dimanche 27 mai 2018

Légitimité


Les hommes n'ont aucune légitimité pour parler de l'avortement (ils n'ont pas d'utérus). Les Blancs n'ont aucune légitimité pour parler du racisme (ils ne sont pas noirs). Les riches n'ont aucune légitimité pour parler de la pauvreté (ils ne sont pas pauvres). Les psychiatres n'ont aucune légitimité pour parler de la folie (ils ne sont pas fous). 

Mais les consommateurs ont toute légitimité pour parler de tout. Du racisme, de l'avortement, de la folie et de la pauvreté. 

Et même de l'art et de la littérature. 

***

Est-ce que les hommes peuvent parler de la mort (ils sont vivants) ?

Est-ce que les végétariens peuvent parler de viande (ils n'en mangent pas) ?

Est-ce que tu peux parler de la chaise sur laquelle tu t'assois (tu n'es pas une chaise) ?

Est-ce que je peux écrire et comprendre des mots et des phrases (je ne suis ni un mot ni une phrase) ?

***

– Tu ne sais pas de quoi tu parles !

Non, en effet ; c'est pour ça que j'en parle. La parole a été inventée pour parler des choses que nous ne sommes pas, des choses que nous ne comprenons pas, de la réalité qui nous échappe.

***

Un écrivain est le contraire d'un consommateur. (Mais qu'est-ce que ça vient foutre là ?)

– Georges de La Fuly, tu n'as aucune légitimité pour parler de littérature !

– OK, mais je suis très légitime pour parler de la chatte.

– Je n'en disconviens pas. [Elle adore dire « je n'en disconviens pas ».]

***

Le Quintette pour deux violoncelles de Schubert ? Je n'en parlerai pas. Je ne suis pas légitime. 

« Les soirs où l'on descend en soi sans lanterne et que l'amour à qui nous donnons la main se met à crier, un visage indéchiffrable nous frôle et nous demande comment mourir sans que ce soit une bassesse. »

Tant pis.