vendredi 28 juin 2013

Chamboultou, même


On connaît l'œuvre de Marcel Duchamp intitulée le Grand Verre, dont le titre original est La Mariée mise à nue par ses célibataires, même. On sait peut-être moins que cette œuvre a été inspirée à Duchamp par une attraction de fête foraine, appelée "jeu du chamboultou", dans lequel on lançait des projectiles sur la représentation d'une mariée, dans le but de faire tomber un à un ses vêtements. 

Que l'avenir est lent à venir, trouvent les progressistes de tous bords, que le futur se fait attendre ! Ce sont les enfants qui sont toujours pressés d'être à demain, d'être adultes, d'être plus vieux, d'être plus loin, ce sont les enfants qui sans cesse veulent accélérer le temps, ou le raccourcir, pour vivre — enfin ! — dans ce temps merveilleux où ils ne seront plus (croient-ils) ce qu'ils sont. Les adultes, au contraire, souhaitent dans leur très grande majorité reculer l'échéance, ralentir le déroulement des opérations, repousser l'inéluctable (dont ils ont conscience, eux), prendre leur temps, remettre à plus tard, différer. L'enfant est un in-différent, il ne fait pas de différence entre son être et le temps, il habite un monde à une dimension qui ne lui permet pas encore d'éprouver la moindre distance d'avec lui-même, à la différence de l'adulte qui a mis entre soi et soi une fine et insondable épaisseur de temps, qui habite ce pli singulier qui lui permet de se voir agir et penser, qui lui permet de distinguer, c'est-à-dire d'introduire un dénivelé entre être et temps. 

Les progressistes sont des enfants. Ils veulent sans cesse et au plus vite faire tomber la robe de la mariée, voir ce qui se cache au-dessous, ils veulent y être avant l'heure, à toute heure. Chamboulons tout, vite, encore et toujours, pour voir ce qui adviendra, qui sera forcément mieux que ce qui est, que ce qui nous échoit, que ce qui nous est destiné. Et après le chamboulement ? Recommençons, forcément ! Oui, mais si la mariée est déjà nue ? On lui arrachera les yeux, les bras, les jambes, on en reconstruira une autre, de zéro, nous avons les plans, nous avons les ordinateurs, tout est prêt pour les travaux perpétuels. Le progressisme, c'est la Cité en travaux perpétuels, les trottoirs défoncés et les marteaux-piqueurs hurlants comme utopie in progress. Pourquoi cassez-vous sans cesse ? Mais pour réparer, enfin ! Cassage et réparage sont dans un bateau, et personne ne monte à bord. Ça s'ra bien mieux, vous verrez ! Oui, mais lendemain est toujours lendemain… Quelques passants, lassés, désabusés, fatigués, ennuyés, exaspérés : « C'était mieux avant… » QUOI ?! Chiens de contre-révolutionnaires, vous ne méritez pas d'être là demain. Ça tombe bien, nous avions prévu autre chose. Vous ne méritez pas de vivre (sic) ! Mais nous ne vivons pas, nous ne vivons plus, sous votre gouvernement, nous attendons demain pour vivre. Vous n'avez pas la foi ! Non. Vous êtes vieux ! Oui. Et vos enfants, alors ? Mais ce sont vous, nos enfants, sales gosses bruyants et qui ne voient pas ce qui est, tellement occupés à voir ce qui pourrait être. Vous êtes tristes ! Vous nous attristez, c'est vrai, car le monde appelle à l'aide et vous êtes sourds à ses plaintes. Des plaintes, des plaintes, alors que nous sommes occupés à faire la fête ! Vos fêtes sont notre enfer, votre progrès est notre épouvante. 

On voit que le dialogue n'est plus possible, entre les entrepreneurs sociaux et les conservateurs historiques, entre les toujours plus et les ça va bien comme ça, entre Chamboultou et Es ist genug, entre les mariées topless et les fiancés en carrosses, entre les femen et les homen. Accepter la donne, acquiescer au donné, remercier pour ce qui est, hériter, mais vous n'y pensez pas ! La Nature ? Fasciste ! La langue ? Fasciste ! La sexualité ? Fasciste ! La suite des nombres — car 2 vient après 1 ? Fasciste ! La Dualité ? Fasciste ! Les lois de la physique, de la chimie, de la biologie ? Fascistes, puisque ce sont des lois ! Quand donc va-t-on abolir le dimanche, au fait ? Et ne parlons même pas de l'utérus dans le corps des femmes ! De la semaine de sept jours (pourquoi sept, et pas huit, ou vingt ?) ! Du sel dans l'océan ! Des oiseaux qui volent et des poissons qui nagent (et pourquoi pas l'inverse ?) ! Le "c'est comme ça", la tradition, la décence ordinaire sont à peu près l'équivalent de "Arbeit macht frei", ou de "Deutschland über alles" chanté dans un avion de la El-Al survolant la Pologne. Et je n'ose même pas parler de l'identité… Les traditions sont toujours merveilleuses quand elles s'appliquent aux contrées lointaines traversées par les touristes, mais toujours effroyables quand ce sont les nôtres. L'identité des Tibétains est admirable et la nôtre détestable. La décence est vraiment la moindre des choses lorsque ces sympathiques touristes visitent un pays islamique mais elle est ignoble quand on prétend l'exiger chez nous. Les bobos singent du mieux qu'ils peuvent la vêture et les coutumes locales quand ils sont à l'étranger mais trouvent scandaleux qu'on ose demander aux étrangers de se comporter ici comme nous le faisons. Ils s'étouffent d'indignation si quelqu'un se permet de manquer de respect à quelque liturgie bouddhiste mais trouvent parfaitement normal qu'on entre dans une cathédrale dans la tenue avec laquelle on se rend à la plage. Ils mettent un point d'honneur à prononcer les noms des capitales étrangères comme les autochtones les prononcent, mais ils trouvent détestable qu'on reprenne ceux qui parlent mal le français. On pourrait continuer longtemps… sans aucun espoir d'ouvrir les yeux de ces aveugles par volonté. La réciprocité est un concept qui ne parvient pas à leur cerveau, ou, plus exactement, qui arrive bien à leur cerveau, mais à un cerveau amputé d'une moitié, celle qui précisément permet à un être humain de juger de la réalité avec une certaine équité, dans un certain équilibre, avec une certaine justesse, sinon justice. 

Il est assez amusant de voir la France tout récemment mise en accusation par l'Europe progressiste pour la manière dont elle traite ses opposants à la modernité, cette même Europe vide de sens et profondément défaitiste qu'elle a infligée sournoisement à son peuple. C'est Moderne contre Moderne, c'est la mariée mise à nue par ses célibataires, même. Tout ce que les progressistes ont mis des décennies à imposer à des esprits assoupis et culpabilisés se retournerait donc in fine contre eux ? S'ils avaient pu penser qu'un jour leurs propres armes seraient utilisées contre eux, désormais nus comme les vermisseaux qu'ils sont, et que cette nudité, qu'ils avaient réussi à cacher si longtemps, commence à se voir, et même à crever quelques yeux… Les démocraties européennes se sont patiemment dépouillées de leurs derniers atours, ont abandonné leurs dernières protections, avec une louche mauvaise conscience, et maintenant qu'un pauvre chiffon blanc cache tant bien que mal un sexe rabougri et honteux, l'Organe hors-sol, le Machin délocalisé à Bruxelles viendrait par-dessus le marché fesser leurs croupes déprimées ? C'est trop injuste ! Pour un peu, on en pleurerait, si notre Grand Chamboultou 1er n'était si retors et malfaisant, par delà son maquillage dégoulinant de bisous.

Le Grand Verre brisé a été rafistolé tant bien que mal, et c'est à Philadelphie qu'il faut se rendre si l'on veut le voir. L'Europe brisée ne sera sans doute bientôt plus visible que dans les livres d'histoire que personne ne lit plus.

(à Michel Gandilhon)

jeudi 27 juin 2013

Pourtoussisme


Demain, l'art sera libre et généreux ! C'est France-Cul qui le dit. Jusqu'à présent, bien sûr, l'art était prisonnier et radin, replié sur son petit derrière sale et étriqué d'art conservateur, peureux, compassé, frileux, agressif comme un vieux chien malade, et puant son hétéromanie ringarde. Auparavant, l'art était colonial, collabo, consanguin, égoïste et aristo, et bien sûr, honte sur lui, élitiste ! Autrefois, l'art était fasciste, nazi, enfin, quoi, merde, de droite

Heureusement, ces temps-là sont révolus. Depuis un certain Lang, Jack Lang, depuis un certain Mao, qui allait leur salir un peu les mains, à ces artistes qui ne savaient même pas faucher ni faire pousser du riz, sont venus tous ceux qui ont voulu faire prendre l'air à ces momies prétentieuses et coupées-des-vrais-gens, les sortir de leurs tours d'ivoire, les confronter aux réalités réelles du social, du terrain, des valeurs et de la rébellion programmée, en un mot en faire des citoyens responsables, solidaires et durables payant leurs impôts avec la gratitude émue de qui sait ce qu'il doit à son État et à sa RIVP*. Des routes, des hôpitaux et des œuvres citoyennes à chaque rond-point, voilà la feuille de route punaisée en lieu et place des pin-up impérialistes blondes aux gros nichons qui trottaient dans les vieux cerveaux malades des artistes de jadis. 

L'art, c'est comme le mariage, c'est comme le savoir, c'est comme la beauté, c'est pour tous ou pour personne ! Les Nouveaux Artistes ont parfaitement assimilé la leçon, on les voit tous les jours la réciter en y mettant le ton, et si certains persistent à ne pas vouloir comprendre, des tuteurs citoyens et responsables se chargeront de leur faire un peu de pédagogie appliquée en leur coupant les vivres, en photoshopant toutes les photos où ils apparaissaient et en les dénonçant aux comités des bonnes valeurs associées, subventionnées par l'État, qui fleurissent un peu partout : les Assoces.  

Il est très divertissant d'entendre les Nouveaux Artistes railler par exemple le Réalisme Socialiste ou l'art pompier d'antan, alors que leurs réalisations dépassent de très loin tout ce qui a pu se faire dans ce domaine. Mais on ne mord pas la main qui vous nourrit, surtout quand cette main est libre et généreuse.

(*) Régie Immobilière de la Ville de Paris

mardi 25 juin 2013

Désir d'enfant…

Madame, Monsieur,

vous avez toujours voulu avoir un enfant, votre plus grande tristesse est de ne pouvoir procréer, mais vous ne voulez ni adopter un gentil petit Noir qui mourait de faim ni avoir recours à la GPA. Rassurez-vous, si nous n'avons pas les moyens de vous procurer le petit être que vous désirez plus que tout, nous avons en revanche la possibilité de vous consoler de son absence. Nous ne parlons pas de cet enfant idéalisé, de ce merveilleux bébé aux boucles blondes et aux petites mains potelées dont la photographie trône sur la commode de la chambre jusqu'à la triste vieillesse de ses parents, abandonnés par lui dans un institut spécialisé, nous parlons de l'enfant réel, celui dont vous devrez vous occuper chaque jour que Dieu fait dans l'espoir de vous pousser au suicide, cet être infâme, idiot, méchant, irresponsable, égoïste au dernier degré, désinvolte, grossier, brutal, bruyant, vulgaire et consternant de conformisme, qui semble n'exister que pour vous taper et exiger toujours plus de vous, alors que vous lui donnez déjà tout. Il est laid, il est sale, il est analphabète, maladroit, il s'habille comme un clodo, il fume au lit, il ne nettoie jamais les toilettes, il est rivé du matin au soir à son portable, il boit du Coca à table, il rote devant vous sans même mettre sa main devant sa bouche, vous ne savez jamais s'il va rentrer ou non, ni à quelle heure, il vous impose ses copines, encore plus vulgaires que lui si c'est possible, qui ne vous disent même pas bonjour lorsqu'elles s'invitent à dormir dans la chambre dont vous ne possédez pas la clef et dont, évidemment, l'entrée vous est strictement interdite, il vous ment (très mal) sans aucune vergogne, il vole sans se gêner, et il se permet de vous faire la morale sur tous les sujets, des plus futiles aux plus graves, avec la morgue imbécile de celui qui ne connaît rien à rien et qui n'a jamais eu à se battre pour exister, à qui l'on offre tout avant même qu'il ne le demande, sans bien sûr qu'il pense à remercier tant cela lui semble dû. 

Vous étiez prêts à lui pardonner tout cela, dans votre grande bonté, ce dont nous ne saurions vous blâmer. Mais voici que votre Cher Petit s'est découvert une passion (il était temps !), et qu'il s'est mis en tête qu'il était "un artiste" ! Nous sommes certains que lorsque vous aurez entendu ce que cela donne, vous serez enfin prêts à comprendre à quel grand malheur vous avez échappé. Aucun père, aucune mère, ne veut en arriver à tuer son propre enfant, et c'est pourtant ce que vous auriez fait, tout naturellement, si vous aviez dû supporter ce qui suit :




Ne nous remerciez pas, c'est notre métier.

Sons et brioches…


Charles Lamoureux (1881-1899)
Camille Chevillard (1897-1923)
Paul Paray (1923-1928)
Albert Wolff (1928-1934)
Eugène Bigot (1935-1950)
Jean Martinon (1951-1957)
Igor Markevitch (1957-1961)
Jean-Baptiste Mari (1961-1979)
Jean-Claude Bernède (1979–1991)
Valentin Kojin (1991–1993)
Yutaka Sado (1993–2011)
Fayçal Karoui (2011-...)


« Fayçal Karoui obtient un premier prix de piano au conservatoire à rayonnement régional de Saint-Maur-des-Fossés dans la classe de Catherine Collard et un premier prix de direction d'orchestre au conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris. Il est lauréat du Concours international de jeunes chefs d'orchestre de Besançon et a été l’assistant de Michel Plasson à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. Depuis 2001, il dirige l'orchestre de Pau Pays de Béarn. Il s’efforce de populariser la musique classique au-delà de son auditoire traditionnel : concerts « sons et brioches » pour les enfants, concerts à l’université, en prison, à la foire-exposition, soutenus par la municipalité via une politique tarifaire attractive. L'orchestre de Pau Pays de Béarn compte, pour la saison 2008-2009, 1400 abonnés. L'orchestre propose également une saison de musique de chambre. Il a enregistré en 2004 une version « dépoussiérée » de Pierre et le loup de Serge Prokofiev, avec Smaïn en récitant. En 2006 et 2007, il est directeur musical de l'opérette Le Chanteur de Mexico de Francis Lopez, montée au théâtre du Châtelet à Paris, où il dirige l'Orchestre national de France puis l'Orchestre national d'Île-de-France. En juillet 2006, Fayçal Karoui a été choisi pour devenir le cinquième directeur musical du New York City Ballet. Il y a commencé son mandat le 1er décembre 2006. Une annonce de février 2012 indique que son contrat prendra fin en juin 2012. En janvier 2011, il est nommé directeur musical de l'Orchestre Lamoureux. En juin 2011, il a créé avec Thierry Malandain, l'Orchestre de Pau Pays de Béarn et le Malandain Ballet Biarritz, le ballet Lucifer de Guillaume Connesson, dont il est dédicataire. En janvier 2013, il est fait Chevalier des Arts et Lettres par Aurélie Filippetti, Ministre de la Culture et de la Communication. »

(…)

samedi 22 juin 2013

En France


Argenteuil, en France. Saint-Denis, en France. Nîmes, en France. Marseille, en France. Roubaix, en France. Avignon, en France. Agen, en France

En France

Il faut préciser

C'est comme pour le camembert. Il y a le camembert de Normandie, et le camembert (fabtiqué) en Normandie. Bien lire l'étiquette !

Il faut essayer de distinguer les choses…


« Il y a la mère, enfin la gestatrice, donc, celle qui reçoit les gamètes, il y a, quand la femme elle-même ne peut pas donner ses propres ovocytes c'est une autre femme que la mère gestatrice qui donne ses ovocytes de façon que précisément il n'y ait pas un lien trop fort entre l'enfant et elle. »

« Tiens, ce samedi Georges a épousé André. T'étais au courant, toi ? Ils auraient pu m'inviter ! »

« Enfin bon, tu vois, moi je le sentais qu'ses ovocytes y valaient rien. j'ai envie d'dire que ça se voyait à l'œil nu ! »

« J'ai toujours dit qu'y avait pas de rapport, tu vois. Les gamètes c'est les gamètes, c'est pas comme si… Non, mais t'es monstrueux, arrête avec tes comparaisons moisies ! Tu me fais honte, quoi ! »

« C'est vrai que quand t'es mère porteuse, t'as juste une responsabilité, c'est assez énorme. C'est bien normal d'être rémunéré, à mon humble avis. Faut être logique ! »

« De toutes les manières, c'est pas parce que t'es mère que t'as pas droit de l'ouvrir. Non, je parle de la bouche ! »

« J'ai une relation hyper forte avec le foetus. Mais bon, je sais faire la part des choses. »

« Il est complètement homophobe, me dis pas que tu l'avais pas compris ! Faire une fixette sur une histoire de nom, c'est juste complètement dingue. »

« C'qui compte, c'est avant tout le bonheur de l'enfant. »

(…)

vendredi 21 juin 2013

21 juin, le jour le plus con


Fermez vos gueules !

Hollandie, le pays qui ressemble à une république…


Comme c'est drôle ! On nous joue la comédie du fascisme à guichets fermés depuis cinquante ans, mais lorsqu'un gouvernement socialiste, français, et moderne jusqu'au fondement, en emprunte sans vergogne certains des attributs les plus détestables, les mêmes qui étaient enclins à voir la bête immonde à chaque coin de rue ne voient rien, n'entendent rien, ne remarquent rien. Ils sont occupés ailleurs, les résistants de naissance, on ne les a pas sonnés, les événements ne sont pas dûment répertoriés dans leur précis citoyen, dans leur manuel de mutins de panurge diplômés. Le mode d'emploi-catéchisme qu'ils ont reçus à leur baptême socialo-festif a été expurgé de la période contemporaine, et surtout du chapitre dit des "yeux-en-face-des-trous".

Il faudra trouver un nom pour ce type de gouvernements. On ne va pas se donner le ridicule de l'appeler fasciste, bien que ce serait sans doute moins bête qu'on pourrait le croire à première vue, si l'on prend la peine de réviser un peu son histoire. Mais il ne faut pas s'y tromper : le grotesque n'a jamais empêché la brutalité ni l'infamie, bien au contraire. 

jeudi 20 juin 2013

C'est sur quel site ?


Devant moi, dans un magasin de fournitures pour peintres, trois dames d'"un certain âge"* font la queue afin de payer leurs achats. « Il m'appelle "mon amour", ça me gonfle ! » Les autres : « C'est sur quel site ? » Et la première de répondre à ses amies : « C'est sur Meetic. »

(*) Le "certain âge" étant tout de même entre cinquante et soixante ans…

mardi 18 juin 2013

Mille ans !


Tout le monde se demandait ce que pouvait bien être le changement et la normalité que Caramel Hollande nous promettait. C'est enfin clair. Sept cents policiers et gendarmes mobilisés pour le président à la télé. C'était dimanche soir dernier. 700… La prochaine fois qu'il sortira de l'Élysée, il faudra l'armée et les chars pour l'accompagner acheter sa baguette de pain et son paquets de clopes. C'est normal. C'est comme moi quand je vais acheter des tubes de peinture, je me fais accompagner par ma chienne, dont j'ai préalablement limé les crocs, et je préviens le RAID (ils sont discrets, je ne les ai jamais vus). Je porte constamment, même pour dormir, une ceinture d'explosifs directement reliée à un dispositif de mise à feu situé dans une dent de sagesse creuse (la dernière). Faut c'qui faut quand on vit dans un monde normal. 

Je ne sais pas si vous réalisez la chance que vous avez. Caramel Hollande, le Reich de mille ans ! On va le cloner, il ne mourra jamais. On ne sera plus là depuis longtemps, ni Poutine, ni Obama, que Caramel Hollande bougera la tête de droite à gauche et sourira à Debouzze ou à ses descendants. Le christianisme aura duré deux mille ans, c'est pas mal. Le règne de Caramel Hollande sera presque aussi long. La France aura disparu depuis longtemps mais lui sera toujours là. Ah, mes aïeux, vous avez vraiment raté quelque chose !

Planay


Pas peu fier d'avoir habité un village dont la population est sans doute la plus stable de France. 74 personne en 1962, 81 personnes en 2009 ! 


lundi 17 juin 2013

Entre les lignes


Mon rêve est de faire construire une demeure selon mes désirs. Ce sera un blockhaus. Imprenable, avec des murs très épais de cinq mètres de haut. Elle sera construite sur une hauteur, entourée de cinq cercles concentriques, distants chacun de cent-onze mètres. À chaque cercle, fortifié, deux portes, l'une au sud l'autre au nord, sauf pour le premier cercle, le plus éloigné de la maison, qui n'en comportera qu'une seule, à l'est. Cela fait plus de cinquante fois que j'en refais les plans. 

Ingeborg termine sa lettre par ces mots : « (…) entre les lignes. » C'est malin ! Depuis des semaines, je trace des lignes rouges, à la plume, sur du papier blanc, Arches, de 640 grammes. 

Croit-on que les poèmes sont de l'indicible dont le principe est atténué par un désir de mort ? Doit-on empêcher son chien d'aboyer ? Peut-on superposer le présent au présent sans disparaître ? 

J'ai rencontré un homme étrange. Il porte un appareil photo à hauteur de son sexe et prend tous ses clichés depuis ce point de vue particulier.

(…)

dimanche 16 juin 2013

Blanchiment




Plutôt qu'un long discours…

samedi 15 juin 2013

2511 après J.-C.


— À gauche, c'était le président de la France.

— Tu te fous de moi !

— Pas du tout. Il se nommait François Hollande, c'était un socialiste.

— Incroyable ! On a eu une chance inouïe, tout de même !

— Ça on peut le dire… Normalement, tout était perdu.

— Et à droite, là, qui est-ce ?

— Aucune idée.

(À Afchine Davoudi)

vendredi 14 juin 2013

Joe Dassin à Bali


On pourrait éventuellement se plaindre d'entendre du Moustaki à longueur de journée, on pourrait avoir quelques regrets d'une France française, on pourrait éprouver quelque nostalgie d'un monde plus aimable, on pourrait se lamenter, trouver le temps sinistre et les ministres bien laids. Mais la vie est ainsi faite qu'une nouvelle bientôt vous console d'habiter l'enfer. Imaginez qu'hier-soir j'apprenais qu'à Bali certains s'étaient mis en tête de faire chanter du… Joe Dassin aux enfants de ce peuple là ! Joe Dassin… Ce n'est pas une blague. Un trou du cul (je ne vois pas comment le nommer autrement) de Français s'est mis en tête d'aller apprendre la musique (sic) aux enfants de Bali, et il a choisi Joe Dassin comme ambassadeur de la musique occidentale ! JE N'INVENTE RIEN. Ah le beau couillon ! Ah la belle enflure ! Ah l'admirable salopard ! Comme le diraient un jeune ami à moi et mon grand-père Eugène : Douze balles dans la peau ! 

Debussy admirait le gamelan balinais, Debussy… et un évangéliste de la Laideur (car elle a ses curés, ses armées, ses ministres, ses martyrs, et ses diplomates) apporte à l'un des peuples les plus musiciens de la Terre ce que nous avons produit de plus bas, de plus ridiculement insignifiant, de plus misérable ! Et d'insondables imbéciles trouvent ça sympa. C'est un peu l'œcuménisme à la crapule, le vomi servi en assiette dorée, le nazisme en chambre des évadés de Sainte-Anne. Mais c'est SYMPA !

Ça me rappelle un peu le passage de Taslima Nasreen chez Ardisson, et l'ignominie qui s'était donnée à voir alors, sur ce plateau où était réunie la racaille la plus fashion : outre l'Homme en noir à la voix de Stentor, on pouvait y croiser Ruquier et sa tête de fouine, Alonso et sa tête de cheval, Dombasle et sa paradisiaque bétise. Je préfère ne pas mentionner le rappeur à peu près aussi intelligent qu'un navet mal cuit qui donnait des leçons d'islam à Taslima Nasreen. Pauvre femme, pauvre et admirable femme tombée dans cette bouche d'égoût, dans laquelle ces cloportes variqueux ajoutaient la honte à l'ignoble ! 

Il y a des jours où il est dur d'être un homme.

jeudi 13 juin 2013

La Brosse à ongles


La brosse à ongles se fait rare. On peut même dire qu'elle a complètement disparu. Il n'est pas besoin d'aller le vérifier dans les salles de bains, ça se voit à l'œil nu, sur Internet et dans la rue. En 1968, on disait "Sous les pavés, la plage". En 2013, la plage est sur les pavés (grâce au marchand de sable Delanoë), et la crasse sous les ongles. Un des premiers gestes qu'on nous enseignait jadis, dans l'enfance, était celui qui consiste à se laver les mains. Je revois Geo, un ami de mon père, plombier-zingueur et aviateur que j'admirais beaucoup, et que j'allais regarder travailler dans son atelier, un lieu que j'aimais énormément. Il avait, Geo, une manière de se laver les mains qui m'impressionnait, et qu'il m'avait enseignée, à ma demande. Ce n'est pas seulement le bout des mains qu'il lavait (il remontait très haut sur les poignets et même une partie des avant-bras), mais c'était surtout le soin avec laquelle cette tâche était réalisée qui a marqué le jeune esprit que j'étais alors. L'opération durait suffisamment pour devenir une technique, un art, une morale en acte.

Une morale, oui. Hier encore, je devais expliquer à un élève de piano qu'on ne soigne pas seulement ce qui se voit (ce qui s'entend), mais aussi, et peut-être surtout, ce qui ne se voit pas. Il me regardait avec étonnement : "Mais à quoi ça sert, si personne ne l'entend ?" Alors, exaspéré, je lui ai parlé de ces jeunes femmes fardées, parfumées, vêtues avec soin, mais dont l'hygiène est douteuse. L'hygiène, ce qui ne se voit pas, ce qui est au-dessous, mais qu'on doit pourtant aux autres autant qu'à soi-même. Les ongles… On en revient toujours là. Les ongles : le moyen le plus simple et le plus rapide pour voir si quelqu'un a de l'hygiène (et donc de la morale). Une amie me parlait il y a peu d'un gynécologue qui fumait dans son cabinet. Pourquoi fumait-il ? À cause de l'odeur… Eh oui, à cause de l'odeur de la crasse, parce que, désormais, une femme n'hésite plus à aller chez son gynécologue avec un sexe sale. Maquillée (à outrance), parfumée (à outrance), mais sale… Et on s'étonne des infections nosocomiales ! « Je viens comme je suis. » En effet. Sales en bas, sales en haut, mais avec le dernier piercing à la mode, avec le dernier tatouage à la mode, et avec cette foutue épilation intégrale. Rien ne sera épargné aux gynécologues, qui ont pris la place des confesseurs d'antan. Ceux-là avaient les oreilles offusquées, eux ce sont les yeux et le nez.

Mais tous, nous sommes les témoins ébahis de cette nouvelle crasse, physique, mentale, et morale ! On crache par terre, des femmes (à Paris !) défèquent sur les trottoirs, et les élèves de piano pensent qu'on ne doit soigner que "ce qui s'entend"…

Aujourd'hui, seuls les chirurgiens, les fous et les assassins se lavent les mains. 

lundi 10 juin 2013

Force et attrapes


La banalisation…euh… des mots… euh… de la haine… euh… favorise, nous le savons… dans le débat public… ou sur… euh… internet… euh… le passage… euh… à l'acte… et nous devons… euh…  tout faire… pour… euh… éradiquer… euh… ces messages… euh… de haine…

Ainsi s'exprime Manu le Valseur, sur le ton grave des HLPSDNH. Derrière lui, dans la rue où lui sont tendus micros et caméras, on aperçoit heureusement des visages graves, empreints gravement d'une émotion grave et républicaine. Jusqu'aux rides sur le front des visages graves, qui sont graves et républicaines, profondes et graves. Ils froncent le front de la Fronce gravement, les républicains graves qui accompagnent Manu le Valseur dans son numéro de gravité grave. C'est beau comme de l'antique, et, en un sens, c'en est, de l'antique, car ce que Manu le Valseur et son beau modèle, François le Dernier, imitent, sans y parvenir le moins du monde, et c'est bien cela qui fait farce, est François le Premier et sa cour, qui les ont précédés de quelques décennies en les murs de la République. François le Premier avait inventé le Front National et-sa-nébuleuse, et ses lointains ayant-droits en récoltent aujourd'hui encore les dividendes, gravement préoccupés de ne pas dilapider le précieux héritage. Il y a bien eu Jospin pour révéler l'origine et la nature du pactole, mais on l'a rangé dans son île, d'où il n'est pas prêt de sortir, sauf quand ce sera son tour de proposer son corps glorieux au mijotage théologal. Que l'extrait du petit discours faussement improvisé de Manu le Valseur reproduit scrupuleusement plus haut ne veuille strictement rien dire n'a pas la moindre importance, ou plutôt, est essentiel, car le message se situe à l'évidence ailleurs que dans l'in-sens de l'in-énoncé. Sauf pour un mot : "éradiquer". Les autres vocables sont là comme marqueurs, ils ont les visages familiers des légumes ordinaires qui composent la soupe églogale de la Gauche (et quand je parle de la Gauche, je parle bien entendu de la vraie Gauche, et pas seulement de celle qui porte ce nom aujourd'hui). L'unique molécule agissante est l'éradication, une potion que la Gauche manie depuis toujours avec le sens inné de la médecine radicale qui la caractérise. Ce que la farce dit parfaitement, en l'occurrence, c'est : « Fini de rire. Il n'existe pas d'Ailleurs, il n'existe pas d'Autre. Et si jamais il en existe encore quelques traces, ici ou là, nous les éradiquerons sans états d'âme. Nous sommes à la fois le Peuple, le Légitime, la Force, la Raison, la Manière, la Cause. Nous sommes le Bien sans Reste, et nous entendons le rester. » 

Je ne sais pas si tout le monde connaît le sens du mot "éradication", en français, mais il vaut la peine d'être rappelé : « Élimination complète d'une espèce animale nuisible » ou encore : « Suppression complète d'un organe, d'une tumeur, d'une lésion ». La "tumeur", aujourd'hui, c'est tout simplement ce qu'il faut bien appeler par son nom : la dissidence. Quant à "l'espèce animale nuisible", elle est clairement constituée de tous ces Français qui persistent à ne pas vouloir être remplaçables, ni remplacés. Ça fait (encore) un peu de monde, mais ce n'est pas ce qui effraie les totalitaires qui sont en passe de réussir là où des Staline et des Lénine avaient encore l'excuse des débutants. 

dimanche 9 juin 2013

Agustin Anievas


J'aime de plus en plus Agustin Anievas. Écoutant la quatrième ballade de Chopin par Horowitz, Perlemuter, Arthur Rubinstein, Pollini, Zimerman, Cziffra, Anderszewski, Ashkenazy, et lui, Anievas, je suis frappé à nouveau par son élégance, sa simplicité, sa droiture, et sa technique sans faille mais sans ostentation. Le plus opposé à toutes ces qualités est sans doute Horowitz, sans parler d'Anderszewski, insupportable de maniérisme et de sophistication bête.

C'est très curieux, comme avec certains immenses pianistes, je pense ici en particulier à Horowitz et à Richter, on est, la plupart du temps, extrêmement déçu par la réalité de leur jeu, et souvent même exaspéré. Comment, Horowitz, le plus grand pianiste du monde, c'est ça ? Cette désinvolture, ce côté relâché, imprécis, sale, épais, brutal, et techniquement approximatif, c'est Horowitz, le pianiste par excellence, le Liszt du XXe siècle ? Je me rappelle une sonate de Liszt (il l'a enregistrée plusieurs fois) que j'avais apportée à mon maître, et qui, l'ayant écoutée, avait seulement lâché : « Ça ne vaut pas un clou. » Il faut bien se l'avouer, malgré ce que cela nous en coûte : la réalité ne correspond pas toujours à l'image que nous avons de ces très grands artistes. Combien de fois Richter m'a semblé exaspérant, et pire, décevant ! Et pourtant je n'oublierai jamais la seule fois que je l'ai vu jouer en concert, il y a bien longtemps, à Saint-Denis. Il y avait joué entre autre les novelettes de Schumann, et je crois bien que plus jamais je n'entendrai pareille merveille. Rubinstein, aveugle, était dans la salle, et toute l'assistance avait été bouleversée parce ce qu'elle avait entendu ce soir-là.

Chopin est un compositeur très difficile à interpréter. Qui est-il, comment jouait-il, quelle sonorité avait-il, que cherchait-il ? On croit savoir, il n'est pas si loin de nous, et pourtant, plus le temps passe plus il semble mystérieux et inatteignable. Quand on voit jouer ceux qui l'ont entendu (je pense en l'occurrence à Francis Planté), on se dit que ce n'est pas possible, que ce ne peut pas être ça, Chopin ! Et puis il y a les innombrables témoignages écrits, racontés, transmis, et puis les écoles, et puis les traditions, et puis les disques… Il me semble que Chopin est paradoxalement le compositeur le plus mal connu au début du XXIe siècle.

Anievas va droit au but, sans chercher, avec une honnêteté sonore rarissime. Il est facile de dire que la poésie de Chopin ne doit pas être sollicitée, qu'elle doit venir naturellement du texte, mais il est extrêmement difficile de jouer ainsi sans être platement "objectif". Mais le plus étrange est encore que lorsqu'on veut trouver une interprétation qui soit proche de celle-ci, on est obligé de se tourner vers quelque chose de très différent, comme celle de Rubinstein par exemple. Quelle est donc la vérité de Chopin, pour se trouver ainsi dans des exécutions qui sont parfois à l'opposé les unes des autres ? Que la musique est donc compliquée !

samedi 8 juin 2013

Enchaînements


La fonction "aléa" d'iTunes me fait faire régulièrement des découvertes très intéressantes. Tout à l'heure, j'étais ravi d'écouter deux préludes (opus 103) de Fauré par Casadesus. Mais c'est surtout l'enchaînement proposé par iTunes qui m'a surpris et instruit à la fois. Une fois le deuxième prélude achevé, j'ai pu entendre la quatrième ballade de Chopin comme jamais je ne l'avais entendue. 

Premièrement, il ne me serait jamais venu à l'idée, je crois bien, de passer de ce Fauré-ci à ce Chopin-là. Contrairement à ce qui me paraissait aller de soi, la transition était merveilleusement "naturelle", et c'est précisément cette qualité qui m'a surpris. Chopin est pourtant fort éloigné de Fauré, ou plutôt Fauré de Chopin, mais je me reproche maintenant de n'avoir jamais réellement entendu en Fauré ce qu'il devait à Chopin. Cette quatrième ballade est celle que je préfère du recueil, et peut-être même de tout l'œuvre de Chopin, c'est pourquoi il importe tant de ne négliger aucune écoute singulière. Je l'ai tellement travaillée, jouée, écoutée, rêvée, même, pourrais-je dire, cette ballade, que j'ai toujours peur de m'en lasser un jour, ce qui évidemment n'est jamais arrivé. 

La deuxième chose qui m'a surpris est qu'elle était jouée par Cziffra, que je n'ai pas reconnu (en tout cas pas tout de suite, pas avant la coda), et que Cziffra m'est de ce fait apparu très différent de l'image mentale que j'ai de lui. D'un autre côté, cette impression confirme ce que je pense de ce pianiste tout à fait exceptionnel (dans tous les sens du terme) : il est insaisissable, protéiforme, imprévisible. Il est capable de donner dix versions de cette ballade, probablement, et dix versions toutes différentes, selon son humeur, selon l'heure, le piano, les amis qui l'entourent, et ce qu'il a bu. Tout le contraire donc de ces pianistes d'aujourd'hui qui ont un jeu calibré au millimètre, qu'ils peuvent reproduire à longueur de concerts, et avec lequel ils peuvent gagner des concours internationaux et le cœur des directeurs artistiques des maisons de disques.

M'étonne pas qu'il se prénomme Georges, celui-là !

vendredi 7 juin 2013

Sur sa droite


André Messager écrit à Saint-Saëns pour lui expliquer pourquoi il a dû renoncer à ses fonctions de critique musical dans une revue qui voulait élargir ses audiences, manifestement (c'est moi qui souligne) :

« Je ne voulais rendre compte que de la musique, opéra, musique de chambre, musique symphonique — mais M. Canivet voulait que je parle aussi d'opéras-comiques, opérettes… »

Me voici dépassé sur ma droite, et avec un siècle d'avance, en plus — il me semble que nombre d'opéras-comiques sont bel et bien de la musique, même au sens étroit que Messager et moi nous obstinons à donner ou garder à ce mot.
(Renaud Camus, in Vue d'œil, Journal 2012)

Je pense à mon père qui avait menacé de mettre ma mère à la porte de la maison, pour la seule raison qu'elle désirait une guitare. Une guitare ? Un instrument qui ne fait même pas partie de l'Orchestre ? Et puis quoi encore ! Pourquoi ne pas écouter du Moustaki au petit déjeuner, pendant qu'on y est !

mercredi 5 juin 2013

Grâce à Bach


On apprend beaucoup en fréquentant les Facebookiens ! Tout à l'heure, encore, j'ai appris que j'étais un compositeur "très très doué", mais que, malheureusement, je faisais "de la peinture analogique"… On voit où je suis tombé ! On apprend aussi, sur Facebook, que Bach "annonçait l'avenir", ce qui d'ailleurs aurait été sa principale qualité. Il aurait permis l'invention du jazz, les Beatles auraient pu exister (quelle chance !), enfin toute la divine modernité aurait été prévue, programmée, imaginée, fécondée par le vieux à perruque. On a du bol, quand-même, que Bach ait bien voulu exister, et par là nous permettre d'entendre enfin une musique digne de nous ! 

Il y a tout de même une chose que je me demande : est-ce que c'est aussi grâce à Bach que Moustaki a pu composer ses inoubliables chansons ? 

Pleine


Je soufflais sur la sanguine quand j'ai compris. Anne-Sophie Mutter était en train de jouer l'adagio du concerto en mi de Bach. J'aime ces violonistes, tout le contraire des baroqueux, qui poussent l'archet jusqu'à faire venir le timbre à son maximum, qui poussent les harmoniques jusqu'à ce qu'elles envahissent la note, comme une coulée d'encre épaisse, charnue, pleine. On voit, on entend ces harmoniques, comme on voit les pigments, un à un, qui se dirigent vers le but qu'on leur impose doucement, s'empâtent, font vibrer la matière et font apparaître une couleur

J'aime ces femmes-là. Leurs cuisses. 

vendredi 31 mai 2013

« L'ignorance parle à l'ignorance »


Mauvaise humeur, ah, ma chère mauvaise humeur ! Je me demande vraiment comment je pourrais être heureux si je n'étais pas constamment de mauvaise humeur. Comment la mauvaise humeur peut être source de joie, comment elle peut faire naître un puissant rire intérieur, comment elle peut se moquer d'elle-même, mais sans jamais l'avouer, bien sûr, comment se moquer des autres peut-être le seul exutoire non contaminé et salvateur qui reste à l'honnête homme, voilà ce que persistent à ne pas vouloir comprendre les âmes perverties de l'Empire du Bien qui occupent désormais tout l'espace vital de la Cité. Comme le mépris est dorénavant le seul viatique permettant de se frayer un chemin entre les déjections de Festivus, je vais de ce pas augmenter drastiquement ma dose de mépris quotidien, au risque (ô combien enviable !) de la surdose. 

« Le nom d'Yves Bonnefoy, en tout cas, n'évoque strictement rien pour quatre-vingt-quinze pour cent des amateurs de châteaux — lesquels ne constituent certainement pas la couche la moins cultivée de la population…

(En revanche, la mention du moindre chantailleur de troisième catégorie de la variété illumine aussitôt tous les visages — là on est d'emblée en terrain familier.)

Avec la grande déculturation, l'ignorance a changé de statut. Jadis, au moins en milieu cultivé, on parlait sans tenir compte d'elle, la responsabilité de se renseigner a posteriori incombant à l'ignorant, qui s'en accommodait parfaitement. Aujourd'hui qu'il n'y a plus de "milieu cultivé", l'ignorance parle à l'ignorance. Elle est l'aune de tous les discours et quiconque s'aviserait d'en choisir une autre serait immédiatement sanctionné, médiatiquement, politiquement, économiquement. Le Monde écrit couramment le poète Victor Hugo. »
(Renaud Camus, Vue d'œil

"La responsabilité de se renseigner a posteriori incombant à l'ignorant, qui s'en accommodait parfaitement." N'est-ce pas la condition sine qua non de la culture, ou même, sans aller jusqu'à cette chose dont le mot est si contaminé désormais, du moindre progrès, de la plus petite élévation de soi ? C'est bien la raison pour laquelle il n'y a plus d'élèves… S'élever ! Mais cela signifierait donc qu'il existe encore un semblant de verticalité, ce qui fait s'étouffer de rage notre bon Festivus pour lequel l'égalité (donc l'horizontalité) est le mot et le terme ultime, indépassable, le But avec un grand B. 

Grande différence entre un dictionnaire et un "correcteur orthographique"… Qui ouvre un dictionnaire veut apprendre, qui utilise un correcteur orthographique désire seulement ne pas commettre de faute, ici et maintenant. Ouvrir un dictionnaire, c'est un geste, et beaucoup plus, c'est une démarche, c'est un processus. On entre dans le savoir, ça pèse, prend du temps, c'est un chemin. Se servir d'un correcteur orthographique, c'est à peine un clic, qui ne sert pratiquement à rien, car la juste orthographe sera oubliée à la vitesse du clic. 

Nous sommes trois à table. Mon amie, plus jeune que moi, mais tout de même à peu près de ma génération, et sa filleule, jeune femme de vingt ans, très bien élevée, jolie, distinguée, à la vie dramatiquement marquée par la mort très violente de ses parents. La conversation en vient à évoquer un "célèbre" groupe de variété des années 70 (si je me souviens bien) : ABBA. Je confesse que ce nom ne m'évoque absolument rien, que c'est la première fois que j'en entends parler. Mon amie n'en revient pas. Littéralement, elle ne me croit pas… C'est impossible, d'après elle ! ABBA, enfin, ABBA, tu sais bien, et elle se met à chantonner un air, qui lui non plus ne me dit absolument rien. On me regarde un peu bizarrement. Certainement, je cherche à me distinguer, j'occulte, peut-être inconsciemment, une mémoire que j'aurais dû, obligatoirement, avoir en commun, puisque je suis "de cette génération-là", la génération qui a forcément écouté ABBA. J'ai beau jurer sur ce que j'ai de plus cher que non, vraiment, c'est la première fois que j'entends ce nom… Intérieurement, je me dis que dans les années 70, c'était Cecil Taylor, Michel Portal, Stockhausen, le New Phonic Art, mais je ne vais pas jusqu'à prononcer ces noms, je ne veux mettre mal à l'aise personne. Bien sûr, j'avais entendu parler de Claude François, par exemple, mais je ne l'écoutais pas, je préférais la sonate en si mineur de Liszt. Bref.

Aujourd'hui, quand il m'arrive le soir à neuf heures de mettre la radio qui est censée nous parler de culture, en France, donc France-Culture, j'y entends Arnaud Laporte qui parle avec ses camarades… d'ABBA, dans leur émission, La Dispute. Ils savent tous de qui et de quoi il s'agit. C'est dans des moments comme ceux-là qu'on mesure le chemin parcouru, ce même chemin qui mène à Facebook, aussi sûrement que deux et deux font quatre, ou faisaient quatre, quand Festivus suçait encore son pouce, avant de le lever. 

mercredi 29 mai 2013

Il (ne) faut (pas) !


« Il faut traduire hybris (ὕϐρις) ! »* « Il faut se mettre à la portée des élèves. » « Il faut se faire comprendre. » « Il faut parler avec les mots de tout le monde. » 

Il faut…

Non, il ne faut pas. Non, non et non. Achetez-vous des dictionnaires, allez sur Internet, lisez des livres, étudiez les langues étrangères, écoutez parler des savants, mais fichez-nous la paix ! Démerdez-vous ! 

Merde à la fin !


(*) Entendu samedi dernier à la radio

mardi 28 mai 2013

Chanter



Mendelssohn et Krenek, quel rapport ? Entendant un peu par hasard le concerto pour violon du premier, j'ai immédiatement pensé à la troisième sonate opus 92 du deuxième. 

À chaque fois que j'entends l'ouverture du concerto de Mendelssohn, je suis frappé par la manière dont le thème commence immédiatement, sans préambule, et c'est exactement la même chose pour la sonate de Krenek, avec un caractère plus abrupt, étant donné la nature propre du thème en question. J'aime infiniment ces commencements sans chichis, sans précautions, sans rien qui vienne suggérer, donner envie, sans artifice. Quand on a un thème comme ceux-là au bout du crayon, on a envie de le faire entendre tel qu'il est arrivé, dans sa perfection inouïe

À peine est-il exposé qu'il se déploie avec le naturel de la matière vivante en train de s'ébattre comme un jeune chien qui découvre le jour (ici je pense plus particulièrement à Krenek), les gestes, les tensions et les détentes, les questions et les réponses sont tous évidents, ils ne cherchent pas la beauté, ils sont seulement et heureusement nécessaires. Le thème du concerto porte en lui plus de musique (plus de tradition, plus de mémoire), il a encore moins besoin de dire, il est issu du Chant, du chant immémorial, de ce besoin spontané et mystérieux qu'ont les hommes de chanter quand ils sont heureux ou malheureux, c'est une voile gonflée, parce que la vie est là, tout simplement. Cette qualité du cantabile irrépressible, sans avoir l'air d'y toucher, est évidemment l'une de celles qui rendent Mendelssohn si précieux, si unique. Quelle merveilleuse jeune fille est-ce là, pour être emplie d'une telle inspiration, à la fois candide et profonde, généreuse et libre, digne et élégante, grande dans sa simplicité ?

On peut mourir de nostalgie, quand on prend conscience que cette jeune fille a réellement existé, jadis. 

lundi 27 mai 2013

Absence de la musique


C'est très rare mais ça arrive. Les Fantasiestücke opus 12 de Schumann, une des œuvres de lui que je préfère, n'existent pas. Elles existent bien entendu comme œuvre, comme texte imprimé, elles existent dans ma tête, dans mes fantasmes, mais je n'ai jamais entendu de version de ces fantaisies qui me satisfassent pleinement. Il ne me vient à l'esprit, à l'instant, aucune autre œuvre du répertoire pour laquelle une semblable situation se présente. Il en existe, mais, la plupart du temps, fort heureusement, nous identifions une œuvre musicale avec l'une (et parfois même plusieurs) de ses multiples interprétations. Le terme d'interprétation, bien que juste, n'est pas pleinement satisfaisant. Ce n'est pas seulement d'une interprétation qu'il s'agit, bien qu'il s'agisse de cela pour une très grande part. Jouer les Fantasiestücke de Schumann n'est pas uniquement l'interpréter, au sens propre et inévitable (puisqu'il est manifestement impossible de jouer une œuvre de manière totalement objective (ce n'est même pas d'ailleurs qu'il soit impossible de le faire, c'est d'abord et avant tout qu'on ignore ce que pourrait bien être le fait de "jouer une œuvre de manière objective" (il m'est arrivé, dans mes moments de folie, de chercher ce que cela pouvait bien vouloir dire, en utilisant l'ordinateur (le bien nommé) pour lui faire jouer une partition à sa manière qui n'en est pas une, et je n'en ai pas été beaucoup éclairé))), jouer les Fantasiestücke consiste d'abord à les jouer, c'est-à-dire à les faire exister, à les rendre audibles, à leur donner une forme sonore susceptible d'être comprise (encore un terme qui demanderait à être défini précisément, mais ce n'est pas le moment), donc entendue, par un auditeur. C'est toute la différence avec les autres arts : n'importe qui peut prendre un livre de Heidegger en main et s'en faire une idée par lui-même, n'importe qui peut aller au Louvre et regarder un tableau de Poussin, et dire : j'aime, ou je n'aime pas. Il est possible que le lecteur ne comprenne pas vraiment Heidegger, mais il aura au moins la sensation de comprendre les phrases qu'il lit, même si elles perdent pour lui l'essentiel de leur résonances et si leur sens proprement philosophique lui semble confus ou abscons, même si, les lisant, il est en plein contre-sens. Il est probable que le contemplateur de Poussin aura l'impression de voir ce qui se trouve sur la toile, de repérer des personnages, un décor, une heure du jour et peut-être la saison qu'ils habitent, même s'il est probable qu'il passe à côté de l'essentiel. Mais si l'on met la partition des Fantasiestücke entre les mains d'un non-musicien (même mélomane), cela ne lui dit à peu près rien sur la musique dont elle est la trace écrite. Ou plus exactement, cela lui dit bien quelque chose sur la musique, cela le renseigne sur cette musique, et il y trouvera bien des détails et des motifs (surtout dans le hors-texte, dans les didascalies musicales que sont les "nuances" et autres signes d'interprétation) qu'il n'avait pas soupçonnés en tant qu'auditeur, cela lui apprendra des choses sur et autour de la musique (car une partition n'est pas que musique, elle est aussi texte, elle est aussi dessin, forme et formes, signes (certains dont je viens de parler sont dans le domaine public, sont écrits "en français")), mais il ne l'entendra pas (donc ne la comprendra pas), malgré toute sa bonne volonté. Pour le dire autrement, il peut apprendre beaucoup, mais pas l'essentiel, qui est hauteurs + rythmes, au minimum. La partition reste lettre morte, ou dans le meilleur des cas langue étrangère : Il ne l'oit pas, il ne l'entend pas, il ne la comprend pas. Au moins oit-on une langue étrangère ; si on ne l'entend pas, on peut l'écouter (c'est d'ailleurs souvent un grand plaisir que de ne pas comprendre ce qui se dit tout en entendant des mots). Le non-musicien est dans l'impossibilité d'écouter (seul) la musique qui se trouve sur une feuille de papier, il lui faut un médiateur, pour ce faire, l'instrumentiste, l'interprète, le musicien, le joueur. Depuis l'invention de l'enregistrement et de la reproduction sonores, on a tendance à l'oublier, celui qui joue, et c'est parfois un grand bonheur, mais ce qu'on entend quand on "met un disque" n'est qu'un simulacre sonore, le haut-parleur ne frotte pas un archet sur une corde, il ne frappe pas des cordes ou une peau avec des marteaux ou des baguettes, il ne met en branle aucune corde vocale, il ne fait qu'agiter l'air qui se trouve entre lui et vous. Et pourtant, le paradoxe est que ce simulacre sonore est bel et bien la musique. En un sens, il l'est encore plus — la musique – que ce que nous entendons lorsque nous allons au concert, en nous coupant du visuel, et il l'est infiniment plus, pour l'auditeur, en tout cas, que la lecture d'une partition.

La musique est vraiment un art à part, celui où le contre-sens n'existe pas et où le malentendu est omni-présent (il est même possible que ce soit l'inverse). Elle est également le seul art où les tricheurs sont instantanément démasqués. Je peux faire une exposition demain matin, sans jamais avoir appris à dessiner, à peindre, sans avoir la moindre "technique" que ce soit, je peux écrire un livre entier sans avoir la moindre idée de ce qu'est la littérature, sans connaître ni Tolstoi ni Homère ni Balzac, et sans même être contraint par les règles de la syntaxe ou de la grammaire. On voit ça tous les jours. Je peux difficilement monter sur scène pour jouer l'opus 111 de Beethoven sans posséder un certain répondant technique — un pianiste sans pianisme sera immédiatement identifié avec juste raison à un escroc ou à un fou (c'était du moins vrai jusqu'à tout récemment). La musique se rapprocherait en cela de l'architecture (un immeuble doit tenir debout, avant même qu'on sache s'il est beau ou laid), mais n'importe qui a la certitude de pouvoir voir un bâtiment, et ce même n'importe qui n'a en effet besoin d'aucun intermédiaire pour voir la tour Effeil ou le Louvre, il n'a qu'à ouvrir ses yeux. Le plus immatériel des arts est aussi le plus intransigeant, celui qui réclame le plus de travail, celui qui s'en laisse le moins compter.

"Qu'à ouvrir ses oreilles" ? Mais comment fait-on ? Comment fait-on pour ouvrir quelque chose qui n'est jamais fermé ? À partir de quand commence-t-on à écouter ? Écoute-t-on jamais ? Récemment, j'ai été très frappé par la réaction d'une jeune élève de piano, à qui je disais (de manière un peu ridicule) : « Et maintenant, je vais t'apprendre à écouter. » Elle a ouvert de grands yeux, m'a regardé comme si j'étais fou, et m'a répondu : « Mais c'est ce qu'il y a de plus facile ! Il n'y a rien à faire ! » Enseigner le rien, on voit par là mon intrépidité. Non seulement j'avais la prétention d'enseigner le rien, mais en plus je croyais pouvoir enseigner quelque chose que je ne suis pas certain de savoir faire moi-même. Au moment où j'écris ces mots, j'entends le troisième mouvement du seizième quatuor de Beethoven. Est-ce que je l'écoute ? Non. Est-ce que je l'entends ? Oui et non. Pour l'entendre, il faut le connaître d'abord. Et pour le connaître, comment fait-on ? Il faut commencer par l'écouter, mais surtout l'entendre. Mais personne ne m'a jamais appris à écouter, et encore moins à entendre… Quatre verbes, en français, sont au cœur de ce problème semble-t-il insoluble : ouïr/écouter/entendre/comprendre. On peut penser que je les ai écrits dans l'ordre, l'ordre qui indique l'éveil de la conscience, de la volonté, de l'entendement, précisément. Mais rien n'est moins sûr. Bien sûr, l'"ouïr" semble premier, car il nous est donné à la naissance, comme à tous les animaux, pour lesquels l'ouïe est le sens fondamental, celui qui prévient du danger. Avant d'aller au concert, il s'agit de rester en vie. C'est la raison pour laquelle nos oreilles ne possèdent pas de paupières : c'est un sens qui doit sans cesse rester en alerte. C'est également la raison pour laquelle mon élève prétend qu'il n'y a rien à faire pour entendre. Elle n'a pas tort : on ne cesse d'entendre, même en dormant. Et ce n'est pas seulement "ouïr", ce qu'on fait alors, car il faut bien interpréter les sons qui parviennent au cerveau, il faut bien les discriminer, selon leur sens, porteur ou non de danger. On est donc immédiatement dans le "comprendre", qui semble court-circuiter l'"écouter". C'est là qu'intervient, croit-on, ce merveilleux verbe français, entendre, qui signifie à la fois ouïr et comprendre, mais également, et peut-être surtout, ne signifie ni l'un ni l'autre.

Longtemps, Beethoven m'a intimidé. Quand mon maître me donnait une de ses sonates à travailler, je le faisais, bien entendu, et avec un immense plaisir, encore, mais en même temps je ne pouvais m'empêcher de dire : "je ne comprends pas cette musique". Quelque chose en elle me restait tout à fait étranger, me résistait, alors que c'était sans doute le compositeur le plus entendu à la maison, depuis mes premières années. L'Empereur, la Pathétique, l'Appassionata, l'Héroïque, la Pastorale, la Cinquième, la Neuvième, le concerto pour violon, le Printemps, etc., toutes ces œuvres faisaient partie naturellement de l'ambiance sonore dans laquelle nous étions élevés. Nous ne les écoutions pas, nous les entendions. La langue maternelle était le français, la langue paternelle était le Beethoven. Ces deux langues, nous les entendions. Sans peut-être, sans toujours les comprendre… C'est ce que j'ai compris quand j'ai dû, non plus écouter, mais lire Beethoven.

Quand on est enfant, on joue de son instrument. L'interprétation ? Connaît pas. On joue du piano, on joue avec le piano, le piano se joue de nous, parfois, mais on ne songe jamais ce faisant à la traduction d'une langue dans une autre. Pourquoi faire, puisque nous entendons ! Et tout à coup, vers l'adolescence, on comprend qu'il s'agit là de poésie, c'est-à-dire de quelque chose de pas tout à fait normal, que cette langue pourtant familière n'est pas la langue de tout le monde, qu'elle passe à travers une sorte de filtre, de boîte noire, de chambre sourde, qui va lui donner un éclat singulier, qui va la rendre étrangère au "monde des sons", de la même manière qu'un écrivain, lorsqu'il l'est vraiment, écrit toujours dans une langue étrangère, même quand il écrit dans sa langue maternelle. La musique n'est à l'évidence pas "du son", comme on s'escrime aujourd'hui à tenter de nous le faire croire. Le son sert à nous renseigner sur ce qui nous entoure, à nous prévenir. La musique servirait plutôt (à condition qu'elle serve à quelque chose) à nous enseigner, et, si elle nous prévient de quelque chose, c'est uniquement de la mort inscrite dans la vie (ce qu'il y a de plus singulier en nous), et de cette dernière lorsqu'elle survit à la mort, lorsqu'elle la traverse, comme l'absence traverse la présence, et l'être, toujours.

Quelqu'un me demandait il y a peu ce que j'aimais "comme musique, à part la musique savante". Mais, à part la musique savante, il n'y a rien, "comme musique". La musique est savante ou elle n'est pas. Même lorsqu'elle est "populaire". La musique, c'est précisément ce quelque chose de plus que le son, ce quelque chose qui demande à être entendu, qui exige de se faire écouter, et, si possible, comprendre. La chanson, puisque souvent c'est d'elle qu'il s'agit, quand on vous pose ce genre de questions, a précisément besoin d'autre chose qu'elle-même pour exister, que ce quelque chose soit "les paroles" (que je distingue du "texte" de la chanson), ou de tout un contexte sentimentalo-sociologique qui dépend entièrement de l'époque. Il va sans dire qu'il en va de même pour le rock, le rap, la pop-music, et tout ce genre de choses qu'il est inutile de nommer. La Messe de Guillaume de Machaut, même privée de son contexte historique et du faisceau de sens qui sans aucun doute l'accompagnait au moment où elle fut écrite, est toujours écoutable, et le sera encore dans cinq siècles. Il reste quelque chose, même si l'on ôte ce que les critiques d'aujourd'hui aiment appeler le sous-texte, quelque chose qui résiste au temps, aux effets de mode, aux inévitables transformations du goût, aux sensibilités éminemment diverses, parfois contradictoires, des individus qui composent la race des mélomanes. Cette faculté de la musique à rester vivante, même cinq siècles après que l'auteur est mort, est bien entendu à relier à ce qu'il est convenu d'appeler la technique, qui, rappelons-le, veut dire "art", en grec. Il est à cette occasion permis de faire observer que les grandes œuvres se passent en général très bien de "mode d'emploi", alors que les laborieuses constructions conceptuelles de l'art dit "contemporain" (et je ne parle pas là uniquement des "arts plastiques") nécessitent en général des kilomètres de texte pour arriver à nous convaincre qu'il y a quelque chose à voir (ou à entendre). On ne doit surtout pas expliquer en quoi l'opus 111 (ou le 21e concerto de Mozart) est une des œuvres majeures de l'art occidental. La pédagogie, à ce niveau-là, relève de la faute morale. Tout le monde n'écoute pas l'opus 111 le matin en prenant sa douche ? Et alors ? "Aucoun' importanz", comme disait Picasso à une dame qui lui reprochait de peindre des choses qu'elle n'aimait pas. Et même s'il n'existe que cinquante personnes en France pour l'écouter régulièrement, l'opus 111 reste cependant, quoi qu'on fasse, une des œuvres les plus considérables qui aient vu le jour depuis que le monde est monde. Si un jour, ce qu'à Dieu ne plaise, les Français dans leur ensemble écoutaient régulièrement l'opus 111, c'en serait fini de la vie de l'esprit, et, même, de la possibilité de la vie de l'esprit. Que cette œuvre, entre autres, soit à ce point éloignée de la possibilité d'être aimée du plus grand nombre est la garantie que l'art est encore l'un des buts les plus hauts de l'esprit humain. Et si l'on voulait à toute force faire en sorte qu'elle le soit — aimée –, du plus grand nombre, il faudrait pour cela faire descendre les dieux parmi nous, en les mettant à notre niveau, ce qui aurait pour effet immédiat de les supprimer de manière radicale et définitive. Mais il est vrai que la chasse aux dieux est un sport très pratiqué en nos temps de démocratisation radicale. Depuis que nous autres Français avons guillotiné le roi, et qu'en plus d'avoir commis cet assassinat abject nous nous en vantons et en commémorons le jour, le raccourcissement et l'aplatissement de tout ce qui fait mine de surplomber un tant soit peu l'ordinaire sont devenus la seule geste autour de laquelle nous nous consolons d'être ce que nous sommes.

On peut connaître l'opus 111, on peut savoir cette œuvre par cœur, savoir à chaque instant quelle note va succéder à telle note, sans pour autant avoir idée de ce qu'est l'opus 111. L'étrange est que la musique, comme je le disais plus haut, la musique de l'opus 111, se tient tout entière dans ce qui arrive à nos oreilles, et pourtant, j'en jurerais, il n'est pas possible de savoir réellement ce qu'il en est sans avoir lu la partition. J'ai l'air de me contredire, mais je crois vraiment que l'essence de l'opus 111, pour autant qu'elle existe, ne se situe ni dans le phénomène sonore qui nous est donné lorsque nous l'entendons joué, ni dans la partition qui nous sert à le jouer, et pas non plus dans l'interprétation que nous en donnera un pianiste, fût-il le plus grand, et qui ne sera finalement que l'écart entre ce que nous lisons et ce que nous entendons, le jeu (au sens mécanique du terme) que ce pianiste introduira entre des signes et ce qu'ils signifient pour nous. Ce sens, cette essence, ne peuvent donc pas s'appréhender sur le champ, instantanément, mais se construisent dans le temps, grâce à la mémoire, à l'expérience, à la mémoire et à l'expérience de nos sens, donc à leur inscription dans notre corps, tout autant qu'à celles de notre esprit. C'est à partir du moment où l'on prend conscience du caractère étrange et "étranger" de la musique de Beethoven qu'on est en mesure de pouvoir, enfin, s'approcher d'elle. Et ce caractère étrange nous est en général donné au moment où l'on travaille une œuvre, où la confrontation entre partition et jeu (comme ensemble de possibles sonores) se matérialise par le truchement de l'instrument. C'est un paradoxe. Nous devrions nous familiariser avec une œuvre (et c'est bien le cas, en un sens), et ce travail nous en éloigne, parce qu'il nous met face à un texte qui se met à révéler sa véritable nature, et qui, pour advenir, emprunte des chemins que jamais nous n'aurions imaginés. L'interprétation est sans doute l'histoire de ces multiples détours indispensables, de ces jeux incessants d'approche et d'éloignement, qui permettent aux musiciens de rencontrer dans le même temps une œuvre et son compositeur, quand ils acceptent pour ce faire de se perdre un peu eux-mêmes.

Dans le cas des Fantasiestücke opus 12, tout se passe pour moi comme si personne n'avait encore rencontré à la fois l'œuvre et le compositeur. Il est à peu près certain que je me trompe, mais pourtant cela me paraît indiscutable. C'est ce qui me fait dire qu'elles n'existent pas. Qui sont donc ces compositeurs qui ont le culot de composer des œuvres inexistantes, et, parmi celles-ci, d'y glisser de purs joyaux ? Pour qui se prennent-ils, ces compositeurs ? Nous méprisent-ils assez pour se livrer à ce genre de facéties, pour nous tenir éloignés de leur musique, pour nous en priver, dans le même temps qu'ils nous les proposent ? Pourquoi faire naître un désir inassouvissable ? En réalité, cette aporie ressemble au sens profond de toute la musique qui, en un sens, n'existe pas, car pour l'entendre il faut la connaître, et pour la connaître il faut l'entendre. On pourrait dire cela autrement : la musique se reconnaît bien plus qu'elle ne se connaît. Elle implique toujours qu'on soit en avance sur ce qu'elle nous propose, pour être en mesure de l'écouter vraiment. En cela réside, je crois, le secret de l'écoute musicale. On ne peut pas écouter au présent. Mais, pour être capable d'écouter en avance sur le son, il faut avoir une connaissance de la musique, de la musique dans ce qu'elle a d'immuable, au travers de ses formes infinies. Il faut se sentir (au moins un peu) chez soi dans la musique pour pouvoir en éprouver l'étrangeté qui lui donne toute sa saveur. Il ne s'agit pas d'exotisme à proprement parler, car l'exotisme est toujours un peu m'as-tu vu et comme tel déjà connu, déjà catégorisé, il s'agit d'une qualité qui ne se laisse pas prendre, ni réduire, ni même intimider par des écoutes régulières et assidues, il s'agit d'un je-ne-sais-quoi qui nous devance, qui est toujours au-delà de nous, qui est comme la flamme, à la fois brûlante et insaisissable. On voit bien qu'il y a de la lumière, et qu'elle réchauffe, mais on ne peut pas la toucher, l'arrêter ou la faire naître à volonté. On comprend bien que le temps et cette flamme sont faits de la même matière, mais on ne connaît pas cette matière. C'est ce qui est si excitant lorsqu'on prend une partition et qu'on la pose sur le pupitre.

samedi 25 mai 2013

« C'est de la merde ! »


Ils avaient remplacé la marche militaire de Cosi par l'Internationale. Teresa Berganza, qui assistait à cette représentation, s'est levée comme un diable à ressorts et a hurlé : « C'est de la merde ! » Et elle est partie. 

Le lendemain, un critique a écrit que Teresa Berganza était "une puriste"… Abruti ! Connard ! Pauvre tarte ! Comment voulez-vous discuter avec des gens pour qui respecter Mozart c'est être "un puriste" ? Et c'est encore trop dire, ou plutôt pas assez, car il ne s'agit même pas de "respecter Mozart", il s'agit seulement de ne pas être con comme un balai international.

jeudi 23 mai 2013

Ainsi la nuit

Encre et cire sur papier (42 x 60 cm)

Litanies 2

chez soi dans la nuit que déchire 
un feu au fond de son désert

(Lorand Gaspar, in Patmos et autres poèmes)

mercredi 22 mai 2013

22 mai 2013, ainsi la nuit…


Henri Dutilleux, Dominique Venner, au cœur de Paris, en France, deux siècles exactement après la naissance de Wagner et Verdi. Rien que ça… Encore dix, vingt ans au grand maximum, et la civilisation pluri-millénaire que nos parents nous ont transmise aura entièrement disparu. C'est un lieu commun, il faut très peu de temps pour faire disparaître ce qu'on a mis des siècles à construire. Quelqu'un notait ce soir : « Ils sont comme l'orchestre du Titanic qui continue à jouer alors que le bateau coule ». Sauf qu'en l'occurrence il n'y a strictement rien d'héroïque ou de noble dans cette attitude, seulement de la négligence, de l'inconscience, de l'hébétude, de la bêtise, de la couardise, du conformisme. Du rien

Les circonstances sont réunies… Comme le disaient jadis les marxistes, les circonstances sont réunies, l'édifice est branlant, il ne manque plus que quelques coups d'épaules, de pieds, de machettes, pour qu'il s'écroule dans un bruit qui ne sera même pas grandiose. Le rien opposé au rien ne produit qu'un autre rien, de la poussière et des larmes, un peu de fumée. Ensuite ?

dimanche 19 mai 2013

En Peinture


Le passage le plus drôle de Vue d'œil, le dernier tome du journal de Renaud Camus :

Ce matin, message de Philippe Manoury, le compositeur, qui semble-t-il vit désormais en Californie – je n'y ajoute ni n'en retranche rien :

« Vos peintures sont nettement moins chères que celles de Mark Rothko ou de Gerhard Richter. 
Mais vu la ressemblance, ce sont des prix intéressants !
Cependant comme il y a le risque que vous donniez cet argent au FN, je m'en abstiendrai. 
ph.manoury »

On fait toujours mieux de ne pas répondre, dans ces cas-là, mais j'ai tout de même envoyé ceci :

« Oh mais je vous en offrirais volontiers, Mon Cher Maître, ça limiterait le danger (assez mince, de toute façon). Et vous pourriez abuser les amateurs inéclairés,
Renaud Camus »

lundi 6 mai 2013

Pompier



Renard Machaut, le critique musical qui pense que l'octave contient onze degrés, pense également que "Panzéra est un mythe créé entièrement par Barthes". Il adore aussi Nathalie Dessay et porte aux nues John Adams. On n'a jamais eu beaucoup d'atomes crochus avec les critiques musicaux, mais avec lui c'est le pompon ! John Adams… On n'est déjà pas très amoureux de Steve Reich (ne parlons pas du pauvre Phil Glass, qui fait un peu pitié), mais alors John Adams, c'est un peu comme si la peinture de style pompier était placée plus haut que celle de Bacon ou de Rothko. Mais bien sûr c'est précisément le cas aujourd'hui. Qu'est-ce qui n'est pas pompier, aujourd'hui ? À peu près rien. Même les plus jolies filles aperçues dans la rue s'habillent d'une manière qui les fait paraître laides, ou qui en tout cas coupe l'envie de les contempler longuement, et l'on ne peut pas ne pas se dire que même nues, l'affreuse laideur qui envahit tout les couvrirait encore d'une pellicule étriquée et camelotante, parce que la nourriture (ou la façon de se nourrir), parce que la parole (ou simplement le timbre de la voix), parce que les piercings, parce que les tatouages, parce que l'épilation, parce que le parfum, et parce que tout simplement l'allure. Que reste-t-il d'intact ? La pornographie est peut-être de nos jours la meilleure radiographie, la plus précise, la plus parlante et la plus impitoyable, qu'on puisse consulter sur l'époque.