Je suis pieds nus, en pyjama. Je jette le gros livre par terre. Je le piétine, je monte dessus, je saute, mes talons frappent le livre, violemment. Au bout de quelques secondes, des phrases commencent à s'échapper des pages, d'abord furtivement, puis sans complexe, en désordre, elles glissent à terre, roulant les unes sur les autres, sans aucun ménagement. Je les vois qui disparaissent sous le tapis, qui frémit, qui est soulevé par endroits d'une sorte de houle, tout s'accélère, je manque de tomber à la renverse, et bientôt un grand silence s'installe… Ce qui était il y a quelques instants un fort volume de plus de mille pages n'est plus maintenant qu'une mince couverture froissée et sale à ras du sol. Vingt siècles d'histoires, de légendes, de poésie, des centaines et des centaines de noms propres, de généalogies, des milliers de récits, il a suffi de quelques secondes de rage pour que tout cela ne soit plus rien, n'ait même jamais existé.
Quand je pense que certains redoutaient cela !
On est tranquille désormais. On va pouvoir tout recommencer, calmement, de zéro, sans ce fardeau de la culture, de la religion, de la morale, des traditions. Le rêve de toute une génération, je l'ai réalisé. Cet immense service rendu aux hommes, j'ai allumé la télé, et j'ai regardé 24h chrono.