Entre midi et deux, il n'y a pas grand-monde, ça devrait aller.
Je calcule à peu près. « Vous rendez la monnaie, sur ces bons ? »
« Ah non, ça on prend pas, ça !
« Si, si, ça vous prenez, vous êtes obligés, de prendre, c'est un accord entre la mairie et votre magasin. »
Elle appelle sa cheffe. La file d'attente, pendant ce temps-là, grandit, derrière moi. Tout ce que je voulais éviter. La cheffe arrive enfin, en slalomant entre les clients, l'air très affairé, regarde mes bons jaunes, ne dit rien, mais prend son téléphone. La file grandit encore. La caissière attend, l'air maussade. Genre : je n'aime pas perdre mon temps.
Ça y est, elle sait. Elle explique à la caissière : « Tu barres le bon. Tu tapes 973 (ou 977 ?), tu édites une facture, et tu la joins au dossier. » (Le dossier ! Ils ont un dossier sur moi…) La caissière tape 973, ça ne marche pas, 977, ça ne marche pas non plus. Elle a une idée : 979. Yesss ! Bingo ! Elle édite la facture, elle barre rageusement mon bon jaune, elle agrafe le tout à un formulaire que lui donne sa cheffe, range le tout dans un dossier orange. Elle ne me rend pas la monnaie. « Pour répondre à votre deuxième question [je croyais que c'était la première], on ne rend pas la monnaie. » Ah ben merde alors. Si j'avais su, j'aurais payé en espèces. Les clients commencent à me regarder bizarrement. Je demande à la cheffe si j'ai le droit de partir, avec mes pâtes, mes citrons, mon pain, et mon jambon. Je ne demande pas mon reste. Elles ne m'ont même pas demandé ma carte d'identité…
Question discrétion, on a déjà été meilleur.
Je me dis, en rentrant chez moi, les épaules voutées : Je comprends Isabelle ; elle n'aurait jamais supporté ça.