jeudi 29 juillet 2021

Après

Je préfère être franc, il va m'être difficile de pardonner. La panne massive d'intelligence qui a implacablement frappé autour de moi fait beaucoup plus que m'attrister. Elle me scandalise. Elle me révulse. À quoi bon être intelligent en temps ordinaire si c'est pour devenir stupide quand les circonstances sont extraordinaires ? Quelle faute de goût ! Quelle injure faite au sens, surtout au bon ! On en aura vu, des gens se déconsidérer totalement, en quelques semaines, en quelques mois ! C'est l'hécatombe. Certains se drapent dans un loyalisme halluciné, d'autres dans une foi spectrale, mais la plupart ne se donnent même pas cette peine, ils veulent simplement « être tranquilles ». Bande de couillons ! Non seulement vous ne serez pas plus tranquilles que nous, mais en plus vous allez être les dindons de la farce. Oh, rassurez-vous, je n'irai pas jusqu'à me réjouir des pathologies chroniques, des blessures et des décès qui vont pleuvoir, dans les mois et les années qui viennent, mais enfin, ce ne sera pas faute de vous avoir mis en garde. Heureusement, il y a tout de même un ou deux détails qui nous consolent un peu. Ainsi ces andouilles qui se sont fait vacciner « pour voyager », et qui se retrouvent, comme il était prévisible, Gros-Jean comme devant. Ceux-là, on ne va pas les plaindre. 

Contrairement à ce que tout le monde répète, il est faux de dire qu'on devrait laisser les gens se vacciner et participer à la farce ignominieuse du Q-R-Code, au motif que chacun est libre de se déterminer. Les pro-vaccination, eux, au moins, n'hésitent pas une seconde à affirmer que tout le monde doit se vacciner. Eh bien moi j'affirme que personne ne devrait se faire vacciner. Oui, je dis bien personne. Personne n'y a un véritable intérêt, un intérêt médical. Et plus il y aura de gens vaccinés plus il sera difficile pour les autres de ne pas faire cette folie. C'est d'ailleurs le calcul que font les fumiers qui nous gouvernent. Je fais le pari que beaucoup d'entre eux ne sont pas vaccinés, d'ailleurs. 

Et pour aggraver encore mon cas, je pense très sérieusement que les vaccins sont à éviter le plus possible, tous les vaccins. Mais j'ai assez perdu de temps avec ça, je ne vais pas ergoter, comme dit l'autre pétasse. Amusez-vous bien. Et rendez-vous dans six mois ou six ans. 

mardi 27 juillet 2021

L'Immunité contre les robots, jusque dans les chiottes !


Ils sont drôles, tout de même. Jamais, dans leur vie, ils n'ont bougé le petit doigt pour quelque cause collective que ce soit, pour autre chose que leur confort personnel, ou leur sécurité, ou leur carrière, et quand tout semble se défaire autour d'eux, quand leurs contemporains, désorientés, angoissés, affolés, martyrisés et stigmatisés, descendent dans la rue parce qu'ils n'ont plus d'espoir, ni de solution de repli, ils expliquent tranquillement que la priorité n'est vraiment pas là, qu'il y a plus urgent. Mais le plus urgent en question, on a pu constater qu'ils n'ont strictement rien fait, non plus, pour y participer le moins du monde, rien, pas une phrase, pas une prise de position, pas une déclaration publique, rien. Pour eux, l'urgence est toujours autre, toujours ailleurs. Leur urgence ne se conjugue pas au présent, jamais. Leur combat est toujours reporté à une date ultérieure pour cause de pertinence supérieure. Leur loyauté va immanquablement au pouvoir, à la sécurité, ou ce qui leur paraît l'incarner, à celui qui tient le manche. 

Il n'y a pas de "combat" plus urgent que celui qui s'impose à nous — de l'extérieur. Nous sentons tous, ici et maintenant, et dans notre chair, qu'on veut que nous renoncions à comprendre. Cette crise, appelée très abusivement crise sanitaire, est d'abord et avant tout l'expression de cette volonté. Dans le fond, oui, c'est bien de santé, qu'il est question, de santé morale et mentale. « Il faut avoir perdu tout sens commun pour ne pas voir la dose de délire qu'il y a dans ce qui se passe depuis un an et demi, pour un virus de ce genre », écrivait hier quelqu'un sur Facebook. Les choses ont commencé en tragédie, et immédiatement leur nature de farce nous a sauté au visage. Souvenez-vous de la merveilleuse Agnès qui-rit-qui-pleure Buzin : en voilà une qui a compris immédiatement pour quelle comédie bouffe elle avait été castée. Comme de juste, elle a pris la poudre d'escampette, car elle sait que les sacrifices ne sont pas rares, dans ce genre de spectacles. Elle a bafouillé quelques instants puis s'est enfuie le plus loin possible de la place de Grève — elle a dû entendre le couinement sinistre de la Veuve. 

La passe sanitaire, et je tiens à cette graphie, est l'aboutissement d'une longue préparation (il fallait être bien stupide pour ne pas comprendre que nos smartphones allaient finir par nous mener par le bout du code). La passe, c'est le passage par la psychanalyse ou la prostitution, et finalement les deux à la fois. Mais ce que nous n'avions pas vu, il faut le reconnaître, c'est la caution et la force de frappe que viendrait apporter à ce triste attelage la science médicale dévoyée qui a pris naissance aux USA dans les années 50 du siècle dernier. La médecine est le mur porteur auquel on s'adosse pour nous imposer un mode de vie particulier : qui en effet peut se permettre de mépriser sa santé ? Pourquoi la psychanalyse ? Parce que nous sommes désormais tenus de prouver, jour après jour, que nos pensées sont saines, "appropriées", qu'elles vont dans le sens de l'espèce, de la société, de la communauté, qu'elles ne s'opposent pas à l'idéologie du jour, que nous nous adaptons. Pourquoi la prostitution ? Parce que nous sommes désormais contraints de louer des services et des objets dont, jadis, nous étions encore les propriétaires ou les maîtres. Chacun loue et se loue, au gré des situations et des besoins. Même le logiciel que je suis en train d'utiliser pour écrire ne m'appartient pas, et il peut, un jour ou l'autre, m'interdire d'écrire ou me forcer à écrire telle ou telle chose, et à faire des choix qui ne me conviendront pas. En réalité, nous sommes constamment obligés de nous adapter — à un système d'exploitation (sic !), à des contraintes technologiques, à des consignes que personne n'est en mesure de comprendre, et qui, le plus souvent, sont énoncées dans une langue qui n'est pas la nôtre. C'est le règne des robots. Comment ne pas avoir envie de s'opposer à cela ? Comment peut-on accepter qu'une machine nous demande chaque matin si « nous sommes à jour », si nous nous sommes injecté la bonne dose de code ? Le « non » n'est plus possible, ce qui, paradoxalement mais automatiquement, fait disparaître de facto l'assentiment. Des putes et des robots… Voilà le monde auquel les nouveaux maîtres nous convient. Déjà, une partie de nous-mêmes est remplacée par plus simple, par plus malléable, par du code exogène interchangeable, par de la fibre, par du nombre, par du chiffre, et par l'incessante communication de ce qui se passe à l'intérieur de nous. Le soleil ne se couche plus jamais sur l'Homme 2.0. Une fenêtre reste ouverte en permanence. Le "pour-tous" ne ferme pas l'œil. La nuit, l'absence, l'inappartenance, le privé, le secret, toutes ces vieilles choses ont fondu sous le soleil de Satan, un satan boutonneux et moutonnier dont le siège se trouve dans la Silicon Valley. La communication est en train d'excommunier l'homme. 

Renaud Camus a théorisé ce qu'il appelle le Remplacisme global, mouvement général de très grande ampleur qu'il fait remonter à la révolution industrielle, qui dépossède petit à petit l'homme de ce qui le fait singulier, unique, irremplaçable, inéchangeable — noble. Ce Remplacisme n'est possible qu'à la condition de rendre le monde liquide, fluide… et le numérique se prête merveilleusement à ces échanges ininterrompus. Il faut que ça circule sans à-coups, sans accrocs. On remplace les populations, les cultures, les matériaux, on les déplace au gré des intérêts, de la  demande économique et des contraintes financières. Ni l'art ni le désir n'échappent à cette liquidation. Déposséder… C'est là que se rejoignent nos routes, aurais-je pu croire. Tout converge à merveille. Les hommes de notre temps ne sentent-ils pas qu'ils sont dépossédés de tout ? De leur terre, de leur langue, de leur nation, de leurs traditions, de leurs semences, de leur passé et de leur histoire, de leurs droits, de leur famille, de leurs paysages, et même de leur imagination. Par exemple, cette idée folle d'attendre un vaccin comme le Messie (rappelons au passage que si la recherche médicale s'était uniquement focalisée sur le vaccin, les malades du SIDA continueraient à mourir). Un vaccin est une procédure qui met de côté notre système immunitaire (général et adaptatif, plastique, intelligent), pour le remplacer par une immunité ciblée, étroite, et tributaire de… la réactivation du code (comme un système d'exploitation informatique qui a besoin d'être constamment mis à jour). Il saute aux yeux que ce n'est pas un progrès, bien au contraire. Les médecins 2.0 se réservent le droit de récrire le logiciel de notre physiologie (c'est Moderna lui-même qui parle de "software"…), de le mettre à jour, de le perfectionner. Ce ne serait pas un problème si la médecine était réellement toute puissante, comme elle le croit, toute intelligence, si elle avait percé tous les secrets du vivant… ce qui n'est évidement PAS le cas, ce qui ne sera jamais le cas. Les dogmes d'un jour sont contredits presque systématiquement à la génération suivante, ce qui devrait les inciter à plus de modestie. Mais non ! Ils sont comme des enfants qui cassent leur jouet au prétexte de voir comment ça fonctionne. Ici, pour la fameuse "pandémie", c'était flagrant. On pouvait soigner, on pouvait traiter, comme on l'a toujours fait. Mais non, la médecine du monde d'après avait d'autres ambitions : la Science avait son mot à dire, et parle plus fort que l'Art. 

Camus a tort. Il a tort parce qu'il ne voit pas que ce qui arrive est la meilleure démonstration de la validité de sa thèse. Remplacer la merveilleuse immunité naturelle, par exemple (qui est "intelligente", sait s'adapter à toutes les situations nouvelles), par une immunité acquise, bien plus étroite, bien plus bête, et qui demande à être constamment guidée et réactivée (dans le meilleur des cas). Tout est remplacé par une version pauvre, bancale, toc, et surtout, soumise à la mainmise de l'homme, c'est-à-dire aux quelques uns qui ont investi massivement dans ces technologies. Le Remplacisme global est l'ennemi mortel de la Liberté et de la singularité essentielle de l'homme. On aurait aimé que Renaud Camus regarde d'un peu plus loin (ou d'un peu plus près), intègre ce qui est en train d'advenir ici à sa puissante description du monde tel qu'il va depuis Auschwitz. Déjà, lors des soubresauts liés aux questions de genre, il avait commencé par mépriser ces phénomènes, avant de les prendre en compte. (Le sexe aussi, la différence sexuelle, est en passe d'être remplacée par un sexe unique et indifférencié.) On peut comprendre qu'il ait autre chose à faire, et que le meilleur des esprits ne peut tout embrasser, mais je crois surtout qu'une certaine forme de mépris pour les questions de santé est à l'origine de cette myopie. Je remarque qu'un Finkielkraut et qu'un Onfray sont également passés complètement à côté, qu'ils n'ont rien vu. Pas assez intellectuel, le corps souffrant ? Pas assez sexy ? Ou, au contraire, trop central, trop essentiel ?

J'en connais qui sont tellement empêtrés dans leurs contradictions qu'ils ressemblent à des castrats hystériques, ou à ces singes hargneux du "théorème du singe" qui persécutent celui qui n'a pas reçu le même conditionnement qu'eux. La peur de réfléchir (solitairement), de s'informer vraiment, d'aller à la source, la paresse mentale, et la satisfaction d'être du bon côté du manche semblent soulager les angoisses de ces pauvres gens qui ne supportent pas d'être face à eux-mêmes. Le Remplacisme, c'est là, qu'il commence : à l'intérieur de nous, quand nous déléguons à d'autres le soin de penser, et toute la démarche indispensable à une prise de décision éclairée, quand nous évacuons trop rapidement la solitude qui la sous-tend nécessairement. Les robots sont d'abord en nous. Constamment, il faut les débusquer, les déloger, les chasser. 

Les gens qui craignent de s'être trompés, mais ne peuvent pas le reconnaître à voix haute, sont toujours très agressifs, c'est bien connu. Ça les travaille au creux des organes. Beaucoup de vaccinés se posent des questions (il faut être fou ou idiot pour ne pas s'en poser) mais ils se les posent silencieusement, ces questions, et il est toujours très difficile de rester seul avec un tel questionnement, « très difficile de remettre en question un choix irréversible », comme le dit justement Bernard Lombart. Il nous est pratiquement impossible, en effet, de penser que nous puissions avoir eu tort de prendre une décision qui engage toute notre vie future. Cela demande  un courage et une force de caractère dont bien peu sont dotés. Comme ils ne peuvent pas reconnaître que peut-être ils se sont fourvoyés, ils veulent que tout le monde se trompe avec eux. C'est humain. Tout le monde dans le (même) mur, le mur pour-tous ! Je pense qu'ainsi s'explique en partie la hargne et l'agressivité de ceux qui prônent "la vaccination pour tous". Et, contrairement à ce qu'on répète à l'envi, ceux qui courent se faire vacciner portent bel et bien une responsabilité pour les autres. Ils participent bel et bien à la mise en route d'une machinerie (d'une machination) qui risque de tous nous emporter, ils alimentent la bête. Le tyran doit s'appuyer sur ceux qui partagent sa folie. 

La vaccination pour tous… Ça ne vous rappelle rien ? Nous sommes entrés dans un monde qui n'admet plus les exceptions, les exclusions, les discriminations, le hors-cadre. Le Communisme, contrairement à ce qu'on croit souvent, a remporté la victoire post mortem. L'inclusion bat son plein. Le plein, le total, le "pour-tous". Il sera de plus en plus difficile de rester à la marge, de ne pas appartenir, de rester en dehors. La foule unique, la classe unique, le monde unifié et global, la Planète, tout doit marcher d'un même pas, au même tempo, dans la même direction. La Chine montre l'exemple (pays communiste, ou ex pays communiste). D'ailleurs on voit bien que les divers gouvernements "nationaux" sont de plus en plus des fictions. Ils ont de moins en moins de marge de manœuvre, ils filent droit. Il n'y a plus qu'une sorte d'humanité, qu'une seule race, qu'une seule culture, et bientôt plus qu'une seule langue et un seul sexe (même et surtout s'il est pluriel).

Nous sommes dans une mauvaise passe, mais la Covidiase est à l'évidence une aubaine extraordinaire pour ceux qui ne veulent pas, qui ne veulent plus d'un monde soumis aux lois naturelles, et qui cherchent par tous les moyens à se substituer au Créateur. Ils veulent des yeux, des oreilles, des caméras, et des GPS partout, jusqu'au cœur des cellules. Ils veulent des chiffres et du quantifiable, du comptable, de l'équivalence et du substituable, de l'Abstraction, du Standard. Les hommes le sentent confusément, et le refusent viscéralement, même si c'est souvent de manière anarchique. Ils savent que quelque chose va leur être arraché, qui est sans doute l'essentiel, qui est le Vivant en eux. Mais le vivant a ceci d'embêtant, pour ces Prométhée arrogants, qu'il a toujours une longueur d'avance sur les plus folles élucubrations théoriques : « La nature ira [sans aucun doute] très loin dans le rappel à l'ordre. » Le frein le plus efficace à la dépossession qui menace l'homme viendra d'elle. 

Si tout le monde embrasse la foi vaccinale, il faudra aller piquer les autres… jusque dans les chiottes. Ce seront des terroristes. 

jeudi 8 juillet 2021

Les Cuisses de Monique

J'ai un long passé de bête. C'est à travers elle que le vivant s'est maintenu en moi. Sur le sommet de mon crâne j'ai deux dents naines qui pivotent selon mon humeur. Personne ne les voit car elles sont transparentes. J'ai souvent l'air d'un caribou, quand je pense. Heureusement, ça ne m'arrive pas souvent. Penser est une activité que je méprise, comme me nourrir. Je n'ai jamais lu un seul livre, et je crois que c'est la raison pour laquelle je suis tant jalousé. Pourtant, l'odeur que j'aime par-dessus tout est celle du papier imprimé. Aussi ai-je entassé des centaines de livres dans ma chambre à coucher : j'en ai fait des murs épais entre lesquels je m'étends pour me reposer. 

Je ne me nourris que rarement, et toujours en moins de trois minutes. Je ne cuisine pas. L'odeur des aliments cuits me donne la nausée. Je bois de l'eau fraîche et parfois du vin chaud. J'aime passer la tarabate et ensuite m'allonger, nu contre la terre souple. Là, je me souviens des citronnades que nous prenions après le tennis et des cuisses de Monique. 

vendredi 2 juillet 2021

Tais-toi, je t'en prie !

Sur Facebook, dont j'avais jeûné plus d'un mois, je voudrais ne plus commenter, ne plus jaimer, et me limiter autant que possible à mes "domaines de compétence". Mais, à bien y réfléchir, je n'ai aucun "domaine de compétence". La conclusion est donc évidente. 


mardi 25 mai 2021

Enigma Variations




Corps, réseau, forêt, ordinateurs enterrés, elle respire, soumise aux étoiles. Caresse des nuages — les vaches sont à la frontière du ciel et de l'eau : tout de suite, les pins dressés dans le vent, machines amoureuses, baquet de Mesmer, verbes disséminés dans la prairie ; c'est la nuit. Les heures ne s'écoulent plus ; elle boit un verre d'eau ; son ventre nu, lien ventouse, cybersexe creux. Je ne suis pas où je suis. J'entre et je sors de son esprit. C'est le jour. Quelle impuissance, Ô mon amour ! C'est la nuit. Je reviens.

Tous les organes se mettent à chanter doucement. Ça bruit. Je préfère les vagues aux bombes. 

Deux personnes, un homme et une femme, sont assis, face à face. Ils se parlent. Leurs paroles sont séparées par de longs silences. On entend leurs voix, les timbres de leurs voix, les couleurs de leurs voix, les rythmes de leurs voix, les inflexions de leurs voix, les silences de leurs voix, les intensités modulées de leurs voix, leurs souffles, leurs hésitations, leurs interruptions. On n'entend rien d'autre : ces deux voix qui se parlent calmement, ces deux voix entrecoupées de silences. 

Un cheval est là, à quelques mètres de l'homme et de la femme. On ne sait s'il leur prête attention. Son gros œil chaud, ses cils… Son calme apparent. Il partagent la même Terre, tous les trois. 

Ils parlent bas, le soir tombe. On survole la Cordillère des Andes. Je pourrais écouter Nuages de Debussy, jusqu'à la mort.

Voix basses passant à travers des résonateurs. On lit sur l'homme les mots qu'il n'a pas encore prononcés. Tubes. Éventails. Échelles. M'entends-tu, toi ? 

La marée a tourné, les cadavres reviennent. Il y a cet homme qui avance, tout habillé, vers les vagues, on le voit plonger. Courage, mon gars. Je ferai un truc, un jour, vous en entendrez parler. Laissez-moi passer, laissez-moi passer ! J'ai une montagne dans le cœur, moi, j'ai du silence plein les tripes. Laissez-moi passer. Le cheval est toujours là, il n'a pas bougé.

vendredi 7 mai 2021

Leçons inutiles

Il n'y a que dans mes rêves que je parviens à écrire ma vie. 

J'aime bien mon PC. Quand je veux qu'il démarre, il faut que je le prévienne six heures à l'avance. 

J'ai échappé à la routine sexuelle. Pas baisé depuis quatre ans. 

J'ai regardé des vidéos d'examens gynécologiques. C'est très intéressant. J'ai appris par exemple que la température d'une femme en bonne santé est de 36,7 dans la bouche, 37, dans la vagin, et 37,2 dans l'anus. En parallèle j'ai écouté le quintette de Brahms. J'essaie de croire que je vais m'en sortir. Et je rêve. Je rêve beaucoup. 

À une certaine époque, elle m'envoyait des photos de son cul. Si je lui demande ça aujourd'hui, elle ne répond même pas. Alors que j'en ai beaucoup plus besoin aujourd'hui… Elle est devenue respectable, ou conne, à vous de voir. Avare en tout cas. 

Si j'étais capable de réunir vraiment ces faits dans mon intelligence, de les comprendre, donc, je serais un homme comblé. Hélas, je ne peux que les juxtaposer, les écrire, les inclure dans des phrases, des phrases qui se succèdent sans produire de sens. 


Consonnes

 — Tu souffres du foie, mais tu pourrais tout aussi bien souffrir du pancréas. Le foie, ce n'est qu'un mot, un mot comme le pancréas. 

— Jamais je ne pourrais souffrir du pancréas. Je ne sais même pas à quoi ça sert, un pancréas. Et puis toutes ces consonnes, ça ne donne pas très envie d'y aller voir.

jeudi 6 mai 2021

Pourquoi ?

Après toutes ces années, le doute n'est plus possible. Les femmes sont sur Terre pour nous envoyer en enfer. 

C'est parce qu'elles s'y ennuient qu'elles veulent y faire venir les hommes.


lundi 3 mai 2021

Avec partition



Plus j'avance en âge plus je suis convaincu qu'il est impossible d'entendre (vraiment) la musique sans partition. C'est une mauvaise nouvelle, en un sens, mais c'est la vérité. Le paradoxe, c'est que ce sont les seuls vrais musiciens qui en sont capables, c'est-à-dire, en France, trois cents personnes, même pas. Eux peuvent se passer de la partition, d'une part parce qu'ils la connaissent, et d'autre part parce qu'ils possèdent des moyens (mémoire, capacité d'analyse en temps réel, discernement auditif, connaissance des formes) qui les rendent capables d'entendre la multiplicité d'informations que véhicule la musique, et surtout d'ordonner mentalement (et à grande vitesse) ces informations. Je sais qu'on va m'opposer le plaisir "gratuit" de l'auditeur inculte et vierge de préjugés. Foutaises. 

La musique a un statut trompeur. On la croit tout entière du côté du sonore : c'est faux. Si l'on se contente du son, on en perd la plus grande part. Pour entendre, il faut comprendre. Et pour comprendre, il n'y a rien de mieux que la partition, qui nous fait voir ce qu'on entend, et surtout ce qu'on n'entend pas. 

Il n'y a rien, dans ma vie, qui ne soit soumis à la musique, d'une manière ou d'une autre. Rien. C'est le mètre-étalon, c'est l'instrument de mesure, l'instrument de perception et le filtre d'intelligence. Pourquoi j'y ai renoncé, me demande-t-on souvent. Je ne sais pas répondre à cette question. À plusieurs reprises je m'y suis essayé, pourtant, mais aucune réponse n'était vraie, ou seulement convaincante. La seule chose dont je sois sûr, c'est que quoi que je fasse, la musique reste en moi : sa place ne diminue pas, bien au contraire. Au fur et à mesure que je me suis éloigné de la pratique musicale, elle aurait même eu tendance à devenir plus brûlante, plus essentielle, ou plus profonde. En me prenant de passion pour l'écriture, j'ai retrouvé la douleur bien connue, celle de mon enfance, causée par la musique (sinon causée, du moins révélée, par elle)  : la poignée de cendres jetée dans les bronches, l'évidence glaçante de l'implacable solitude qui vient comme une vague nous coucher dans la terre, le retrait de l'être qu'on sent s'épandre en soi comme un vent aride et vireux. 

La douleur la plus fidèle, celle que je connais le mieux, aura été causée par l'impossibilité presque complète de communier dans le sentiment de la musique. Je n'ai jamais rencontré, en tout cas, quelqu'un avec qui j'aurais pu partager cela, hormis mon père. Si, je crois qu'il y avait la jeune Ophélie, mais justement, ce sera sans doute cette trop violente sensibilité qui l'a, très paradoxalement, éloignée de moi. 

lundi 26 avril 2021

Seule


« J'essayais de maintenir le sommet de son crâne, que tout reste dedans. »

Jacquie Kennedy, quelques minutes seulement après l'assassinat de son mari, n'est plus rien. Johnson a déjà été nommé président, il a prêté serment, dans l'avion, à Dallas. Terribles instants, d'une violence inouïe, durant lesquels on la voit seule, seule contre tous. 

Les fidèles sont vite conduits au tombeau, avec ceux qu'ils pleurent. J'en ai fait l'expérience.

« Jack a une main dehors et je vois un bout de son crâne se détacher. Couleur chair, pas blanc. Ses yeux étaient ouverts. Il s'effondre sur mes genoux, j'ai du sang et de la cervelle sur moi. Son visage était si beau. »


dimanche 25 avril 2021

Petit portrait en prose (21)

Elle avait toujours au cou cette vilaine marque laissée par l'instrument, l'alto, elle tenait sa cigarette un peu à la manière de Michel Houellebecq, elle avait un léger défaut de prononciation et elle était jolie, avec ses yeux vairons, même alors qu'elle imitait l'accent picard dans le métro. Elle avait longtemps été la maitresse d'un célèbre violoncelliste parisien et elle me suçait dans les toilettes du conservatoire. 

Tout le monde la trouvait fragile et délicate, mais elle m'avait ridiculisé en courant plus longtemps et plus vite que moi, un matin que j'avais voulu l'impressionner, en Haute-Savoie. Elle aimait m'inviter dans les restaurants à la mode, à Paris.

Quand je me suis installé place des Vosges, elle m'a aidé à déménager, très vaillamment, et je l'ai beaucoup fait souffrir, car j'étais alors amoureux d'une fille beaucoup plus jeune. Elle s'est bien vengée de moi, par la suite, et j'ai eu honte de penser tant de mal d'elle.

jeudi 22 avril 2021

Péristaltisme

Je copie ici l'article de Wikipedia consacré au péristaltisme. Je ne peux pas dire à quel point je suis émerveillé par ce que je lis. Cette onde océanique qui traverse le corps humain et qu'on peut même écouter, à l'aide d'un stéthoscope, me semble une chose plus exaltante et plus intéressante que la meilleure poésie, et ne parlons même pas des romans. Mais trêve de bla-bla, voici la chose.

Concernant le tube digestif, il s'agit de la progression du bol alimentaire de la bouche (plus précisément du pharynx) jusqu'au rectum (anus). Il est unidirectionnel : on dit que la progression se fait dans le sens oral-aboral. Le tube digestif est caractérisé par une tunique musculaire, constituée de muscles lisses disposés en deux faisceaux : une couche circulaire interne et une couche longitudinale externe. Ces deux couches sont des faisceaux de fibres unitaires sur le plan physiologique, signifiant que toutes les fibres au sein d'un faisceau sont interconnectées par des jonctions communicantes et peuvent ainsi coordonner leur activité, de façon à se contracter en même temps, à l'unisson. De même, elles peuvent ne se contracter que sur un petit tronçon du tube digestif.

Le tube digestif est donc doué d'une mobilité digestive qui est due à cette tunique musculeuse de la paroi. Le tube digestif est donc caractérisé par plusieurs mouvements, avec des caractéristiques physiologiques différentes : on distingue les mouvements propulsifs, qui font progresser le bol alimentaire dans le sens oral-aboral (péristaltisme, complexe moteur migrant, mouvements de masses), et les mouvements de brassage, qui permettent la segmentation du bol et son mélange aux enzymes digestives (segmentation).

Le péristaltisme est un mouvement propulsif. Il est caractérisé par mécanisme spontané qui s'effectue en plusieurs étapes. D'abord, il y a une onde péristaltique primaire qui se manifeste au moment où le bol alimentaire atteint l'œsophage après déglutition. L'onde force ensuite le bol à descendre l'œsophage pour atteindre l'estomac. Cette onde a une durée de vie de 8-9 secondes. L'onde continuera à descendre dans l'œsophage à une allure constante même si le bol se déplace à une plus grande allure que celle-ci. Si un bol alimentaire est bloqué ou se déplace plus lentement que l'onde dans l'œsophage, une onde péristaltique sera créée autour du bol, le forçant à se déloger et descendre dans l'œsophage. Sans péristaltisme, le brassage des aliments et l'absorption des nutriments, c'est-à-dire des éléments contenus dans les aliments, sont impossibles.

Dans le tube digestif, le péristaltisme est un réflexe à intégration locale : il ne fait intervenir que l'innervation intrinsèque du tube digestif, à savoir, le système nerveux entérique. Dès lors, un tube digestif dont on a sectionné les fibres nerveuses efférentes originant du SNC (Système Nerveux Central) peut produire le péristaltisme. C'est le plexus myentérique d'Auerbach, situé entre la couche circulaire interne et la longitudinale externe, qui intervient principalement dans le péristaltisme en coordonnant les deux faisceaux musculaires. Il est à noter qu'il existe une ondulation de base des potentiels membranaires dont l'origine est l'ensemble des cellules pace-makers intra-myentériques de Cajal participant à la coordination des contractions musculaires et à la "rythmogenèse" du péristaltisme. Le point de départ du péristaltisme est la distension de la paroi digestive qui est perçue par des mécanorécepteurs présents dans la paroi, entre les deux couches musculaires lisses de la musculeuse. De ces mécanorécepteurs, des impulsions vont partir par des fibres afférentes vers les plexus d'Auerbach et faire synapse avec des interneurones qui vont assurer la formation d'un anneau contractile à 2-3 cm en amont du bol alimentaire et la distension de la paroi à 5-6 cm en aval.

L'anneau contractile du péristaltisme est une contraction de la couche circulaire, ainsi qu'une relaxation de la couche longitudinale externe sus-jacente à cet anneau. En aval, la couche longitudinale externe est contractée, et la couche circulaire interne est relaxée. La contraction de la circulaire interne en amont du bol alimentaire diminue le calibre de la lumière et provoque augmentation de la pression intraluminale, En aval, la contraction de la longitudinale et la relaxation de la circulaire a pour conséquence un raccourcissement du segment digestif d'aval, ainsi qu'une diminution de la pression intraluminale. Ainsi, au cours du péristaltisme, le segment d'amont est propulsif et le segment d'aval est réceptif, permettant la progression du bol alimentaire.

Les organes creux du système digestif sont entourés de muscles qui permettent à leur paroi de se contracter. Les mouvements de ces parois font non seulement progresser les liquides et les aliments mais effectuent aussi un mélange de ce bol alimentaire dans chacun des organes concernés. Ce sont ces mouvements caractéristiques de l'œsophage, de l'estomac et de l'intestin qui constituent le péristaltisme.

Le péristaltisme ressemble à l'onde d'une vague océanique qui traverserait le muscle. Le muscle de l'organe concerné se rétrécit puis propulse la portion de nourriture lentement vers la suite du tube digestif.

Tief von fern




De la vague blanche du soir
surgit une étoile ;
profonde, du lointain,
la jeune lune avance.

Profonde, du lointain,
de la vague grise du matin,
la grande arche blafarde
s'élance vers l'étoile.

samedi 17 avril 2021

Ni mort ni vivant

Depuis toutes ces années, je suis dans la peau de Jérôme Vallet. Au début, c'était juste pour quelques heures, quelques jours, tout au plus, mais on m'a oublié là. Je suis Jérôme Vallet, aujourd'hui, et il semble que rien ne me fera plus sortir de ce personnage. Je ne sais pas comment ça s'est fait. Je ne me suis pas rendu compte. Je trouvais ça amusant d'avoir une identité, mais je n'ai pas réellement pris garde à ce qui arrivait. Le perle vient du fond de l'océan, elle est cachée, personne ne la voit venir. J'ai sombré dans un profond sommeil. J'ai oublié qui j'étais. J'ai oublié d'où je venais, et quel était mon nom. C'est en le lisant un peu partout, que j'ai su.

Au bout d'un moment, on s'habitue, bien sûr. Les autres nous appellent comme ça, on ne relève plus, à quoi bon. On ne peut pas lutter contre le monde. Si le monde dit que vous vous appelez Jérôme Vallet, c'est qu'il en est ainsi. (Je dis ça parce qu'il faut le dire, mais je n'en pense pas un mot.)

Je connais quelqu'un qu'on appelle Ophélie S. — qu'on appelle et qui s'appelle. On me l'a présentée sous ce nom, qui lui va bien, mais je me demande depuis combien de temps exactement elle est Ophélie S. : est-elle complètement et définitivement Ophélie S., c'est ce que j'aimerais savoir.  Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts, et ceux qui connaissent Ophélie S. Je ne suis ni mort ni vivant. 

Ma vie aurait tout de même été un peu moins ratée si j'étais mort en sodomisant Ophélie S.

jeudi 15 avril 2021

14h37

Ta bouche, ou la mienne ? Ça ne sent pas mauvais, c'est l'odeur de l'habitude, du frôlement quotidien, bouche, sexe, aisselles, cul, on ne sait plus, ces odeurs, à qui elles appartiennent, d'où elles viennent, tout se mélange, les heures molles, les gestes sans forme, traits tirés, voix sourde, cuisses, pieds, elle quitte le lit, je ne sais pas si elle fait la gueule, on a baisé, ça fait redescendre la tension mais ce sentiment atroce est là, plus que jamais, on n'aurait pas dû, pas comme ça, pas maintenant, et on sait qu'on le refera, pareil, haleines mélangées, léger dégoût, on est encore jeunes, pourtant, mais on connaît déjà ça, pourtant je ne veux pas qu'elle me quitte, non, non, c'est comme si elle m'en voulait de connaître ça, mais moi qu'est-ce que j'ai fait, qu'est-ce que je fais de plus qu'elle, c'est trop facile, on mange des radis frais avec du beurre salé, du pain, on se regarde, on ne dit rien, la journée est déjà bien entamée, silence, je me crois obligé de faire un geste obscène, cette conne fait la grimace, quelle pute sans cœur, que pense-t-elle vraiment de moi, elle ne le dira jamais, elle n'ose pas, elle attend seulement ces moments où elle a envie de pleurer et alors elle est bien contente de pouvoir se mettre dans mes bras, quelle conne, et puis elle commence à vieillir, plus que moi en tout cas, plus vite, elle commence à avoir des pudeurs étranges, que je ne comprends pas, qui m'énervent, j'ai remarqué que quand elle pleurait j'avais une érection, j'ai envie de voir un visage neuf, inconnu, qui ne me connaît pas, je m'habille, je sors, je la laisse. 

mercredi 14 avril 2021

Aliénés

Sans la langue, nous ne pouvons ni décrire le Réel, ni le comprendre, ni même le 𝑣𝑜𝑖𝑟.  

Une des maladies mentales les plus répandues aujourd'hui consiste à croire qu'on arrive dans le monde avec « des idées », avant la langue. Ceux qui en sont atteints pensent que, croient que, trouvent que… 

Étant inconscients du fait qu'ils sont le produit de leur époque, de leur classe sociale, de l'idéologie qui y a cours, et des déterminismes qui ont produit cette époque et cette idéologie, ils prétendent combattre la langue et ses images avec leurs croyances et leur volonté. Seulement, la langue, elle a le temps pour elle, et surtout, elle a les autres, pour elle, tous les autres. 

Une métaphore leur déplaît ? Elle n'a aucun sens. La grammaire les dérange ? Abolissons-la. La logique est dictatoriale ? Sortons de son emprise. La syntaxe est contraignante ? Ignorons-la. Un mot a traversé les générations, est arrivé jusqu'à eux, passant par le corps et l'esprit de millions de personne, déposant son sens en nous après des transformations subtiles ou brutales, couche après couche, contradiction après contradiction, revers après revers, malentendu après malentendu, ce mot a versé le sang, il revient de loin, ce mot, pris dans des vers, dans des épopées, dans des codes civils, dans des lois, dans des procès-verbaux, dans des romans, signifie à peu près la même chose pour tout un peuple, ce mot a pris sa place dans les dictionnaires et dans l'histoire, ce mot a permis de sauver ou de tuer, d'aimer ou d'injurier, ce mot a gonflé des bouches et serré des cœurs, précipité des hommes dans la honte ou les honneurs… mais l'ignorance est plus forte que tout cela, quand elle n'est que la morale d'un seul. Ce que je ne comprends pas n'a pas d'existence. Ce que je réprouve est indicible. Je est tout-puissant, car il est solitaire. 

La langue ne les tient plus, ils n'en perçoivent plus les échos, le passé, les raisons, son épaisseur leur échappe complètement. Leur discours est neuf, tout frais, il sort d'eux innocent, c'est une branche sans tronc, une main sans bras. La langue n'est pour eux qu'un outil plus ou moins adapté à leur adresse et à leurs désirs. Ils ne lui doivent rien. Elle ne les contient pas. Elle est disponible, en kit, dans des bacs séparés, dans lesquels ils vont chercher tel mot, telle phrase, telle tournure, telle idée, ou tel style. Ces objets se donnent pour eux-mêmes, on les a coupés les uns des autres, ce sont des prothèses communicationnelles. 

Réfuter une métaphore, c'est se mettre tout le monde à dos, parce que c'est réfuter le sens même. Au-delà de l'image, la métaphore, c'est du sens pur : elle se sert des mots pour mieux s'en éloigner. On peut contester, par exemple, que le mode mineur soit "mineur" et que le mode majeur soit "majeur", mais, ce faisant, on ne fera pas remonter les grains de sable dans le haut du sablier. Le sens de la chute sera toujours le même : on aura seulement retourné le sablier.

Réfutant la langue, ils réfutent le réel. Confronté à une telle attitude, nous sommes désemparés. Ils sont comme un enfant à qui l'on apprend le sens d'un mot, et qui répond : « Non, c'est pas vrai, ça veut pas dire ça. » Dans son monde, son monde délié, a-liéné, il ne peut qu'avoir raison… puisqu'il a toute la raison pour lui. Bien entendu, le plus sage serait de tourner les talons, de fuir. Mais ce n'est pas si simple, car il y a une sorte de folie qui s'insinue en nous, à chaque fois qu'on ne dit rien, qu'on laisse le dernier mot à l'enfant, à celui qui ne doit rien à la langue. Les fous sont très malins. Ils avancent leurs discours petit à petit, et grignotent un peu de territoire à chaque avancée, si l'on ne dit rien. Ils pénètrent dans le monde des non-fous, ouvrent une porte, écoutent, ouvrent la porte suivante, écoutent à nouveau… C'est le silence de ceux qui les écoutent qui les invite à continuer. Et un beau jour, ils en expulsent les non-fous, qu'ils appellent fous. 

Autrefois, ce genre de problèmes ne se posait pas, car existait ce qu'on ne peut plus nommer autorité. Les nouveaux-venus étaient sommés de faire leur le sens qui leur était proposé, d'en adopter la Loi et les interdits. L'auteur de nos jours était l'Auteur, avec un grand A. On ne remontait pas le courant, le sens avait une direction, il y avait encore une Origine : le Père. « On ne commande à la nature qu'en lui obéissant », disait Francis Bacon. Ils prétendent commander à tout, sans (re)connaître rien, et sans se soumettre à aucune loi.

lundi 12 avril 2021

Serge

Un des rêves qui me hantent est celui dans lequel un de mes bons amis d'antan (mort) revient sous une forme absolument terrifiante. 

Professeur de guitare au conservatoire, roux, toujours sans le sou, très laid, racontant chaque semaine les mêmes blagues que j'étais le seul à trouver drôles, il méprisait tous les musiciens classiques, et, je ne sais pourquoi, avait une admiration sans bornes pour moi — je veux dire, pour moi au piano. Je l'invitais souvent au restaurant le mercredi soir, car je savais qu'il se nourrissait de tablettes de chocolat et de Coca. Il avait eu deux jumeaux sur le tard avec une ex-femme à lui, complètement folle, qu'il avait répousée après avoir divorcé d'elle difficilement. Il me racontait sa guerre sur le Golan, dans les chars, qui lui avait abîmé les tympans.

Dans ces rêves, ces cauchemars, plutôt, il est d'une violence épouvantable, d'une terrible méchanceté avec moi, il me hait à un point inimaginable, et me fait subir toutes sortes de terribles sévices ; il est doté une force inouïe, on peut dire qu'il est invincible, c'est le Mal personnifié, et il me poursuit de cette haine inextinguible qui me terrifie. Pourquoi ?

Pourquoi ?

Je me suis réveillé plusieurs fois, terrorisé, et aussitôt rendormi, sans échapper au rêve…

Je n'ai pas assez dit qu'il en avait après moi. Il me fait du mal, mais pas seulement à moi, il est d'une violence insoutenable, il en fait à tous ceux que j'aime ou avec qui je suis lié, et j'ai peur pour eux, car ils ne se méfient pas. Si je les prévenais, ils ne me croiraient pas.

En avoir après quelqu'un, c'est bien d'après, qu'il s'agit, ici…

Je n'ai jamais raconté ça à personne. Et si je n'ai jamais raconté ça à personne, n'est-ce pas parce que je me sens coupable ? Mais coupable de quoi ?

Iris et Alone, les prénoms de ses jumeaux me reviennent à l'instant. Il habitait un appartement rue du Pont Louis-Philippe, et il avait encore sa mère, alors que tous ses parents avaient été décimés par la Shoah. Il passait ses soirées à regarder des films du genre Terminator.

C'est d'autant plus incompréhensible que même ma mère, qui ne l'avait rencontré qu'une seule fois, à Paris, alors que nous étions coincés dans un embouteillage, rue de Rivoli, l'aimait beaucoup. 

Serge avait une auto rouge, sujette aux pannes, que nous devions pousser, souvent, et dont les portières grinçaient affreusement. Le sol et les sièges en étaient jonchés de papiers, de canettes vides, et de détritus en tout genre, qu'il balayait d'un revers de la main, quand nous posions nos fesses à ses côtés. Souvent, il m'attendait, à la sortie du conservatoire, ou bien c'était l'inverse, car ce court voyage en voiture était devenu un rituel, et il arrivait fréquemment qu'il finisse la soirée chez moi. 


dimanche 11 avril 2021

mardi 6 avril 2021

samedi 27 mars 2021

« Pense à moi ! »

On le sait, c'est souvent par ces trois mots que la prostituée s'adresse à son client, dès qu'il est entré dans la chambre. Penser à elle signifie qu'on doit lui « faire un cadeau ». 

« Au moment du rendez-vous, ils connaissent le tarif » dit la pute, ou l'escort girl. Eh bien non, les hommes ne connaissent jamais "le tarif", justement. C'est tout le problème. (Elles non plus ne le connaissent pas.)

Entre 1986 et 1990, j'allais presque toujours à la même boulangerie, rue Saint-Antoine, à Paris, et j'avais bien vu qu'une des filles qui étaient là, une belle Noire d'une petite trentaine d'années, n'était pas indifférente à mes sourires. Une après-midi d'été qu'elle était dehors, en train de servir des glaces, alors que je retirais de l'argent au distributeur de billets qui se trouvait à quelques mètres de là, elle m'a adressé la parole, et j'ai entendu : « Vous pensez à moi ? » J'ai répondu que bien sûr je pensais à elle ! Elle savait qu'elle me faisait bander et me le criait dans la rue tandis que sa main et son bras semblaient disparaître dans la crème glacée. 

Je suis allé l'attendre à la sortie de son travail, et nous sommes allés chez moi. Une fois au lit, je lui ai dit que je l'avais trouvée culottée, tout de même, avec son « Vous pensez à moi ? » Elle a éclaté de rire, parce qu'elle n'avait jamais dit ça, mais : « Vous en prenez, pour moi ? » 

Dans les deux cas, mais je ne l'ai réalisé que beaucoup plus tard, c'est une phrase de prostituée. Quand vous entrez dans la chambre d'une putain, elle vous dit : « Tu penses à moi ? » (sous-entendu : n'oublie pas de me faire "un petit cadeau" ?). Penser à une fille, cela signifie donc très concrètement penser à lui donner de l'argent. Vous pensez à moi, vous en prenez pour moi, vous m'en donnez, tout cela est à peu près équivalent. L'argent se trouve entre le lit et l'homme. Les hommes ont une dette envers les femmes, une dette dont jamais ils ne pourront s'acquitter

« Tu penses à moi ? » Je ne peux plus entendre ces quatre mots sans réaliser douloureusement que plus aucune femme ne peut penser à moi, puisque je n'ai plus la possibilité de « lui faire un petit cadeau ». C'est ici, je crois, que la pauvreté se fait le plus cruellement sentir. Un "homme pauvre" est un oxymore. C'est Isabelle qui m'a appris ça : sacrée leçon. Thank you Isa.

« Il se peut qu'il y ait des hommes généreux, ou qui soient très très contents, et du coup ils en laissent beaucoup plus. C'est dans la nature d'un homme de faire des cadeaux. » « Et, ceux-là, vous ne leur rendez pas la monnaie ? » Qui peut encore s'étonner, après ça, que les hommes soient fiers de leur éjaculation, quand elle est puissante et généreuse… 

Les pauvres s'imaginent naïvement qu'un peu de semence jetée à l'abyme en pure perte peut tenir lieu d'argent. Ils ne connaissent pas le tarif, et se croient en mesure de régler la note. Pauvres hommes, qui jamais ne pourrez vous acquitter de cette dette, qui toujours serez en défaut de règlement. Vous voulez croire que vous pouvez vous acquitter de votre immémorial débet en régalant une femme de foutre ou de crème glacée ? La mode actuelle de l'éjaculation faciale en dit long sur leur prise de conscience rageuse mais un peu dérisoire. 

Vous en prenez, pour moi, vous en pincez, pour moi, pour moi, pour moi : jolies notes de printemps, rappel au règlement. 

jeudi 25 mars 2021

Pitié pour les psy



[La Maman] Je me sens coupable de n'avoir pas su aider mon fils, quand il en avait besoin.

[La Nimatrice] Vous vous faites aider ?

[La Maman] Oui, je vois un psychiatre depuis dix ans, deux fois par semaine, et je ne lui parle que de ça.

[La Nimatrice] De votre sentiment de culpabilité ?

[La Maman] Oui. Ça doit l'ennuyer, un peu, je ne sais pas…

[Le Fifils] Mais Maman, moi, pour que j'aille tout à fait bien, il faudrait que tu cesses de te culpabiliser !

[La Maman] Oui, mon fils, je suis désolé, je t'empêche d'être heureux en me sentant coupable de ne pas t'avoir aidé quand tu en avais besoin. Je me sens coupable de me sentir coupable.

[Le Fifils] Maman… !

[La Maman] Tu as raison, je me sens coupable de me sentir coupable de ce sentiment de culpabilité inutile qui te fait du mal. 

[Le Fifils] Mais je ne t'en veux pas !

[La Maman] Justement ! Je me sens coupable du fait que tu ne m'en veuilles…

[La Nimatrice] Eh bien nous arrivons à la fin de ce numéro très émouvant de Pitié pour les psy. La semaine prochaine l'émission aura pour sujet : Comment se débarrasser de sa mère sans faire chier son psy ? Je vous laisse en compagnie d'Evelyne Traumas, pour C'est mon doigt


Faites entrer l'enc…



« Ah,  les femmes, c'est épouvantable. Parce que soit elles sont déifiées, la Femme, la Femme, la Femme, soit c'est les pétasses, les vachardes quand elles allaitent, les pétasses nazies quand elles sont blondes, la femme de quarante ans, en plus, alors la description de la femme de quarante ans, avec la vulve pendante…

— Oooh…

— Non, c'est terrible, c'est terrible ! Alors la femme laide n'a aucun espoir d'être aimée, enfin non, moi j'ai eu beaucoup beaucoup beaucoup de mal. 

— C'est réaliste sans plus…

— Ah ben merci. Super sympa ! »*


« Son image de la femme est rrrrrringarde, tellement elle est révoltante de syndrome dégoulinant de machisme débile deya cinquante ans ! Depuis maintenant trois quatre livres, les femmes sont réduites à être, pour 95% d'entre elles, des bimbos girls, qui ont entre 18 et 24 ans. Au-delà, on est périmées… Il nous considère et il nous fait exister uniquement comme objets sexuels et non pas comme sujets existentiels. Pourquoi ? Pourquoi ? J'comprends pas. Et comme on ne peut pas lui poser la question, puisque Monsieur ne répond plus à des interviews, eh ben c'est difficile ! »**


Je l'avoue : j'ai eu un orgasme en écoutant et en regardant Laure Adler s'étouffer de rage et de dégoût. Elle est scandalisée, Laure Adler, que Michel Houellebecq soit un écrivain, un romancier, et qu'il ne soit pas assujetti aux journalistes, qu'il ne se conforme pas aux canons en vigueur, dans ses descriptions des femmes, qu'il ne leur demande pas la permission d'écrire. Il n'a pas l'air de savoir, le con, que le Journaliste (surtout quand il est une femme) fait la loi dans les Lettres. Va-t-il demander pardon ? Va-t-il enfin venir à résipiscence, faire amende honorable, et écrire enfin des romans édifiants ? À Canossa, on s'impatiente ! 

Il ne « répond plus à des interviews », Michel Houellebecq ? C'est vraiment la preuve que c'est une ordure ! Normalement, quand on est un bon écrivain, on sait ce qu'on doit à ses maîtres. On répond à leurs invitations. On ne les fait pas attendre. Déjà bien heureux que ceux-ci aient envie de vous entendre, Messieurs les écrivains, et qu'ils vous laissent un peu la parole, entre deux questions ! 

Un écrivain qui dit du mal des femmes (ou de n'importe quelle minorité en cour) est un salaud, ou pire qu'on salaud, et il n'existe pas. On ne le publie pas, et si jamais il est publié, on ne lui donne pas la parole, on n'en parle pas, on le réduit à crever seul dans son coin. Houellebecq est l'exception qui confirme la règle, et c'est ce qui empêche Laure Adler de dormir. C'est bien la première fois que son pouvoir ne lui sert à rien, et elle n'en revient pas. C'est un crime, c'est impardonnable. Laure Adler c'est Mèrelamorale. Comment peut-on oser défier Lamorale ? Le Sujet existentiel a statué : cet écrivain est in-fré-quen-table. En plus il a un style de merde. Il sera donc invité à l'émission "Faites entrer l'enculé". 

Si Houellebecq ne veut plus « répondre à des interviews », c'est bien qu'il sait qu'il est en contravention avec la Loi, et que « l'interview » serait l'occasion de le mettre devant sa Faute. Il s'agit d'une convocation au Tribunal, et sa lamentable dérobade ne fait que renforcer sa culpabilité. Il n'assume pas ses responsabilités, ce lâche !


(*) Marie Nimier et Michel Houellebecq, chez Bernard Pivot

(**) Laure Adler

mardi 23 mars 2021

Cinéma, cirque, hôpital

« Ce public si parfaitement privé de liberté, et qui a tout supporté, mérite moins que tout autre d'être ménagé. Les manipulateurs de la publicité, avec le cynisme traditionnel de ceux qui savent que les gens sont portés à justifier les affronts dont ils ne se vengent pas, lui annoncent tranquillement que "quand on aime la vie, on va au cinéma". »

Ils allaient au cinéma, ils se déplaçaient jusque dans des salles obscures où, avec d'autres, ils regardaient des images (qui étaient la vie, mieux que la vie). Le simulacre était encore visible, désigné, il y avait des lieux pour ça. C'était encore du bricolage. Depuis, le spectaculaire est passé à un autre stade. Le simulacre est désormais servi à domicile, à l'école, à l'hôpital, à la télé, dans les transports en commun, à l'arrière des voitures, l'individu vient même le chercher dans ce lieu qui n'en est pas un mais qui les vaut tous, le Réseau, il le réclame, et mieux encore, il n'attend plus qu'on le lui fournisse, il le produit lui-même — on appelle ça la sociabilité. Complot contre complot, on se tient chaud, data contre data, nombres contre nombres, on s'échange les nouvelles réalités, faux contre faux, on ne quitte plus la fiction.

Enfois, parvinton suffique quepro vin cedela chosequise radésorti des poseru meurdan aude soussou, là-haut tourdé, fra zeru et quelque chaud. Comme pour. Sagesse & plaisir. Il suffirait de sortir dans la rue. 

Trois styles d'aristocratie chez Évelyne Thomas, le triste bourrin de la télé. On voit ces animaux en cage, on les regarde s'agiter dans leur étable. Ils font société, comme ils peuvent, comme de rats de laboratoire éclairés au néon. Applaudissements. Bave. Sueur. La fille demande si elle peut "faire pipi sur le plateau". Non, non, Cocotte, va faire ça dans les loges. On ne bouge pas, t'inquiète. À gauche, elle n'a pas de culotte. À droite elle fait la gueule. Bouches tordues, cuisses serrées, regards torves. Le micro passe de main en main. Les bactéries aussi. Avant, ils ont pris le TGV, ils sont montés à Paris. C'est le moment, la chatière s'ouvre. Le chauffeur de salle chauffe. 

Sciure, musique, roulements de tambour. Ça sent le crottin. La fesse transpirante. L'angoisse rance. Les bonnes manières et les rappeurs, Marc Dorcel, invisible, pousse sa pouliche, et Capucine voit des tatouages en vrai pour la première fois de sa vie. La vie en fiches. La comtesse n'est même pas lesbienne. « Je me demandais si vous étiez des comédiens », dit Marie-Laurence, qui n'a pas tout à fait compris le game. Vapeurs. Ah non, ici, tout-est-vrai, Marie-Lo ! Ils gagnent leur vie, c'est tout. 

Regardez ! Regardez ces visages, regardez ces bouches. Coupez le son. Tout est vrai. Plus vrai que vrai. Il faudrait être mort, pour les bien voir, c'est vrai. En vrai on est entre la vie et la mort, là. Juste au milieu. De l'autre côté de la vitre, on aperçoit déjà les mouches et les vers, la décomposition, le nuage gris, la légère fumée qui avec les âmes se confond, les âmes perdues, négligées, écrabouillées sur les écrans, disloquées. Vous ne sentez pas l'odeur ? Une euthanasie lente. Tu montes, Chéri ?


lundi 22 mars 2021

Un lecteur

 « On pourrait toujours aller plus loin dans la vérité — ou dans ce qu’on croit être la vérité, soit, ce qu’on soupçonne pouvoir être la vérité, ce qu’on envisage comme possible vérité —, mais il faudrait être mort. Ou bien, à défaut, il faudrait être tout à fait et véritablement retiré du monde, c’est-à-dire n’en attendant rien et n’espérant aucun effet sur lui de sa réflexion. Dès qu’on envisage un lecteur, on n’est plus tout à fait honnête avec soi-même. »


dimanche 21 mars 2021

Mes anticorps (bilan)

Soit dit en passant, je pense que je vais arrêter mon traitement contre l'hypertension. Y en a marre, de faire comme tout le monde ! Et puis je suis humilié de prendre des béta-bloquants… 

Je préfèrerais avoir une voiture vert pomme. Je préfèrerais écrire des romans et passer à la télé, comme tout le monde. Je préfèrerais ne jamais avoir pris l'habitude de tenir mon couteau avec la main gauche. 

Mes points forts sont que j'ai été violé à dix ans (ou peut-être neuf), que je descends de Napoléon Bonaparte, et que je ne parle aucune langue étrangère. 

Quand j'épluche des courgettes, je ne peux pas m'empêcher de serrer les dents. « Il s’était introduit, je ne sais comment, dans quelques maisons honnêtes, où il avait son couvert, mais à la condition qu’il ne parlerait pas, sans en avoir obtenu la permission. Il se taisait, et mangeait de rage. Il était excellent à voir dans cette contrainte.  »

Violé est un bien grand mot. Je ne l'utilise que pour faire plaisir aux imbéciles d'aujourd'hui, qui pourraient croire que je vais moi aussi me plaindre d'attouchements incestueux. Il n'en est rien, bien entendu. Je mourrais de honte si je devais un jour me plaindre des gestes que j'ai subis quand j'étais enfant. J'ai cherché un substitut à "subis", qui ne convient pas du tout, mais je ne veux pas non plus tomber dans la provocation qui consisterait à écrire "dont j'ai bénéficié", quoiqu'il ne faudrait pas me pousser beaucoup… 

Un autre point fort est mon prénom. J'ai chipé ce prénom à l'un de mes frères, ce qui était une rudement bonne idée. Je ne veux pas dire par là qu'il ne le méritait pas, pas du tout, mais je suis très honoré de porter ce prénom, qui vient de loin. Je me suis tu longtemps, très longtemps. Ma jeunesse fut celle d'un garçon silencieux, timide, mais heureux. Heureux avec un vélo, un piano, un grand jardin et des chats. 

Je prenais des béta-bloquants, pour le trac, jadis, et je portais des sous-vêtements chauds car j'avais toujours froid aux mains. Oui, je crois que j'ai aimé être contre le corps de ma sœur. Je me rappelle encore le plaisir éprouvé. Je pense que personne ne l'a su, à la maison, et je ne lui en ai jamais voulu, à elle. Est-ce qu'on bande, à neuf ans ? Je n'ai aucun souvenir de ça. En revanche, je me rappelle que les copains, eux, allaient dans une cabane, chez Bernard A, dans laquelle il y avait des trous dans les murs, et qu'ils se branlaient en chœur. Je ne crois pas avoir jamais participé à ces jeux, peut-être parce que j'étais un peu plus jeune qu'eux. J'avais été admis dans la cabane à branlage, c'était déjà énorme. 

J'étais bien mignon, quand j'étais enfant, et j'avais des penchants sadiques. Il y a deux choses que je peux raconter même si elles me font un peu honte : j'avais jeté un chat dans la chaudière à charbon de la maison. Ma mère s'en était aperçue immédiatement, et m'avait flanqué une bonne raclée. Je ne devais pas être très malin, pour me faire prendre sur le fait. Une après-midi que j'étais sur mon vélo, sur la route qui passait devant chez nous, accroché à l'épaule de mon frère qui était sur une mobylette, je le lâchai au moment précis où je m'aperçus qu'un petit oiseau blessé se trouvait devant moi, et je pris bien soin de l'écraser, chose qui ne passa pas inaperçue aux yeux de mon frère, qui par la suite me fit honte de mon geste. Le moment précis où j'ai lâché l'épaule de mon frère et où j'ai dirigé ma roue vers ce pauvre animal me fait rougir encore aujourd'hui. Le troisième épisode sadique, dont je me souviens avec peine, je ne le raconterai pas. J'emporterai tout de même quelques secrets dans la tombe. 

Il m'arrive souvent de me demander si j'aurais aimé être beau. Peut-être ne me croira-t-on pas, mais je pense vraiment que la réponse est négative, même si l'envie m'en est venue à maintes reprises ; je n'arrive pas à dissocier mon visage et mon corps de ce que je suis devenu. Il y a une autre raison. Peut-être est-ce un hasard, ou une malchance, je l'ignore, mais tous les hommes dont j'aurais pu envier le physique m'ont semblé bêtes ou pas très intéressants. Je n'aurais pas voulu être eux, en tout cas. 

Je ne suis pas libre, mais je danse dans mes chaînes. Mes anticorps ne me protègent pas de tout et mon système para-lymphatique est loin d'être parfait. Je mange de rage, je pleure de joie, mais je ne me tais point. Comme le diraient Vanessa, Coline et Camille,  je ne peux plus me taire, il faut que la vérité éclate. Les oiseaux sont des cons, ils ont voulu nous faire croire que la Terre était enchantée, alors que des violeurs sont tranquillement dans leur baignoire à remous, en train de lire Nabe, en écoutant Schubert. Ces impunis trop bien lavés complotent contre les oiseaux. J'en ai la certitude. 

Ah, l'inceste et la pédophilie ! Nous auront-ils bassinés, avec ça. Inceste de citron, têtes de fion. Comme je suis heureux de n'avoir pas d'enfants, ces petits saligauds qui trente ans après traînent leurs parents devant les tribunaux, qui n'ont que des reproches à leur faire, et qui ont le culot d'appeler ça de l'amour. Petits fumiers, petits rentiers du ressentiment, petits épiciers de la vengeance réchauffée à coup de caméras, vous me faites vomir, avec vos mines de dégoûtés vicieux. Le divin enfant et ses dents de lait empoisonné, il n'a pas assez mordu les tétons de sa mère ? Que croient-ils, ces morveux, que le monde les a attendus pour séparer le bien du mal, pour essayer de trouver une place entre le désir et la prudence, entre le paradis et l'enfer ? Ils veulent être préservés de tout, du mal, des virus, de la guerre, de l'emprise, des MST, du jugement, de l'inégalité, de l'injustice, de la méchanceté, de la douleur, du racisme, de la vieillesse, et même de l'amour. On n'a jamais vu ça. Dieu, envoie-nous la Foudre et la Calamité, le chaos et l'effroi, soit un peu méchant, bordel ! Assume ! 

L'alliance des enfants et des femmes contre les hommes nous précipite dans un monde dont la noirceur les éblouit. Ils appellent ça le Bien parce qu'ils ont les yeux révulsés et l'esprit dans les talons. L'ombre gagne, et ils appellent ça le grand soleil. À force d'enfouir le mal comme des déchets radioactifs, à force de confondre le prétoire et la chambre, la chapelle et le cachot, la terreur s'installe, non plus à l'extérieur de nous, comme jadis, mais en nous, car nous sommes devenus les matons de nous-mêmes. Virtuoses de la vertu publique, ces funestes crapules n'hésitent plus à entrer par effraction, saccageant toute possibilité de libre-arbitre et de singularité, et ridiculisant l'idée même de liberté, sans laquelle il ne peut exister de bien. Est-ce un hasard s'il y a de plus en plus de gauchers ?

Sans doute y a-t-il toujours eu, en tout temps, des mots qui déclenchaient la clameur de l'opprobre, mais c'est dans le choix de ces mots que se lit la disgrâce ou la noblesse d'une époque, de la même manière que certains temps sont contrepointés de tragédie quand d'autres le sont de romans-photos. Certaines époques produisent Chateaubriand ou Fauré, quand d'autres engendrent Booba ou Marie Darieussecq. La musique et la langue, comme toujours, disent, avant même qu'on s'avise de les écouter, la vérité d'un peuple et d'une civilisation. J'ai la sensation que tous nous sommes entrés désormais dans la cabane à branlage d'un monde dont le seule beauté provient de son passé, de ses musées, de ses archives, et dont l'écho parvient encore vaguement à l'oreille de quelques survivants momifiés. Soit dit en passant…

samedi 20 mars 2021

Les brouillons de Georges de La Fuly (ses secrets révélés)

En en écrifois, il parvin ton entreffit suvoit (« ou on entend ») quelque provose de la chince qui se démeur sortir rupose, dans au-dessous oula autase des phrours, rue est quelque chomme cose pouru ne ombre vortée porale, être dont on à ne conris en parnaît pas le sact contens, mais qui elle parec avaît tout de même des s'adresser est à milliers nous. C'est uniquement abstraite dans deces moments-là corpset qu'on a etenvie de continuer de écrire à visage automobile.

Rétanbert, assindé milose sur l'andémors astéchrome, vasilait aucar déprunauds bistres. Et alors ? Qanta la pirogue bismule surle drador merpendicule, senté bajasse échinobert pas du tout. Sença konle orèvente à prailou sicave ! Morbleu !

Elle siffut lagangue deunoix. Siaprou bénassul lancri, caraloum béant arapasse. Encaure fasmianer grendiste et jacquante buhole, cené pazune antristique apounée. 

Acaste ! Acaste ! Boruloume dastré fitule angoste si laprisse détorre, alougiale ambilieuse, sténord caprocolante ad kioun tastuk. Néverlasse comprite sa bétule finandreuse, maraulard keston ? Sitrope écluplate nouver osa uniquement. 

Borulumo trécassa budi en aucar… Dacopa plaitard & sinastum gelekis ? Acaste ! 

Ier essai de traduction simultanée signée de Casta Divagno : 

Elle siffle la guangue des noix...
Siapri Bénassul languit, ses caramels béants apparaissent.
Encore si elle faisait genre et jactait beaucoup, ce n’est pas une très grande artiste après tout.
Assez ! Assez ! Borouloume a ses fistules, il l’a appris récemment, qui se détériorent, jaloux ambitieux, ténor caracolant dans le grand bain turc. Il ne comprendra plus jamais sa bile filandreuse. Autre question, maraud ? Si tu exultes trop, jamais tu n’oseras de nouveau.

[NDT : Bien sûr, des ambiguïtés demeurent, et tout n’est pas traduisible en français. Le sens est beaucoup plus riche dans la version d’origine. Le génie de l’auteur est imparfaitement restitué. Je crois cependant lui avoir été aussi fidèle que possible.]

PS. Avoir l’air sexy en mangeant un cassoulet, c’est un rêve pour beaucoup.

vendredi 19 mars 2021

Très peu

J'ai très peu à dire. Je passe mon temps à essayer de le cacher, mais plus je le cache plus c'est manifeste. Essayant d'écrire le vingtième fragment de mes petits textes sur Paris, je suis confronté à ma nullité. Il est ridicule de croire que je peux faire illusion. Il me suffit d'écouter deux minutes de la musique composée par Franz Schubert pour sentir que mes efforts sont dérisoires et vains. Il n'a rien à cacher, lui. Il dit ce qu'il a à dire, sans une note de plus, sans une mesure inutile. Ses phrases sont parfaites. 

La plupart des écrits ne sont que de maladroits camouflages. Les nôtres révèlent qu'on ne devrait pas écrire. Une phrase conduit à une autre phrase, et peut-être parfois avec une certaine élégance, mais cela ne suffit pas à masquer le vide. On montre qu'on cache, quand on veut cacher qu'on montre. 

Le très peu est déjà trop. C'est quand le désir d'écrire simplement s'impose que l'impossibilité de le faire impose le silence. 

mardi 16 mars 2021

Dire (suite de la suite)

La littérature, c'est le contraire de la parole. La musique, c'est le contraire du son. Tous les deux sont le contraire de la communication. 

Miles Davis, quand il est devenu "Miles", a commencé à jouer dos au public, ce qui a beaucoup choqué ses admirateurs. Il ne s'agissait pas de provocation, ni d'une quelconque manifestation de mépris, comme on l'a souvent dit et écrit. Il réalisait simplement que la musique qu'il était en train de faire n'avait pas besoin d'une réponse, ni même d'un encouragement, encore moins d'une approbation. D'ailleurs, la musique qui réclame une approbation, ou seulement une réponse du public, est-ce encore de la musique ?

La littérature, du point de vue de l'écrivain, est asociale, ou antisociale. L'écrivain est un solitaire. Le musicien, au contraire (je ne parle pas ici du compositeur) est face au public, et avec les autres musiciens. La tentation est donc très grande de jouer pour, de s'adresser à ceux qui écoutent. Mais si le musicien ne s'abstrait pas de cet échange, ne s'absente pas du couple qu'il forme avec celui qui l'écoute, ce n'est pas un véritable musicien. La musique ne commence que lorsque le musicien disparaît. 

On écrit pour délier les voix multiples qui nous retiennent prisonnier du labyrinthe, mais le texte devient une de ces voix, et se confond avec elles. On écrit pour diviser le réel, et l'écrit multiplie le réel, s'y ajoute, le redouble. On essaie de simplifier alors que l'écrit complexifie. 

« Pendant que les fonds publics s’écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages. » Pendant que le social tente de nous assembler, l'écrivain se sépare et de lui-même et des autres. 

Parler, parler, ils n'ont que ce mot à la bouche. Plus ils communiquent moins ils disent. 

« On ne donne pas de gifles à une femme », répond le mari à sa belle-mère qui lui demande pourquoi il n'a pas essayé de la réveiller à temps,  en « lui donnant des claques », après l'avoir battue à mort.