jeudi 18 juillet 2019

Sécurité morale



  Je n'ai écouté que le tout début des émissions consacrées cette semaine à Céline, sur France-Culture.

  Une chose m'a immédiatement frappé, parmi les quelques voix qu'on entend dans l'incipit dire "leur rapport à Céline", c'est l'espèce de tranquille assurance avec laquelle certains disent (enfin ?) tout ce qu'ils n'aiment pas chez ce grand écrivain — comme s'il s'agissait de détails négligeables qui, bien entendu, ne les empêchent pas de l'admirer. Il est possible que je me trompe, mais j'ai entendu dans leur ton cette sorte d'assurance qui provient de la sécurité morale. Ils se sentent autorisés à se moquer de l'écrivain, éventuellement, ou à le mépriser, parce qu'ils ont la morale et l'histoire de leur côté. Un type qu'on classe parmi les salauds supporte parfaitement tous les petits crachats que l'humeur ou l'arrogance suscite et encourage. 

  Bien entendu, il est parfaitement légitime de ne pas aimer Céline, de trouver qu'il n'est pas un si grand écrivain qu'on le dit, et de lui faire tous les reproches qu'on veut sur un plan littéraire, mais ce que l'on entend ici sonne faux. Il y a comme de la vengeance dans l'air, la petite vengeance sournoise et retorse de ceux qui n'ont pas réussi à comprendre la prose de ce génie et qui en ont gardé au fond d'eux un complexe qui tes torture en silence.

  C'est formidable, la morale — ou plutôt, le sentiment de la morale : ça permet à peu près tout, y compris de cracher sur un génie en ayant le sentiment de faire le bien.