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mercredi 11 septembre 2024

Souligné

 

« Alors une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise et de ne plus la tolérer. » Qu'est-ce qu'il a de plus beau que tout ? Une femme nue. Que les Enfants du Web, de la télé, des directives de Bruxelles et de la modernité digitalisée se soient déterminés dans le même sens que les crocodiles des jurys précités ne paraîtra comique qu'à ceux qui s'imaginent qu'il pourrait subsister des “conflits de génération”. Il n'y a plus de générations, et encore moins de conflits, à l'heure du multimédia ; il n'y a plus qu'une vague maladie sénile de l'humanité. dans le rôle de la lessiveuse à bons sentiments, le roman de Makine, plus bourré d'assouplissant que la plus performante des machines à laver, représente une sorte d'idéal. dans cette prose connivente. À tendre une oreille indulgente à toute cette poésie des confins incertains, on s'est discrédité soi-même. Slave qui peut ! Le mou des steppes. avec son sourire d'anachorète du fin fond des pages de magazines, son beau regard de stylite en extase et sa barbe modérément christique, semblent vous déconseiller gentiment de chercher à faire le malin. Ne dirait-on pas qu'un seul et même journaliste a rédigé tous ces articles ? À vrai dire, quand un livre ne présente qu'un faible intérêt, la manière dont le transfigure ceux qui en parlent, lecteurs ou critiques, peut devenir une captivante révélation, autant sur le livre lui-même que sur la société qui s'en enchante. Plus navrant le prétexte, plus éclairant l'enthousiasme qu'il suscite. la machine à fumée émotionnelle unanimisante. La “communication”, qui est un mot poli pour domestication, a fait son œuvre, elle a anéanti les êtres particuliers. cet avenir radieux du “virtuel” que l'on nous annonce tous les jours (et qui n'est peut-être que l'ultime illusion romantique d'autonomie de l'humanité. rien ne serait plus impoli que de se désolidariser de l'émotion collective, transfigurante, sans objet. On ne voit pas pourquoi le rêve de retomber en enfance se réaliserait partout dans la société et pas dans la littérature. C'est avec le sentiment apaisant de rouler dans les justes ornières du vertuisme obligatoire quand le roman n'est plus qu'une sous-division du produit culturel appelé Livre, il ne s'agit plus pour les romanciers de nous rendre étrangères des choses familières, comme par le passé, c'est-à-dire de détruire le rapport de conjugalité que nous entretenons avec nous-mêmes comme avec les autres et avec le monde (en quoi résidait sans doute l'aspect le plus profondément érotique du roman) ; au contraire, on congratulera un auteur d'avoir répété, sur tel ou tel point, ce qui était déjà écrit chez un autre auteur. A fortiori lorsque celui-ci comme celui-là œuvrent pour le bien public. L'esthétique publicitaire savait depuis les âges farouches que la voie royale du succès passait par la propagande bien-pensante. Avec Makine et quelques autres, le roman lé découvre à son tour. Un bon roman doit rendre bon. C'est à ces choses, entre parenthèses, que l'on peut apprécier la vieillesse d'une civilisation. Quand une société sort de l'Histoire commence alors pour elle le temps des bonnes œuvre. Tout se passe aujourd'hui comme si les romanciers avaient décidé d'emboîter le pas à ces sommités de la médecine que l'on voit finir leur carrière dans les Comités d'éthique. ce réflexe d'étonnement par lequel le narrateur ne cesse de nous convier à découvrir la lune en sa compagnie. cette inexpérience montée en épingle, exhibée comme un trésor sans prix. On nous a déjà si souvent resservi cette vieille soupe des émerveillements asexués de l'enfance qu'on s'étonne qu'elle puisse encore paraître consommable. l'acharnement de l'auteur à se mettre en scène comme une machine à produire de l'extase. qu'est-ce que j'y découvre ? Mon nom ! Dans la liste des écoutés ! Contribuer, à travers le langage de la mode, à un monde uni au-delà des frontières et des différences. 80% des auteurs de polars sont plus ou moins d'extrême-gauche. Le seul problème, c'est qu'on ne sait jamais s'il a fini ce qu'il voulait dire lorsqu'il se tait. Il peut cesser de parler mais continuer son idée souterrainement, pendant que les autres changent de sujet, et, au bout de dix minutes, lâcher de nouvelles phrases qui prolongent sa pensée. Le Mal absolu, c'est la petite-bourgeoisie Savigneau ou Laure Adler. Le petite-bourgeoisie en surfusion de Culture. Je me demande combien de temps encore les culs des femmes ressembleront aux culs naturels d'autrefois. Elles ont d'ailleurs commencé à s'amputer artisanalement : élagage des chattes, rasage des aisselles, régimes amaigrissants, seins au silicone, etc., mais ce n'est sans doute qu'un début. Écrire son journal en étant fermement décidé à ne pas le rendre public de son vivant : donner la preuve, jour après jour, que le public ne nous est pas nécessaire. Ni agréable. Ces enfants-là, me dis-je, sont comme des poissons d'avril que les pétasses agrafent dans le dos de leurs compagnons… Je vois la main griffue de Sollers là-dessous. Bien creusé, vieille tarte. Donner d'autres significations que les significations dominantes au réel social et historique, c'est ça, le roman. Après le Captagon supprimé il y a quelques années, le Dinintel interdit il y a quelques mois, c'est maintenant le Fenproporex qui passe à la trappe. Plus d'amphés sur le marché ! Plus rien pour s'aiguiser les dents, donner aux gens envie de mordre, de trahir et de haïr ! Terminé! Seules les pilules de bonheur, c'est-à-dire de l'adhésion, sont autorisées désormais. Et même encouragées s'ils pouvaient. S'ils osaient. Ordonnance d'Ordinator. Comme la pègre tient les “grand” journaux et les autres médias, elle ne cesse de ridiculiser les marges, et même de les déclarer désormais impossibles. Occupant le centre, elle tient à faire croire aussi que la “subversion” y réside. Sous cette couverture “subversive” et “révolutionnaire”, elle peut continuer tranquillement ses exactions mafieuses. Il est devenu banal de voir s'autoproclamer “politiquement incorrect” n'importe quel plumitif d'influence. se féliciter de la présence de touristes, où que ce soit, est déjà un crime contre l'espèce. Mais si la réalité disparaît, l'utopie n'est plus l'utopie, il n'y a plus rien pour la distinguer de rien, elle peut régner seule. La liquidation forcenée de l'accidentel a entraîné l'hypertrophie de la notion de responsabilité. Tout ce qui arrive quand-même, malgré les protections infinies dont nous nous entourons, est désormais de l'ordre de la faute, ou même du crime. Comme si elle ne pouvait comprendre son propre drame qu'à travers la transformation de celui-ci en question de société. Dans l'impuissance de vivre pleinement l'effectivité de sa peine, l'être contemporain se retrouve dans la position de l'hystérique. Il n'a accès à la réalité de sa douleur que par l'intermédiaire d'une globalisation de son cas (dont il espère aussi qu'elle atténuera sa douleur). On entre en victimance comme on entre sur le marché de l'emploi. En groupisant son propre chagrin, c'est peut-être son chagrin que l'on diminue, mais c'est sûrement son être que l'on anéantit. Il fait re-beau, tout à coup, beau d'une manière furieuse. Le bleu du ciel est plus bruyant que le pire des orages. Le soleil relève soudain de la catégorie des mauvais traitements. Les palmiers salement mistralisés, écorchés par les bourrasques, font avec leurs feuilles des bruits de sacs en papier froissés. Un vent éblouissant transforme l'écume accourante des vagues en troupeau de vaches folles. Au garde-à-vous horizontal, les femmes étalées sur les galets ouvrent incroyablement leurs cuisses à cette violence qui les laissera vierges comme elle les a trouvées. La fête comme destruction du bonheur privé. On dirait qu'elles ont laissé leur âme dans le grand sac où elles ont aussi rangé leurs vêtements en se déshabillant. une lettre lécheuse de Frédéric Berthet, hibou impuissant, alcoolique et sollersoïde. et où précisément Onfray publie (pour la seconde fois puisque c'est déjà sorti dans son dernier bouquin) l'article où il traite Duteurtre de nazi. Cet univers est peut-être le premier dont la seule perpective vous console par avance de la perspective d'en être un jour privé. Toutes les larves n'y écrivent que pour, par, dans, et à travers l'Arnaqueur Sémiliant. Zagdansky, Bourgeade, Moix, Nabe, Pleynet, Beigbeder se bousculent pour astiquer la statue du Frauduleur. Quelle belle équipe ! Regrets éternels ! Un imbécile ressuscite Dada en aspergeant Laure Adler avec un arrosoir. Pourquoi il ne lui pisse pas dessus ? La voilà toute mouillée. Déjà, pauvres et gras au naturel, ses cheveux inondés la rendent pire que jamais. Elle a le rimmel qui fuit. Sollers n'arrête pas de lui essuyer sa sainte face avec des petits gestes de marquis des bacs à sable. On en reste là. Rideau. On accuse cette idiote qui n'a pas volé ce qui lui arrive de “désinvolture” (tiens, un nouveau délit). Ils croient à ce qu'ils voient parce qu'ils le camescopisent. La preuve de Paris, c'est qu'ils le filment. Meyer, en sympathique apparatchik payé par le Système pour remplir la case “turbulences”. En conseil de discipline pour banalisation, annonce Bayrou-tête-de-nœud ! Comme si l'art avait valeur de remède ou de narcotique grâce auquel on pourrait se défaire toutes les autres misères. Quand Babar et Céleste se marient, par exemple, “rien n'indique que Céleste ait eu son mot à dire dans cette affaire”, écrit le con yankee. L'hypothèse morale est toujours au bord des lèvres. C'est cette révolution des transports (avec effacement du territoire, disparition progressive de l'espace, donc de la réalité, etc.) qui est l'objet fondamental, essentiel, des livres de Céline, et qui leur donne leur esthétique. En prison dans l'instantanéité. Veuf de la distance. Amputé des intervalles. le délai dans la communication (le “retard”, le temps passé) était une condition essentielle de la liberté de l'homme. le délire autour du harcèlement sexuel, ce procès d'intention fait à l'autre, est déjà un signe pathologique de la haine du prochain ou de la prochaine. Les médias au sens large, dit-il enfin (et sans grandiloquence), c'est l'Occupation. enfant de chœur urinant dans le bénitier. Je demande la peine capitale contre l'amitié. Le monde présent ne cesse d'offrir à la littérature romanesque des sujets inouïs. La difficulté à les traiter vient de ce qu'il faut commencer par les dégager de la propagande effervescente qui les environne et les protège de toute menace d'impertinence. Le burlesque est partout ; les obscénités inconscientes d'elles-mêmes prolifèrent, mais elles sont offertes à l'admiration de tous comme autant de chefs-d'œuvre du génie moderne, ou comme des émanations parfaitement naturelles, donc incritiquables, de la réalité nouvelle. S'il y a quelque chose que le touriste a en horreur, c'est de se voir et d'être vu comme un touriste. Le touriste (c'est-à-dire aussi quatre-vingt-dix-neuf pour cent des lecteurs. Il souhaite qu'on lui offre à contempler ce qui n'existe plus du fait de sa présence. qui y trouve justement une occasion prestigieuse de se nier lui-même. Par l'irréel dont il était l'une des plus hautes formes d'expression, le théâtre permettait une perception aiguë du réel. L'art serait désormais, et de façon naturelle, un service public, Citoyen-spectateur, Citoyen-lecteur. Et pourquoi pas Citoyen-écrivain ? On se souviendra qu'en 1793, la Convention bannit les termes “madame” et “monsieur” au profit de citoyenne et citoyen, en même temps qu'elle rendait le tutoiement obligatoire. L'homme célinien peut fuir, espérer fuir, se donner l'illusion de la fuite L'homme coincé, bloqué, baisé, enculé jusqu'aux yeux par le Tout sous ses innombrables aspects annonce le règne de la Solidarité de fer. Plus de divers, plus d'autre. Et pourquoi la conversation a-t-elle disparu ? Parce qu'après la Révolution, dit-il, les femmes ne sortent plus seules, elles sont perpétuellement et pesamment accompagnées de leurs maris. Chacun, dès le début du XIXe, a donc son Big Brother intime auprès de lui. L'époux à son épouse, l'épouse a son époux. Chacun vit désormais sous le contrôle de son épouvantail. Kafka n'est plus, et définitivement, que celui qui “a décrit avant terme les arrestations des Juifs, les événements des camps”. Toute son œuvre “est une méditation sur la judéité”. J'aime trop ce pays pour le gâcher par deux phrases et trois comparaisons. Et qu'en est-il de la sexualité du touristanthrope ? De son érotisme ? De son érotourisme ? J'ai bien peur qu'il n'en ait guère, dans la mesure où il représente une sorte de perfection dans l'anéantissement de la négativité. Le touristanthrope est un intégré. Un réconcilié. Il est partout chez lui (définition du touriste). Sorti de l'état de séparation, il n'a littéralement pas d'objets de désir. s'il baise (et il baise, bien sûr), c'est comme on joue au docteur quand on a cinq ans. Grande et belle femme brune qu'il serait agréable de foutre impunément sans lui adresser la parole. remplacement des éléments naturels de l'humanité par du sirop de sucre. Les Maîtres confiseurssuccédant aux Maîtres penseurs. C'est comme s'ils chiaient devant nous. Je me sens dans l'état de quelqu'un qui, après une guerre, appartiendrait au camp des vaincus, des battus à plates coutures. C'est seulement quand elle fait l'éloge de Pennac que je craque. Les originaux ont généralement été aussi des nommeurs », écrivait Nietzsche. les Ceaucescu de l'Infini. (…) les Thénardiers de la rue des Saints-Pères, l'inénarrable Lévy et son Arielle sans bouillir. Pompéi de l'âge touristique. Ils ont mis un nez rouge à tout ça. Et puis voilà. Ça suffit. Au matin, les nuages n'ont pas décroché du ciel. Ils deviennent même, au fil des heures, de plus en plus lourds, noirs, sinistres. Vers midi, tout est consommé. Les nuages sombres fument au-dessus des collines comme des incendies froids. Le ciel traîne sur la terre comme un ventre dégueulasse et trop fatigué pour essayer de se relever. Une pluie de novembre ou décembre tombe sur nous de tout son poids. C'est comme si le Midi lui-même ne croyait plus au Midi. Depuis le début des temps, tout ce qui était possible dans l'ordre des choses vivables et normales a été essayé. Maintenant commence l'âge des choses folles, monstrueuses, difformes, atroces et non critiquables. Côté cul, son plus bel exploit est d'avoir, il y a quelques années, mis son corps en congé sabbatique pour rompre un schéma amoureux qui se répétait un peu trop souvent à son gré. il s'agit de “dégager” un espace “authentiquement démocratique, non hiérarchique, multiculturel, multiracial, dans un pays rongé comme d'autres par le cancer du “nationalisme ethnique”.C'est un monde à part, explique-t-elle, un monde de nobles, qui vivait dans une bulle sans ce soucier du sort des autres. Évidemment, si la Marquise s'était souciée des autres, elle n'aurait jamais écrit ses lettres, on ne viendrait pas visiter son château, il n'y aurait donc pas de guide, et la gentille Lili n'aurait pas de travail. Mais ça c'est une autre affaire. Ils s'emmerdent ensemble. Leurs conversations se traînent misérablement. À intervalles réguliers, l'un ou l'autre se jette sur son téléphone portable, le cramponne, gueule dedans des choses insignifiantes et passionnées, puis coupe la communication, et le néant se réinstalle à table. Avec le café, je me souviens d'un roman, Je vous hais tu connais, de Michel Desgranges. le sport est notre langue mondiale, c'est la lingua franca de la planète ! L' « olympisme est un renverseur de cloisons », il a le merveilleux pouvoir de nous rassembler, de réunifier les hommes ! l'hébétude programmée continue. Les méchants de l'ancienne civilisation désespéraient Billancourt, ceux du monde actuel désespèrent Nouvelles Frontières. Toutes les activités contemporaines vont dans le sens de la réconciliation par l'effacement des derniers discriminants. une frénésie de liquidation de frontières qui se poursuit et ne cesse de s'étendre négation (féministe ou homo) des sexes comme des espèces réunion enfin de tout ce qui peut-être n'avait de goût, de saveur, de charme, que parce que c'était séparé, que parce que c'était repérable et désirable en tant que séparé. Dieu a sorti ses trompettes, ses grosses caisses, tout son merdier d'orchestre. Toutes les opinions ou conduites majoritairement respectées sont en même temps parées des plumes de la subversion. Tous les salauds, bien entendu, hurlent à la saloperie. Pour ce qui concerne le roman, je préconise d'essayer d'exprimer dans le style de Céline des histoires “à la” Kundera. Pour ce qui concerne l'essai, je propose des analyses “à la” Baudrillard, mais avec la violence de Bloy. Au fond, ce n'est plus la droite et la gauche qui nourrissent les choix politiques et composent l'éventail des partis, mais l'apitoiement et la haine. La pluie tombe du matin au soir comme une longue chevelure morne. On va donc enfin pouvoir, comme je le prévoyais depuis si longtemps, mettre en examen la plupart des écrivains et artistes des siècles passés, tous plus ou moins infirmes de la sensibilité (démocratique, humanitaire, multiculturelle, zoophile, etc.). un assez joli aveu du crapuleux Lelouch Les romans de la rentrée sont tous formidables, surtout quand leurs auteurs sont des femmes. Tout ce qui peut arriver de négatif à la culture, je trouve ça bien. Je travaille, c'est-à-dire que j'essaie de me plaire. M. et Mme Vu-à-la-télé, c'est-à-dire Kristeva et Sollers. Sa voix de volupté nasillarde, sa voix midinette mourante, sa voix nymphette démoniaque. Il ne verra donc pas la statue de Michael Jackson en faux bronze plastique érigée sur une colline exactement là où, dans les années cinquante, d'élevait celle de Staline. C'est le gladiateur agonisant dans toute sa scandaleuse splendeur. L'Histoire est terminée (elle était catholique, l'Histoire) ; l'Empire fémino-luthéro-homosexuel commence. Cette rencontre avec Bérénice au Select est plus décevante que je ne le craignais. Le temps et les souvenirs l'avaient bien arrangée, Bérénice. Ils avaient supprimé de son fantôme tout ce qui m'ennuyait, en elle, du temps où elle était vivante, c'est-à-dire vivante dans mes bras, sous moi, sur moi, toute nue, en sueur et rebondie et ardente. Qu'est-ce que j'ai pu m'enfouir dans les poils de sa chatte. Ce qui ne veut pas dire que la Bérénice d'aujourd'hui manque de séduction, loin de là. D'ailleurs, c'est pour me séduire qu'elle voulait me voir. Pour me faire le coup de l'amitié. Elle cherche un “ami”. Un ami homme. Est-ce que je pourrais faire l'affaire ? On en discute tout en marivaudant pendant deux heures. À un moment, dans le but de lui démontrer que l'amitié est impossible entre elle et moi (parce qu'elle ne s'intéresse pas, parce qu'elle ne s'est jamais intéressé à ce que je dis), je me mets à lui raconter mes démêlés avec les voisins du dessous. Elle s'ennuie immédiatement. Sans doute s'animerait-elle si je lui parlais de X, de Y, des noms chatoyants. Du people. comment matérialiser quelque chose (quelqu'un) qui est de l'ordre du flux et de la fuite ? le dégagement du ridicule passant pour la norme. que peut le roman dans un monde où tous les ridicules se démesurent d'eux-mêmes sans la moindre apparence d'intuition de leur propre dérision ? Peut-on encore exagérer une réalité enragée et contente de l'être ? Même si la graphomanie n'existait pas, il faudrait la combattre. Comme toutes les espèces qui, se sachant menacées, ne peuvent plus rien inventer d'autre que l'accélération de leur disparition, les artistes contemporains adhèrent à l'humanitarisme, qui est l'ennemi mortel de chaque art séparé. Pour que les arts séparés entrent dans la sphère de l'humanitarisme, il faut qu'ils perdent leur spécificité. La meilleure manière de leur faire perdre cette spécificité est de les noyer tous ensemble dans la soupe de la Culture. Ce qui tombe de la littérature à la faveur de son absorption dans la Culture, c'est d'abord la bienfaisante fonction handicapante, complexante, inhibante, “paternelle” en somme, qu'elle exerçait face à chaque candidat écrivain. La Culture ne retire rien aux arts qu'elle absorbe, sauf une chose, une seule, leur qualité d'empêchement : autant dire leur sexe. En tant que destin mondial de l'absence des arts, la Culture est l'expérience essentielle de l'histoire contemporaine. Dans l'époque historique de la littérature, il existait des impostures. Dans l'ère graphomaniaque, il n'y a que des postures. Céline promettait, contre une rente à vie, de ne plus jamais écrire une ligne. Ne permettons plus aux artistes, aux écrivains, déclarent-ils avec autorité, de dire que la condition humaine est tragique, que la mort existe, que Dieu est éloigné, que l'enfance est à jamais perdue. Faisons triompher la vérité ! On n'entend plus les écrivains taper. Moins le graphomane est dans l'admiration (et l'imitation) des œuvres du passé, et plus il est dans la concurrence mimétique avec ses jumeaux en graphomanie. C'est de l'art au foyer. Où trouver un lecteur, quand tout le monde écrit ou s'apprête à le faire ?« Le parterre a tout à coup sauté sur le théâtre. » Et il ajoute avec ironie : « Un homme de génie est presque impossible au milieu d'une foule aussi puissamment intelligente. Napoléon commandait à des soldats silencieux, tandis qu'en littérature chacun s'adresse à des gens qui raisonnent. » « Son bébé, son nouveau film, ses trente ans, son premier roman. » Moins il y a de demande et plus il y a d'offre. Si la graphomanie relevait des lois communes, il y a longtemps qu'elle aurait disparu. Même quand elle prend l'allure d'une lamentation ou d'une critique, sa littérature appartient à l'industrie de la positivité. le graphomane n'a que des amis. Cela suffirait à le différencier des écrivains. chaque participant avait quelque chose à y perdre, ne serait-ce que sa singularité). Ils sont aussi des temps de disparition des genres. Dans les temps d'égalité, l'œil voit ce qui unit. Le graphomane exerce son droit à écrire comme les handicapés exercent leur droit au sport. Celui qui s'arrête fait remarquer l'emportement des autres. se demander ce que peut le roman dans un monde où tout le monde devrait être mort de rire. « Qu'est-ce qu'il y a de plus intelligent chez une femme ? – Le sperrrme. » Elle veut faire des films, des enfants et passer son permis. Maintenant, en ouvrant les journaux, chaque matin, j'ai honte d'être encore vivant parmi eux. La Fête c'est la peste. La Feste ou le choléra. La fin de l'histoire, c'est le règne des femmes. C'est le pouvoir féminin dans toute son horreur. La fin de l'histoire, c'est les hommes devenus femmes. revanche de la progestérone, Mais ça suffit. Le charme est niqué. Ils sont là. Ils sont là, les monstres de l'inadmissible maintenant. « Ce que nous cherchons, dit-il, c'est rendre aux gens leur dignité de consommateurs. » on pouvait baiser pour pas cher dans l'arrière-boutique de “certaines librairies-lingeries”. On empêche la techno d'avancer. ce qui était bon, ou non, pour lui-même. La désinvolture, l'insolence vis-à-vis de la réalité / me faire prescrire des ersatz d'excitants. De l'Ordinator. Faut cesser de dire du mal du monde contemporain, oh oui, oui, oui, mon petit chou. Au lieu de foutre cette bonne femme dans une camisole de force, on lui tend un micro. « Vers sept-huit ans, ajoute-t-elle, je mimais “Apostrophes” avec mes poupées »… l'épidémie actuelle de découvertes de cas d'incestes dans les familles (découvertes très exactement contemporaines de la mise au pinacle de l'homosexualité. Il me révèle, enfin, que le sinistre Nabe chie sur moi dans le troisième tome de son journal. J'ai l'impression assez désagréable qu'elle me parle comme à une copine, moi qui l'ai si solidement enculée par le passé. Je me demande comment, avec tout ça, elle espère mon appui. Enfin elle est charmante. Un peu ennuyeuse. Le lecteur d'aujourd'hui est prêt à payer très cher pour qu'on ne lui dise pas ce qui se passe. Affecté par le collectif. Infecté par le subjectif. on pourra bientôt affirmer, sans faire rire personne, que Don Quichotte a été écrit dans le but de résoudre le problème des banlieues, qu'Illusions perdues est une défense des sans-papiers, que Flaubert luttait pour la visibilité gay et Baudelaire pour la reconnaissance immédiate de toutes les minorités. Les femmes sont désormais les gardiennes de deux choses : 1° Le bon déroulement de l'après-Histoire ; 2° Le mensonge obligatoire concernant le fait que l'Histoire ne serait pas terminée. Bref, j'ai vécu partout sauf parmi les intellectuels de cette époque. C'est naturellement parce que je les méprise ; et qui donc, connaissant leurs œuvres complètes, s'en étonnera ? Bientôt, ils feront leurs gros titres sur le fait que le soleil se lève à l'est (et se couche à l'ouest, pour les quotidiens dits du soir). Ou que c'est mouillé quand il pleut. Mais bien entendu, l'Histoire n'est pas finie, oh non, non, non. L'histoire moderne est celle de ses récupérations. La civilisation actuelle ne tolère aucun extérieur. Ses “ennemis”, elle les accueille et les nourrit, c'est plus sûr. les plus veules présentateurs de télévision font l'apologie de la marginalité. Il faudra inculper les nouveaux totalitaires pour confiscation d'alternative. Ainsi le féminisme et l'homosexualité ont gagné partout, à un point tel que ceux qui en sont écœurés n'osent plus publiquement les vomir ; cependant, même leur victoire doit continuer à être proclamée en tant qu'échec, racontée éternellement sur le mode épique d'une héroïque minorité contre une majorité répugnante ; les machos, les pères, les homophobes, etc., dont il n'existe pourtant plus aucun exemplaire en circulation. Depuis la guerre, c'est la mode de crier au fascisme à tort et à travers, alors que l'on prépare de nouveaux conditionnements socio-culturels, alors que les nouveaux dangers idéologiques paraissent inoffensifs. La culture s'est libérée de l'“élite” qui semblait en être propriétaire, mais, dans le même temps, elle n'a plus cru qu'à elle-même et a été obligée de se constituer en religion pour durer quand-même. toutes les conditions de la vie actuelle rassemblent en leur sein en même temps la maladie et tous les médicaments, analgésiques, hypnotiques, permettant d'endurer cette maladie, et même de l'empirer sans cesse, appel constant à lutter contre des ennemis oniriques, Si, comme je le disais, les individus les plus veules, les appointés les mieux domestiqués du système font jour et nuit l'apologie de la marginalité ou de la subversion, c'est qu'il est impossible désormais à quiconque d'être réactionnaire. le roman ne peut avoir d'autre projet que de dévoiler le monde en tant que valeur d'échange, Devant un bol de café, elle décortique la dépendance des hommes à leur mère, assassine Freud et Dolto, parle de la paternité, de mère toute puissante et assène cette phrase formidable : “Pour moi, l'homme et la femme sont pareils devant les enfants”. Je revois aussi Isabelle, morte aujourd'hui. Isabelle, dans une chambre d'hôtel, à Deauville, en septembre 1975. Isabelle rugissant. Me disant plus tard, dans un bar, en s'accoudant au comptoir : “C'est merveilleux, tu sais, je ne peux plus m'asseoir.” Ce qui me gêne dans ce texte (…) c'est que je m'y plagie. « La seule chose que je me flatte d'avoir comprise très tôt, avant ma vingtième année, c'est qu'il ne fallait pas engendrer. » Oui. Et ce n'est même pas moi qui ai écrit ça, mais Cioran, en 1962. Finkielkraut, paraît-il, se demande pourquoi je le déteste. J'ai eu l'audace, par deux fois, de refuser d'aller à son émission. Je suis tombé sur les cinq mille trois cent quatre-vingt-deux lettres que Bérénice m'a écrites entre octobre 87 et mai ou juin 88. Je les ai vaguement relues, puis jetées. Je n'ai conservé que les photos, celles surtout où elle est à poil avec vue sur son cul, ses hanches agressives, sa grande toison noire hallucinée. Tout cela est allé rejoindre d'autres documents dans un petit cimetière de chattes mortes connu de moi seul.

vendredi 2 août 2024

Nanouk consultée [journal]

Vendredi 2 août 2024, heure de la sieste.

« Le moment où je parle est déjà loin de moi. »

De plus en plus de gens prennent du Lexomil. Je ne sais pas si c'est fait exprès, mais le mot "lexomil" est très proche du mot "exil". [L'homme + exil.] Or, je suis persuadé que l'exil intérieur que nous ressentons tous est extrêmement angoissant.

Rien ne s'arrête jamais. Même pendant les Jeux olympiques, surtout pendant les jeux Olympiques, la saleté et la bêtise continuent de saper nos vies. Rien ne s'arrête jamais, même quand on est mort. 

Elle ne comprend rien parce qu'elle n'écoute pas. C'est aussi simple que ça. Mais les choses trop simples sont indicibles, comme chacun sait. Dites une chose simple et vous les verrez fuir en courant comme si vous les aviez maudits. 

J'ai écrit un petit texte assez rageur en réaction à la cérémonie des Jeux olympiques que je n'ai pas vue. Ça m'a défoulé ; un peu. Mais je n'ai pas été assez méchant. On n'est jamais assez méchant avec ces minables. Ma hargne a des hauts et des bas, et pas mal de bas depuis quelques années. Il faut dire aussi qu'on a toujours en arrière-plan l'idée de dévoiler ce qu'on écrit sur les réseaux sociaux, et que certaines choses ne peuvent pas s'y montrer. Je suis très peu lu, certes, mais il suffit d'une de ces sales bestioles de robots fureteurs pour être banni de la seule vitrine que je connaisse. C'est rageant de devoir concéder qu'on n'est pas aussi libre qu'on le voudrait. Et le premier con venu lèvera la main en croyant objecter : mais si vous n'avez pas vu la cérémonie, comment pouvez-vous en parler ? HEIN ? Objecte toujours, mon Coco, c'est pas toi qui nous feras débander.

Comme j'écris dans ce journal en écoutant le quatuor en mi mineur de Fauré, l'opus 121, je me sens légèrement discrépant vis à vis de moi-même, comme dirait Boulez. 

Le même schéma se répète avec toutes les femmes que je connais, à peu de choses près. Leur timidité les préserve, au commencement…

Ah, les amis… La page 42 du sixième tome d'Ultima Necat de Muray est terrible, à cet égard. Comme je confiais ma… Ma quoi ? Je ne sais même pas ce que je pense de cette « Nanouk », la femme de Muray, que je ne connais évidemment pas, mais vers laquelle mon intuition ne me porte guère, et je me suis attiré des réponses pour le moins étranges. Ce qui me déçoit énormément de la part de Muray, c'est son « D'ailleurs, Nanouk, consultée, me l'interdit formellement. » Muray demandant l'avis de Mamour pour savoir s'il doit rendre service à un ami, c'est tout de même… Bref. Je préfère me taire, même si l'on me peint « Nanouk » sous les traits les plus fermes et grandioses. Il faudrait écrire un opuscule intitulé : « Nanouk consultée ». Ça me fait penser à ce jeune compositeur très ambitieux auquel Renaud Camus avait souhaité publiquement un joyeux anniversaire, et qui avait demandé à ce dernier de retirer ses vœux. 

Dès les premières mesures, dès les premiers accords du quatuor à cordes de Ravel (après Fauré), toute mon enfance reprend ses quartiers dans mon corps. Mon corps d'enfant n'a jamais disparu. L'enfance ne disparaît jamais. Nous avons plusieurs corps à notre disposition, ou plutôt nous sommes à la disposition de plusieurs corps qui se chevauchent, qui s'enchâssent les uns dans les autres, dont aucun ne recouvre jamais totalement les autres. Ces empilements (c'est plus subtil qu'un empilement, naturellement) sont notre être, au moins autant sinon plus que notre âme. La vibration qui me parcourt en tout sens à l'écoute de ce quatuor est indicible, je ne peux la décrire, mais je la sens physiquement dans mes membres, sous ma peau, dans mes organes, dans le flux sanguin, dans mes cuisses, c'est une transpiration gazeuse qui soulève la mémoire (mais une mémoire sans objet), l'expose à la présence instantanée, en l'affectant d'un coefficient inquiétant et in(dé)chiffrable. L'impossibilité absolue de la partager avec quiconque me fonde plus que mon génome. C'est l'instituteur de ma morale, de la seule morale réelle. Terre lucide de l'impartageable. Toujours cette certitude que la musique est la plus radicale et la plus exigeante des solitudes. Personne ne peut vivre aux mêmes fréquences que nous, nos rythmes sont infréquentables. C'est le Quatuor Juilliard qui joue. Nul autre que lui ne peut accomplir le prodige. Je ne dis pas que leur interprétation est la meilleure, non, mais ils sont à l'origine, ils sont dans cette qualité de présence qui seule permet pour moi de revivre le miracle, presque à volonté, de déposer mes sens ici et maintenant, en confiance.

Il y en a que je fais rire, d'autres que je terrorise, d'autres encore qui me haïssent immédiatement et irrévocablement — et c'est bien naturel. L'antipathie devrait être le premier des Droits de l'homme. Ah oui, il y a aussi DB qui trouve que non seulement j'écris de la merde mais que j'en mange, aussi. Celui-là mérite un opuscule à lui tout seul. Ça viendra. Décibel, ça s'appellera.

Je ne sais pas si je fais bien de commencer un jeûne sec alors qu'il fait chaud comme jamais. La nuit dernière a été assez difficile. Plus de 32 ou 33° dans la chambre, sans un souffle d'air. Je n'avais pas été suffisamment prudent, avec les volets, dans la journée. Mais j'ai assez attendu l'été, le vrai, pour ne pas me plaindre. On ira jusqu'au bout de la soif !

L'histoire de la jeune boxeuse italienne qui a déclaré forfait après avoir pris deux ou trois gnons (46 secondes) de la part de son adversaire algérienne (ou algérien, tout est là) est merveilleuse et exemplaire. Je crois qu'on tient là l'image, la révélation, le « pot-au-rose » de ce que le féminisme a produit depuis toutes ces années : sa vérité. On arrive enfin au terme de cette immense blague à laquelle tout le monde feint de croire dur comme mère. En effet, si l'on pousse la logique des féministes jusqu'au bout, c'est bien à cela qu'on aboutit, très logiquement. On ne peut pas y échapper. Les féministes ne sont depuis vingt ans au moins que les agents plus ou moins conscients de ceux qui veulent abolir les sexes (et le sexe), comme on a aboli les races, les âges, les classes sociales, et toutes les autres frontières (pour les nations, c'est en cours, mais ça va vite). Mais très bien, Mesdames, très bien, vous voulez qu'on soit pareils, absolument pareils, alors prenez des gnons de la part des hommes, et sans moufter, s'il vous plaît. Elles ne veulent que les bons côtés de l'égalité, exactement de la même manière que les immigrés d'aujourd'hui ne veulent que les « bons côtés » du pays dans lequel ils s'installent. Cela dit, l'Italienne, là, je suis presque certain qu'elle avait préparé son coup assez malhonnêtement, parce qu'elle se savait moins forte. Ça lui offre une porte de sortie honorable, et ses larmes étaient assez crocodilesques, à mon avis. Mais peu importe. J'aurais fait pareil à sa place. On est de toute manière dans la Farce la plus farcesque, et sans se forcer. Macron adore ça, évidemment. Il est toujours aux premières loges, dès qu'il s'agit d'indistinction, de louchitude, il arrive la truffe en l'air comme un chien qu'on emmène à la chasse et qui pisse partout de plaisir. 

dimanche 12 mai 2024

La vie sexuelle de Georges de La Fuly

 

Reprenant les Exorcismes spirituels de Philippe Muray, j'y relis un texte qui m'avait enthousiasmé à l'époque (2000) et qui me semble encore plus vrai aujourd'hui : Sortie de la libido, entrée des artistes. En épigraphe, cette phrase extraordinaire : « Celui qui promettrait à l'humanité de la délivrer de la sujétion sexuelle, quelque sottise qu'il dise, serait considéré comme un héros ». On a vraiment la sensation que Freud est là, parmi nous, témoin sidéré du grand délire dans lequel les femmes d'aujourd'hui nous entraînent en grinçant des dents et des cuisses.

Tout serait à recopier, dans ce texte magistral ! Qu'on me permette au moins de citer le premier paragraphe. « D'une façon générale, il devrait être maintenant possible de commencer à évoquer froidement ce qui reste de la vie sexuelle à la manière dont on décrit les monuments du passé, les cathédrales, les ouvrages d'art désaffectés, les palais inutiles et les châteaux déserts entre lesquels continue à se déplacer une humanité qui n'a plus avec ceux-ci le moindre rapport de cause à effet, mais qu'elle révère néanmoins en tant qu'objets de contemplation et prétextes de visites ; et sans doute avec d'autant plus de plaisir que ces objets ou ces prétextes, arrachés sans retour à ce qu'ils étaient, à leur quiddité pour parler un instant comme Heidegger, sont devenus de purs et simples éléments du décor photographiable et caméscopable jusqu'à plus soif. Il en va aujourd'hui de l'existence sexuelle, c'est-à-dire de l'avidité libidinale, comme de ces “lieux de mémoire” qui ne sont plus que des motifs d'attraction et d'animation pour une société toute nouvelle, après avoir été longtemps peuplés d'êtres en cohérence avec ce qui les environnait. »

Plus personne ne sait très bien à quoi pouvait servir le sexe dans les temps historiques… Depuis une vingtaine d'années, il disparaît progressivement de la vie et envahit les écrans. Et dans ma vie ?


L'un miaule et l'autre écrit. Je lis les poèmes de Vincent en écoutant les sonates pour violon et piano de Bach. Jaime Laredo. Dimanche. Le goût du pain beurré. Rayons de soleil sur les feuilles du néflier. Grand calme.

L'agitation est retombée. Je remarque que lorsque mes phrases sont bonnes, je change de manière de frapper les touches du clavier. Je sépare les lettres, j'enfonce les touches avec une sensation plus intense, plus réelle.

Goût sucré au fond de la bouche. Valérie voulait me donner un teckel mais je n'aime pas les petits chiens. 

et tu allais cul nu te baigner dans la mer.

J'ai un énorme fichier qui d'ailleurs augmente constamment, dit Michel Leiris à Madeleine Chapsal. Je m'aperçois tout à coup qu'entre tel fait et tel autre, il y a peut-être un certain rapport qu'il s'agit d'élucider. Le chat Bébert passe dans le jardin.

Nous vivons contents et doux, comme des fleurs sous les obus

Dans la nuit de vendredi à samedi, j'ai fait un rêve extraordinaire. Il suffit d'un rien dans un mail écrit trop rapidement pour que les gens se froissent. Ils ne le disent pas mais on le sent. J'ai passé un savon à Cora. 

La sujétion sexuelle… Parlons-en. Ou plutôt, n'en parlons pas, comme de tout ce dont il ne faut plus parler. Il ne faut pas parler de musique, il ne faut pas parler de langue, il ne faut pas parler de race, ni de Surveiller et Punir, ni d'elle, ni de lui, ni d'eux, ni des seins de Jo. Il faudrait tout de même que je cite l'extraordinaire poème que Vincent lui a consacré. Mais non. Ophélie a reparu dans un espace que je ne fréquente pas. Je ne suis pas un héros. Le son du violon, le son de la guitare. Le café.

Je me détruis j’envoie des lettres J’ai tout essayé pour te plaire

Était-ce la tempête solaire ? Je ne savais pas. Je dormais. Dans mon rêve, j'étais dans ma chambre d'enfant à Rumilly. Je dormais, et il y avait une lueur extraordinaire qui provenait de la porte ouverte, une lueur comme je n'en avais jamais vue, belle et inquiétante, blanche et diffuse, d'une blancheur qui contient toutes les couleurs. C'est cela qui m'a réveillé et qui m'a effrayé. Je me suis retourné vers la porte, toujours allongé, et alors je me suis réveillé dans un autre rêve. J'ai dû produire un effort extraordinaire pour me réveiller de ce second rêve, et dans la chambre, tout était noir. Je me suis apaisé. Ma mère et ses frasques… Méconnaissable, elle découchait et rentrait au petit matin, trop fraîche. Comment peux-tu me faire ça ? Ma mère et les chats. Mon père et les chiens.

Tes seins

se connaissent

et se reconnaissent comme des Anglaises à Piccadilly

On voudrait être léger. Plus léger encore. Foutre la paix à tout le monde. Ils n'y sont pour rien, contrairement à ce qu'on fait semblant de croire. La lettre de Yohann à VEOLIA, je la trouve extraordinaire ! 

On voudrait avoir du génie, n'est-ce pas. Ce serait bien.

— N'avez vous pas dit que vous écrivez pour être aimé ?

— C'est une chose que m'avait dite Genet, lorsque j'ai fait sa connaissance. 

J'ai commencé un nouveau cahier, le 11 mai. Je sais bien que tout finira à la poubelle, quoi qu'ils disent. 

Ce sera un beau matin Bleu et clair pour la saison Où

L'un miaule et l'autre écrit. Je me ferai un bortsch, mardi. Tant pis si ce n'est plus la saison. Avant que mes boyaux pourrissent au fond d'une chambre, quelque sottise que je dise. Je la suis dans la rue très-noire quand elle change d'avis comme de trottoir. Il faut prendre un peu de plaisir tout de même. Quel calme, avec la sicilienne de la quatrième sonate en ut mineur. Je suis un élément du décor, ni plus ni moins. Je peux me le permettre, puisque je suis seul. Vous pouvez bien dire ce que vous voulez, ça ne changera rien. J'ai de la sympathie pour Robbe-Grillet. Il était si drôle. C'était l'époque où le sexe existait encore, vous souvenez-vous, mes vieux compagnons ? Nous étions heureux. Pas du tout libérés, non, mais heureux. Libres. 

Oh, ça va bien ! Ne vous retournez pas, il n'y a rien derrière vous, que l'ombre si épaisse de notre avenir. On marche, on dort, on marche encore, on dort toujours, et les heures passent dans le jardin, avec l'odeur du seringat. Dimanche. Je n'ai pas de fureur en moi. 

J’ai beau me taire pour te plaire, Je suis silencieux pour toujours.

J'écoute toujours, jusqu'à ce que la réalité des choses soit enfin dissoute, sans qu'il y paraisse. Je passe ma main sur le bois de la table, je m'attends à ce qu'elle le traverse. Toutes les sensations de la vie sont bonnes. Il faut n'en perdre aucune. Soyez attentifs, pour avoir des souvenirs qui seront bientôt tout ce qui vous reste. 

En ce moment il y a des ciels sympas Et tout s’effondre en moi

Comme un colonel dans sa vodka

Son invisible galantin

Je serai jusqu'au dernier soir,

Bien caché derrière son miroir.

Tu ne dis rien ? Tu ne dis jamais rien, je sais bien. Chut ! C'est ton style. Comme des fleurs sous les obus… Tu dors peut-être, comme nous tous. Une péniche passe. C'est son nom. 

On ne remarque pas l'absence d'un inconnu.

Ce qu’on imite, c’est déjà et toujours une copie.

L'alphabet et moi nous inventons des aventures. Je cite Montaigne sans le vouloir. Je reprends du café. Le chat se met subitement à courir sans que je comprenne pourquoi. 

Rendez-nous le sexe !, dit-il, des sanglots dans la voix. Les mines s'allongent car personne ne sait de quoi il parle. Il doit être fou. Ils écoutent l'Eurovision, ils votent, ils boycottent, ils aboient, ils polémiquent, ils « postent ». Mais la mer passe par-dessus les toits et emporte les antennes. 

Comment est-ce possible ? I Hear A Rhapsody - Live

samedi 11 mai 2024

Sarcasmes contre dithyrambes

 

Bernard Pivot est mort il y a quelques jours. À cette occasion, on a vu fleurir sur le Net une profusion extraordinaire de dithyrambes. Un des mots qui revenaient le plus était « grand homme ». Bernard Pivot était le grand'homme qu'on n'avait pas su admirer autant qu'il aurait fallu, en son temps. Et puis ce fut évidemment l'occasion de ressortir son fameux texte « très chiant » sur la vieillesse, ce texte si mauvais qu'il semble avoir été écrit par l'une de nos journalistes ou, ce qui revient au même, par l'une des nos écrivaines vedettes. Je crois que c'est ce texte qui a fait déborder le vase de ma mauvaise humeur. On est toujours excédé quand on voit les admirations de ses contemporains, car c'est là que se révèlent leur goût épouvantable et leur soumission sans réserve aux poncifs et à la langue du jour. Mais c'est un détail, si l'on veut bien considérer le phénomène dans son ensemble.

Faut-il que l'époque soit misérable, et misérablement déculturée, pour qu'un Bernard Pivot lui semble incarner le nec plus ultra de la culture ! Il est merveilleusement significatif que ce nom soit devenu le symbole de la France littéraire. Mais je n'ai pas ici l'ambition de traiter ce sujet, sinon par la bande.

Ce qui m'intéresse au premier chef, ce sont les réactions qu'a provoquées une photographie qui laissait voir un court extrait (même pas la première page en intégralité) du texte écrit par Philippe Muray, « Pivot et son peuple », texte qui comporte huit pages, tel que publié aux éditions des Belles Lettres dans le troisième volume de ses Exorcismes spirituels. Dans tous les commentaires qui se trouvaient sous cette publication, ou disons dans 99% de ceux-là, se lisait la révolte du « peuple de Pivot », ce qui est parfaitement normal, puisque le texte de Muray vise moins Pivot que son peuple, c'est-à-dire la petite-bourgeoisie post-littéraire qui s'agite nerveusement à la moindre brise qui semble la moquer ou seulement la contredire. Et, comme par hasard, dans TOUS ces commentaires — mais vraiment tous ! —, dans tous les commentaires de ceux qui très visiblement n'avaient PAS lu le texte en question, Muray était orthographié Murray, alors même que le patronyme de l'écrivain figurait en tête de la page. (Un cas similaire et ô combien significatif est celui de notre ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, que personne, sur internet, ne sait orthographier correctement. Il me semble pourtant que c'est précisément quand on attaque quelqu'un qu'on doit prêter attention à bien le nommer, sous peine de voir les critiques qu'on lui porte complètement dévaluées.) Comment mieux signifier que ces gens ne lisent pas, ne voient pas, très littéralement, ce qui est écrit, mais ce qu'ils veulent lire, ce qu'ils s'attendent à lire, ce qu'ils désirent lire. La violence des réactions sous ce « statut » Facebook était presque comique, mais on ne s'est tout de même pas aventuré à faire remarquer à leurs auteurs qu'ils réagissaient comme des poulets auxquels on a coupé la tête, car ces bêtes là mordent, quand on s'avise de montrer à quoi ils ressemblent, vus de l'extérieur. Ils aiment communier, soit. C'est une chose qu'ils font très bien et avec passion. Que la communion porte sur la détestation d'un écrivain qui ne braille pas dans le sens du vent, et elle atteint au sublime, car ils savent, dans le fond d'eux-mêmes, qu'il est question de quelque chose dont ils ignorent tout — et c'est bien cela qui les rend hystériques. La petite-bourgeoisie régnante n'aime pas, mais alors pas du tout, se sentir exclue. Elle a même fondé son projet sur le rejet de toute exclusion : l'inclusion est son idéal indépassable. Tout doit être POUR-TOUS, sous peine de ne pas exister ou d'être considéré comme un crime. La littérature restait encore vaguement, jusqu'en les derniers temps du siècle dernier, un de ces territoires auxquels on n'accédait qu'avec difficulté et effroi, et c'est bien ce qui est insupportable à ceux qui veulent se sentir partout chez eux. La morale du Touriste a depuis longtemps aboli tout réel sentiment d'étrangèreté, et toute possibilité d'être un véritable étranger en quelque domaine que ce soit. La morale littéraire est une de celles qui ont disparu corps et biens. L'exigence minimale qui consiste à lire un texte avant de le critiquer, ou seulement de s'en offusquer, semble aujourd'hui une de ces vieilleries qui font sourire les poulets sans tête pressés qui ont le doigt rivé sur leur smartphone, et qui exigent des réponses claires, univoques et immédiates à des questions binaires. Leur demander de lire le texte de Muray (huit pages !) serait presque les injurier : pour eux, la question n'est pas là ! Mais même avant de savoir s'ils accepteraient de lire le texte de Muray, il faudrait savoir s'ils ont appris à lire, car on ne lit qu'en fonction de ses autres lectures, autrement dit de cette faculté à relier les textes entre eux, à les faire dialoguer, faculté qui s'élabore lentement au fil des années. La réponse à cette question est trop bien connue, nous en avons de multiples preuves chaque jour — et d'ailleurs la littérature n'est pas seule en question. Dès qu'il s'agit d'apprendre, dès qu'il s'agit d'admettre que quelque chose nécessite un apprentissage, que rien n'est donné sans effort et temps (la question du temps est centrale, peut-être plus encore que celle de l'effort), que les goûts sont toujours et avant tout des états culturels, nos Modernes se rebiffent et en appellent à l'Égalité et à la Démocratie, instances qui s'empressent bien sûr de leur donner raison, en vertu des nouveaux « standards de la communauté », qui stipulent que chacun vaut chacun et que l'Immédiateté est le principe souverain.

La littérature occupe une place ambigüe dans les arts. Comme chacun s'exprime avec des mots et des phrases, chacun pense tout naturellement qu'elle est immédiatement accessible, qu'il sait de quoi il retourne, qu'il est en terrain conquis, et la distance qui dès l'origine a toujours été grande entre ce qui est de la littérature et ce qui n'en est pas s'en trouve vertigineusement augmentée, dans la mesure même où on a prétendu l'abolir. « À “Apostrophes”, comme à “Bouillon de culture”, et malgré tout ce qui se raconte depuis tant d'années, on ne parlait même pas des livres, on s'en débarrassait. » On voit bien, ici, comme il sera facile à celui qui lit littéralement de prétendre débusquer l'infamie et l'excès (qui, comme chacun sait, “est insignifiant”) de Muray. L'auteur est plus authentique que son œuvre, puisqu'il est incarné et qu'on peut assez facilement l'abattre : de là vient qu'on s'en prend à Murray, un Muray fantasmé qui serait plus réel que l'écrivain et ses textes. Ici comme ailleurs, il s'agit de faire rendre gorge à l'artiste, qui doit toujours rendre des comptes. Qu'avez-vous voulu dire ? Quelle est la vérité une et indivisible que vous prétendez exposer une fois pour toutes ? Quel est le sens de votre texte ? De quoi pourrons-nous vous accuser, in fine ? Qu'un écrivain puisse écrire une chose et son contraire, et que le contraire de la chose soit la chose même, la chose plus vraie qu'elle-même, stratifiée et donnée en ses occurrences paradoxales, voilà qui échappe complètement à ces assoiffés névrotiques de sens ; que le sens puisse avoir plusieurs sens, plusieurs étapes, plusieurs physionomies, plusieurs identités et plusieurs temporalités, voilà qui ne cadre pas du tout avec l'exigence de transparence de l'époque. Les écrivains véritables ne peuvent pas être délimités, ils ne peuvent pas être assignés à une identité simple, c'est ce que ne comprendront jamais ceux pour qui la littérature n'est que la somme de textes qui racontent des histoires ou qui empilent des vérités, fussent-elles personnelles. Comme on le fait des livres, on se débarrasse des écrivains, du moins de ceux qui croient encore qu'existe une chose qui s'appelle la littérature, qui ne doit rien aux « convictions » et aux « valeurs » de ce temps et de ceux qui le promeuvent du matin au soir sous les acclamations émues des nouveaux procureurs numériques. 

Que Bernard Pivot ait aimé sincèrement les livres, personne je crois n'en disconvient. Mais les livres, il y en aura toujours trop, contrairement à ce que croient devoir penser les perroquets dévots qui proclament leur amour des Lettres la main sur le cœur. On peut lire un livre par jour et ne pas savoir lire, c'est ce que je constate depuis très longtemps, on peut écouter de la musique toute la journée et ne pas avoir la plus petite idée de ce qu'elle est, on peut écrire de la poésie et l'enterrer bien profond sous des centaines de vers, on peut même être professeur des écoles et ne pas savoir écrire une phrase correcte, on peut être commissaire d'exposition et n'avoir de la peinture qu'une connaissance qui n'excède pas celle d'un honnête amateur du XIXe siècle… mais bien sûr que si l'on compare « la télé de Pivot » à ce que l'on peut voir aujourd'hui sur nos écrans, on a l'impression d'avoir perdu une chose précieuse. Pour Muray, faut-il le dire, la question n'était évidemment pas là, d'autant plus que son texte a été écrit en 2001, et pas du tout en 2024. Moi j'ai souvent aimé Apostrophes — parfois pour de mauvaises raisons, parfois pour de bonnes — et même si Pivot m'a exaspéré plus souvent qu'à son tour, j'ai de la sympathie pour ce journaliste passionné et travailleur. Je plaide néanmoins pour la liberté des écrivains à dire ce qu'ils voient, quitte à être violents et injustes, car ce sont eux seuls qui sont en mesure de faire résonner le monde en le frottant à leurs phrases. Les « grands hommes », ce sont les écrivains de race, pas les journalistes.

Pour reprendre les mots de Jean-Paul Brighelli, dans un article récent, Philippe Muray n'est pas « méchant », il est incisif. « Il plante le couteau dans la plaie, et il désosse » et il le fait avec une verve et une drôlerie enthousiasmantes, consolantes, même, quand on songe à tout ce qu'il nous faut endurer en silence. On ne va pas en plus lui demander de ne jamais se tromper, ou d'être impartial ! Ce serait la pire des bêtises. Et puis d'ailleurs j'en ai plus qu'assez, de cette accusation de méchanceté. La méchanceté n'est pas interdite à un écrivain, ni le sarcasme. Ce qui lui est interdit, c'est la platitude, la lâcheté et le conformisme — et la poésie poétique. 

vendredi 25 avril 2014

C'est encore loin ?


« Si, pour atteindre l'authenticité, la voie la plus directe est désormais impraticable, alors il nous faut emprunter le chemin le plus long. » L'électricité est coupée. Ce qui signifie : pas d'Internet. Le café à l'ancienne, en faisant chauffer l'eau sur le gaz. Pas de téléphone. Le temps est immédiatement différent. (Mais je peux tout de même écouter Helen Merrill grâce à l'ordinateur portable.) Toute ma vie n'est que l'histoire de ce détour, de tous ces détours, innombrables, souvent sans espoir, pour parvenir à l'authentique, à une certaine vérité. Si l'on m'indique un chemin direct, immédiatement je me raidis, je résiste, je n'y parviens pas, mes jambes se dérobent. L'herbe est haute, il fait bon, les fleurs sont nombreuses, je sens leur parfum. Les idées sont des constellations qui s'impriment sur le vivant. Dans la symphonie que je ne finirai sans doute jamais, cela se traduit par des harmonies (ou des thèmes) qui lentement émergent du bruit blanc. Visages qui sortent du sable, qui surgissent dans les rêves. La cabane de Mahler ou celle de Thoreau, la hutte de Heidegger, la niche de Luna. Je n'aurais jamais cru ça possible, mais il y a incontestablement un retour d'un certain "ordre moral" à droite. Il y a encore cinq ans, dire cela aurait été grotesque et surtout malhonnête, mais depuis quelque temps, on le sent, c'est indubitable. Les odeurs de la revanche, ces odeurs qu'on déteste plus que tout. "Juste retour des choses" ? Non, jamais juste, toujours immonde et dégueulasse. "Boulevard Voltaire" est l'épicentre de ce mouvement. Ce matin, je suis allé lire les commentaires sous un article consacré à Anne Sinclair. La répugnance qu'on a à lire ça est presque impossible à dire. L'envie, la jalousie, le ressentiment, les complexes sociaux s'y donnent à lire avec une brutalité qui dépasse tout. On sent les désirs à vif de ceux qui aiment couper les têtes, qui veulent voir le sang couler. La poubelle est en train de déborder. Merveilleux Internet… Guilaine Depis (de La-Vie-Merveilleuse-point-com) établit un palmarès des œuvres de Wagner, dont elle est en train de devenir la grande spécialiste. En bons derniers arrivent Tristan et le Crépuscule… Je vois là un symptôme extraordinairement parlant de l'aplatissement numérique du Goût. D'autres se félicitent que "Barthes soit mort dans un accident de la circulation" (bien fait ! il sortait d'un déjeuner avec Mitterrand). D'autres encore luttent contre ce qu'ils nomment avec une gourmandise hystérique la "pédophilie". Je dis numérique mais je pourrais évidemment dire démocratique. Elle me dit : « Avec son gros pif ! » Oui, mais elle est quand-même jolie, non ? Non ! Les complexes sociaux, ah, on pourrait en écrire, sur le sujet ! On croyait qu'il suffisait d'avoir un sexe de taille à peu près normale pour jouer, comme ils disent "dans la cour des grands", mais le sexe mental, mon Dieu… Quand je me réveille vers une heure et demie du matin, c'est très souvent que je me sens piégé par l'imbécillité. Imbécillité prend deux "l" ! Tiens tiens… "Sinclair" ? "Schwarz"… Ah. Bien. Bien fait ! « Ils se marient entre eux… » Ah. Bien. Avec son gros pif… Jean-Marc, ce gros con. On a envie de faire se rencontrer certaines gens, pour voir. Le chemin le plus long, en effet. Toujours. La démocratie, la République, et les rêves. Je saute, de plus en plus souvent, d'un rêve à l'autre. Je suis dans un rêve a, et je me dis, tiens, et si je passais au Rêve B ? Et dans le "rêve b", je me dis que je suis en train de rêver du Rêve A, qui n'était pas si mal, dis-donc ! Connaissez-vous Zbigniew Rybczyński ? Dommage que mon ordinateur soit en panne, j'ai des idées de dessin animé que j'aimerais bien mettre en pratique. Avec son gros pif… La poubelle est en train de déborder ! Tout à l'heure j'ai photographié mes iris et mes roses, le jardin, alors que la lumière était en train de changer. Sur Internet, la poubelle déborde, et au jardin, le paradis fait un petit tour ni vu ni connu. Elle préfère Tannhäuser… Avec son gros pif. Et ses yeux en boutons de guêtres… Il parlait comme ça de Petite mère. Gros con. La morale a été tellement bafouée, si longtemps, qu'elle revient sous forme de farce, comme d'habitude. Les "dégommeurs", les "déboulonneurs", les "parler-franc" entrent dans la carrière. Onfray c'quon peut, et on dirait qu'on est les Gentils. Bonne Parole et Petit Zizi sont dans un Bateau, Bon Zizi tombe à l'eau, qu'est-ce qui reste ? La culotte de ta sœur. La Revanche de la Quadrature du Cercle des paumés, c'est Internet. Rien fait, rien dit, rien produit, rien dessiné, rien écrit, rien pensé, rien composé, mais QUAND-MÊME. Ça fait rien. J'EXISTE. Mais oui, toute petite chose, tu existes. Si au moins on en doutait… Alors il dit : « Vieux quinquagénaire satyre. » Il a dit quelque chose. Il pointe le Mal, il sait d'où vient le Mal, la France qui périclite, tout ça, il dit il énonce il se prend en photo en train d'exister. C'est le Grand Machin, c'est le Grand Truc, je vous le dis ! « Mais enfin… C'est impossible ! Vous… Excusez-moi. Peut-être vous êtes-vous trompés dans vos calculs ?… » Tintin, il y en a deux qui bavardent, là-bas… Ils refont leurs calculs, tous, ils empilent leurs équations, ils arrivent toujours au même résultat : LaCata. Les Visages sortent du sable, on les reconnaît, ce sont bien ceux du Désastre. Passons au Rêve B, la rue est barrée. Tous, désormais, ils se réclament de Muray. Muray aurait aimé, Muray aurait adoré, Muray aurait dit, Muray aurait ceci-cela, fait caca, fait un procès, fait sous lui, fait son selfie, mis une bombe, liké Truc et pas Machin, aurait voté comme ci mais pas comme ça, et d'ailleurs il aurait lu ça et écrit ci, si si, je le sais, j'ai bien connu sa mère et son chien. Les Situs sont de retour mais ils jouent du banjo avec la Dombasle. Et moi je suis planqué dans la poubelle, mes fringues commencent à puer sacrément, je te dis que ça. Dis, Luna, c'est encore loin ?

vendredi 22 mars 2013

Le Réactionnariat populaire



Êtes-vous réactionnaire ? Non ? Mais vous êtes complètement ringard, mon pauvre ami ! Le Réak (le ré-actionnaire) a relevé la tête, et porte dorénavant une rosette à la boutonnière. Fini le temps où il se cachait, où il se faisait petit. Il l'a ramène, désormais. Il porte le menton en direction de demain. Il hausse la voix, en attendant de la placer. De cette manière, d'autres, ses semblables, se dévoilent eux aussi, relèvent la face (sans révéler la farce), et répondent à l'apostrophe avec un sourire encore un peu maladroit (ils avaient perdu l'habitude) mais engageant, et qu'on sent prometteur. Ah, comme il est bon de ne pas être seul. On le croyait, pourtant, on se croyait unique en son genre, méprisé, martyrisé, réduit à peu de chose, au silence, à la discrétion des anciennes minorités. Mais l'histoire ne s'arrête jamais. Nous sommes bel et bien en 2013, ce dont personne ne semble s'être aperçu, et les progressistes, hier encore arbitres des élégances, sont aussi réjouissants que les vieillards croupissant dans leurs couches, le nez à la vitre, qui regardent passer le train enchanté de la modernité, le même train pourtant qui les a conduits où ils sont, à l'hospice.

C'est agaçant cette habitude qu'a le monde de ne jamais se stabiliser, de toujours vouloir renverser les hiérarchies et les valeurs. C'est lassant et grisant à la fois. À peine s'était-on assoupi paisiblement auprès du poêle ronronnant, écoutant un impromptu de Schubert, caressant son chien, qu'il faudrait changer de lunettes, renouveler son habit, se peigner la moumoute, remonter à cheval et affronter le froid mordant du réel ? Quand donc aurons-nous la paix ? Quand donc mettra-t-on la machine sur pause, une bonne fois ? Qui est donc l'excité du bonnet qui renverse la vapeur à chaque clairière entr'aperçue ? Quel but insensé poursuit-il ? 

Il est amusant de constater que l'homme est toujours, systématiquement, incorrigiblement, en retard. "La crise de la dette", lit-on partout en gros caractères gras. En effet, il y a bien une crise de la dette, mais pas celle qu'on croit. Envers qui, envers quoi sommes-nous en dette ? Je n'ose pas le dire car je vais avoir tous les économistes et tous les sociologues sur le paletot. Et aussi tous les politiques, tous les militants, toutes les féministes, tous les blogueurs, tous les jeunes, tous les internautes, tous les patrons, tous les banquiers, tous les musulmans, tous les catholiques, tous les syndicats, tous les gauchistes, mais aussi tous les réactionnaires et leur ligues morales, voire tous les Belges. Ça fait beaucoup. Pour éviter le sujet (« et d'une manière générale, je dis à chacun que chacun est charmant ») et parler presque d'autre chose, je dirai qu'il ne me surprend pas que le Réak soit devenu moral, très moral, et même hyper-moral, quand ce n'est pas moralisateur ou démoralisant. Ça nous pendait au nez, bien sûr. L'être humain est ainsi fait qu'il ne se sent pas, jamais, glisser d'un état à l'autre, et qu'il continue de faire des théories sur une chose qui est déjà morte, longtemps après, même, que cette chose soit morte. C'est curieux parce qu'on pourrait dire que l'état normal de l'humain est la transition (ce qui est déjà une contradiction dans les termes), et que, pourtant, il ne cesse de croire que rien ne bouge, que sa jeunesse est toujours là, qu'il a le temps, que le temps l'attend, que le temps sera toujours là, le même temps, indéfiniment identique à celui durant lequel il a cru qu'il était et qu'il serait, puisqu'il avait été. Les minorités se croisent sans se reconnaître, elles avancent dans une nuit épaisse et sourde, avec ce sentiment inébranlable de rester pour toujours ce qu'elles sont depuis toujours, et qui les fait exister, qui les rend réelles et qui leur permet de se définir, de se compter, de se reconnaître, et de prendre collectivement la voix de la minorité bafouée. La reconnaissance est une méconnaissance. Sitôt qu'un groupe parvient au point où il peut parler en tant que tel, il commence à s'oublier, à s'ignorer lui-même, à ne pas se reconnaître, ou à se prendre pour un autre (ce qui était son but secret). Et c'est le moment qu'il choisira pour parler très fort, prenant prétexte pour cela de ce que sa voix est étouffée, niée, internée dans une cellule que pourtant il est en train d'observer du dehors, et qui lui confère anachroniquement son statut enviable de réprouvé. 

Nicolás Gómez Dávila (il aurait eu cent ans dans quelques semaines) est un écrivain admirable, ainsi que Philippe Muray, et beaucoup d'autres qui les ont précédés, mais ils n'étaient pas en train de thésauriser, ils n'amassaient pas une forme de pouvoir moral à l'abri de leurs imprécations. Ce temps béni où les réactionnaires authentiques pouvaient fertiliser la pensée sans la fossiliser me semble sur le point de finir et celui où les ré-actionnaires vont arriver par centaines pour profiter du butin va commencer. Bien entendu, comme toujours, il y aura une période grise, où les deux races se croiseront (à tous les sens du terme), durant laquelle il sera loisible à tous les néo-Réaks pressés de rejoindre le sens de l'Histoire de se fondre dans la masse de la minorité majoritaire. Les néo-Réaks ajoutent leur farine et la pâte est en train de prendre silencieusement, de se constituer socialement, c'est-à-dire de rejoindre la grande vulgarité qui toujours et par tous les moyens reprend ses droits après les brèves ouvertures du temps. Peine perdue, la page se tourne même quand le livre n'est pas écrit, et ce qui recouvre la pensée vive est toujours une vieille peau trop fardée qui vient faire son tour de ventriloquie accompagnée des rengaines immuables de la paresse morale. Il n'y a pas plus immoral que les moralisateurs qui jouissent de la victoire en récitant les pages arrachées du carnet des vaincus. 

Heureusement, Angela Davis est encore en vie, et l'on peut entendre cette vieille caricature de gauchiste tenir son rôle avec une conviction certes un peu molle, mais qui devrait suffire à certains pour se rassurer et pour continuer de s'appuyer sur les troncs creux qui les soutiennent dans leur quête de sens. Donnez, braves gens, donnez à ceux qui sauront placer votre voix et vos actions, participez à l'effort de guerre lasse, avant que la vague grise reflue en emportant vos derniers remords, prenez votre ticket pour l'au-delà de l'Histoire. Il reste quelques progressistes pour que le Réak ne flanche avant le sommet de la cotation. Il devrait les canoniser avant qu'il soit trop tard ou reprendre un peu de Viagra.