Affichage des articles dont le libellé est Corps. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Corps. Afficher tous les articles

lundi 23 décembre 2024

Grimaces désespérées

 

Ça va laisser des traces — c'est le cas de le dire. 

Qu'on ne me dise surtout pas qu'il s'agit d'un détail, d'une mode passagère et insignifiante ! La manière dont les corps se montrent aux autres a toujours été une vue imprenable sur les rapports réels entre les êtres. 

Les tatouages sont la porte d'entrée (ou le cheval de Troie) du "mauvais genre" (cf. France-Culture) qui prend ses quartiers de noblesse dans la civilisation européenne. J'ai ces choses en horreur. Je ne comprends pas et je ne comprendrai jamais qu'on prenne inconsidérément ce genre de libertés avec un corps. Le tatouage des années 2020, dans nos contrées, c'est la Bêtise incrustée dans l'épiderme. La bêtise et l'arrogance. L'arrogance et l'inconscience. L'inconscience et la vulgarité. On pourrait résumer tout ce qu'on reproche aux tatouages par le dernier mot de cette énumération, mais par qui serait-on entendu ? Qu'est-ce que la vulgarité en société vulgaire, sinon la loi implicite et implacable qui ne supporte pas de n'être pas proclamée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, affichée aux quatre coins de la citée, hurlée sur toutes les places et forums — démontrée et ressassée par tous les canaux du sens. 

Il y a dans le tatouage une exacerbation du moi, mais d'un moi rabougri, d'un moi annulé, flétri, d'un pauvre moi qui n'envisage l'autre que comme une chambre d'échos, un œil écarquillé censé voir la-vérité-de-l'être, alors qu'elle ne réverbère que la preuve du Même, la Publicité placardée qui a contaminé l'intime et le singulier, la Marque déclinée et recyclée sous ses plus sales occurrences, le Signe dévalué et ridiculisé par une farce standardisée et arrogante, la boue épaisse de la médiocrité mimétique. 

Quelqu'un sur Facebook me faisait très justement remarquer que les tatoués ont un maitre, ou un propriétaire, plus exactement, comme ces pauvres animaux qui sont marqués d'un numéro dans l'oreille. Je crois qu'il y a là une vérité profonde. Le tatouage d'aujourd'hui (très différent de celui d'hier (le tatouage de 2024 est au tatouage de la première moitié du XXe siècle ce que le tag est aux graffiti)) est d'abord et avant tout le signe d'une dépossession de soi-même, contrairement à ce que croient ceux qui se livrent à cette pratique grégaire. Ces “décorations” corporelles ressemblent à ces monuments parisiens célèbres que des satrapes sans scrupules ont recouverts de grandes bâches publicitaires qui les masquent entièrement en prétendant attirer sur eux le regard ; ces pauvres gens sont défigurés à jamais sans même s'en rendre compte. C'est le comble de l'aliénation qui se prend pour une libération. C'est la revanche du signe sur ceux qui prétendent en jouer sans le comprendre, sans en voir les effets sur eux-mêmes et le monde. C'est le regard, qu'ils abîment.

Autrefois, les gens qui avaient mauvais goût s'habillaient mal. Ce n'était pas très grave, car on peut toujours changer de vêtements — et la nudité est là pour mettre tout le monde d'accord, avant la décomposition terminale. Dès lors qu'on touche au corps lui-même, au corps vivant, à cette enveloppe qui n'a pas d'enveloppe, qui n'en est pas une et qui se confond avec l'être lui-même, il vaut mieux y réfléchir à deux fois (je dirais volontiers la même chose de la chirurgie esthétique) ; mais les nouveaux tatoués ne vont même pas jusqu'à la première fois, ils se précipitent tête baissée dans cette monnaie de singe ultime qui un jour ou l'autre va les ridiculiser impitoyablement. Le vêtement est par définition pluriel et éphémère ; il évolue, il passe. Le tatouage ne passe qu'avec le trépas. C'est une lèpre mentale qui n'a même pas l'excuse de la pauvreté ou de l'exclusion. C'est comme si les tatoués voulaient devancer l'appel de l'inéluctable pourriture.

Il y a quelques années, l'un de ces bestiaux s'était fait tatouer un Q-R-Code sur le front. Comment mieux dire les aspirations de ces esclaves d'un nouveau genre ? L'encre parlait jadis dans les pages des livres, que plus personne ne considère. Elle s'est transportée sur la peau des nouveaux barbares car l'homme ne peut vivre sans signes. Même quand ils ont cessé de dire quelque chose, ils restent là comme les traces d'un logos martyrisé et inutile qui grimace à la face du monde.

dimanche 16 octobre 2022

Seul et nu (monodie)


Qu'est-ce qu'une mélodie ? Et, plus exactement, qu'est-ce qu'une monodie (une mélodie non accompagnée) ? J'y pense en écoutant le prélude de la deuxième suite pour violoncelle de Bach. Pourquoi a-t-on le sentiment d'assister à un miracle, à quelque chose d'impossible ? Il ne s'agit après tout que d'une suite de notes qui dessine une ou plusieurs courbes dans une géographie imaginaire, dans le temps et l'espace. Ça monte, ça descend, ça se creuse, ça se tend, ça se détend, mais chaque note a l'air reliée à la précédente et à la suivante selon une logique simple, une logique qu'on ne saurait pas raconter mais qui paraît évidente. On ne s'arrête jamais sur une note, sauf peut-être sur celles qui terminent les phrases. Chaque note est un passage, un seuil, une ouverture, mais on ne peut pas dire qu'elle est uniquement cela, on sent bien qu'elle a aussi une existence en soi, même si nous sommes incapables de la fixer, d'y être avec elle, de nous trouver dans son “en soi” au même moment qu'elle. Nous ne pouvons qu'en avoir une sorte de souvenir (ou d'anticipation, ou d'imagination). C'est comme si chaque note faisant partie de la mélodie était inscrite dans le grand catalogue de notre vie et que les phrases allaient chercher une à une ces notes pour les disposer selon un schéma qui réactive partiellement des gestes, des pensées, des rêves, des douleurs et des désirs. Tout est déjà là, mais en dormance. Le grand art fait revivre la vie, la redouble, la fait frissonner. 

En réalité, je n'ai aucune idée de ce qui se passe dans une mélodie. J'ai pourtant lu beaucoup de livres théoriques sur la question, j'ai analysé des centaines de partitions, j'ai essayé d'écouter de toutes les fibres de mon être, j'ai composé moi-même des dizaines de monodies, j'en ai improvisé des milliers, et je ne suis pas plus avancé. Je ne sais toujours rien. Rien du tout. J'écoute ce prélude de la deuxième suite de Bach joué par Yo-Yo Ma et je suis comme un nouveau né émerveillé qui ne sait même pas qu'il y a quelque chose à comprendre mais qui jouit de tout son être, simplement parce qu'il est en vie, qu'il sent, qu'il voit, qu'il entend. Je ne sais pas pourquoi ces notes sont en vie, mais elles le sont, indubitablement. Je ne peux qu'accompagner cette vie, ce son, ces interactions sonores qui plongent directement en moi, je ne peux que prendre place à l'intérieur de ce véhicule. Même ce mot (le son), j'ignore sa signification réelle. Ça passe par l'oreille, ça vibre, c'est l'air que je respire qui prend le pli, qui entre en moi, qui m'informe, soit, mais tout cela ne me dit rien de cette réalité sensible, de ce bouleversement qui me transforme ou qui m'amène à moi, qui me ramène à la maison. C'est la voix de quelqu'un qui est mort il y a 272 ans, quelqu'un que je ne reconnaîtrais sans doute pas si je le croisais aujourd'hui dans la rue. Comment les mélodies qu'il composait venaient à Bach ? Personne ne peut répondre à cette question. Pourquoi lui ? Pourquoi lui plus que tout autre ? Pourquoi ce sentiment de plénitude, de perfection, de grâce ? Je suis encore plus impressionné par une suite pour violoncelle seul ou pour violon seul que par l'Art de la Fugue. Bien sûr, l'Art de la Fugue est sans doute un tour de force incomparable et inégalé, indépassable, mais justement : c'est tellement difficile à composer que je crois mieux comprendre. Alors que ces suites ne sont que des mélodies d'une simplicité biblique : une note à la fois, que chacun peut suivre, sans difficulté. Même un enfant peut écouter cela, c'est comme de marcher en compagnie de quelqu'un qui connaît le chemin : il suffit de l'accompagner. Du temps que j'étais à mon piano huit heures par jour, je jouais beaucoup les sonates et partitas pour violon seul, mais je les jouais comme on joue un exercice, pour le plaisir naïf de la virtuosité. Je ne m'interrogeais pas sur le fil que je déroulais sans y penser, tout au plaisir digital (et puis j'avais du plaisir à jouer ce que mon père avait joué sur son violon). Il aurait fallu s'arrêter sur chaque note, ou plutôt sur chaque paire de notes, car c'est bien le passage d'une note à l'autre qui est le siège du miracle, c'est la force et la couleur et l'amour contenus dans ce rapport qui crée la musique ou la non-musique, l'art ou le non-art. Une note seule ne dit rien, ou presque rien, c'est un point qui ne dessine aucun trait, il en faut au moins deux, pour savoir où l'on va. Pourquoi est-ce dans Bach, toujours, que le sentiment de l'évidence mélodique et harmonique est le plus fort ? Pourquoi cet enchaînement de notes nous paraît-il si impérieux, si bénéfique ? On peut penser, et c'est un truisme, que c'est parce que Bach est précisément le compositeur chez lequel l'intrication mélodico-harmonique est portée à un point de perfection jamais atteinte, mais ce n'est qu'une théorie. Une théorie qui me semble valide et qui me satisfait intellectuellement mais qui ne m'explique rien de ce que je ressens. Chez Bach, on ne sait jamais, en effet, ce qui ressortit de la mélodie ou de l'harmonie, du vertical ou de l'horizontal, car aucune de ces deux catégories n'existe sans l'autre. Mais dire cela me semble si réducteur que j'en ai honte, car on peut le dire à peu près de tous les compositeurs qui se sont succédés depuis l'époque baroque. Loin de diminuer la valeur de l'autre, chacune de ces catégories renforce l'autre : si les mélodies de Bach sont si belles, c'est parce que ses harmonies sont parfaites et parfaitement nécessaires, et si ses harmonies sont si merveilleuses, c'est parce qu'elles provoquent ou permettent des mélodies qui sont à la fois extraordinaires et indiscutables. Jean-Sébastien Bach prouve, à chaque phrase, qu'il parle une langue qui n'a rien de forcé, rien d'artificiel. C'est la rencontre entre la Nature et l'Homme, entre la Science et l'Art, entre la Beauté et la Nécessité, qui fait que Bach n'est pas un compositeur parmi d'autres, et c'est dans ces monodies que nous le ressentons avec une incontestable évidence. La musique de Bach nous nettoie en profondeur parce qu'elle enlève tout ce qui n'est pas indispensable, qu'elle nous montre par l'exemple que la simplicité et la complexité ne sont nullement antagonistes, car ici aussi il est parvenu à un point d'équilibre parfait. Ceux qui connaissent mieux la littérature que moi seraient sans doute capables de citer un écrivain qui aurait inventé une langue de ce niveau ; moi je n'en connais pas. Bach démontre que l'homme est capable d'être un surhomme, mais un surhomme qui n'a aucun des attributs du surhomme, un surhomme qui se contente de l'être dans son art et qui laisse le reste à ceux qui n'entendent pas ou qui ne comprennent pas.

Au printemps de l'an 2000, j'avais demandé à Sarah de me jouer la sarabande de la cinquième suite en ut, dans la petite chambre de bonne que j'occupais à Paris, rue Racine. Je lui avais demandé d'être nue, pour la jouer. Elle avait accepté. Je n'oublierai pas ce moment où chaque note de la sarabande semblait sourdre de son corps. Il était cinq heures du soir, il y avait du soleil, et Sarah, à son insu, provoquait dans le monde où mon corps entrait sans le savoir une petite apocalypse privée qui allait changer ma vie. Elle était la mélodie, l'harmonie, elle était Bach, elle était l'amour et le désir, elle était le temps personnifié, la rencontre du vertical et de l'horizontal, le mystère, la plénitude, la paix, l'abandon, la grâce, la science et l'art, le savoir charnel, la discipline vivante, la pulsation du monde depuis que le monde est monde, elle était le feu et l'air, le sang et les larmes, la caresse et l'oubli, la présence et l'incarnation, la Beauté. Je ne l'ai pas suffisamment remerciée de ce cadeau, de cette révélation. J'ai mis très longtemps à comprendre ce qui s'était passé ce jour-là, la chance qui fut la mienne, la Chance avec un c majuscule, c'est-à-dire la chance qui ne doit rien au hasard, la chance qui est ce point vertigineux et insondable où tous les moments d'une vie se précipitent pour invoquer le Sens et l'Irréductible, ce qu'on ne pourra jamais expliquer mais dont la vérité est irrécusable. Entre le Son, la Pensée, le corps de Sarah et le moment, il y eut ce flamboiement nu qui mit pour toujours en moi autre chose que moi, que je n'ai jamais oublié : une vie calme, profonde, éternelle, une voie à nulle autre pareille ; une fenêtre s'ouvrait — je pouvais voir au-delà. Un au-delà, un autre temps s'ajoutaient à ma vie. Ils ne me quitteraient plus jamais. 

En y pensant, aujourd'hui, je me dis qu'il s'agit d'une inscription. La musique de Bach nous inscrit dans le temps, elle favorise la rencontre entre notre nuit et l'éternité, elle ouvre la porte du Mystère. Il faut oser la franchir. Être nu et seul dans l'inconnaissable, entre deux mondes. Laisser le temps entrer en nous et nous dissiper, sans rémission.

dimanche 12 décembre 2021

Les corps effondrés

L'obésité n'est pas un problème esthétique, c'est un des phénomènes les plus importants de nos sociétés modernes. Ce n'est pas un détail, ce n'est pas un accident. C'est le signe très visible d'un vice profond qui a des conséquences dans beaucoup de domaines.

Pourquoi mange-t-on trop ? Parce qu'on est dénutri. Parce que la nourriture qu'on nous propose aujourd'hui n'est pas nourrissante. Oh, elle nourrit au sens où elle remplit, où elle semble combler les failles affectives, où elle apporte les calories et les macro-nutriments (glucides, protéines, lipides) sur lesquels ces imbéciles de diététiciens ont les yeux rivés depuis la dernière guerre, mais elle n'est absolument pas nutritive. Elle est vide. Dès lors, les organismes ont besoin d'ingurgiter des quantités très  importantes de cette nourriture dégradée, car ils essaient en vain de combler leur manque de micro-nutriments (minéraux, vitamines, oligo-éléments, etc.). Et ne me parlez pas de psychologie ! Je ne dis pas que la psychologie ne joue aucun rôle, mais elle n'est que rarement à l'origine de ces déséquilibres ; elle en serait plutôt une des nombreuses conséquences. 

Nous sommes tous carencés en micro-nutriments (qui en parle ?) parce que notre environnement l'est aussi. Si l'environnement (les sols, par exemple) sont privés de micro-nutriments, depuis l'industrialisation de l'agriculture et la chimie qui l'accompagne, il est évident que les fruits et légumes qui poussent dans cet environnement sont eux-mêmes très pauvres en micro-nutriments. Mais qu'importe, vous disent les médecins et les diététiciens : si vous avez votre compte de protéines, de glucide et de lipides, et surtout de calories, tout va bien… Et c'est ainsi qu'on fabrique des obèses, parce que les organismes de ces gens-là, contrairement aux apparences, ne sont jamais rassasiés ; ce sont des coquilles vides. 

L'industrialisation des cultures, la transformation et les divers procédés de conservation de la nourriture, qui ont cours depuis maintenant un demi-siècle, sont en train de montrer au grand jour leur beau résultat (au sens où nous pouvons voir ses effets, sans avoir besoin d'analyses biologiques et d'appareillage technique). En ce sens, l'obésité n'est que le signe visible de ce désastre : tout le reste (à peu près toutes les pathologies que les contemporains découvrent depuis plus de cinquante ans) est la conséquence de cette alimentation dégénérée, à laquelle il faut ajouter les pollutions diverses (et dans ces pollutions, j'inclus la pharmacopée utilisée de manière intensive — mais les deux phénomènes sont si étroitement liés qu'il est pratiquement impossible de les distinguer (« il existe à l'heure actuelle en France quinze millions de consommateurs permanents [de médicaments], c'est-à-dire souffrant d'affections chroniques (auxquels il faut ajouter les consommateurs occasionnels). Et dans un pays qui fait plutôt figure de privilégié, un Français sur trois représente un malade. »*) ). 

Nous devons dire merci aux obèses, car ils montrent la réalité, ils lui donnent un corps et une forme, et presque une raison sociale. Je me souviens de ces années du siècle précèdent où elle ne sévissait encore qu'aux États-Unis — et nous pensions naïvement qu'il s'agissait d'un problème culturel. Il s'agit bien d'un problème culturel, en un sens, mais ce problème est mondial autant que technique, culturel autant que physiologique, politique autant que moral. Le corps s'effondre, voilà la vérité. Et plus le corps s'effondre, plus il se dilate, plus il s'épaissit, plus il fait signe, désespérément (toutes les pathologies modernes sont des signaux envoyés par un corps abandonné et maltraité, nié). Comment ne pas voir qu'à mesure que la technologie prend plus de place dans nos vies le corps disparaît, se défait, est réduit à l'état d'enveloppe vide et flasque. La vêture suit d'ailleurs étroitement cette évolution, qu'elle expose de manière hystérique. Vous voulez connaître l'état biologique du corps de vos contemporains ? Regardez un défilé de mode. Un index cliqueur, une bouche vorace, un ventre pourri (l'état des intestins de nos contemporains est sans doute l'une des choses les plus effrayantes qui soient), et un cerveau qui se prépare activement à la dégénérescence, c'est à peu près tout ce qu'il reste de l'homme. Il ne faut pas s'étonner que celui-ci ait peur d'un virus et qu'il le considère comme son pire ennemi. Il a sacrifié son terrain ; dès lors la moindre intempérie le blesse et le met en danger. Tout peut lui être fatal. Le SIDA aura été, il y a déjà quatre décennies, le signe précurseur et terrifiant de cet effondrement intérieur des corps. Pour la première fois peut-être, dans l'histoire de l'humanité, des agents microbiens jusque là inoffensifs étaient capables de tuer un jeune adulte. C'est que le système immunitaire de toute une partie de la population n'existait plus qu'à l'état de souvenir. On a voulu croire que cet état de fait était un accident, une anomalie réservée à quelques malchanceux, alors qu'il aurait fallu entendre la détresse immunitaire globale qui se préparait. 

L'homme moderne a troqué le stress violent et dur, mais éphémère, contre le stress chronique et mou, à bas bruit, celui qui use, dévitalise et provoque la dégénérescence et la dépression. Il vit dans un confort permanent qui le prive petit à petit de toutes ses ressources naturelles. C'est un vacciné chronique bardé de défenses extérieures (qui ne lui appartiennent pas) qui a sacrifié toutes ses ressources intérieures à ce qu'on lui vend comme la panacée (la Science te sauvera). Qu'il soit désormais à la merci de ceux qui contrôlent et fabriquent ces étais artificiels n'est en rien étonnant. Il ne peut plus fuir ni combattre, il ne peut que s'abandonner à une technique qui a fait de lui un consommateur captif, un éternel locataire. La déconcertante facilité avec laquelle le monde entier a été mis sous tutelle par les laboratoires pharmaceutiques est révélatrice : l'humain du troisième millénaire a accepté sa dépossession avec une docilité remarquable parce qu'il savait avoir préalablement renoncé à la faculté de se protéger lui-même. 

À côté de l'obésité, un autre marqueur vient dévoiler l'effondrement des corps : la consommation de benzodiazépines et, plus largement, une dépendance quasi générale à la drogue. Les rares qui y échappent ont d'autres béquilles, guère moins délétères, mais la dépendance à tout ce qui entre dans le corps me semble fondamentale : nourriture, médicaments, tranquillisants, excitants, neuroleptiques, anxiolytiques, antidépresseurs, calmants, anti-douleurs, euphorisants, anti-inflammatoires, antibiotiques, bruit, ondes, images aussitôt oubliées, parole vide, sans poids. La pollution est générale. La dépendance est maximale. Ce qu'a montré la pseudo crise sanitaire, c'est que nous sommes nus, les muqueuses à vif. Bien sûr, ce n'est pas complètement vrai, mais tout a été fait pour nous le faire penser. Nous nous sommes laissé dépouiller de tout ce qui nous appartient en propre, à commencer par notre responsabilité. Les maladies sont des fléchettes au curare qu'un dieu irresponsable et capricieux lance au hasard sur ses créatures désarmées. Nous attendons notre tour en baissant la tête. Nous espérons avoir de la chance. Cette croyance est profondément ancrée dans les esprits modernes ; je ne sais si nous en sortirons un jour. Les mots “cancer”, “Alzheimer”, “sclérose en plaques”, “AVC”, “infarctus”, “diabète”, sont des météores furieuses qui sont en orbite au-dessus de nous têtes et peuvent nous viser à chaque instant. Plus personne ne sait qu'il est responsable de sa santé et que son propre corps lui appartient. Ils avalent des choses qui ressemblent à des aliments, ils prennent des substances qui ressemblent à des remèdes, ils consultent des docteurs qui ressemblent à des médecins, ils écoutent des prêtres qui ressemblent à des hommes de science, ils confient leur sécurité à des employés qui ressemblent à des ministres. Quelle dignité leur reste-t-il ? Même le « non » leur est interdit. La souveraineté politique dont on nous rebat les oreilles, ils n'en ont plus la moindre idée, car il y a longtemps qu'ils y ont renoncé, quant à leur être. Leur corps n'est plus qu'un corps social ou statistique, c'est une donnée parmi d'autres, interchangeable, neutre, qu'on peut charger ou débrancher, utiliser ou sacrifier à volonté, et dont on peut disposer comme on le fait de la pièce d'une machine. Elle ne fonctionne plus, elle ne donne plus satisfaction ? On la jette, on la remplace. À l'échelle du monde, puisque c'est désormais ainsi qu'on pense, ce n'est rien — rien qui ne puisse entraver le cours des choses, rien qui ne puisse gêner la circulation des biens et des maux, des marchandises. 

La détresse immunitaire a été fabriquée. C'est ce que je prétends. On parle volontiers des maladies iatrogènes, ces pathologies directement causées par la médecine, mais cette problématique masque habilement les dégâts au long cours, qui peuvent rester longtemps invisibles, ceux des pathologies qui portent des noms trop familiers, nous habituant à les considérer comme à la fois inéluctables et aléatoires. Tout le monde connaît la célèbre formule attribuée à Pasteur : « Le microbe n’est rien, le terrain est tout », mais on oublie toujours de citer la phrase dans son entier : « Béchamp avait raison : le microbe n'est rien, le terrain est tout. » Car c'est seulement à la toute fin de sa vie, qu'il aurait dit cela, et cette phrase contredit largement le pasteurisme, pasteurisme qui continue de guider notre médecine dans son ensemble. Les microbes, les bactéries, les virus ne sont pas ces dangereux hors-la-loi lâchés dans le vivant par une nature folle ou mal organisée. Pour reprendre encore une fois Michel Bounan : « Le rôle des agents infectieux, faux terroristes dont la culpabilité protège de vrais coupables est [si] nécessaire (…) . » Nécessaire à quoi ? Quels vrais coupables protègent-ils ? Je préfère terminer par une question…

Dans mes jeunes années, un terme était très en vogue parmi les commentateurs sportifs de la télévision : le verbe “désunir”. Quand ils disaient d'un athlète qu'il s'était « désuni », nous comprenions que celui-ci était en mauvaise posture, alors qu'il avait l'instant d'avant tous les atouts en main — quelque chose dans son corps ou dans son geste l'avait trahi, l'avait abandonné. La belle réussite de la médecine moderne, alliée contre-nature de l'industrie alimentaire, a été de désunir l'homme de lui-même : elle l'a transformé en son pire ennemi. Il s'est mis à pourchasser la vie en lui tout en croyant que cela lui assurerait l'immortalité. 

(*) Michel Bounan — La vie innommable, 1993)

jeudi 22 avril 2021

Péristaltisme

Je copie ici l'article de Wikipedia consacré au péristaltisme. Je ne peux pas dire à quel point je suis émerveillé par ce que je lis. Cette onde océanique qui traverse le corps humain et qu'on peut même écouter, à l'aide d'un stéthoscope, me semble une chose plus exaltante et plus intéressante que la meilleure poésie, et ne parlons même pas des romans. Mais trêve de bla-bla, voici la chose.

Concernant le tube digestif, il s'agit de la progression du bol alimentaire de la bouche (plus précisément du pharynx) jusqu'au rectum (anus). Il est unidirectionnel : on dit que la progression se fait dans le sens oral-aboral. Le tube digestif est caractérisé par une tunique musculaire, constituée de muscles lisses disposés en deux faisceaux : une couche circulaire interne et une couche longitudinale externe. Ces deux couches sont des faisceaux de fibres unitaires sur le plan physiologique, signifiant que toutes les fibres au sein d'un faisceau sont interconnectées par des jonctions communicantes et peuvent ainsi coordonner leur activité, de façon à se contracter en même temps, à l'unisson. De même, elles peuvent ne se contracter que sur un petit tronçon du tube digestif.

Le tube digestif est donc doué d'une mobilité digestive qui est due à cette tunique musculeuse de la paroi. Le tube digestif est donc caractérisé par plusieurs mouvements, avec des caractéristiques physiologiques différentes : on distingue les mouvements propulsifs, qui font progresser le bol alimentaire dans le sens oral-aboral (péristaltisme, complexe moteur migrant, mouvements de masses), et les mouvements de brassage, qui permettent la segmentation du bol et son mélange aux enzymes digestives (segmentation).

Le péristaltisme est un mouvement propulsif. Il est caractérisé par mécanisme spontané qui s'effectue en plusieurs étapes. D'abord, il y a une onde péristaltique primaire qui se manifeste au moment où le bol alimentaire atteint l'œsophage après déglutition. L'onde force ensuite le bol à descendre l'œsophage pour atteindre l'estomac. Cette onde a une durée de vie de 8-9 secondes. L'onde continuera à descendre dans l'œsophage à une allure constante même si le bol se déplace à une plus grande allure que celle-ci. Si un bol alimentaire est bloqué ou se déplace plus lentement que l'onde dans l'œsophage, une onde péristaltique sera créée autour du bol, le forçant à se déloger et descendre dans l'œsophage. Sans péristaltisme, le brassage des aliments et l'absorption des nutriments, c'est-à-dire des éléments contenus dans les aliments, sont impossibles.

Dans le tube digestif, le péristaltisme est un réflexe à intégration locale : il ne fait intervenir que l'innervation intrinsèque du tube digestif, à savoir, le système nerveux entérique. Dès lors, un tube digestif dont on a sectionné les fibres nerveuses efférentes originant du SNC (Système Nerveux Central) peut produire le péristaltisme. C'est le plexus myentérique d'Auerbach, situé entre la couche circulaire interne et la longitudinale externe, qui intervient principalement dans le péristaltisme en coordonnant les deux faisceaux musculaires. Il est à noter qu'il existe une ondulation de base des potentiels membranaires dont l'origine est l'ensemble des cellules pace-makers intra-myentériques de Cajal participant à la coordination des contractions musculaires et à la "rythmogenèse" du péristaltisme. Le point de départ du péristaltisme est la distension de la paroi digestive qui est perçue par des mécanorécepteurs présents dans la paroi, entre les deux couches musculaires lisses de la musculeuse. De ces mécanorécepteurs, des impulsions vont partir par des fibres afférentes vers les plexus d'Auerbach et faire synapse avec des interneurones qui vont assurer la formation d'un anneau contractile à 2-3 cm en amont du bol alimentaire et la distension de la paroi à 5-6 cm en aval.

L'anneau contractile du péristaltisme est une contraction de la couche circulaire, ainsi qu'une relaxation de la couche longitudinale externe sus-jacente à cet anneau. En aval, la couche longitudinale externe est contractée, et la couche circulaire interne est relaxée. La contraction de la circulaire interne en amont du bol alimentaire diminue le calibre de la lumière et provoque augmentation de la pression intraluminale, En aval, la contraction de la longitudinale et la relaxation de la circulaire a pour conséquence un raccourcissement du segment digestif d'aval, ainsi qu'une diminution de la pression intraluminale. Ainsi, au cours du péristaltisme, le segment d'amont est propulsif et le segment d'aval est réceptif, permettant la progression du bol alimentaire.

Les organes creux du système digestif sont entourés de muscles qui permettent à leur paroi de se contracter. Les mouvements de ces parois font non seulement progresser les liquides et les aliments mais effectuent aussi un mélange de ce bol alimentaire dans chacun des organes concernés. Ce sont ces mouvements caractéristiques de l'œsophage, de l'estomac et de l'intestin qui constituent le péristaltisme.

Le péristaltisme ressemble à l'onde d'une vague océanique qui traverserait le muscle. Le muscle de l'organe concerné se rétrécit puis propulse la portion de nourriture lentement vers la suite du tube digestif.