'm a Barbie Boy


Magnifique, n'est-ce pas ? C'est la Barbie en chimio

En ce moment-même, nos ateliers sont en train de mettre la dernière main à la Barbie après une tournante, la Barbie en tchador, la Barbie maîtresse de président de la République, la Barbie à barbe, la Barbie qui blasphème, la Barbie en video-tchat, la Barbie aux cadenas, la Barbie anorexique, la Barbie trans, la Barbie sur Facebook, la Barbie fin de manif, la Barbie antifa, la Barbie qui casse la gueule à son prof, la Barbie qui pète un câble, la Barbie j'encule-ma-sœur, la Barbie qui ne se lave jamais, la Barbie pèteuse, la Barbie actrice de X. Mais nous ne nous sommes pas arrêtés là : notre département R&D est en train de mettre au point notre joyau : la Barbie qui détruit toutes les autres poupées. Oui, vous avez bien lu. Une fois cette Barbie dans la chambre de votre fille (ou de votre fils), celle-ci, par un procédé hautement sophistiqué que nous ne pouvons pas encore révéler, va se mettre sans tarder à détruire tout ce qui ressemblera de près ou de loin à une poupée, dans un périmètre (réglable) de cinq mètres environ. Elle les mettra consciencieusement en pièce, leur arrachant les yeux, déchirant leurs vêtements, les aspergera ensuite d'urine sentant l'ammoniaque,  et finira par y mettre le feu. Il s'agit, comme vous l'avez compris, d'un objet de très haute technologie, relié par le réseau téléphonique aux portables des parents, afin de prévenir tout accident. 

lundi 4 novembre 2013

Nécrologie de la nécrologie


Les modernes manquent de logique. Puisque les morts ne nous apprennent rien, qu'ils ne nous sont plus d'aucune utilité, et que nous avons fini de faire notre deuil du deuil, je me demande bien pourquoi les journalistes continuent à nous parler de ceux qui "disparaissent", le jour où ceux-là cassent leur pipe. Sans compter qu'ils étaient finalement assez rares, les trépassés desquels on parlait, ce qui constitue une injustice criante envers le reste de la société ! Soyons un peu conséquents, pour une fois. Cessons de tresser des couronnes à ceux qui ont le toupet de nous rappeler que nous aussi nous allons un jour passer de l'autre côté du décor, et tirons-en les conclusions qui s'imposent. 

Commençons par abolir la fête de la Toussaint et le jour des morts qui la suit. Pareil pour cette cochonnerie d'Halloween : laissons nos citrouilles finir comme elles le doivent dans nos assiettes. Les potirons ont des droits, eux aussi ! Remplaçons ces fêtes morbides par une Fête universelle de la Nativité laïque, le 25 juin. Mais surtout, puisqu'il est établi d'une part que les morts ont bien disparu (sic) et que nous ne leur devons rien, et puisqu'il est non moins établi que les nouveaux arrivants sont dotés dès l'origine de toutes les qualités, de tous les dons, de tout le merveilleux attirail créatif et chanceux qui est censé enrichir notre cité et la rendre plus belle et plus intéressante, pourquoi ne pas remplacer les vieilles nécrologies par des panégyriques automatiquement alloués à tous les nouveaux nés ? Tous ils seront crédités, et ce de manière automatique et complètement démocratique, des qualités et grandeurs dont nous avions la mauvaise habitude de parer les morts. Dès le premier vagissement, le bambin Lukka ou la bambine Clita sera ainsi déclaré héros citoyen, humaniste toujours à l'écoute de l'Autre, infatigable défenseur des droits de l'enfance (c'est bien le moins !), anti-fasciste virulent, artiste dérangeant et inclassable doté de tous les dons, individu subversif et atypique, personne dont l'empathie naturelle et non-discriminante sera connue de tous, chercheur en sciences sociales dans l'âme, bénévole d'assosse, xénophile émérite dont la radicalité sans concession fera honneur au genre humain, et bien sûr anti-raciste au plus profond de lui-même. Devoir faire la preuve qu'on est, qui artiste, qui professeur, qui trader, qui pilote d'avion, qui administrateur, qui chômeur-longue-durée, qui ministre, qui DJ, qui père au foyer, qui sportif de haut niveau, qui grand-frère de cité, qui névropathe, qui journaliste, qui tueur en série, qui personne à mobilité réduite est humiliant, en plus d'être discriminant et anti-démocratique, et ne peut qu'instaurer un climat de suspicion généralisée qui nuit à l'épanouissement général et festif des citoyens. C'est pour cette raison que chacun sera déclaré, à la naissance, et artiste et professeur et trader et pilote d'avion et administrateur et chômeur-longue-durée et ministre et DJ et père au foyer et sportif de haut niveau et grand-frère de cité et névropathe et journaliste et tueur en série et personne à mobilité réduite, afin que ne soit jamais mis un quelconque frein à ses ambitions légitimes et sacrées. Bien entendu, on allouera aux nouveaux-nés, à vie et dès le premier mois, les salaires, émoluments, pensions et défraiements qui s'attachent généralement à ces fonctions. Grâce à notre système, infiniment plus démocratique et égalitaire que l'ancien, nous économiserons à la fois sur le budget des retraites, pour des raisons évidentes, et sur celui de l'éducation, puisqu'il va de soi que les études n'auront plus d'objet, ni les diplômes et autres concours, dégradants pour les femmes-et-les-hommes car mettant en cause leur égale dignité et leur droit imprescriptible au déjà-savoir. 

Le savoir-sans-apprendre (SSA), voilà la grande révolution cognitive et humaine (et politique) qui sans doute nous amènera au seuil d'une société sans classes (d'école) et sans négativité, un monde enfin débarrassé de la Grande Injustice qui nous semble fonder ou justifier toutes les autres : celle qui consiste à séparer les savants des ignorants, comme étaient séparés dans la préhistoire les bons des mauvais, les Blancs des Noirs, les héritiers des inhéritiers, les pauvres des riches, les hommes des femmes, les hétéros des homos, les gauchers des droitiers, les musulmans des juifs, les premiers des derniers, les vieux des jeunes, les clitoridiennes des vaginales, les poilues des épilées, les Macs des PC. Nous disons Non à l'apartheid du savoir, au mépris du sachant, au rejet de l'ignare, à l'exclusion de l'abruti, et le SSA est la clef qui ouvrira en grand les portes de l'Indivimonde

On l'a compris, le SSA et la nécrologie de la nécrologie ne s'envisagent pas l'un sans l'autre. Pour que le système fonctionne, il faut à la fois prodiguer à tous le savoir-sans-apprendre et décréter pour tous, à la naissance, que tout est déjà là, que tout y est, que l'être nouveau est complet, parfait et accompli, une fois pour toutes. La question difficile des successions ne se posera donc plus. Si tout est donné à tous à la naissance, l'héritage est parfaitement inutile, et même déconseillé, risquant de créer un déséquilibre néfaste au citoyen nouveau. Ainsi l'État pourra à chaque génération récupérer la totalité des biens et des richesses accumulés durant la vie des individus qui ne se distingueront d'ailleurs plus de lui. Les personnes seront l'État, et l'État sera la somme des personnes qui composent la société sur laquelle il régnera tel un monarque éclairé et bienveillant, duquel il ne sera que l'émanation à la fois essentielle et circonstancielle, une sorte de pure fonction incarnée et innombrable. La question de l'Impôt, par conséquence, ne se posera plus non plus. Et nous pourrions continuer longtemps comme ça, sur la question de la délinquance, sur celle de la fracture sociale, sur celle de la Sécu, sur celle des retraites, etc. Où l'on voit qu'une simple mais vraie mesure, si elle est suffisamment radicale et progressiste, suffit à régler d'un seul coup l'ensemble des problèmes d'une société moderne et évoluée.

(à Béatrice Coste)

vendredi 1 novembre 2013

Les salopes, oui, les salauds, non !


Vous consommez ? Non, je veux, dire, vous consommez du sexe ? Vous arpentez les trottoirs virtuels à le recherche de viande réelle à dominer machistement ? Vous êtes en quête d'une créature horizontale dont votre désir putride fera sauter le joint de culasse et provoquera l'amorçage de la pompe à soumission ? Vous ne rêvez que d'engorger les canalisations de la travailleuse en levrette, que d'éponger la fente à génie de votre sceptre raidi par l'ankylose de la solitude miséreuse, que de piston échauffant le cylindre humide dont vous allez vaporiser les sucs dans une étuve infernale et joyeuse, que de gloussements rauques de pandémonium d'alcôve, que de gémissements génétiques, que d'atrocités sucrées et liquides, vous vous voyez déjà cyclope festoyant dans la caverne, ivre explorateur du gouffre des commencements, champignon atomique au-dessus de la mare primordiale ? Vous avez la veine qui palpite, le front moite et les mains exténuées de caresses retenues, les jambes arquées par des bourses gonflées d'allégresse empêchée, les yeux exorbités de voir à travers la nuit, les paumes creusées par des mamelons comme des volcans avant l'éruption, la narine qui s'effluve du musc douloureux, la langue qui s'agace de son soliloque ? Vous oyez par avance la chorale utérine, vous vous installez mentalement aux grandes orgues de la tripe, vous tournez déjà la clef du coffre aux vents, vous soufflez en pensée dans le tuba aux haleines, vous vous rincez l'œil avant l'heure dans la fontaine de cyprine ?

Vous n'êtes pas du "parti abolitionniste" (il n'existe pas de hasard, et l'histoire n'a qu'un seul sens, au pays de Big Mother : les abolitions sont une une longue chaîne de vertu qui a commencé avec celle de l'esclavage, puis celle de la peine de mort… on vous laisse voir venir…), si vous avez répondu positivement aux questions posées plus haut, et vous êtes par conséquent de l'Offensive réactionnaire scandaleuse. Vous êtes de ceux qui ne trouvent pas scandaleux de payer pour rétribuer celle qui a décidé de vous livrer son corps pendant quelques minutes, mais cela ne fait pas de vous celui qui va donner avec enthousiasme 1500 euros à l'État, ou à la collectivité gentille, pour une transaction corporelle consentie par les deux parties en présence. Vous devriez pourtant vous scandaliser de ne pas vous scandaliser, et c'est bien la raison pour laquelle Big Mother vous soumet à l'impôt moral, à la fessée au porte-monnaie, à l'amende citoyenne censée vous rectifier l'âme et vous ramollir le braquemart, à la sanction tranquille de la redistribution sexuelle. Vous êtes en excès de vit comme d'autres sont en excès de vitesse, il est donc juste que la société distribue votre argent aux nécessaires nécessiteux qu'elle s'évertue par ailleurs à fomenter de toute part afin de s'attendrir elle-même de les soulager (un peu). Vous vouliez donner votre semence mais on préfère vos économies ; dans tous les cas, il s'agit d'une contribution à l'espèce, même si les cons à qui vous donnez votre obole ne sont pas de la même. 1500 euros la passe, mais c'est donné, au sens propre ! Pris la main au panier, le clef dans la serrure, en situation d'infidélité aux valeurs progressistes, il faut cracher au bassinet après avoir lâché la purée. Normalement, en pareille situation contre-révolutionnaire, on devrait vous raccourcir l'asperge, histoire de vous faire comprendre de quel bois Big Mother se chauffe le berlingot quand on lui manque de respect, mais soyez tout de même bien conscient que vous êtes seulement un môme un peu fruste à qui on colle gentiment une beigne pour lui apprendre les bonnes manières, et remerciez la de ce qu'elle ne vous inflige pas le confessionnal citoyen et la pension alimentaire à vie pour une assoce de quartier.

343 salauds ont cru qu'ils pouvaient réclamer leur pute avant d'aller au lit avec un verre de lait chaud et un Lexomil. « 343 mâles dominants qui veulent défendre leur position et continuer de disposer du corps des femmes par l'argent. », c'est Anne-Cécile Mailfert qui résume la situation et sait lire entre les lignes torves des salopards. La domination est un vice très courant dont j'avoue être moi-même assez friand. Il y a peu, encore, j'ai entretenu une relation de ce type avec une commerçante qui tient une boulangerie. Cette brave dame ayant décidé de vendre son pain, je me suis glissé dans sa boutique, assez ému par ma folle témérité, et la tenancière m'a remis une miche contre une pièce. Inutile de dire que je n'ai pas traîné sur les lieux de la transaction et que bien vite je suis remonté dans mon automobile pour me soustraire aux regards lourds de reproche que je sentais sur moi. Je ne sais pas si j'aurai le cran d'y retourner, bien que l'envie de défendre ma position soit pressante. Rien que d'y repenser, avoir ainsi disposé de la miche encore chaude de cette créature grâce à mon argent me procure un sentiment de honte que je ne suis pas certain de pouvoir assumer. Dominer cette pauvre femme, fût-ce par l'entremise de sa miche, grâce à mon argent, voilà qui est difficile à soutenir longtemps devant un de ces tribunaux du Bonheur qui fleurissent dorénavant en notre belle France, en ce pays de cocagne où les agriculteurs, les infirmières et les profs sont les plus épanouis, les plus heureux, les plus enthousiastes de nos travailleurs — pas comme ces pauvres femmes que des mâles sournois, dominateurs et cyniques veulent asservir en leur achetant ce qu'elles vendent, en faisant mine de croire qu'ils ne font que faire honneur à l'offre que ces malheureuses font mine de leur soumettre, alors qu'elles ne demandent qu'une chose, les infortunées, qu'on leur refuse cet échange infâme qui les réduit en esclavage à l'insu de leur plein gré ! 

samedi 21 septembre 2013

Les Aventures de Phil et Phobe


Témoin témoigne, Témoin nous parle. Écoutons le Témoin ! Phil Témoin, qui aime la tolérance, ne tolère pas les Phobes encravatés qui passent à côté des landaus sans les soulever. 


Témoin 20/09/2013 - 17h20
C'est malheureux que notre société devienne de plus en plus intolérante. Les lascars de cités ne sont pas forcément des voyous. Je suis descendu d'un RER et j'ai vu une bande d'une vingtaine de jeunes type lascars encapuchonnés et casquettés aider une dame à descendre son landeau dans l'escalier, là où des messieurs en costard encravattés passaient à coté sans même daigner la regarder. Ne soyons pas des "Phobes".

Phil Témoin ne généralise pas, lui. Phil Témoin n'amalgame pas, ni ne stigmatise. Il sait voir l'exception qui ne confirme aucune règle. Phil Témoin descend du RER comme d'autres descendent du singe ou de l'amibe primitive. Et quand il descend du RER, Phil Témoin voit. C'est la descente du RER qui lui ouvre l'Œil, cet œil aigu et certifié anti-amalgame. Phil Témoin ne porte pas de cravate, il ne porte que les landaus du cœur, il porte son œil aigu sur les choses de la cité, et il voit. Tandis que Phobe, lui, passe. Phil voit et Phobe passe. Phil voit le singulier, Phobe ne voit que le pluriel (le pluriel incite à passer, quand le singulier oblige à s'arrêter). Ils ont dès lors un peu de mal à s'entendre, on le conçoit. Phobe croule sous les faits accumulés et en tire des conclusions, Phil refuse. Il ne veut ni accumuler, ni tirer de conclusions, il veut rester libre de penser comme il pense, il ne veut pas que son regard soit contaminé par une accumulation vulgaire de faits forcément divers qui font diversion à son pur regard, incréé, intact. Phil est le cyclope du Bien, il n'a qu'un œil, mais il sait s'en servir. 

Phil aime la différence, respecte la différence, la chérit, et il sait la voir, la distinguer même quand elle se grime en banalité ordinaire. Phil, au contraire de Phobe, sait faire la différence entre des lascars et des voyous. On peut dire que Phil fait la différence comme il fait l'amour, dans la joie de l'invention, de la créativité philique (mais non phallique) et festive. Il sait même voir des lascars un peu rabougris, un peu chétifs, un peu ramollis du biscoto, puisqu'ils doivent se mettre à vingt pour porter un landau. Qui les avait vus avant Phil, ces pauvres lascars si mal dotés par la nature et si emplis de sollicitude, si attentifs au problème du landau dans les escaliers, si concernés par le drame de la mère en bas de l'escalier ? Pas Phobe, en tout cas, tout occupé qu'il est à amalgamer, à stigmatiser, à généraliser, à tirer des conclusions, travaillé par son intolérance et son regard vulgaire, le pauvre ! Phobe est le grand vaisseau  prudhommien cravaté et incliné par la houle qui ne prend pas garde aux berceaux que la main des femmes balance, et Phil met en musique les aventures des landauphores chétifs. Quelle vie merveilleuse est celle de Phil ! Quelle triste vie est celle de Phobe ! Phil soulève la vie, Phobe l'enfonce.

D'un côté, Qualité Phil, de l'autre Quantité Phobe. Quand viendra le jour des adieux, inutile de vous dire de quel côté notre cœur balancera… 

mardi 23 juillet 2013

Pastilles Pulmol


Il faudrait inventer le concept de prison molle, de condamnation molle, et même de peine mollassonne, pour que les mots retrouvent un peu de vérité et de sens, tout de même. 

Machin Bidule, je vous condamne à de la prison molle. Vous allez être mis en détention à Mol-les-Mimosas, dans le département du Mou. Il vous sera formellement interdit de vous évader de la prison molle, sous peine d'être mollement puni d'une peine qui pourrait aller jusqu'à la remontrance molle. Ainsi s'applique la molle loi de la Répumolle française ! Combien de temps ? Oh, c'est vous qui voyez, hein, de toute façon, on n'a pas beaucoup de places. C'est très demandé, vous savez ! Ça va aller, mon petit ? Tenez, reprenez une pastille, ça vous remontera le moral.

Bon, la prochaine fois, qu'on ne me tire pas de ma sieste pour si peu !


vendredi 19 juillet 2013

Des brétignis comme s'il en pleuvait


On commence à avoir l'habitude. Quand on voit quelque chose, immédiatement, un petit bonhomme vert surgit sur notre épaule, frappe trois coups sur notre tympan, et nous rappelle : « Tu n'as rien vu. Rien du tout. N'oublie pas ! »

— Bien Chef, oui Chef, j'ai rien vu Chef. Mais je vous ai bien entendu. 

— Non ! Je n'existe pas, n'oublie pas !

— Ah oui, OK, Chef, d'accord, Chef ! Je n'oublierai plus.

— Si !!! Oublie ! C'est ton devoir-de-mémoire !

— Ah bon, mais faudrait sav…

—Chut !!! Tais-toi. Tu n'as rien vu, rien entendu, rien su ! Tais-toi. 

— …

Ces événements qu'on ne voit pas, qu'on n'entend pas, qu'on ne se rappelle pas, ça s'appelle des brétignis. Vous voyez un type se faire tabasser dans le métro par quinze crapules en survètes blancs ? Brétigni. Vous voyez de plus en plus de mosquées ? Brétigni. Votre fille fait le tapin sur Internet ? Brétigni. Vous vous êtes fait violer juste derrière la gare ? Brétigni. Deux merdeux vous ont traité de "sale Français" parce que vous les regardiez de travers, après qu'ils ont craché par terre juste devant vous ? Brétigni. Dans votre quartier, il y a de plus en plus de femmes en burqua ? Brétigni. L'école a encore brûlé, c'est la deuxième fois en six mois ? Brétigni. Vous voyez le truc ? Pas compliqué ! Entraînons-nous un peu avec des brétignis virtuels.

Votre enfant rentre de l'école en larmes, pieds nus, avec un œil au beurre noir et une dent cassée. « Maman, on m'a volé mes baskets et mon portable. Je dois leur donner cent euros sinon… » Mais non, Kevin, tu n'y es pas du tout, mon chéri, tu as été victime d'un brétigni. Ça arrive souvent quand on est un peu trop bon en français. Tu dois seulement faire baisser ta moyenne, tu verras, ça va passer. C'est rien. Ton parent n°2 t'avait pourtant prévenu. On va te racheter un iPhone et des Nike, no souci ! Mais si ça continue, n'hésite pas à m'en parler, on ira voir la psychologue et la conseillère d'orientation. De toute façon, ça peut pas faire de mal. Tiens, prends ces cent dix euros pour ton argent de poche.

Vous vous levez à six heures, comme d'habitude, pour aller travailler. Sur le parking, à la place où vous aviez laissé votre voiture, un amas de tôles brûlées, qui fument encore. Vous continuez votre chemin comme si de rien n'était, et vous allez prendre le métro, en vous félicitant de ne pas être tombé dans le panneau. Et un brétigni, à sept heures du mat' ! S'ils croient pouvoir me berner aussi facilement ! Ah, les cons ! Je n'ai jamais eu de voiture ! Ah ah ah ! Il n'y a pas de métro dans le quartier où vous habitez  ? Mais vous le savez bien ! Non mais pour qui on vous prend ! Vous sortez votre portable pour appeler un taxi. On vous demande votre adresse. Vous la donnez, et là, on vous répond que les taxis ne se déplacent pas dans ce genre d'endroits. Ah ah ah ah ! Vous vous marrez. Deux brétignis consécutifs, ça fait beaucoup ! C'que les gens aiment blaguer, quand-même ! Au moment de raccrocher, vous vous apercevez que vous n'avez pas de portable, qu'on vous l'a volé il y a trois jours. Et de trois ! Ah, ils sont forts, les cons ! Vous faites du stop en pouffant de rire. Vraiment, la journée commence bien, vous êtes de bonne humeur et vous avez hâte de raconter cette bonne blague aux copains, au boulot. Un record de brétignis, ça le fait, devant les nanas ! Un type sympa vous prend dans une belle voiture, il ne parle pas français, mais il est sympa. Arrivé à destination, vous poussez la porte de votre entreprise, et vous croisez Moussa, le type de l'accueil : « Tiens, Bernard, qu'est-ce tu fous là ? Tu t'ennuies de nous, hein ! » et il vous file une grande tape dans le dos. Ça vous revient, maintenant, vous avez été viré il y a un mois. « Ben oui, j'passais dans l'coin. Tu sais quoi ? J'en suis à mon quatrième brétigni, rien qu'en une heure ! » Moussa vous regarde avec un petit sourire, vous vous demandez s'il vous croit. C'est vrai que vous aviez l'habitude de vous vanter, quand vous étiez son chef !

Vous avez pigé la manip ? Depuis que le gouvernement a inventé le brétigni, la vente des anxiolytiques a connu sa plus forte baisse depuis quarante ans ! C'est un succès. L'Europe songe a imiter l'exemple français. Comme toujours !

vendredi 22 février 2013

L'Aérophagie de Frère Laurent


Laurent Mucchielli, oui, le célèbre Mucchielli, celui qui fait passer les courgettes pour des avocats belges et les frites pour du chant grégorien, le Grand Sociolologue qui tord le Réel comme d'autres les petites cuillères, a ses vapeurs. Mucchielli entassait les camemberts dans sa cassette depuis des lustres, et voilà qu'un hurluberlu sorti de nulle part vient lui taxer ses colonnes de chiffres et ses vérités certifiées conformes ! Laurent l'Ultrason (on a remarqué que ce nazi a même piqué le prénom du Grand Prêtre aux lunettes roses) veut chiper la cassette de notre Harpagon de la Sociolologie ; c'est très mal, ça ! Va t'occuper des chiens écrasés, Obertone, t'as déjà le sifflet pour, mon salaud ! Mais tu vas nous l'occire, notre Grand Maître, qui a inventé l'Invention de la violence, tu vas nous le faire frire au vinaigre de Bolchévie, tu vas nous le réduire au beurre d'intestins, lui qui n'aime que la Margarine et les profonds divans de la Pravda. La Scientologie est vraiment un club d'amateurs, à côté de la Sociolologie. Obertone arrive comme ça tout benoît, et commence à souffler dans son tube à essais, sans voir que l'éprouvette est directement reliée au derrière du Grand Patron du Réel Courbe. Évidemment, l'autre, ça lui donne de l'aérophagie, dans sa loge douillette et capitonnée ! Il est obligé d'ouvrir la fenêtre. Non, quand-même pas, mais pour un peu ça y était, il avait vue sur le pays réel. On imagine la frayeur du sociolologue ! 

Au secours, Demorand, Morin, Joffrin, Pujadas, Voinchet, July, Serres, Kahn, Ockrent, Lucet, le Mucchiellisme est en danger, un son impur coule dans les artères de nos villes, ultrasonne aux portes de la cité tranquille, nous agace la fibre citoyenne, nous laxative la couenne sympa. Mucchielli sonne le clairon, c'est la relève de la garde montante qu'on attend avec impatience, les amis : il est temps de verser votre sang pour la Cause, de rembourser vos dettes, de secourir Frère Laurent, il est temps de sortir de vos abris climatisés pour aller mater la révolte des sous-chiens écrasés de mépris. 

Un type qui énonce : « L’ultraviolence qui secoue notre société est le résultat d'un choc entre une société moraliste (la nôtre), qui a renoncé à sa violence normale, et la tribalisation de groupes – souvent issus de l’immigration – dont la violence (encouragée) envers les autres groupes est un moteur identitaire » mérite d'être effiloché de la glande sur le grand Autel de la sociolologie mucchiellienne, c'est une évidence évidente qui ne se discute pas. Il y a des choses qu'on n'a pas le droit de dire, pas le droit d'écrire, et moins encore le droit de penser. Il ne s'agit absolument pas de savoir si elles sont vraies ou fausses, ces choses, ça c'est des questions de beaufs, et la sociolologie a d'autres chats à fouetter : point barre, point d'arrêt, point final de la lutte.

samedi 8 septembre 2012

Septembre rose


Ils portaient de jolies tenues bleu ciel, dessinées par Courrèges, il n'étaient pas armés, même pas d'une matraque en caoutchouc, ils étaient deux mille, on les appelait des vigiles. Peace and love, ils écoutaient les Blood, Sweat and Tears et Jimi Hendrix. Parmi eux, beaucoup de femmes. La vie était belle, en 1972, et il s'agissait de faire oublier d'autres Jeux olympiques, qui s'étaient tenus eux aussi en Allemagne, trente-six ans auparavant. Rétrospectivement, on s'attendrait presque à ce qu'un Delanoé ou un Jack Lang ait figuré au casting des gentils organisateurs, ceux qui, quand un paranoïaque sans doute, pas assez ouvert à l'Autre assurément, ou simplement compétent, essaya de leur faire remarquer que, peut-être, ils n'étaient pas vraiment préparés à "toute éventualité", lui répondirent qu'on avait pensé à tout, et qu'"il fallait retomber sur Terre". Des étudiants excités manifestent contre la guerre du Vietnam ? On a un canon à bonbons, et, si par malheur cela ne suffisait pas, on leur jettera Waldi, la mascotte en peluche, à la figure. Ça les fera rire, et tout rentrera dans l'ordre. Ne vous inquiétez donc pas, on ne va quand-même pas transformer le village olympique en camp de concentration ! Tout le monde se bidonnait. Enfin quoi, merde, quatre ans après 68, cool, mec ! On est là pour le fun, if you see what i mean ! On est étonné qu'ils n'aient pas pensé aux boules puantes et au fluide glacial, ni aux polochons à fleurs, mais c'est sans doute que nous ne sommes pas bien informés.

Ces cons de Palestiniens n'avaient aucun sens de l'humour, ou alors il avaient un sens de l'humour trop développé, je ne sais pas. Le canon à bonbons n'a pas été utilisé. Dommage, ç'aurait fait de jolies photos.

C'est donc dans ces années-là qu'est née la vigilance. Je me souviens encore des agences bancaires à Paris, lorsque les premiers plantons sont apparus à leurs portes. On les appelait des otages, ceux qui avaient succédé aux potiches et aux chats égyptiens. Mon père venait de mourir, c'était les premiers voyages, les premières filles, le free jazz et les débuts du jazz-rock, qui allait avoir une si funeste descendance. Nous n'avions pas eu beaucoup de pères à tuer, ils commençaient à se suicider en masse et à nous entraîner dans leur chute, mais nous ne le savions pas encore. La figure du vigile s'est progressivement imposée au reste de la population. Chacun voulait être vigile, vigie, vigilant, à défaut d'être otage, autrage, outrage. Le concept fut abondamment repris par la suite, avec le succès que l'on sait. Dormir d'un œil seulement est devenu le nouveau trip à la mode, maintenant qu'on n'a plus de LSD à se mettre sous la dent.

Évidemment, à l'autre bout du monde, des pères de substitution n'avaient pas manqué de se présenter au guichet pour faire un bout d'essai. Arafat était l'un de ceux-là. Il avait entendu parler de la super-production internationale très work-in-progress, Palestine pour les nuls, qui était en train de se monter, et il a tout de suite vu tout ce qu'il y avait à tirer de ce fabuleux scénario. Charlton Heston était occupé avec ses singes, Laurence Olivier commençait à se faire vieux, quant à Tintin, c'était un fieffé réactionnaire, pour ne pas dire plus, sur lequel il ne fallait surtout pas compter. Le scénario, qui s'intitulait à l'origine Les Damnés de la Terre, était rudement bien fichu, il faut le reconnaître. Le premier avantage pour les acteurs était qu'ils étaient embauchés en CDI, et même en CDTI (contrat à durée très indéterminée). On ne connaissait pas le chômage, en ce temps-là, mais, bien que les choses aient beaucoup changé, la filière Palestine semble remarquablement préservée jusqu'à aujourd'hui ! Le deuxième avantage était que les dialogues n'étaient pas écrits, qu'on laissait aux acteurs le soin de les improviser lors du tournage. C'était du taf en moins, même si la qualité littéraire s'en ressentait, évidemment. Et puis, les acteurs étaient invités un peu partout, au soleil, et avaient accès à des centres de loisirs très sophistiqués, bien qu'exotiques et d'un confort tout relatif, où il leur était loisible, en plus d'entretenir leur forme, de pratiquer entre autre le tir sur cibles vivantes, ce qui est tout de même nettement plus cool que la chasse à courre. Un autre avantage était que les Arabes se ressemblant tous, on pouvait faire jouer les rôles de Palestiniens à des Égyptiens, à des Algériens, à des Syriens, à des Séoudiens, à des Libanais, enfin à peu près n'importe qui sauf des Japonais ou à des nègres albinos, ce qui est formidablement pratique en cas de grève, par exemple. J'ai souvenir d'un "Palestinien", en 1976, dans ma chambre d'hôtel, au Koweit, qui m'avait demandé dans quel camp j'étais. Comme si la question se posait ! Le succès de la filière Palestine repose sur un axiome d'une simplicité biblique : nous avons été chassés de nos terres par un peuple qui n'a rien à faire chez nous. Qui peut se déclarer insensible à une chose pareille, qui pourrait ne pas prendre immédiatement fait et cause pour ces nouveaux damnés de la Terre ?

Mais revenons en Bavière, en cette merveilleuse année 1972. Septembre noir, ça sonne comme une accroche à la Beigbeder : génial ! Les huit garçons dans le vent de l'histoire allaient faire plus fort que le quatuor anglais un peu gnan-gnan qui affolait les minettes du monde entier. Terminé la Stratocaster, vive la Kalashnikov ! Le chef d'équipe Arafat, trop occupé à répéter ses discours devant le miroir en réajustant son keffieh La Redoute, les avait laissés à peu près libres de composer leur épisode, et, bien qu'un peu amateurs sur les bords, on peut dire qu'ils se sont plutôt bien tirés de leur performance olympique. Leurs tenues étaient sobres, un peu inspirées bien sûr par les westerns qu'ils regardaient dans les camps où ils sculptaient leurs corps, mais tout de même de bon aloi. Mais surtout, le génie des huit salopards chez les vigiles aura été de savoir se faire aider plus ou moins activement par les Allemands, en retournant habilement le sentiment de culpabilité que ceux-ci développaient par rapport aux Juifs en une nouvelle et subite compassion pour les déshérités new-look qu'ils incarnaient (chacun son tour !) avec la candeur du néophyte qui trouve injuste que ce soient toujours les mêmes qui passent à la télé. Même si l'on oublie souvent de rappeler, à propos de la super-production munichoise, que des néo-nazis ont aidé à l'organisation de celle-ci, il faut noter l'extraordinaire amateurisme des figurants allemands, qui confine à l'aide objective et concertée, prenant de cet fait même une place centrale dans le drame en cours. Tant d'abnégation déconcerte et questionne l'observateur même le plus placide. Pour un peu, avec une "sécurité" comme celle-là, il n'y avait pas besoin de terroristes pour parvenir au même résultat. Toute la journée a été une succession inouïe de bavures invraisemblables qui en comparaison feraient passer les Pieds nickelés pour des as du Raid, s'ils avaient eu affaire à des terroristes. Même les tireurs d'élite présents à l'aéroport pour le grand finale étaient en infériorité numérique (et deux d'entre eux n'avaient tout simplement pas leurs armes) par rapport aux têtes d'affiche qui canardaient avec un enthousiasme juvénile, même si légèrement maladroit. Si Messieurs les Palestiniens veulent bien se donner la peine… Apprendre qu'on leur avait offert le Champagne ne nous surprendrait pas outre mesure, mais j'imagine que les acteurs du Fatah-Studio préféraient le coca-cola. L'épisode célèbre des agents allemands déguisés en stewarts, refusant tout net de faire leur travail, qui consistait en l'occurrence à maîtriser les deux éclaireurs du commando venus inspecter l'avion, et quittant précipitamment l'appareil juste avant que les invités ne montent à bord, en dit long sur la farce tragique qui se jouait ce soir-là en direct live à la télévision. Ils croyaient faire mumuse avec le canon à bonbons, et ils étaient face à des grenades qui déchiquètent et des balles qui font des trous dans la chair ! On leur avait expliqué qu'il leur suffirait de jeter Waldi à la face des méchants pour que ceux-là éclatent de rire et leur tombent dans les bras. Je crois bien que date de cette époque-là la croyance européenne qu'il suffit de ne pas se reconnaître d'ennemis pour ne pas en avoir, c'est-à-dire à ne plus vouloir se mouvoir dans ce qu'on nommait naguère l'Histoire. On a voulu descendre du train de l'Histoire, comme les policiers allemands sont descendus de l'avion. Le pire est qu'on a réussi.

J'ai encore dans ma bibliothèque un numéro de la Revue d'études palestiniennes. Il était pratiquement obligatoire de lire ce genre de choses, à l'époque. S'il n'est guère étonnant qu'en 1972, ou 76, on ait pu gober tout cru cet œuf pourri sans être pris d'une forte fièvre, il est invraisemblable que près de quarante ans après on se laisse servir le même plat avarié bouillu foutu sans renverser la table et mettre le feu au restaurant.  Il ne fallait rien de moins que la Bloge des acéphales, avec la complicité des musulmans, bien sûr, pour que les mêmes mensonges recommencent à circuler avec une vigueur de début de millénaire, comme si le fantôme facétieux du Vieux avait effacé la mémoire des Nouveaux Vigiles afin qu'on puisse rejouer la pièce ad vitam aeternam, à guichets fermés et sans la lassitude qui accompagne généralement les navets. Le saint Évigile est en vente à nouveau, et il cartonne, depuis que ses mantras principaux sont repris par les Hessel-Girls du village global en furie.

Certains retinrent des Jeux de 1972 les victoires éclatantes d'un certain Mark Spitz, nageur américain d'exception, d'autres retinrent la mort d'un certain André Spitzer, entraîneur de l'équipe israélienne d'escrime, un parmi les onze qui périrent ce jour-là, le 5 septembre 1972, Moshe Weinberg, Yossef Romano, Ze’ev Friedman, David Berger, Yakov Springer, Eliezer Halfin, Yossef Gutfreund, Kehat Shorr, Mark Slavin, Amitzur Shapira, et donc André Spitzer.

vendredi 20 juillet 2012

Eyes wide shut



J'ai trouvé cette photographie sur un blog, je ne sais plus lequel. Il y a des photos qui parlent, extraordinairement. Celle-là en fait partie. Je n'ai aucune idée de la scène* à laquelle ces gens sont en train d'assister, mais je trouve ces deux personnages absolument parfaits. Je remercie très profondément l'auteur du cliché, qui à mon avis touche là quelque chose de l'ordre du mythe. Ce photographe est un grand ethnologue qui me donne à voir une réalité extrêmement prégnante mais qui ne se laisse que difficilement décrire et représenter, sauf peut-être par un Philippe Muray (on attend toujours le photographe de talent de ce début de siècle, un Doisneau d'aujourd'hui). J'imagine qu'elle fera partie d'un fort volume encore consulté dans un siècle ou plus, quand les survivants de notre apocalypse joyeuse voudront tenter de comprendre ce qui s'est passé au commencement du XXIe siècle en occident. 

Je ne connais évidemment pas ces deux personnes, mais je les connais tout de même très bien. J'ai l'impression d'en avoir rencontrées des dizaines, des centaines, et l'une des raisons qui m'ont poussé à fuir Paris il y a une dizaine d'années est qu'il était devenu impossible de les ignorer. Une deuxième raison est qu'une partie non négligeable des jolies filles se recrut(ai)ent malheureusement au sein de cette population. 

On les appelle souvent des bobos, mais ce terme a désormais perdu toute sa sève, comme la plupart des vocables utilisés abondamment dans la Bloge. Je dois reconnaître que je n'ai rien à proposer, aucun vocable qui serait à même de dire ce que je vois quand je regarde cette photographie qui aurait eu, j'en suis certain, une place de choix dans les Mythologies de Roland Barthes, s'il les avaient écrites aujourd'hui. Qui sont-ils ? Je n'ai pas besoin de répondre à cette question. Vous en connaissez tous. Ils sont partout. On a l'impression qu'ils naissent ainsi, que les conditions d'existence, que l'éducation qu'ils reçoivent, que les événements de l'époque n'ont aucune importance, que rien n'a de prise sur eux, qu'ils sont en quelque sorte ignifugés, imperméables au réel, insensibles aux leçons de l'histoire et de la géographie. Ce sont bien des rebelles, mais des rebelles à l'autre, que cet autre soit une personne, une manière de vivre, une idée. Ils sont nés dans une époque dont a dit et répété qu'elle était celle de "la fin des idéologies", alors que bien entendu elle était celle du triomphe de l'idéologie, et ils sont d'une certaine manière le résultat parfait, effrayant parce que parfait, de l'idéologie tellement intériorisée qu'elle a disparu des écrans radar. À force d'en manger, à force de la respirer, il ne leur reste plus rien qui en soit indemne. Ils sont des êtres chimiquement purs, des êtres réellement nouveaux, qui nous ressemblent, certes, mais qui sont radicalement et définitivement différents de nous. 

Nous sommes quelques uns, quelques David Vincent, très peu, à essayer de dire ce que nous voyons, ce que nous entendons, mais le problème est de savoir à qui s'adresser, puisque ces Nouveaux Venus sont l'immense majorité, occupent tous les postes, toutes les places, jouent tous les rôles dans le néo-monde, et n'ont par définition aucun souvenir susceptible de les faire ciller. Je pense que le monde de la Camelote (la fin du XXe) a favorisé l'avènement du monde du Simulacre (le nôtre). Dix générations élevées au plastique (cette matière qui a rendu possible le passage du noble à l'ignoble) ont certainement contribué à préparer l'humain à l'Écran. Passer de la civilisation de la fenêtre à celle de l'écran ne pouvait que provoquer d'immenses dégâts, et pas seulement dans le regard. Le monde de la fenêtre nous faisait cligner des yeux, faisait naître le doute (pas le soupçon, mais le doute), et laissait libre cours à la libido sciendi, alors que le monde de l'écran obture la réalité et nous enferme dans un crâne. Comme par hasard, les crâniens écranophiles ne supportent plus les frontières, qui seules permettent d'aller voir au-delà à quoi ça ressemble, de quoi on a l'air. Ils savent à l'avance de quoi ils ont l'air, puisque leur monde est à leur image, et ce n'est pas un hasard non plus si ces néo-humains n'ont que les mots autre et étranger à la bouche. Il s'agit de mantras qui, par leur répétition incessante, hallucinée, permettent la disparition sensible des réalités qu'ils prétendent nommer. 

Ces nouveaux venus sont des énervés, au sens propre. Leur corps a été creusé, fouillé, débarrassé de tout ce qui permettait à l'homme de sentir, d'entendre, de voir, de comprendre ce qui lui arrive. Ils ne sont pas cools du tout, ils sont terrifiants. Les détenteurs du pouvoir, aujourd'hui, c'est-à-dire en gros les médias, pratiquent un art appelé thanato-kéropraxie. Tout le monde est censé y passer, à brève échéance. C'est ce qui rend les quelques heures qui restent si précieuses.


(*) Tout de même, le plus plausible est qu'ils soient en train d'assister à ce qu'ils appellent "l'art de rue". L'œil pétillant du crétin barbichu est typiquement le regard qu'ont les bobos lorsqu'ils assistent à des manifestations de rue, le regard qui frétille, qui jouit en direct live de la créativité insondable et festive de ses concitoyens sympas aux nez rouges, qui prend son pied à écouter la millième fanfare tonitruante et obscène déversant ses milliers de clichés faussement joyeux à la minute, ressassés jusqu'à la nausée. J'apprends d'ailleurs, en cherchant un peu sur la Toile, qu'il existe une "Fédération nationale des Arts de la rue", ce qui ne m'étonne pas le moins du monde. J'imagine qu'il s'agit sans doute là de la partie la plus active de la merveilleuse "scène contemporaine" qui réjouit tant les extatiques écranophiles et qui, en passant, se fait une gloire de réclamer toujours plus de subventions au ministre de la Culture, trop heureux de leur témoigner son affectueuse reconnaissance, car c'est bien de ça qu'il s'agit : ils se reconnaissent entre eux. 

(À ma mère, qui faisait partie du monde des vivants)

lundi 9 juillet 2012

Bitoyens au kotidien


La Bitoyenneté se construit sur le terrain, elle se vit au jour le jour. Il faut renouer le Mialogue gémocratique, reconstruire le mien social, il faut faire dans la proximité. Bitoyens, nous devons l'être 365 jours sur 365 ! Je suis à l'écoute des Cordicopoliennes et des Cordicopoliens, et j'entends œuvrer à la préservation de l'environnement tout en favorisant l'engagement républicain et la Molidarité active. Agir, nous le devons, tous ensemble, la main dans la main, parce que les grands rendez-vous de la modernité sont à notre porte et qu'il convient de ne laisser personne sur le bord du chemin, au sein de chaque quartier, de chaque village, de chaque bité.

Bien sûr la crise est là, avec son cortège d'incertitudes et d'injustices, et l'inquiétude de nos conbitoyens croît, mais les politiques sont là pour faire face, pour montrer le chemin et tendre la main aux plus fragiles. Les chefs d'entreprises nous rejoignent pour favoriser les divers bassins d'emploi de notre belle et généreuse Nation, en direction des jeunes d'abord, les plus touchés par la crise, mais aussi de tous ceux qui se sentent concernés par la vie de la bité. Les bailleurs aussi nous ont rejoints, afin d'offrir aux plus défavorisés des logements dignes et humains. Les enseignants prennent leur part du travail en sortant les élèves en difficulté de situations qui pourraient les amener en état de souffrance, et les psychologues, travaillant de manière ludique et festive sur le ressenti des jeunes et des moins jeunes, leur permettent d'exprimer ce mal-être social qui mine le vivre-ensemble en enfermant chacun dans son ghetto individuel, conduisant bien souvent au repli sur soi une société tout entière.

Il faut fédérer les énergies, toutes les énergies, et j'invite les cociologues à approfondir encore leurs analyses sur la rupture du mien social, sur l'exclusion, sur la reproduction des inégalités, sur la stigmatisation des minorités, qu'elles soient nulturelles, sexuelles, cociales. Ces analyses ne sont pas encore assez diffusées, il convient de les mettre à la portée de toutes et tous, dans tous les domaines de la vie publique et privée. J'attends beaucoup de la cociologie, qui a déjà fait beaucoup pour l'avènement du monde nouveau et fraternel que j'appelle de mes vœux.

Un des grands volets de mon action se fera dans le champ nulturel. Animations de rues, de villages, théâtre à l'école, musiques actuelles dès la maternelle, tout cela est bel et bon mais encore insuffisant. Je veux que la Nulture pénètre les campagnes, entre dans les fermes, s'invite aux moissons, aux vendanges, et s'ouvre également au monde de l'industrie. Il faut que la Nulture investisse l'usine, il faut que chaque ouvrier puisse travailler en musique, et que chaque pause soit l'occasion d'une imprégnation forte et durable. Qu'on fasse venir le théâtre, le cinéma, les arts numériques, l'écriture, dans l'entreprise ! Que pas un de nos travailleurs ne puissent ignorer la scène contemporaine, que pas un de nos salariés ne se sentent à l'écart de la Création, c'est le but que je me fixe dès maintenant, c'est un des plus beaux challenges de ma mandature ! Je ne vous décevrai pas car je sais que l'attente est forte.

Il faut œuvrer au kotidien, être à l'écoute, entendre les situations de souffrance, combattre l'injustice à quelque niveau qu'elle se situe, à l'intérieur de nos vieilles frontières comme à l'autre bout du monde, tendre la main à nos frères, c'est-à-dire à l'ensemble du genre humain, il faut acter de nouvelles formes de molidarité, de responsabilité, il faut s'inscrire dans le Durable, il faut mettre le Respect au centre de la politique, il faut que chaque jour soit une fête, il faut que nul n'ignore que le bonheur est un horizon qui est à notre portée, ici et maintenant, et surtout, à la portée de toutes et tous.

Le Mialogue est la porte sacrée de l'innovation bitoyenne, qui doit s'appuyer sur des services publics décentralisés et accessibles à tous. Le mialogue social, le mialogue politique, le mialogue familial, le mialogue médiatique, le mialogue à l'école, le mialogue en prison, le mialogue à l'hôpital, le mialogue privé, le mialogue des générations, le mialogue inter-religieux, le mialogue entre communautés, le mialogue sexuel, le mialogue inter-générationnel, tous ces mialogues ne font qu'un, et sont la source vive de la gémocratie telle que nous la concevons, la gémocratie qui n'exclut pas, la gémocratie qui ne se limite pas à boter une fois tous les cinq ans, la gémocratie réelle, celle des bitoyens, celle de toutes et tous, celle qui rassemble, celle qui unit au lieu de désunir, celle qui regarde vers l'avenir, celle qui consiste à se retrouver dans un projet commun, dans une vision commune, celle qui n'a pas peur de l'Autre, celle qui s'ouvre au lieu de se refermer sur soi, celle qui accueille au lieu de rejeter, la gémocratie du débat, de la complexité, la gémocratie moderne, en un mot.

Ayez confiance, mes Chers Conbitoyens, nous sortirons gagnants, et grandis, de l'épreuve que notre Nation traverse ! Stop La Galère est un des mots d'ordre que j'adresse en particulier à nos jeunes, si durement touchés par la Crise. Le redressement du pays viendra d'eux, et c'est pour eux que nous devons unir nos forces, pour leur laisser un monde plus beau, plus digne, plus propre, plus molidaire, plus juste. Mon engagement est sincère, et il est tous azimuts, car je pense que nous devons être présents à toutes les étapes de la réactivation des forces vives de la Nation. À travers les réseaux sociaux, notamment, nous voyons chaque jour se dessiner un grand mouvement généreux, un mouvement de l'Intelligence qui mobilise peu à peu toutes les Cordicopoliennes et tous les Cordicopoliens, et je salue cette saine révolte bitoyenne dont l'ampleur ira croissant, je le sais, car rien ne peut arrêter le progrès social et l'esprit de justice qui anime nos Jeunes !

Albert Duspasme, candidat à la Résidence ordinaire


(Nous dédions ce texte à Me Rimokh, qui nous a ouvert les yeux sur bien des lacunes)

samedi 2 juin 2012

Paris-beurre




Sans réfléchir, François s'assit à la table du salon. Il plongea la plume dans l'encrier et commença d'écrire quelques notes. N'ayant aucune idée préconçue, il ne porta aucune altération à l'armure : on verrait. D'un seul mouvement, il écrivit un thème, puis un second thème, puis une transition, et le début d'un développement. Il allait commencer à instrumenter son exposition, lorsqu'il s'avisa tout à coup qu'il ne savait pas écrire la musique. Machinalement, il ajouta quatre dièses à la clef, et continua négligemment la rédaction du développement, tâche qui s'avéra facile, beaucoup plus facile qu'il ne l'imaginait. On verrait plus tard pour l'orchestration. La nuit était tombée depuis un moment déjà, on entendait un chien aboyer au loin. François se leva et se servit un verre de whisky, revint à la table, posa le verre près de la partition, se pencha sur elle et commença de lire ce qu'il avait écrit, debout, appuyé sur ses deux mains. Ce n'est pas mauvais du tout, se dit-il ! Il s'agit d'une mesure à 12/8, se dit-il, prenant la plume pour ajouter cette indication en tête de la partition. Il y avait un piano dans le salon, un piano fermé sur lequel on avait posé toutes sortes d'objets, et même un vase empli de fleurs. Il eut l'idée d'aller à l'instrument et, soulevant le rouleau, commença à enfoncer quelques touches au hasard, sans y penser. Il regrettait beaucoup que ses parents ne lui aient pas fait donner des cours de piano dans son enfance. Il s'était toujours dit qu'un jour il s'y mettrait, mais le temps avait passé, et avec lui les occasions de réaliser ce désir. Ce jour n'était pas venu et puis il était trop tard, maintenant. Tout en regardant les fleurs, il jouait ce qu'il avait écrit, et, arrivant à l'exposition, il dut s'asseoir car la musique devenait plus complexe. Il ne s'étonna point de ce qu'il était en train de faire, absorbé qu'il était dans une sorte de rêverie polyphonique et polychronique. Le son aigre de la sonnette de la porte d'entrée interrompit la musique parvenue à la réexposition. Il posa ses lunettes sur le pupitre et alla ouvrir.
Le Voyageur posa ses bagages dans l'entrée et vint le rejoindre dans le salon. Il alluma une cigarette, chaussa ses lunettes et se mit en devoir de lire la partition dont l'encre était encore fraîche et qu'il avait apportée sur la table. Prenant la plume de François, il fit quelques corrections minimes, quelques observations mineures, se moucha bruyamment dans un mouchoir blanc et brodé. Il n'avait prononcé que quelques mots depuis son arrivée, et chacun d'eux était pour parler de la musique écrite par François ; il n'avait pas pris la peine de saluer, de poser quelque question que ce soit sur la santé de François, sur les semaines qui venaient de s'écouler, sur le froid crépuscule qu'il venait de traverser pour arriver jusque là. Enfin, il ôta ses lunettes, écrasa sa cigarette dans le cendrier, et demanda à François s'il était certain de la barre de reprise à la cinquième mesure et du la dièse des cors à la fin du développement. « Comment voulez-vous que je réponde ? Je ne sais même pas lire la musique et vous me demandez si un la bécarre serait préférable à un la dièse ? Voyons, tout cela est absurde ! » Le Voyageur ne prit pas la peine de justifier ses questions, se rendit au piano, et rejoua la musique avec les quelques changements qu'il avait suggérés à François. Celui-ci dut se rendre à l'évidence : même si la reprise à la première mesure introduisait dans la composition un sens qu'il n'aurait pas osé imaginer, il s'agissait bien d'un coup de génie. Le la bécarre, en revanche, sonnait encore trop, à son oreille inexercée, comme une faute d'harmonie, pour qu'il admette avoir commis une erreur avec son la dièse.
La bécarre, la dièse, quelle importance ? François se rendit à la salle de bains et observa son visage dans la glace. Il se rendit compte que le Voyageur et lui avaient le même visage exactement. Il fit quelques grimaces, sourit, prit un air triste, furieux, ouvrit la bouche, la tordit à droite, à gauche, fit bouger ses oreilles (il était très fier de savoir faire bouger ses oreilles), puis resta ainsi, immobile, un long moment, les yeux écarquillés face au miroir. Il aurait aimé fuir, mais pourquoi, et puis où aller ? Il se passa de l'eau sur le visage, en évitant son reflet dans la glace, s'essuya, but un verre d'eau.
Quand il revint au salon, le Voyageur avait disparu. En réalité, il n'avait peut-être pas disparu, mais là se trouvaient réunies plusieurs personnes, parmi lesquelles il se pouvait que le Voyageur fût, comme il se pouvait qu'il n'y fût pas, il aurait été incapable d'affirmer quoi que ce soit à se sujet. La discussion était très animée, et il comprit rapidement qu'elle portait sur la musique qu'il venait de composer. Au piano se trouvait un musicien qui faisait toutes sortes de gesticulations, en même temps qu'il jouait et parlait et fumait la pipe. François remarqua que le pianiste avait posé un verre plein près du pupitre, ce qui l'irrita. Et s'il le renversait ? Avec les grands gestes qu'il faisait, cela ne l'étonnerait pas outre mesure. À l'autre bout de la pièce, une femme bien en chair se mit à claironner à pleine poitrine son second thème, comme s'il s'agissait d'un air d'opéra, jusqu'à ce que son voisin lui mette un doigt sur les lèvres. Sur le canapé étaient assis deux hommes qui répétaient un passage du développement sur leurs bassons en se jetant des coups d'œil complices. Quand ils arrivèrent au fameux la litigieux, ils s'arrêtèrent subitement, comme frappés d'effroi. Un grand silence se fit dans la pièce.
Dans un coin, assise, seule sur une chaise étroite, un peu à l'écart, une dame entre deux âges, au regard sec mais aux lèvres très rouges, prit alors la parole. Elle fit un discours sur l'égalité, sur l'élitisme, sur la discrimination, sur l'exclusion, sur le lien social, sur la fraternité, sur le racisme, sur le sexisme, sur les quartiers, sur l'islamophobie, sur l'Europe, sur les marchés financiers, sur l'égoïsme, sur le pouvoir, sur les contre-pouvoirs, sur l'écologie, sur l'Afrique, sur le quart-monde, sur la contraception, sur le cumul des mandats et la double-peine, sur la liberté de la presse, sur les sans-papiers, sur l'hospitalité, sur le droit d'asile, sur la prostitution, sur la répression, sur les prisons, sur le travail le dimanche, sur les rythmes scolaires, sur les sex toys, sur la parité, sur la laïcité, sur l'homophobie, sur le tri sélectif, sur la corrida, sur les énergies renouvelables, sur la colonisation, sur l'art pour tous et la culture pour chacun. Elle n'avait pas de notes, elle parlait avec une évidente maîtrise de son sujet, de ses sujets, qu'elle avait l'air de connaître intimement, par le menu, en détail, en profondeur, en diagonal, et elle en parlait avec une conviction qui forçait le respect, qui impressionnait, qui en imposait à tous, à toutes et à tous. Quand l'experte s'arrêta de parler, tous se sentirent coupables, pour une raison ou pour une autre. Tous baissèrent la tête et le silence se fit plus épais, si épais que ceux qui étaient debout n'avaient aucun effort à faire pour se tenir droits. La culpabilité coite leur tenait lieu de principe musculaire, leur assurait un équilibre, une tenue, qu'ils n'avaient jamais connus jusqu'à présent. François, le plus discrètement possible, cherchait son double des yeux, parmi l'assistance médusée et comme minéralisée. Il ne rencontrait que regards baissés, fronts moites, il ne voyait que des corps, semblables les uns aux autres, interchangeables, des statues de cire aux traits figés par le souffle tiède du Bien qui venait de prendre possession du lieu. Il eut l'impression de comprendre, pour la première fois de sa vie, ce que signifiait le mot de "morale", qu'il se répétait intérieurement car il sentait qu'il tenait là une des clefs du monde, qu'il ne pouvait laisser passer cette occasion unique de saisir ce pour quoi il faisait partie de l'humanité, à quoi il servait, à sa place, à son infime place, dans la chaîne infinie des femmes et des hommes de bonne volonté. Il eut la certitude alors de faire partie d'une église, d'une communauté de destins, d'une fraternité, d'une famille qui ne laissait personne sur le bord du chemin, il sentit le sang lui monter à la tête, il eut tout à coup chaud, très chaud, trop chaud, et il s'évanouit.
Lorsque François revint à lui, il était seul. On l'avait allongé sur son lit, il était habillé, il portait un costume sombre, des souliers vernis, une cravate lie de vin et une chemise blanche à boutons de manchettes nacrés. De chaque côté du lit brûlaient des chandelles qui produisaient une faible lueur tremblante semblant à chaque instant sur le point de s'évanouir. Au mur, une photographie encadrée du maréchal Pétain, un crucifix, et un tableau représentant un personnage vêtu de violet, bouche ouverte, assis sur un siège jaune à haut dossier. Une étrange odeur emplissait la pièce, une odeur qui ne lui était pas inconnue mais qu'il eut du mal à identifier, ne retrouvant le nom de "papier d'Arménie" qu'au prix d'un effort intense qui lui paru très exagéré. Il eut froid et un long frisson parcouru son échine. Il remarqua qu'on lui avait retiré sa montre. François se redressa et resta un moment assis sur le lit, sans bouger, à écouter. Il lui semblait entendre des voix étouffées qui provenaient du bas de la maison mais il n'était pas sûr de lui, peut-être s'agissait-il plutôt d'une sorte de rumeur venant du dehors, ou bien d'un bruit de fond qui émanait de son propre cerveau, de sa circulation sanguine, de ses viscères, de ses muscles, qui sait, bruit auquel jusqu'à présent il n'aurait jamais prêté attention, bruit qui serait en quelque sorte sa signature sonore, ce à quoi les autres le reconnaissaient sans qu'ils en soient conscients, avant même de l'apercevoir. « C'est idiot ! » se dit-il. En prononçant ces mots à voix haute, il repensa au Voyageur, son sosie. Il regarda les chaussures vernies qu'il avait aux pieds, qu'il n'avait pas portées depuis des lustres, et qui semblaient neuves. Il pouvait apercevoir son visage tellement leur surface était lisse, d'un noir brillant et glacé. Il remua légèrement les pieds, s'amusant des déformations que ses mouvements provoquaient dans la figure qui lui apparaissait telle un minuscule spectre grimaçant. À nouveau, il vit la face du Voyageur qui le scrutait avec une intensité troublante et pourtant fraternelle. Il frappa ses deux pieds l'un contre l'autre, remua la tête horizontalement et se mit debout en expirant l'air de ses poumons.
Est-ce le bruit qu'il fit en posant brusquement ses pieds sur le parquet ou est-ce une coïncidence, toujours est-il qu'à peine s'était-il levé, à peine son corps fut-il en contact avec le sol, que la rumeur enfla rapidement jusqu'à devenir assourdissante : en quelques petites secondes le crescendo atteignit le fortissimo et s'y maintint. François se précipita sur la porte, l'ouvrit et descendit l'escalier en toute hâte en se récitant ces vers : « Ainsi dans la forêt où mon esprit s'exile / Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! »
Dans la cuisine était réunis une dizaine d'Arabes, buvant et parlant très fort. La pièce était enfumée et sale et sentait affreusement mauvais. Dans le salon, les femmes, parlant bas, autour d'un thé à la menthe, les pieds nus dépassant de longues tenues sombres, le regardèrent avec étonnement, puis éclatèrent de rire. L'une d'entre elles avait un enfant au sein. Il vit un grand plateau couvert de friandises posé à même le piano duquel on avait retiré la couverture qui le protégeait habituellement. Il se précipita au dehors, les yeux exorbités, le souffle court. Dans le jardin, sur la pelouse, une voiture de luxe, une autre un peu plus loin, et plusieurs jeunes garçons qui s'affairaient autour d'elle, sans prêter attention à l'homme qui sortait de la maison, sans doute à cause du tintamarre vociférant, méchant, brutal, rauque, qui rendait les lieux méconnaissables. François se mit à marcher, comme pris par une transe. Il ne pensait qu'à une chose : s'éloigner au plus vite de ce vacarme, ne plus entendre ce qui martyrisait son corps et son esprit, fuir, rentrer chez lui
Quand il eut arpenté en tous sens les rues de la ville, il comprit que le désir qu'il avait de "rentrer chez lui" était précisément ce qui n'avait plus de sens, et que c'était sans doute cette révélation insensée qui le mettait dans un état proche de la démence. Il aurait voulu parler au Voyageur, afin que celui-ci lui dise quoi faire, qu'il lui raconte comment c'était ailleurs, et si ailleurs existait encore, puisqu'il voyait bien que l'ailleurs s'était invité ici, dans cette minuscule partie du monde qui avait été chez lui, naguère.
En un sens, c'était bien des sosies qu'il apercevait dans les rues, et c'était bien des voyageurs également. Tous les individus qu'il croisait se ressemblaient d'une façon extraordinaire, et tous avaient l'air de voyageurs fatigués qui ont renoncé à courir le monde. C'était le monde, dorénavant, qui leur courait après, courait après ces nomades immobiles, fixés, solidifiés, installés, en tout cas leur monde à eux, oui, avait bel et bien rappliqué, comme s'il sentait qu'un nouvelle vie commençait ici et maintenant, qu'il lui fallait abandonner le vieux pays qui lui collait aux basques.
Partout le bruit, partout le monde, partout du monde, de la foule, des gens, des hommes, des femmes, des enfants, c'était une explosion humaine, c'était beau comme l'enfer, fiévreux, dense, intense, tous les vides étaient comblés, les corps se touchaient littéralement, non pas par désir, mais par impossibilité de faire autrement. François repensa à l'experte aux lèvres rouges, à son beau discours qui ne laissait rien dans l'ombre, et il comprit qu'elle était, cette femme, la déesse qui avait permis l'éclosion fulgurante de ce nouveau monde, et qu'elle avait choisi François (pourquoi lui ?) pour annoncer la bonne nouvelle, qui était tout simplement l'avènement de l'Amour sur Terre, de la Jeunesse, le règne du Bien, intransigeant, exclusif, total et définitif.
Ah ! il n'avait rien vu, rien compris, il avait été aveugle, sourd, engoncé qu'il était dans son quotidien routinier et banal, provincial, terriblement provincial. François !… C'était hier qu'il s'était mis à la composition musicale… Cela lui semblait si dérisoire, tout à coup ! Il entendit intérieurement la musique qu'il avait cru inventer hier et il fut prit d'un fou-rire irrépressible et interminable qui le laissa exténué et rouge, sur le trottoir où il s'était laissé tomber, des larmes coulant sur ses joues où une jeune barbe commençait à pousser.
Un moment plus tard, il entra dans un bistrot, commanda à boire, mit ses mains sur ses oreilles, et resta là, longtemps, sans bouger. Il entendait un la, un la qui se répétait, de plus en plus lentement, comme la goutte d'eau tombant d'un robinet mal fermé, la, la,, la,,, la,,,, la,,,,, la,,,,,, la… Puis il arrêta de penser. C'était une sensation nouvelle, agréable, comme un alcool doux et insipide qui ne procurait pas d'ivresse mais qui évidait l'homme de l'intérieur et permettait au monde d'entrer en lui, d'y trouver place, de se déployer infiniment dans le corps et l'esprit qui étaient siens encore quelques instants auparavant ; une sorte de dissolution, un splendide éploiement, l'arrivée de l'arrivée, le contraire exact de l'isolement, l'accueil-en-soi, la porte ouverte sans mur autour. Toute sa vie, François s'était posé des questions et avait désiré par-dessus tout être singulier, et il comprenait enfin (mais ce n'est pas comprendre dont il s'agit, c'est savoir) qu'il n'y avait aucune question, qu'il n'y avait rien à comprendre, rien à connaître, rien à espérer, rien à vouloir, rien à conserver, tout à laisser, et que ce lais était la clef de tout, du tout aussi bien que du rien, du rien qu'il était désormais avec gratitude, avec reconnaissance. Alors il commanda un jambon-beurre.
(…)
[Quelques semaines plus tard, dans un bureau très éclairé]
— François Jambon, vous n'êtes pas Irlandais.
— Non, c'est vrai, je ne suis pas Irlandais.
— Vous n'êtes pas peintre, non plus.
— C'est vrai, je ne suis pas peintre.
— Cela dit, vous auriez pu l'être.
— Absolument !
— On dit que vous n'aimez pas l'agneau.
— Je n'aime pas spécialement ça, mais enfin je ne déteste pas non plus.
— Est-ce que c'est un motif de fierté, chez vous, une preuve de singularité ?
— Non, pas vraiment, non. En fait, j'essaie de m'accepter tel que je suis sans me poser de questions, vous savez.
— Vous n'avez aucun regret ? Vraiment ? Être français, ça ne vous gêne pas un peu ?
— Non, enfin, je ne crois pas. J'aurais pu être afrikander, par exemple !
— Vous auriez aimé ?
— Non, non, bien sûr que non !
— Auriez-vous pu être allemand ?
— Oui, bien sûr, pourquoi pas ?
— Vous êtes un citoyen du monde, alors !
— Non, je ne crois pas. Je ne me sens pas citoyen du monde, non.
— Vous ne nous facilitez pas la tâche, François Jambon !
— Ah bon ? Mais quelle tâche ?
— Eh bien, l'entretien. Il faut bien qu'on en arrive quelque part, vous et nous !
— Ah oui, très bien, allons-y !
— Bien. Avez-vous déjà pensé à votre mort, François Jambon ?
— Oui, ça m'est arrivé, oui.
— Et vous voyez ça comment ?
— Oh, je ne sais pas trop. J'ai un peu peur de souffrir. Par exemple de mourir en étouffant, vous voyez ?
— De mourir enfermé ? Vous avez peur de l'enfermement ? Vous voulez mourir libre ?
— Non, c'est pas ça, je veux seulement ne pas trop souffrir.
— Vous voudriez vous faire incinérer ?
— Ah non, non. J'aimerais être inhumé, comme tout le monde, quoi.
— Mais c'est complètement passé de mode ! Et c'est égoïste.
— Ah bon ? Mais pourquoi ?
— La place, François Jambon, la place, et puis l'égalité. Pas de grosse tombe en marbre, tout ça…
— Oui. Peut-être. Mais non, je ne préfère pas. Je voudrais être avec les miens.
— Les vôtres ? Comment ça, les vôtres ? Vous parlez de vos compatriotes ?
— Non, je parle juste de mes parents, de ma famille.
— Enfin, les vôtres c'est le genre humain !
— Ah bon ? Non, je ne crois pas, je préfère mon chien.
— Ah…
— Oui, si je pouvais, je me ferais enterrer avec lui.
— Et on jouerait du Schubert à votre enterrement commun ? Gute Nacht, Franz ?
— Non, pas de Schubert, non. Plutôt Debussy. Ou Mozart, à la rigueur.
— Décidément, vous êtes très franco-français !
— Ah bon, vous trouvez ? Peut-être, après tout, si vous le dites…
— De toute façon, vous savez, quand on est mort, hein, on s'en fiche pas qu'un peu, de savoir à côté de qui on est en train de pourrir ! On sait plus rien du tout, quand on est mort. Et on n'aime pas plus Debussy que Madonna, quand on est mort.
— Oui, oui, je sais bien, je sais bien. Mais quand-même, je préfère…
— Et un petit morceau de djembé, ça vous dirait ?
— Non, vraiment, sans façons… Mais j'y repense, là, à votre idée d'incinération. Vous êtes sûr, il y a des gens qui se font incinérer ?
— Évidemment, la plupart des gens se font incinérer, aujourd'hui. Ne me dites pas que vous ne le saviez pas !
— Je vous assure que non. Mais enfin, comment ça se fait ? Je croyais qu'on ne brûlait que les sorcières et les pestiférés ! C'est terrible, de faire brûler son corps !
— Dites-moi, François Jambon, rassurez-moi, là : vous savez qu'on n'est plus au Moyen Âge, tout de même !
— Oh oui, bien sûr, je sais. Je suis né au XXe siècle, au siècle d'Einstein et de Hitler.
— Curieux rapprochement !
— Vous avez raison, au siècle de Staline et de Picasso.
— Vous avez été communiste, certainement ?
— Communiste ? Non, jamais. Quelle drôle d'idée !
— Vous savez, il y en a eu de très bien !
— Oui, peut-être, mais non, communiste, alors ça jamais !
— Vous êtes de droite ?
— Vous savez, je ne me pose jamais la question.
— Donc vous êtes de droite.
— Eh bien soit, si vous voulez. J'ai beaucoup admiré le Général de Gaulle.
— Voilà. Mais vous avez bien un tempérament artiste, au moins ?
— Non, je n'en ai pas l'impression. Je n'ai aucune imagination.
— Revenons à la peinture. Donnez-nous des noms.
— Watteau, Manet, Titien… Oh, j'en connais très peu !
— Et la musique, alors ?
— Beethoven, Schumann, Mozart…
— Encore des Allemands ! Vous n'avez rien de plus intéressant ?
— J'ai déjà parlé de Debussy, mais j'aime bien Chausson, aussi.
— Qui ça ?
— Chausson. Ernest Chausson. Un compositeur…
— Ah oui, Chausson, bien sûr. Un compositeur aux pommes…
— …
— Je plaisante, je plaisante. Vous n'aimez pas rire, François Jambon ?
— Si, si, j'aime bien rire, si, mais…
— Mon humour ne vous plaît pas, on dirait…
— Écoutez, je ne sais pas où vous voulez en venir.
— Mais nos abonnés veulent vous connaître, tout simplement !
— Drôle d'idée !
— Ne faites pas le modeste, François Jambon !
— Dans ma situation…
— On s'intéresse à vous !
— Oui, ça je vois bien…
— Mais ?
— Mais je ne suis pas certain…
— Dites-nous, dites-nous, livrez-nous le fond de votre pensée, François Jambon !
— Le fond de ma pensée ? Vous voulez vraiment le fond de ma pensée ?
— Mais oui, parfaitement, le fond de votre pensée, François Jambon !
— J'aimerais que vous me détachiez, j'aimerais que vous enleviez cette serviette mouillée de mon visage, et j'aimerais vraiment beaucoup rentrer chez moi, voilà le fond de ma pensée. Et puis mon chien doit avoir faim.
— Allons allons, soyez beau joueur, François Jambon, vous serez très utile à nos abonnés, vous savez, en acceptant de parler. Ils ont le droit de savoir qui vous êtes.
— Je ne suis rien, ni personne. Je n'ai rien fait.
— Mais justement, c'est précisément la raison pour laquelle il nous faut absolument élucider votre cas. Vous n'êtes rien, ni personne, vous n'avez rien fait, et pourtant vous ne nous aimez pas. Avouez que c'est étrange. Personne ne peut comprendre une chose pareille. Tout le monde nous aime. Tout le monde sauf vous.
— Je ne suis pas le monde.
— C'est bien ce qui cloche avec vous.
— …