Ils sont drôles, tout de même. Jamais, dans leur vie, ils n'ont bougé le petit doigt pour quelque cause collective que ce soit, pour autre chose que leur confort personnel, ou leur sécurité, ou leur carrière, et quand tout semble se défaire autour d'eux, quand leurs contemporains, désorientés, angoissés, affolés, martyrisés et stigmatisés, descendent dans la rue parce qu'ils n'ont plus d'espoir, ni de solution de repli, ils expliquent tranquillement que la priorité n'est vraiment pas là, qu'il y a plus urgent. Mais le plus urgent en question, on a pu constater qu'ils n'ont strictement rien fait, non plus, pour y participer le moins du monde, rien, pas une phrase, pas une prise de position, pas une déclaration publique, rien. Pour eux, l'urgence est toujours autre, toujours ailleurs. Leur urgence ne se conjugue pas au présent, jamais. Leur combat est toujours reporté à une date ultérieure pour cause de pertinence supérieure. Leur loyauté va immanquablement au pouvoir, à la sécurité, ou ce qui leur paraît l'incarner, à celui qui tient le manche.
Il n'y a pas de "combat" plus urgent que celui qui s'impose à nous — de l'extérieur. Nous sentons tous, ici et maintenant, et dans notre chair, qu'on veut que nous renoncions à comprendre. Cette crise, appelée très abusivement crise sanitaire, est d'abord et avant tout l'expression de cette volonté. Dans le fond, oui, c'est bien de santé, qu'il est question, de santé morale et mentale. « Il faut avoir perdu tout sens commun pour ne pas voir la dose de délire qu'il y a dans ce qui se passe depuis un an et demi, pour un virus de ce genre », écrivait hier quelqu'un sur Facebook. Les choses ont commencé en tragédie, et immédiatement leur nature de farce nous a sauté au visage. Souvenez-vous de la merveilleuse Agnès qui-rit-qui-pleure Buzin : en voilà une qui a compris immédiatement pour quelle comédie bouffe elle avait été castée. Comme de juste, elle a pris la poudre d'escampette, car elle sait que les sacrifices ne sont pas rares, dans ce genre de spectacles. Elle a bafouillé quelques instants puis s'est enfuie le plus loin possible de la place de Grève — elle a dû entendre le couinement sinistre de la Veuve.
La passe sanitaire, et je tiens à cette graphie, est l'aboutissement d'une longue préparation (il fallait être bien stupide pour ne pas comprendre que nos smartphones allaient finir par nous mener par le bout du code). La passe, c'est le passage par la psychanalyse ou la prostitution, et finalement les deux à la fois. Mais ce que nous n'avions pas vu, il faut le reconnaître, c'est la caution et la force de frappe que viendrait apporter à ce triste attelage la science médicale dévoyée qui a pris naissance aux USA dans les années 50 du siècle dernier. La médecine est le mur porteur auquel on s'adosse pour nous imposer un mode de vie particulier : qui en effet peut se permettre de mépriser sa santé ? Pourquoi la psychanalyse ? Parce que nous sommes désormais tenus de prouver, jour après jour, que nos pensées sont saines, "appropriées", qu'elles vont dans le sens de l'espèce, de la société, de la communauté, qu'elles ne s'opposent pas à l'idéologie du jour, que nous nous adaptons. Pourquoi la prostitution ? Parce que nous sommes désormais contraints de louer des services et des objets dont, jadis, nous étions encore les propriétaires ou les maîtres. Chacun loue et se loue, au gré des situations et des besoins. Même le logiciel que je suis en train d'utiliser pour écrire ne m'appartient pas, et il peut, un jour ou l'autre, m'interdire d'écrire ou me forcer à écrire telle ou telle chose, et à faire des choix qui ne me conviendront pas. En réalité, nous sommes constamment obligés de nous adapter — à un système d'exploitation (sic !), à des contraintes technologiques, à des consignes que personne n'est en mesure de comprendre, et qui, le plus souvent, sont énoncées dans une langue qui n'est pas la nôtre. C'est le règne des robots. Comment ne pas avoir envie de s'opposer à cela ? Comment peut-on accepter qu'une machine nous demande chaque matin si « nous sommes à jour », si nous nous sommes injecté la bonne dose de code ? Le « non » n'est plus possible, ce qui, paradoxalement mais automatiquement, fait disparaître de facto l'assentiment. Des putes et des robots… Voilà le monde auquel les nouveaux maîtres nous convient. Déjà, une partie de nous-mêmes est remplacée par plus simple, par plus malléable, par du code exogène interchangeable, par de la fibre, par du nombre, par du chiffre, et par l'incessante communication de ce qui se passe à l'intérieur de nous. Le soleil ne se couche plus jamais sur l'Homme 2.0. Une fenêtre reste ouverte en permanence. Le "pour-tous" ne ferme pas l'œil. La nuit, l'absence, l'inappartenance, le privé, le secret, toutes ces vieilles choses ont fondu sous le soleil de Satan, un satan boutonneux et moutonnier dont le siège se trouve dans la Silicon Valley. La communication est en train d'excommunier l'homme.
Renaud Camus a théorisé ce qu'il appelle le Remplacisme global, mouvement général de très grande ampleur qu'il fait remonter à la révolution industrielle, qui dépossède petit à petit l'homme de ce qui le fait singulier, unique, irremplaçable, inéchangeable — noble. Ce Remplacisme n'est possible qu'à la condition de rendre le monde liquide, fluide… et le numérique se prête merveilleusement à ces échanges ininterrompus. Il faut que ça circule sans à-coups, sans accrocs. On remplace les populations, les cultures, les matériaux, on les déplace au gré des intérêts, de la demande économique et des contraintes financières. Ni l'art ni le désir n'échappent à cette liquidation. Déposséder… C'est là que se rejoignent nos routes, aurais-je pu croire. Tout converge à merveille. Les hommes de notre temps ne sentent-ils pas qu'ils sont dépossédés de tout ? De leur terre, de leur langue, de leur nation, de leurs traditions, de leurs semences, de leur passé et de leur histoire, de leurs droits, de leur famille, de leurs paysages, et même de leur imagination. Par exemple, cette idée folle d'attendre un vaccin comme le Messie (rappelons au passage que si la recherche médicale s'était uniquement focalisée sur le vaccin, les malades du SIDA continueraient à mourir). Un vaccin est une procédure qui met de côté notre système immunitaire (général et adaptatif, plastique, intelligent), pour le remplacer par une immunité ciblée, étroite, et tributaire de… la réactivation du code (comme un système d'exploitation informatique qui a besoin d'être constamment mis à jour). Il saute aux yeux que ce n'est pas un progrès, bien au contraire. Les médecins 2.0 se réservent le droit de récrire le logiciel de notre physiologie (c'est Moderna lui-même qui parle de "software"…), de le mettre à jour, de le perfectionner. Ce ne serait pas un problème si la médecine était réellement toute puissante, comme elle le croit, toute intelligence, si elle avait percé tous les secrets du vivant… ce qui n'est évidement PAS le cas, ce qui ne sera jamais le cas. Les dogmes d'un jour sont contredits presque systématiquement à la génération suivante, ce qui devrait les inciter à plus de modestie. Mais non ! Ils sont comme des enfants qui cassent leur jouet au prétexte de voir comment ça fonctionne. Ici, pour la fameuse "pandémie", c'était flagrant. On pouvait soigner, on pouvait traiter, comme on l'a toujours fait. Mais non, la médecine du monde d'après avait d'autres ambitions : la Science avait son mot à dire, et parle plus fort que l'Art.
Camus a tort. Il a tort parce qu'il ne voit pas que ce qui arrive est la meilleure démonstration de la validité de sa thèse. Remplacer la merveilleuse immunité naturelle, par exemple (qui est "intelligente", sait s'adapter à toutes les situations nouvelles), par une immunité acquise, bien plus étroite, bien plus bête, et qui demande à être constamment guidée et réactivée (dans le meilleur des cas). Tout est remplacé par une version pauvre, bancale, toc, et surtout, soumise à la mainmise de l'homme, c'est-à-dire aux quelques uns qui ont investi massivement dans ces technologies. Le Remplacisme global est l'ennemi mortel de la Liberté et de la singularité essentielle de l'homme. On aurait aimé que Renaud Camus regarde d'un peu plus loin (ou d'un peu plus près), intègre ce qui est en train d'advenir ici à sa puissante description du monde tel qu'il va depuis Auschwitz. Déjà, lors des soubresauts liés aux questions de genre, il avait commencé par mépriser ces phénomènes, avant de les prendre en compte. (Le sexe aussi, la différence sexuelle, est en passe d'être remplacée par un sexe unique et indifférencié.) On peut comprendre qu'il ait autre chose à faire, et que le meilleur des esprits ne peut tout embrasser, mais je crois surtout qu'une certaine forme de mépris pour les questions de santé est à l'origine de cette myopie. Je remarque qu'un Finkielkraut et qu'un Onfray sont également passés complètement à côté, qu'ils n'ont rien vu. Pas assez intellectuel, le corps souffrant ? Pas assez sexy ? Ou, au contraire, trop central, trop essentiel ?
J'en connais qui sont tellement empêtrés dans leurs contradictions qu'ils ressemblent à des castrats hystériques, ou à ces singes hargneux du "théorème du singe" qui persécutent celui qui n'a pas reçu le même conditionnement qu'eux. La peur de réfléchir (solitairement), de s'informer vraiment, d'aller à la source, la paresse mentale, et la satisfaction d'être du bon côté du manche semblent soulager les angoisses de ces pauvres gens qui ne supportent pas d'être face à eux-mêmes. Le Remplacisme, c'est là, qu'il commence : à l'intérieur de nous, quand nous déléguons à d'autres le soin de penser, et toute la démarche indispensable à une prise de décision éclairée, quand nous évacuons trop rapidement la solitude qui la sous-tend nécessairement. Les robots sont d'abord en nous. Constamment, il faut les débusquer, les déloger, les chasser.
Les gens qui craignent de s'être trompés, mais ne peuvent pas le reconnaître à voix haute, sont toujours très agressifs, c'est bien connu. Ça les travaille au creux des organes. Beaucoup de vaccinés se posent des questions (il faut être fou ou idiot pour ne pas s'en poser) mais ils se les posent silencieusement, ces questions, et il est toujours très difficile de rester seul avec un tel questionnement, « très difficile de remettre en question un choix irréversible », comme le dit justement Bernard Lombart. Il nous est pratiquement impossible, en effet, de penser que nous puissions avoir eu tort de prendre une décision qui engage toute notre vie future. Cela demande un courage et une force de caractère dont bien peu sont dotés. Comme ils ne peuvent pas reconnaître que peut-être ils se sont fourvoyés, ils veulent que tout le monde se trompe avec eux. C'est humain. Tout le monde dans le (même) mur, le mur pour-tous ! Je pense qu'ainsi s'explique en partie la hargne et l'agressivité de ceux qui prônent "la vaccination pour tous". Et, contrairement à ce qu'on répète à l'envi, ceux qui courent se faire vacciner portent bel et bien une responsabilité pour les autres. Ils participent bel et bien à la mise en route d'une machinerie (d'une machination) qui risque de tous nous emporter, ils alimentent la bête. Le tyran doit s'appuyer sur ceux qui partagent sa folie.
La vaccination pour tous… Ça ne vous rappelle rien ? Nous sommes entrés dans un monde qui n'admet plus les exceptions, les exclusions, les discriminations, le hors-cadre. Le Communisme, contrairement à ce qu'on croit souvent, a remporté la victoire post mortem. L'inclusion bat son plein. Le plein, le total, le "pour-tous". Il sera de plus en plus difficile de rester à la marge, de ne pas appartenir, de rester en dehors. La foule unique, la classe unique, le monde unifié et global, la Planète, tout doit marcher d'un même pas, au même tempo, dans la même direction. La Chine montre l'exemple (pays communiste, ou ex pays communiste). D'ailleurs on voit bien que les divers gouvernements "nationaux" sont de plus en plus des fictions. Ils ont de moins en moins de marge de manœuvre, ils filent droit. Il n'y a plus qu'une sorte d'humanité, qu'une seule race, qu'une seule culture, et bientôt plus qu'une seule langue et un seul sexe (même et surtout s'il est pluriel).
Nous sommes dans une mauvaise passe, mais la Covidiase est à l'évidence une aubaine extraordinaire pour ceux qui ne veulent pas, qui ne veulent plus d'un monde soumis aux lois naturelles, et qui cherchent par tous les moyens à se substituer au Créateur. Ils veulent des yeux, des oreilles, des caméras, et des GPS partout, jusqu'au cœur des cellules. Ils veulent des chiffres et du quantifiable, du comptable, de l'équivalence et du substituable, de l'Abstraction, du Standard. Les hommes le sentent confusément, et le refusent viscéralement, même si c'est souvent de manière anarchique. Ils savent que quelque chose va leur être arraché, qui est sans doute l'essentiel, qui est le Vivant en eux. Mais le vivant a ceci d'embêtant, pour ces Prométhée arrogants, qu'il a toujours une longueur d'avance sur les plus folles élucubrations théoriques : « La nature ira [sans aucun doute] très loin dans le rappel à l'ordre. » Le frein le plus efficace à la dépossession qui menace l'homme viendra d'elle.
Si tout le monde embrasse la foi vaccinale, il faudra aller piquer les autres… jusque dans les chiottes. Ce seront des terroristes.