Il y a dans la vie de tout homme un moment très particulier où celui-là cesse d'éprouver le passage du temps comme la douleur essentielle d'être ; c'est la nuit qui en général nous révèle ce seuil inimidant, quand la terreur de l'insomnie laisse la place au plaisir pur d'être là, allongé, vivant, au cœur du monde, au cœur d'un monde dont le bruit et la fureur ne nous parviennent plus qu'étouffés et diffus, inoffensifs.
Jusqu'à une date proche, il me semblait entendre le grincement atroce du monde sur son axe, la Terre ne tournant sur elle-même que dans le but d'approcher mon être de la mort : bruit effroyable, terrorisant. Il s'est tu d'un seul coup.
Je ne sais ce qui a brisé les liens que le temps avait noués avec l'abîme à travers mon corps et je ne les ai d'ailleurs perçus que rétrospectivement, au moment même où ils ont cessé de me tenir sous leur emprise.